B. LA CONSOLIDATION REPOSE SUR UN ACCOMPAGNEMENT QUI ENGLOBE DES ASPECTS TRÈS DIVERS ET UNE APPROCHE GLOBALE

Si l'intervention militaire est souvent la condition nécessaire pour arrêter le conflit violent né de la crise, elle n'en est pas la solution. C'est pourquoi, elle doit être accompagnée et prolongée par des actions qui permettront de rétablir les capacités de l'Etat en crise avec des autorités légitimes, une gouvernance qui fonctionne, des forces de sécurité intérieure et des forces armées qui puissent progressivement reprendre les missions assurées par la force de stabilisation, des services publics qui puissent apporter des prestations de base à la population sur tout le territoire et une économie remise en état de fonctionnement.

Ces actions doivent être envisagées dès le début de l'intervention militaire et parfois même en amont de celle-ci dans une démarche préventive, de façon à l'éviter ou à l'accompagner au plus près pour offrir des solutions sans délai dans la foulée de l'opération militaire.

La lenteur du processus de transition outre qu'elle refroidit les espoirs et décourage des populations éprouvées par la crise et la guerre, peut être facteur de déstabilisation dont les adversaires auront tôt fait de s'emparer pour montrer l'inutilité voire même la nocivité de l'intervention qui aura apporté plus de désagrément qu'elle n'aura apporté de mieux-être. Clausewitz, cité par Youval Diskin, ancien chef du Sin Beth (2005-2011) dans le documentaire « The Gatekeepers » de Dror Moreh 2013, considérait que « la victoire, c'est créer une réalité politique meilleure ». Il ne suffit pas de l'emporter militairement.


Le concept d'approche globale au sein des armées françaises

Extraits d'une conférence donnée à l'IHEDN par le Général de division aérienne Guillaume Gelée, directeur du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations (CICDE) en mai 2010

« L'approche globale est une démarche qui vise au règlement durable et rapide d'une crise par la coordination des actions de tous les acteurs dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et du développement économique et social. Elle allie collaboration entre acteurs partageant une même vision finale et coordination avec les autres acteurs présents sur le théâtre. Elle nécessite, dès que possible, une appropriation par la Nation hôte ou les représentants locaux de la solution recherchée. Elle a pour principal point d'application la population. Enfin, elle cherche à associer les acteurs régionaux à cet effort . »

L'approche globale est une stratégie de résolution des crises tout particulièrement adaptée à un État fragile ou failli. Elle impliquera tous les niveaux, depuis les instances internationales jusqu'au théâtre de la crise, en passant par le niveau national.

Le facteur clé est la nation hôte, il faut qu'elle adhère et s'approprie à terme l'effort de la communauté internationale pour stabiliser le pays.

Pour bénéficier d'une sortie de crise qui laisse le pays dans un état stable il faut donc s'appuyer sur trois piliers, étroitement interdépendants :

-la sécurité ;

-la stabilité, politique et institutionnelle (donc la souveraineté et la gouvernance) ;

-le développement économique et social.

La nature même de ces piliers souligne la nécessité d'une approche interministérielle, y compris dans un cadre multinational, pour mener à bien la résolution d'une crise.

L'approche globale doit couvrir tout le continuum de la gestion de crise depuis la prévention jusqu'à la normalisation :

Première phase : la prévention de la crise vise à maintenir la stabilité des régions sensibles.

Deuxième phase : la maîtrise de la crise ( containment ).aura pour objet de limiter les impacts extérieurs de la montée en puissance de la crise et de résorber progressivement ses causes pour revenir à une situation de prévention (première phase) par des moyens diplomatiques, économiques et militaires ainsi qu'en cas d'échec de préparer un éventuel emploi de la force. Cette deuxième phase se traduit par l'action convergente d'une ou plusieurs Nations dans les domaines diplomatiques, économiques, avec éventuellement un volet militaire spécifique. On peut notamment envisager une aide économique accrue, ou à l'inverse, un embargo ou un contrôle des approches, une assistance militaire opérationnelle ou des mesures d'intimidation...

Troisième phase: l'engagement international si, malgré la deuxième phase, la violence ne peut être contenue et les forces de sécurité locales sont défaillantes, nous entrons en phase d'engagement des forces internationales. D'après le concept français, la gestion de crise, est la combinaison d'une réponse initiale par l'emploi de la force, avant de passer à une phase de stabilisation et de normalisation.

L'emploi de la force pour réduire le niveau de violence est l'objectif principal de la " réponse initiale ". Cela n'exclut pas de conduire des actions civiles dans d'autres régions de la Nation hôte, si le niveau de sécurité le permet. À la fin de cette phase, la réduction de la violence doit permettre la remontée en puissance des forces de sécurité locales (défense, police, justice) et l'intervention des moyens civils de reconstruction.

La stabilisation vise à rétablir les conditions de viabilité minimales d'un État (ou d'une région), en mettant fin à la violence comme mode de contestation et en jetant les bases d'un retour à une vie normale par le lancement du processus civil de reconstruction. Au cours de cette phase, on passe d'une prépondérance des actions militaires d'imposition de la sécurité à une prédominance des actions civiles. Le succès de cette phase repose sur la transition entre les moyens de sécurité de la coalition et ceux du pays hôte, ainsi que sur l'existence de moyens civils pour mener à bien les tâches de reconstruction. Cette étape de la gestion de crise est critique; elle doit être pensée dès la deuxième phase de « maîtrise de la crise ». Le succès de cette phase est sanctionné par le désengagement des forces militaires étrangères dès que les forces de sécurité locales peuvent assumer le maintien de l'ordre.

La normalisation permet un retour à un État stable. Une fois la sécurité aux mains des forces légales locales, il faut maintenir l'effort de la communauté internationale pour consolider l'économie, les liens sociaux et la gouvernance sous une forme admise par la population. http://www.ihedn.fr/userfiles/file/debats_fond/approche-globale/Approche_globale-actes_table_ronde_06mai2010.pdf

Ces actions vont toucher des domaines aussi variés que l'assistance et le conseil, le mentorat, la coopération technique, les aides budgétaires d'urgence pour pallier le déficit des comptes publics et assurer la rémunération des fonctionnaires, des missions de formation et le financement de projets de développement. Elles procèdent de ce qu'il est convenu de regrouper sous l'appellation d'approche globale ou intégrée, susceptible d'assurer le redressement d'un Etat en crise (prévention) ou dans une situation de post-crise (reconstruction). Le cadre en est souvent fourni par les Nations unies (mission multidimensionnelle au-delà des casques bleus).

De fait, la plupart des intervenants (Union européenne, OTAN) voire certains Etats, ont développé ce concept. L'intervention militaire n'est qu'un des aspects de cette approche multidimensionnelle intégrée, souvent le premier et le plus visible lorsque la crise l'a rendue nécessaire parce qu'elle conditionne la réalisation de l'ensemble du processus.

La reconstruction et le redressement d'un Etat en crise n'est plus aujourd'hui à la mesure d'un seul Etat, même si sa richesse et sa puissance peuvent en faire un partenaire de premier rang. Aucune nation n'est en mesure aujourd'hui ou n'a la volonté de soutenir seule le redressement d'un Etat en crise. C'est donc sur la mobilisation d'institutions internationales (Nations unies, FMI, Banque mondiale, PNUD 235 ( * ) , HCR 236 ( * ) , OCHA 237 ( * ) , PAM 238 ( * ) ) ou régionales (Union européenne, BERD 239 ( * ) , BAD 240 ( * ) ,..) certaines spécialisées, et de certains Etats impliqués ou donateurs, que ces opérations pourront être menées.

Ils reposent aussi sur la volonté de l'Etat lui-même, de ses dirigeants et de sa population. L'objectif est que le plus rapidement possible, il puisse reprendre en main sa destinée et en conséquence, que le pilotage des projets soit conjoint de façon à ne pas rendre le pays assisté mais acteur de son redressement.

Si l'un des maillons est défaillant, le processus peut se gripper et demeurer inachevé ce qui maintiendra l'Etat dans sa situation de fragilité, sans résilience, et susceptible de connaître une nouvelle crise pour laquelle une nouvelle intervention militaire sera nécessaire. L'exemple de la RCA est à ce égard édifiant, la France y est intervenue militairement à quatre reprises depuis 1979 : Barracuda (1979-1981), Almandin 1,2 et 3 (1996-1999), Boali (2002-2013), Sangaris (2013-2016).

En étant très active sur le volet militaire, la France se donne les moyens d'être un partenaire de premier plan dans cette phase de reconstruction par son influence, mais elle est également attendue pour son expertise et son savoir-faire sur les autres volets de l'approche globale. En réalité, il s'agit bien pour elle d'avoir une approche stratégique globale dans laquelle le volet militaire n'est qu'un élément, pour pouvoir maintenir sa capacité d'influence dans sa zone d'intérêt.


* 235 Programme des Nations unies pour le développement.

* 236 Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

* 237 Office for coordination of Humanitarian affairs (Bureau de la coordination des affaires humanitaires), département des Nations unies.

* 238 Programme alimentaire mondial des Nations unies.

* 239 Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

* 240 Banque africaine de développement.

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