C. UN CONCEPT FRANÇAIS QUI A DE LA PEINE À SE MATÉRIALISER

1. Une littérature abondante
a) L'approche globale : un concept esquissé par le Livre blanc de 2008

Les rédacteurs du Livre blanc de 2008 tirent les enseignements des nouvelles formes de crises et notamment de celles intervenues dans les Balkans en insistant sur le post-crise et sur les moyens à mobiliser pour conduire une action civile de grande ampleur, mais ils restent peu diserts sur le modus operandi si ce n'est dans le développement qu'il consacre au ministère des affaires étrangères et européennes qui anime la coopération de défense et de sécurité, qui assurera un pilotage interministériel de la gestion des crises extérieures et s'appuiera à cet effet sur une capacité de planification civile et sur le centre opérationnel de veille et d'appui à la gestion des crises extérieures.

P 131 et suiv.

Jusqu'à la fin de la guerre froide, la coupure était nette entre les opérations militaires, les guerres et les opérations civiles et civilo-militaires. Cette séparation s'est estompée, au point qu'il n'est plus guère possible de concevoir une opération militaire qui ne serait pas accompagnée d'une action civile

À l'issue d'une opération militaire, le dernier contingent militaire international ayant quitté le territoire concerné, l'intervention civile internationale se poursuit, au profit des institutions politiques résultant de la crise, notamment pour organiser l'aide internationale, l'assistance administrative et judiciaire et le soutien au développement économique, comme on le voit dans les Balkans.

Ces opérations sont complexes et n'ont pas encore suscité de « doctrine internationale » fermement établie. Au contraire, chacune est prise comme un cas d'espèce, nombre d'actions cohabitant sur un même théâtre et poursuivant des objectifs parallèles. Le seul point commun admis est la prééminence de l'Organisation des Nations unies. Néanmoins, ce postulat se concrétise rarement par une action coordonnée de toutes les parties prenantes, tant locales qu'étrangères.

La stratégie de sécurité nationale a pour ambition de définir et développer pour la France une action globale des pouvoirs publics plus efficace et plus cohérente.

Certaines capacités sont à développer d'urgence. Pour prendre sa part dans des opérations civiles de grande ampleur, la France doit identifier, recruter et déployer un personnel civil volontaire spécialisé : administrateurs, magistrats, experts économiques.

En outre, elle doit développer les outils financiers et juridiques appropriés pour assurer la qualité et la cohérence de son action sur les théâtres d'opérations, ainsi que la visibilité et la traçabilité de sa contribution. À ce titre, doit être définie une véritable stratégie de « sortie de crise » associant étroitement et le plus tôt possible les entreprises françaises à la reconstruction économique et financière des pays concernés.

Ce qui est vrai de l'instrument militaire évoqué ci-dessus l'est aussi des autres instruments de la puissance publique : il est nécessaire de mieux organiser les moyens français susceptibles d'être engagés à l'étranger dans le cadre d'une opération civile ou civilo-militaire, concourant à l'action politique et diplomatique d'ensemble de la nation.

(...)

p.259

Le ministère des affaires étrangères assurera en outre le pilotage interministériel de la gestion des crises extérieures, quelle que soit leur nature.

Il s'appuiera à cet effet sur une capacité de planification civile et sur un centre opérationnel de veille et d'appui à la gestion des crises extérieures, placés sous l'autorité du secrétaire général.

Ce centre aura vocation à assumer trois types de fonctions :

- avant la crise, il sera chargé de la veille et de l'alerte précoce. Il préparera aussi l'action des pouvoirs publics, par l'identification préalable des personnels et des matériels nécessaires en situation de crise et par l'organisation d'exercices ad hoc.

- pendant la crise, il jouera un rôle de coordination opérationnelle de manière à assurer la mise en oeuvre efficace des orientations stratégiques arrêtées par l'autorité politique. Le décloisonnement administratif, la centralisation et la diffusion rapide de l'information guideront son action ;

- après la crise, il coordonnera plus particulièrement les retours d'expérience sur les crises extérieures.

Pour mener à bien ces missions, le centre s'appuiera sur les capacités des ministères et des services de l'État concernés, en plus de celles du ministère des Affaires étrangères et européennes.

b) Une approche longuement développée par le Livre blanc de 2013

Le Livre blanc de 2013 a consacré de longs développements à cette approche globale s'essayant à esquisser son organisation : « La consolidation d'États fragiles ou le rétablissement de leur stabilité requièrent la mise en oeuvre d'un ensemble d'actions complémentaires et cohérentes dans tous les domaines. Une coordination accrue est nécessaire dans le cadre d'une approche globale interministérielle et multilatérale, afin d'optimiser l'emploi de moyens comptés » .

Une capacité crédible de prévention et de gestion civilo-militaire des crises s'impose dans notre stratégie de défense et de sécurité nationale . Elle doit pouvoir s'appuyer sur des moyens civils renforcés et sur une organisation consolidée. Le Livre blanc de 2008 avait déjà fait ce constat et, en 2009, a été élaborée une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire des crises extérieures, dont le pilotage relève du ministère des Affaires étrangères.

L'expérience des crises récentes a montré que nos capacités civiles, dans les actions de prévention comme dans la reconstruction après un conflit, sont encore insuffisantes, faute, notamment, qu'aient pu être créées les conditions permettant la mobilisation efficace et coordonnée des ministères compétents. Il convient par conséquent de relancer la stratégie interministérielle.

La politique de prévention de la France a pour objectif d'éviter l'apparition de foyers de crise, notamment dans notre environnement proche. Elle s'exerce prioritairement en direction des États fragiles, dont la situation a un impact direct sur l'Europe et sur les outre-mer. C'est donc vers ces pays qu'une part substantielle de notre aide au développement doit être dirigée dans le cadre d'une politique globale interministérielle . La coopération de défense et de sécurité, l'assistance opérationnelle à des armées étrangères, ainsi que notre dispositif prépositionné, constituent autant d'outils qui doivent contribuer à la cohérence de notre politique en matière de prévention.

Cet effort de convergence se fondera sur une analyse des risques partagée entre les services concernés et se traduira par la mise à jour régulière de «stratégies-régions» validées au niveau interministériel . De même, notre capacité de réaction s'appuiera sur un système de veille et d'alerte précoce interministériel, qui devrait déceler et analyser au plus tôt les indicateurs annonciateurs de crise.

Si, malgré ces efforts de prévention, la France est appelée à participer à une opération de gestion de crise, les forces d'intervention doivent être, au plus tôt, complétées par le déploiement de capacités civiles spécialisées. Ce déploiement doit être étroitement coordonné avec l'action militaire qui crée les conditions de sécurité minimales pour asseoir les bases d'une stabilisation durable et permettre au personnel civil de conduire son action.

Les modalités de la mise en oeuvre de cette approche globale dans la gestion des crises devraient être anticipées et planifiées au plus tôt et, si possible, en amont de toute intervention. La définition préalable des stratégies post-crise et la mobilisation des ressources humaines et matérielles correspondantes demandent une coordination rigoureuse aux niveaux interministériel et multilatéral, qui doit pouvoir s'appuyer sur une organisation et des procédures éprouvées.

À cet effet, le dispositif français devra être organisé selon les principes suivants :

- au niveau stratégique, les priorités géographiques, en particulier, en termes de veille, d'anticipation et de prévention, devront être clairement déterminées et validées au niveau politique. Le comité de pilotage de la gestion civilo-militaire des crises coordonnera le suivi et l'actualisation annuelle de ces priorités. Un document cadre explicitant notre stratégie interministérielle en matière de prévention et de gestion civilo-militaire des crises sera publié ;

- au niveau opérationnel, le dispositif retenu devra pouvoir s'appuyer sur une doctrine opérationnelle et des procédures interministérielles validées . Il devra mener une action de moyen et long terme, dans une logique tant de diplomatie d'influence que de diplomatie économique. Il devra également être en mesure de monter en puissance rapidement à l'approche d'une crise. Il s'appuiera dans ces situations sur l'installation, auprès du ministère des Affaires étrangères, de structures de réponse rapide composées de personnels mis à disposition représentant les différents départements ministériels compétents. Ces structures légères et réactives resteront en activité tout au long de la période critique;

- cette approche globale interministérielle doit se traduire, sur le théâtre de la crise, par une délégation et un partage clair des responsabilités afin d'assurer la cohérence de l'action au contact des réalités du terrain.

Le renforcement de l'action civile sur le terrain passe surtout par une mobilisation rapide des expertises civiles, notamment dans les spécialités critiques (sécurité publique, douanes, administration publique, magistrature, génie civil, etc.).

Une démarche volontariste valorisant, dans la fonction publique, les parcours internationaux devrait permettre de disposer des capacités civiles à la hauteur de nos ambitions. Le vivier d'experts volontaires pouvant être sollicités doit ainsi être consolidé, élargi et régulièrement actualisé en coordination avec les administrations et les opérateurs spécialisés (France-Expertise Internationale, CIVIPOL, etc.). Ce travail d'identification et de mobilisation doit aussi s'accompagner d'un effort dans le domaine de la formation des agents aux opérations civiles de gestion de crise, d'une simplification des procédures administratives, ainsi que de l'adaptation du statut des agents déployés.

2. Une mise en oeuvre impressionniste encore très marquée par une logique de silo

Si certaines préconisations du Livre blanc de 2013 reprenaient des procédures mises en oeuvre, et d'autres l'ont été depuis, force est de déplorer la faiblesse de la mobilisation et le caractère peu structuré de l'ensemble.

a) La stratégie oubliée

À peine élaborée en 2009, la stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire des crises extérieures, dont le groupe de travail malgré sa demande n'a jamais pu obtenir communication, a été abandonnée au cimetière des productions administratives inutiles. « Les procédures prévues dans la stratégie interministérielle de gestion des crises (2009) ne sont plus appliquées. Pilotée par le MAEDI la stratégie interministérielle de 2009 sur la gestion des crises externes a conduit, en 2010, à la mise en place d'une task force interministérielle de gestion civilo-militaire des crises placée sous la responsabilité du MAEDI. L'accroissement très rapide de la complexité et du nombre des OPEX, ainsi que d'importants changements institutionnels côté MAEDI, ont fait que la stratégie de 2009 et son dispositif interministériel de gestion des crises extérieures ont progressivement perdu en opérationnalité. A défaut d'un véritable processus interministériel unique, prédéfini et reproductible pour chaque crise (comme le prévoyait la stratégie de 2009), il existe en administration centrale à ce stade au MAEDI plutôt des coordinations interministérielles ad hoc (en fonction des pays, régions ou enjeux sécuritaires) 254 ( * ) . »

Les auteurs du Livre blanc, au nombre desquels le Secrétaire général et quatre hauts-fonctionnaires du Ministère des affaires étrangères, dont on peut supposer qu'ils ont été particulièrement attentifs à la rédaction finale de cette partie du texte avaient pourtant souhaité « relancer la stratégie interministérielle ».

En conséquence, « le comité de pilotage de la gestion civilo-militaire des crises devant coordonner le suivi et l'actualisation annuelle des priorités géographiques » a été remplacé par une réunion semestrielle organisée par le Secrétaire général, qui valide les études réalisées par le Centre de crise et de soutien. Le document cadre « explicitant notre stratégie interministérielle en matière de prévention et de gestion civilo-militaire des crises » n'a pas été publié.

Les réformes institutionnelles récentes au sein du dispositif de coopération ont vocation à contribuer à la relance de la stratégie interministérielle grâce à l'élargissement du mandat du Centre de crise et de soutien auquel est dévolue une compétence en matière d'appui à la concertation interministérielle pour la gestion des crises

b) Des stratégies régions en pointillé, à l'exception de la stratégie Sahel conduite par le SGDSN

En fait une seule stratégie région fait l'objet d'une élaboration et d'un suivi interministériel. Il s'agit de la « Stratégie Sahel ».

(1) La stratégie Sahel

Initiée en 2008, la stratégie Sahel qui couvre six pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad) a été conçue comme une réponse coordonnée aux défis identifiés dès 2006 (crise touarègue au Mali, extension des opérations terroristes du GSPC algérien vers le sud du Sahara sous franchise AQMI), sous-développement chronique sur fonds de défis démographique et climatique). Elle a été révisée en 2014 pour tenir compte des inflexions des crises libyenne et malienne avec une orientation en direction de la régionalisation des politiques (émergence du G5 Sahel) et une implication plus grande d'acteurs internationaux (Nations unies, Union européenne). Une nouvelle révision est en cours du fait de nouvelles évolutions. La France a un intérêt majeur à la stabilité de cette région clé, entre le Maghreb et l'Afrique de l'Ouest, qui se trouve menace par l'extension de l'action des groupes terroristes.

L'objectif de cette stratégie qui couvre le spectre de la sécurité, du développement et de la gouvernance, est d'aider les États sahéliens à exercer pleinement leur souveraineté en vue d'assurer la stabilité et la prospérité des sociétés, soutenir l'émergence d'une réponse régionale structurée, en termes sécuritaires mais aussi sur le plan économique. Ces axes principaux sont le renforcement des capacités publiques à lutter contre les menaces criminelles, la lutte contre les trafics et leur lien avec le terrorisme, la réponse aux frustrations qui alimentent la radicalisation violente, l'encouragement des initiatives de coopérations sécuritaires régionales, l'amélioration des conditions de vie des populations et l'adaptation aux défis environnementaux.

L'approche globale retenue a contribué à mobiliser de nombreux partenaires sur l'ensemble des sujets et à affirmer la spécificité de la région saharo-sahélienne qui n'avait aucune reconnaissance jusqu'alors puisque les Etats appartenaient à des organisations régionales différentes (Union du Maghreb arabe pour la Mauritanie, CEDEAO pour le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Sénégal, CEEAC pour le Tchad). L'Union européenne s'est dotée en 2011 d'une stratégie Sahel (voir supra.) et les Nations unies, outre la présence de la MINUSMA, ont également développé une approche régionale en étendant leur Bureau Afrique de l'Ouest au Sahel. L'action militaire française a créé les conditions d'un processus de paix au Mali. Le G5 Sahel est monté en puissance au-delà du volet sécuritaire et de coopération transfrontalière, il aborde aujourd'hui des questions économiques (projet de compagnie aérienne régionale). Il est dommage que le Sénégal n'ait pas su s'associer à ce processus à son démarrage.

Mais ces résultats sont encore insuffisants, car au-delà de l'aspect sécuritaire qui était le leitmotiv initial, les défis régionaux sont énormes. Ils ont été exposés de façon remarquable par Serge Michaïlof, devant le groupe de travail et dans son livre « Africanistan » publié en 2015 255 ( * ) . Il est donc nécessaire de prendre en compte des dynamiques globales : une démographie non maîtrisée, des indicateurs socio-économiques qui se dégradent, les défis environnementaux, la désertification, l'urbanisation croissante et l'augmentation de flux migratoires, mais aussi l'adaptation et la réorganisation des groupes terroristes, l'insécurité qui persiste, stimule les trafics et bride la liberté de mouvement de la coopération des entreprises dans les zones rurales et la frustration de la jeunesse, toujours plus nombreuse, sans emploi et sans perspective, qui s'exprime dans le « mouvements citoyens » mais également dans les mouvements confessionnels d'influence wahhabites financés par des intérêts du Golfe arabo-persique 256 ( * ) .

Les axes de la révision de la stratégie Sahel

La stratégie révisée insiste sur la consolidation des métropoles ouest-africaines pour absorber la croissance démographique de manière durable et fixer les populations. L'essentiel des migrations reste à ce stade, infrarégionales : les Sahéliens migrent vers la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Nigéria au sud, le Maroc, l'Algérie et la Libye au nord. Michel Foucher, entendu par le groupe de travail a insisté sur l'importance du dynamisme économique de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb pour amortir les conséquences de ce phénomène démographique inéluctable.

Elle met en exergue le renforcement de l'intégration des flux économiques et humains entre le nord et le sud du Sahara pour tirer cet espace de sa marginalisation. La connexion Maghreb-Sahel pour créer cette « verticale » Afrique-Maghreb-Europe que votre Commission avait été identifiée comme « un enjeu décisif pour l'équilibre du monde dans les 20 ans à venir » 257 ( * ) .

Elle place le Sahel comme un point d'application des objectifs du développement durable au plan social et environnemental.

Elle appréhende la radicalisation de manière plus globale en préconisant de protéger les espaces de contestation démocratique, et notamment les « mouvements citoyens » et reprendre, par un effort massif le terrain perdu dans l'enseignement de base où les acteurs confessionnels soutenus par l'étranger s'installent durablement.

Si les opérations Serval et Barkhane, complétées par les missions européennes EUCAP Sahel au Niger et au Mali et EUTM Mali, la coopération de sécurité et de défense 258 ( * ) et la coopération opérationnelle 259 ( * ) répondent en partie aux objectifs dans le domaine de la sécurité, le plan d'action pour un engagement renouvelé au Sahel 2015-2020 de l'Agence française de développement qui prévoit pour les six pays des engagements à hauteur de 367 millions d'euros paraît bien modeste : 61 millions sur une base annuelle à répartir entre six pays, même en se concentrant sur la gouvernance, l'éducation, la sécurité alimentaire, les infrastructures énergétiques et hydraulique et la santé. Sans doute pourra-t-on considérer que ces engagements fourniront un effet de levier pour mobiliser des financements d'autres bailleurs, mais l'argument est très relatif car tous les bailleurs l'utilisent et au bout du compte le montant total des engagements reste le même.

Outre cette faiblesse des moyens, la mise en oeuvre de la stratégie, lorsqu'elle implique une mobilisation des départements ministériels, se heurte au phénomène récurrent qui consiste à enregistrer des catalogues de bonnes volontés qui rendent la copie admirable mais qui à l'heure de la réalisation s'étiolent dans la relégation au rang des priorités secondaires avant de disparaître par absence de moyens.

Le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale qui organise une réunion semestrielle de suivi le reconnaissait lui-même. La coordination stratégique par le SGDSN est conceptuelle et peu opérationnelle, elle a besoin d'un bras armé. Elle ne dispose pas de moyens financiers autonomes sur lesquels s'adosser et repose donc sur le bon vouloir des départements ministériels.

(2) Une stratégie « golfe de Guinée » consolidée sous l'égide du Secrétariat général de la mer

Parmi les stratégies spécifiques, il existe également une stratégie pour le golfe de Guinée, rédigée sous l'impulsion de la Représentante spéciale chargée de la coordination de la lutte internationale contre la piraterie maritime, et validée par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense en janvier 2014. Ses axes d'effort ont été absorbés dans la stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes, consolidée en interministériel sous l'égide du Secrétariat général de la mer, et finalisée en septembre 2015.

(3) Un Plan d'action pour le Maghreb

Un « Plan d'action pour le Maghreb » (Maroc, Algérie, Tunisie) a été finalisé en octobre 2014. Il résulte d'un travail en interservices au sein du MAEDI associant les opérateurs. Il fait apparaître les grandes priorités stratégiques de la coopération française (tous secteurs confondus) dans 6 domaines-clef : la jeunesse, la diplomatie économique, le français, la recherche, la sécurité et la diplomatie publique. L'interministérialité de ce plan d'action est donc limitée.

(4) Des stratégies à articuler avec les stratégies de l'Union européenne

Outre ces stratégies nationales, la définition des stratégies régionales de la France s'inscrit dans un cadre européen. En effet, l'élaboration des stratégies et plans d'action régionaux de l'Union européenne est le fruit, en France, d'un large travail interservices et interministériel. Il s'agit essentiellement, pour l'Afrique :

• du plan d'action Sahel de l'Union européenne adopté en 2015,

• de la stratégie de l'Union européenne pour le golfe de Guinée de 2014,

• et du plan d'action de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique de 2015.

(5) L'absence de stratégie interministérielle globale pour le Levant

Le Levant (Irak - Syrie mais aussi les pays voisins touchés par les conséquences du conflit notamment pas l'afflux de réfugiés) fait l'objet d'un traitement diplomatique et militaire, il ne fait pas l'objet d'une stratégie interministérielle globale. Cette crise a surtout de multiples effets qui concernent de nombreux départements ministériels au-delà de ceux qui sont habituellement intéressés au titre de l'assistance technique et de l'aide au développement. Il a révélé une grande perméabilité avec le territoire national, en raison de la présence de combattants français ou résidents dans les groupes armés dont certains terroristes. En outre, certains de ces groupes, et notamment Daech, ont commandité des attentats et des attaques sur le territoire national. De surcroît, le conflit en Irak et en Syrie a provoqué d'énormes déplacements de population (voir supra p. 165) dans les pays voisins puis vers l'Europe. L'accueil de ces réfugiés est une problématique particulière.

Cette situation est peut-être la conséquence d'une focalisation nécessaire sur la lutte contre le terrorisme qui fait l'objet d'un travail interministériel approfondi et, parce que s'agissant de phénomènes migratoires aussi massifs, l'échelle européenne s'est d'emblée imposée.

Sans doute a-t-on considéré également que ces pays qui ne sont pas parmi les plus pauvres et qui disposent de ressources en hydrocarbures auront les moyens de leur reconstruction lorsque les guerres civiles prendront fin. C'est sous-estimer cependant le niveau des destructions des infrastructures et plus encore de pertes humaines (décès, immigrations) qui ont appauvri ces pays d'une partie de leurs élites 260 ( * ) . La reconstruction sera de ce fait difficile et la France devrait préparer une offre d'assistance et de conseil et préparer ainsi la présence ou le retour dans de bonnes conditions des entreprises nationales.

Si la France a mis en place des actions pour venir en aide aux réfugiés et aux pays d'accueil notamment grâce aux crédits d'urgence du Centre de crise et de soutien, il n'y a pas de stratégie interministérielle coordonnée ni au niveau du SGDSN, ni sous forme d'une task force, et elle est relativement discrète, participant à la stratégie globale de l'Union européenne pour l'Irak, la Syrie et contre Daech, contribuant au Fonds fiduciaire mis en place à l'initiative de l'Allemagne (voir infra p. 211), mais absente du Dispositif pour le financement de la stabilisation immédiate piloté par le PNUD.

L'Union européenne a ébauché tardivement, en mars 2015, une Stratégie globale pour la Syrie et l'Irak 261 ( * ) . Si la coalition menée par les Etats-Unis à laquelle participent plusieurs Etats membres, prend en charge la partie militaire, l'Union européenne, sous l'égide de l'ONU participe à l'effort diplomatique, en visant à couper les financements de Daech par une politique de sanctions, en soutenant l'opposition modérée et un gouvernement plus inclusif en Irak, en coordonnant la lutte contre les « combattants étrangers », par la fourniture autonome d'une aide humanitaire, par un soutien aux pays voisin et une aide aux réfugiés. Elle a mis en place un Fonds régional d'affectation spéciale en réponse à la crise syrienne.

Afin de permettre le retour des citoyens ayant fui les zones de combat en toute sécurité et de reconstruire leurs communauté et afin d'assurer la réconciliation et la gestion inclusive de l'Irak, la Coalition a versé plus de 50 millions de dollars au Dispositif pour le financement de la stabilisation immédiate (DFSI) du PNUD qui répond aux besoins immédiats dans les zones récemment libérées. Ce dispositif a été créé en juin 2015. Il est financé par plus d'une douzaine de membres de la Coalition. L'Italie mène les actions de la Coalition pour entraîner la police irakienne à assurer la sécurité dans les zones libérées 262 ( * ) . La France ne participe pas à ce dispositif.

Une réunion des 66 membres de la Coalition s'est réuni à Washington le 2 juin pour examiner le progrès dans la campagne militaire, discuter d'autres actions pour vaincre Daech et chercher un soutien supplémentaire aux efforts d'urgence humanitaires et pour la stabilisation des zones libérées.

Il n'existe pas plus de stratégie interministérielle globale pour la Libye, organisant une approche post-crise .

c) Les niveaux stratégiques et opératifs font l'objet d'un suivi attentif au niveau de la Présidence de la République

Plus que sur tout autre sujet, construire des dispositifs interministériels de niveau stratégique ou opératif dans les domaines des affaires étrangères ou de la défense dans lesquels la Constitution de la Vème République a réservé de larges prérogatives au Président de la République et un rôle plus modeste au Premier ministre est compliqué.

La coordination effectuée à la Présidence de la République reste importante sur certains dossiers comme les questions africaines avec une réunion hebdomadaire dont le format est interministériel, qui rassemble autour du conseiller diplomatique pour l'Afrique du Président de la République les représentants des ministères concernés (Premier ministre, MAEDI, Défense, Intérieur, Finances et comptes publics, AFD) et au cours de laquelle est examinée la situation de quatre à cinq pays.

d) Un dispositif « opératif » concentré au sein du Centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères, plus efficace, mais qui ne couvre qu'un petit segment d'une approche globale

Le centre de crise et de soutien du Ministère des affaires étrangères est monté en puissance dans la période récente et s'est vu confier successivement, en 2009 la mission de veille, d'anticipation, d'alerte et de gestion des crises se déroulant à l'étranger et en 2014, une mission spécifique concernant les actions de stabilisation.

(1) La Mission pour l'anticipation et les partenariats

Le CDCS a été chargé, par décret du 16 mars 2009, de « la veille, de l'anticipation, de l'alerte et de la gestion des crises se déroulant à l'étranger et nécessitant soit une réaction à un événement menaçant la sécurité des ressortissants français à l'étranger soit une action humanitaire d'urgence ». Cette mission a été confiée à une structure particulière au sein du CDCS, la mission pour l'anticipation et les partenariats (MAP).

En plus d'une veille mondiale permanente maintenue 24h/24, le centre de crise et de soutien évalue les risques de déstabilisation dans les 163 pays où la France a une représentation.

La Mission pour l'anticipation et les partenariats (MAP) a élaboré en 2014 un système d'alerte précoce en liaison avec les services des ministères concernés. Il s'agit d'un outil d'identification des facteurs de déstabilisation mais également d'évaluation de nos intérêts et des menaces contre nos intérêts dans les pays ciblés. Une grille d'analyse est depuis fin 2014 renseignée par chaque poste et exploitée par la MAP pour dégager les tendances régionales et thématiques des risques de déstabilisation. Le système d'alerte (SyAl) ainsi mis en place se veut un outil d'aide à la décision politique en donnant un éclairage particulier sur les pays présentant des risques de déstabilisation élevés et où nos intérêts sont suffisamment importants pour y mener des actions renforcées. Les travaux d'alerte précoce sont menés en étroite coopération avec les différents ministères concernés, l'AFD et Business France.

Le SyAl est également un outil d'influence, permettant à la France de devenir un partenaire actif dans les enceintes internationales (UE et ONU) sur la problématique de l'anticipation des crises.

La MAP participe également aux task forces « pré-crises », ciblant les pays susceptibles de basculer dans des crises de grande ampleur. Plusieurs documents sont issus de ces travaux d'anticipation : les fiches pays SyAl, les notes thématiques (ex : processus électoraux en Afrique et risques - effets du phénomène el Nino), notes sur les signaux faibles et les notes d'anticipation à deux mois.

Elle mène depuis 2014 des actions de diplomatie économique en zones de crise auxquelles contribue la DGM (Direction des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme - DEEIT) (voir infra p. 219).

En matière de veille, les priorités géographiques sont établies en fonction des intérêts que la France souhaite préserver (présence de nombreux ressortissants, routes d'accès ou de transit de ressources clefs, engagements politiques à titre bilatéral ou multilatéral).

Lorsqu'une dégradation est perçue, le MAEDI mobilise d'autres outils à titre préventif. Le MAEDI utilise l'ensemble des leviers politiques et diplomatiques pour mettre en oeuvre une approche globale de consolidation de la paix, en priorité dans les zones susceptibles d'affecter la sécurité de la France et de ses ressortissants. Le MAEDI agit ainsi, par exemple, afin de consolider une autorité étatique légitime en mesure d'exercer sa souveraineté sur un territoire (consolidation de l'Etat de droit, réforme du secteur de la sécurité), souvent en coordination avec les organisations multilatérales (NU, UE, UA, OSCE...).

(2) La mission pour la stabilisation

Le mandat du Centre de crise et de soutien a été élargi, une compétence en matière d'appui à la concertation interministérielle pour la gestion des crises lui a été dévolue. En son sein, une « Mission pour la stabilisation » a été créée afin d'engager des actions de reconstruction dans le domaine exclusif de la gouvernance dans les pays en crise ou en sortie de crise.

Cette mission, dotée de neuf agents et d'un budget propre, articule son action avec les actions mises en oeuvre par celles des autres services du MAEDI, et notamment celle en charge des actions de fragilité, de résilience et de gouvernance, les autres services de l'Etat (dont la DG Trésor) et les opérateurs (dont l'AFD et Expertise France).

Elle intervient sur des problématiques de stabilisation de court terme, via le développement d'actions de gouvernance et de soutien à la société civile de courte durée (moins d'un an en règle générale) permettant de poser les bases de la stabilisation et de la reconstruction avant que le relais ne soit pris par les politiques de développement.

La Mission de stabilisation dispose d'un fonds de stabilisation ayant pour objectif d'appuyer des projets de soutien à la stabilité dans le domaine de la gouvernance, de la société civile/média et la fourniture de services sociaux de base, y compris sur le plan civilo-militaire. Les crédits de son fonds de stabilisation (7,5 millions d'euros en 2016) peuvent être mobilisés de manière souple et rapide 263 ( * ) .

e) Les « task forces » des instruments de suivi, d'impulsion et de coordination dans la gestion et le suivi des crises

A défaut d'un véritable processus interministériel unique, prédéfini et reproductible pour chaque crise (comme le prévoyait la stratégie de 2009) des coordinations interministérielles ad hoc en fonction des pays, régions ou enjeux sécuritaires ont été organisées. Ces task forces interministérielles coordonnées par les directions géographiques sont mises en place dès le déclenchement d'une crise. Elles regroupent les personnels compétents du MAEDI, du ministère de la défense, du ministère des finances, etc. Ces task forces sont responsables du suivi rapproché des événements en lien avec le poste diplomatique, de l'élaboration et de la diffusion de points de situation et de l'élaboration de recommandations politiques au cabinet.

(1) Plusieurs sont actuellement en fonctionnement :

• les tasks forces RCA, Burundi, Boko Haram (pilotées par la direction Afrique-Océan Indien-DAOI),

• les réunions de coordination pour le suivi de la stratégie sahélo-saharienne (pilotées par la DAOI et le SGDSN),

• les réunions de concertation sous l'égide du CDCS (Mali, Syrie, Irak).

Pour le Ministère des affaires étrangères, ces formats offrent l'avantage de permettre flexibilité, souplesse et réactivité, des éléments importants eu égard au caractère volatile des crises, mais le manque de financement et la faiblesse numérique du vivier de spécialistes projetables en zone de crise les contraignent aussi.

(2) La task force RCA

Ce système a fonctionné de façon régulière et relativement efficace pour l'accompagnement de l'opération Sangaris, sur un théâtre de format réduit s'agissant de la mise en place d'un programme d'urgence pour soutenir les finances publiques (et rémunérer les fonctionnaires) et pour lancer quelques actions rapides visant à couvrir des besoins essentiels et faisant intervenir pour l'essentiel des acteurs locaux.

Dès la fin de l'année 2012, la RCA a été inscrite régulièrement à l'ordre du jour de la réunion hebdomadaire à la Présidence de la République, ce qui a permis une approche partagée entre les ministères concernés en amont de l'intervention militaire. Cette approche interministérielle s'est doublée au long de l'année 2013 d'une concertation internationale.

La coordination interministérielle s'est renforcée parallèlement au développement de la crise jusqu'à la mise en place en octobre 2013, soit avant le déclenchement de l'opération Sangaris, au MAEDI, d'une Task-Force RCA à laquelle participaient, outre les agents du MAEDI, des représentants des armées, de l'AFD et la DG Trésor, conviés à une réunion au moins hebdomadaire au Quai d'Orsay. Cette Task-Force émettait notamment des points de situation.

Parallèlement à l'intervention militaire en décembre 2013 étaient recherchées une transition politique et la reconstruction de l'économie. La France, en liaison avec ses partenaires internationaux, a mis en place un programme d'appui à la transition et de remobilisation de la communauté internationale en faveur de la RCA, en ligne avec les orientations fixées par les Nations unies.

Elle a rapidement apporté une aide à la stabilisation et au redressement de la RCA en cohérence avec les priorités du nouveau gouvernement centrafricain de transition installé en janvier 2014 : la sécurité, l'aide humanitaire, l'appui au processus politique de transition et de restauration de l'Etat de droit, et la remise en marche de l'administration et de l'économie.

Ainsi dans cette approche largement interministérielle, la DG Trésor est principalement intervenue sur le quatrième axe de ce plan, l'appui à l'administration pour le rétablissement de l'autorité de l'Etat et la remise en marche des fonctions fondamentales du gouvernement. Elle s'est largement concentrée, sur l'appui au rétablissement des finances publiques : sans le paiement des salaires des fonctionnaires, qui a repris dès février 2014, après cinq mois d'interruption, la stabilisation et le retour des services publics de base (éducation, santé) n'auraient pas été envisageables.

Ce plan d'urgence d'appui au redémarrage de l'administration financière s'appuyait notamment sur 10 millions d'euros d'aide budgétaire globale et sur le renforcement de l'assistance technique pour aider la RCA à restaurer des conditions de sécurité financière suffisante pour rassurer les grands bailleurs multilatéraux. Cet aspect du plan comportait des missions d'expertise de court terme assurée par ADETEF/Expertise France (réhabilitation et rééquipement informatique des services vitaux du Trésor, de la Solde et des Douanes, évaluation et remise en marche des services du Trésor, supervision des opérations de paiement, redémarrage de l'administration douanière).

Une fois ce plan mis en oeuvre, de début 2015 à aujourd'hui, la DG Trésor, a continué à assurer un suivi très étroit des finances publiques centrafricaines, en lien notamment avec l'expert technique français auprès du ministre centrafricain des finances et les services de l'ambassade de France. En 2015 a été accordée une aide budgétaire globale de 8 millions d'euros, qui a principalement servi au paiement de salaires des fonctionnaires civils (en mars et avril 2016) et d'un trimestre d'arriérés de pension ainsi qu'au financement de certaines dépenses électorales.

L'AFD a été associée au processus de suivi interministériel. Lors du déclenchement de la crise, son portefeuille de projets a été adapté à la situation volatile aux plans humanitaire et sécuritaire de la RCA, pour répondre à des besoins urgents à court terme tout en veillant à inscrire ses interventions dans un souci de relance à plus long terme de l'économie. Pendant la phase d'urgence, en 2014, elle s'est concentrée sur des actions rapides visant à couvrir des besoins essentiels et faisant intervenir pour l'essentiel des acteurs locaux et/ou de la société civile (projets de travaux à haute intensité de main-d'oeuvre - THIMO. Dans le prolongement de la phase d`urgence ont été conduites des actions plus structurées, cofinancées avec les autres bailleurs, élaborées en lien avec les autorités centrafricaines de transition, telles que le programme de reconstruction économique et sociale en milieu urbain (PRESU), qui a démarré début 2015 et vise à améliorer les conditions de vie dans deux quartiers de la capitale, programme articulé avec des projets de formation professionnelle. Débute désormais la mise en oeuvre de la phase de relance, avec des appuis au secteur de l'éducation, un projet de développement régional du sud-ouest et la mise aux normes de l'aéroport international de Bangui.

Il reste qu'il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Lors de son déplacement en RCA, le groupe de travail s'est rendu, à Boali, pour visiter la centrale hydro-électrique. Seule installation en service 264 ( * ) alimentant la ville de Bangui dont la population dépasse le million d'habitants, elle ne couvre qu'environ 40 % des besoins. Le groupe de travail a pu constater que la réhabilitation des centrales Boali 1 et 2, dont le financement a été acté en phase d'urgence dès 2014 par l'AFD, n'avait démarré qu'en mai 2016 s'agissant de Boali 1 : remplacement de 5 turbines par des turbines chinoises sur financement Banque mondiale, le matériel était sur site depuis plusieurs mois. Le remplacement des stators de Boali 2 n'interviendra qu'après la réhabilitation de la centrale thermique de Bangui de façon à récupérer la puissance perdue au cours des travaux qui dureront 3 mois. Les nouveaux stators sont déjà sur site dans des conditions peu sécurisées alors que l'on sait que des pillages ont déjà eu lieu.

La France a coordonné son action, notamment en matière économique, financière et d'aide au développement, avec ses partenaires internationaux, les organisations multilatérales et les acteurs sous-régionaux.

Après la tenue des élections au premier trimestre 2016, la transition politique s'est achevée et les autorités françaises ont annoncé que l'opération militaire Sangaris s'achèverait avant la fin de l'année. Parallèlement, le dispositif de suivi interministériel de la crise est progressivement allégé.

La RCA devrait néanmoins continuer à bénéficier d'un suivi interministériel et international renforcé car elle demeure en effet encore très dépendante de l'aide extérieure. La France a assuré un suivi étroit des négociations avec le FMI qui ont abouti à la mise en place d'un programme de Facilité élargie de crédit et avec la Banque mondiale. Elle renouvelle en 2016 un appui budgétaire significatif (au moins 8 millions d'euros) et mobilise la communauté internationale afin que la conférence des bailleurs de fonds organisée par l'UE, la Banque mondiale et les Nations unies à l'automne permette de répondre aux besoins urgents du pays.

(3) Une task force opérationnelle placée auprès du Premier ministre

Dès le début de l'épidémie Ebola, la France s'est mobilisée à la fois dans les pays africains pour apporter son soutien aux côtés de ses partenaires, et sur le territoire national pour la préparation et la mobilisation de l'ensemble des acteurs. Elle a développé une réponse intégrée en s'appuyant notamment sur une Task Force interministérielle 265 ( * ) placée sous l'autorité du Premier ministre pour assurer le pilotage et le suivi de la crise internationale et de l'engagement de la France. Cette Task Force s'appuyait sur les ressources des ministères (ministères des Affaires étrangères, des Affaires sociales, de la Santé et des Droit des Femmes, de l'Intérieur, de la Défense et de l'Enseignement supérieur et de Recherche).

Principales actions menées par la Task Force Ebola

- la mise en place de deux centres de formation l'un en France destiné au personnel français et étranger ayant vocation à occuper des fonctions d'encadrement et de soins au sein des centres de traitement Ebola en Guinée, l'autre en Guinée assuré par des formateurs guinéens avec un encadrement du Service de Santé des Armées. En outre des actions de formation des professionnels de santé, notamment africains, avec un outil de formation sur internet de type MOOC, ont été mises en place ;

- la prise en charge des malades par l'installation en Guinée de quatre centres de traitement Ebola (CTE) et d'un centre de traitement des soignants (CTS) dédié au personnel africain et international. Le fonctionnement de cette structure est assuré par 70 personnels du Service de Santé des Armées. La France s'est engagée à permettre l'évacuation des personnels internationaux impliqués dans la réponse à Ebola de la Guinée forestière vers Conakry ou encore vers l'Europe.

- le renforcement des capacités de diagnostic. La France s'est mobilisée pour apporter son expertise et aider au diagnostic de l'infection grâce aux capacités de ses organismes de recherche. Trois laboratoires ont été déployés en Guinée. Pour compléter ce déploiement, un programme de formation d'une quarantaine de techniciens a été lancé. La France participe à la création d'un Institut Pasteur de Guinée en 2016 via un financement de l'Agence française de développement (AFD) à hauteur de 4 millions d'euros

- la réponse comprenait, en outre, un appui au Mali et à la Guinée pour renforcer leur système de santé, une campagne de prévention et de communication, la préparation du système français de santé à la prise en charge de malades ou de cas suspects ainsi qu'un programme de recherche. 200 millions d'euros ont été mobilisés pour financer cet ensemble d'actions.

f) La mise en place d'experts

Le MAEDI dispose de son réseau d'experts techniques internationaux (ETI) résidents (411 aujourd'hui) placés pour la plupart auprès des partenaires des pays tiers, souvent au sein des ministères. Ces ETI occupent des fonctions en rapport avec les domaines de la gouvernance (y compris douanes et justice) et du développement, notamment dans les pays en crise ou en post-crise comme le Sahel ou la RCA. Dans ces régions, leur action de est suivie en coordination avec la mission de stabilisation du Centre de crise et de soutien.

A titre d'exemple, une ETI est actuellement conseillère du Ministre de la justice centrafricain. Dans le domaine de la justice transitionnelle, elle a contribué à la mise en place de la cour pénale spéciale. Au Mali, plusieurs ETI sont placés auprès des ministères, notamment ceux en charge du plan, du développement, de l'administration territoriale et de la décentralisation et de la justice. Ils appuient les capacités des partenaires au niveau de la planification du développement, de la coordination et de l'efficacité de l'aide, de la décentralisation et des réformes institutionnelles de gouvernance. Plus particulièrement, l'ETI au Ministère de la justice a soutenu l'élaboration de la stratégie malienne en matière de justice transitionnelle, tandis que l'ETI au Commissariat au Développement Institutionnel a apporté son appui à l'élaboration de la stratégie de développement du Nord Mali. En lien avec la mission de stabilisation du CDCS, l'ETI aux Douanes maliennes a coordonné la mise en place d'une brigade fluviale des douanes à Mopti, contribuant au redéploiement de l'autorité de l'Etat en direction du Nord Mali affecté par les flux de criminalité transfrontalière.

Au cours de son déplacement à Bangui, le groupe de travail a pu s'entretenir avec nombre de ces experts.

La volonté de professionnaliser la gestion de ces ETI et d'avoir une offre mieux adaptée aux besoins a conduit le MAEDI à déléguer la gestion des ETI à Expertise France. Cette évolution permettra de diversifier les modes d'intervention, en passant de la modalité quasi unique qu'est aujourd'hui l'assistance technique résidente de long terme à une palette plus large d'instruments (assistance technique résidentielle, assistance technique perlée, missions d'appui, formation, etc.).

Le groupe de travail ne méconnait pas le travail de ces experts et leur contribution à l'influence de notre pays. Toutefois, eu égard aux enjeux tant en RCA qu'au Sahel, ils estiment que le vivier nécessaire pour mener des actions efficaces et répondant aux besoins de base qui s'apparentent plus à de la formation initiale et à de la coopération opérationnelle, est très largement insuffisant, même en ne s'attachant qu'à former des formateurs.

Si la formation des militaires est relativement bien encadrée (EUTM Mali : 578 militaires pour former 7 500 soldats, EUTM RCA : 200 militaires, EUMAM pour une mission d'assistance et de conseil : 70 militaires, auxquels s'ajoute la coopération opérationnelle dans les unités locales), on mesure la faiblesse de notre dispositif civil et plus encore à la mesure des enjeux dans les domaines de l'éducation et de la formation. Des solutions devraient être recherchées dans le développement du volontariat (service national volontaire), l'appui aux ONG, les programmes d'invitations à des formations en France à l'instar de ce qu'ont développé avec efficacité les États-Unis et d'autres pays, la complémentarité avec les médias français notamment France 24 et TV5 monde qui ont mis en place des programmes d'apprentissage du français sur leurs plateformes numériques. Mais pour se faire, il importe de consacrer des moyens plus substantiels à l'aide publique au développement.

Cette faiblesse illustre bien le fait que l'approche globale n'est pas encore considérée comme une stratégie à part entière.

g) Une adaptation progressive des modes d'action des opérateurs traditionnels de l'expertise et de l'aide au développement

La décision stratégique prise depuis plusieurs années par l'Etat de réduire ses interventions directes pour confier l'expertise et l'aide au développement à des opérateurs spécialisés (Expertise France et l'Agence Française de Développement) présente sans doute des avantages en termes d'efficacité et de professionnalisme. En matière d'expertise et de conseil, seuls les domaines sensibles de la coopération de défense et de sécurité (DCSD et CIVIPOL) restent attachés aux ministères de souveraineté que sont les Affaires étrangères et l'Intérieur. Dans le domaine de l'aide au développement, le transfert du financement des projets bilatéraux de gouvernance à l'AFD est effectif depuis le 1 er janvier 2016) 266 ( * ) .

Pour autant, cette délégation peut avoir pour inconvénient le développement d'une culture d'entreprise plus professionnelle que souveraine et de fait une moindre sensibilité aux priorités nationales, notamment en cas de crises. C'est pourquoi il importe de rappeler ces objectifs aux opérateurs notamment dans leurs contrats d'objectifs, de les associer régulièrement à la définition des stratégies régionales et aux dispositifs de pilotage de l'approche globale des situations de crise, mais surtout de leur apporter les moyens budgétaires nécessaires ce qui n'est plus le cas (voir infra p. 219).

Des progrès ont été réalisés dans la période récente mais ils doivent être consolidés.

(1) Le rôle de l'AFD

L'implication de l'AFD dans la contribution à la lutte contre les vulnérabilités et la réponse aux crises s'est traduite, depuis 2013 par le développement d'une réflexion stratégique débouchant sur un cadre d'intervention transversal posant quatre principes 267 ( * ) et une boîte à outils mobilisables sur ces terrains 268 ( * ) . Sa traduction opérationnelle est en cours, mais à une échelle très modeste.

A titre d'exemple, l'AFD s'oriente vers un programme intégré au niveau des zones des pays impactés par la crise Boko Haram notamment au Nord-Cameroun , afin d'apporter une réponse « développement » à une crise régionale mobilisant pour l'instant essentiellement les humanitaires. La mise en oeuvre de ce programme, qui comprend des chantiers à haute intensité de main d'oeuvre (THIMO) incluant une formation professionnelle, la construction de salles de classes, un appui au système de santé et aux filières agricoles (coton, pastoralisme) sera confiée à un consortium d'ONG, recruté suite à un appel à projets crise et sortie de crise. Il pourra acquérir une dimension régionale. Amorcé sur subvention (5 millions d'euros), ce programme régional sera rapidement présenté au fonds fiduciaire Afrique de l'Union européenne pour un soutien au financement de son extension géographique.

En RCA , le portefeuille de projet a été étendu à des THIMO, à la rénovation urbaine à Bangui et à des projets pour assurer la sécurité alimentaire en provinces, en utilisant le Fonds Bekou (voir infra p. 210).

Au Levant , en réaction à la crise des réfugiés syriens, des projets d'accompagnement des autorités locales pour gérer les flux, pour gérer les tensions entre populations hôtes et réfugiés et pour mettre à niveau les services publics inadaptés à l'afflux de population (eau dans le nord de la Jordanie).

En Guinée , dans le cadre de la lutte contre la pandémie Ebola, des actions de court terme (centre de traitement de Macenta) et de plus long terme (veille épidémiologique).

Toutefois, cette stratégie est limitée par l'indisponibilité de ressources en dons ce qui est une source de retard dans le déploiement d'une approche globale pour résoudre les crises et aura un coût humain et économique. L'AFD mène une réflexion pour la création d'une facilité pour lutter contre les vulnérabilités et répondre aux crises, associée à des ressources sous forme de subventions plus conséquentes.

Sur le plan de la coordination, l'Agence a développé son insertion dans le dispositif institutionnel français de prévention et de réponse aux crises en vue de mieux prendre en compte et opérationnaliser les articulations urgence- sécurité- développement 269 ( * ) .

Le groupe de travail se réjouit de ces premiers pas. Il souhaite que la réflexion sur la création d'un fond dédié aboutisse rapidement et surtout que l'AFD puisse disposer des ressources nécessaires pour intervenir plus en amont pour apporter des solutions dans la gestion des crises. Il souhaite également que l'AFD puisse en tant que de besoin prendre le relais des projets développés dans le cadre des actions civilo-militaires pour en garantir la pérennité, voire qu'elle accepte de préfinancer certains d'entre-eux qui rentrent dans les critères d'éligibilité de l'aide publique au développement et dont l'amorce en situation de guerre ne peut être réalisée que par les forces armées ou sous leur contrôle. Il n'y a pas matériellement de différence entre un puits financé par l'Armée française en situation d'insécurité et un puits construit au même endroit, un an plus tard, une fois la sécurité revenue. La seule différence est que la population locale aurait pu en profiter plus tôt.

(2) Expertise France

Un des domaines prioritaires d'intervention d'Expertise France est d'accompagner les États dans la gestion des crises et la prévention des risques sécuritaires et d'apporter un soutien direct aux populations. Les programmes développés par l'agence visent à assurer la mise en oeuvre d'opérations durables dès l'installation de la crise, et ce jusqu'au redressement post-crise, notamment par le rétablissement de conditions de sécurité satisfaisantes, la remise en route de services et d'infrastructures de base, le développement d'activités génératrices de revenus, la construction et la réhabilitation d'infrastructures ainsi que le renforcement des capacités des structures de gouvernance et de justice au niveau local. Pour mener ces activités, elle s'appuie principalement sur des financements multilatéraux.

Pour le développement en République centrafricaine , en lien avec le Centre de crise et de soutien du MAEDI, elle a mis en place un projet pilote de redéploiement des services déconcentrés, de renforcement de la cohésion sociale et de relèvement précoce (sur financements du fonds fiduciaire européen « Bêkou »), ou un programme d'appui au déploiement de la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali - MINUSMA (sur financements des Nations unies).

Dans le cadre de la réponse à la crise syrienne , Expertise France mène un programme visant à soutenir les structures de gouvernance locales syriennes, à fournir des services de bases aux communautés (dans les domaines de l'agriculture, éducation, santé) dans le but de renforcer la résilience de la société civile locale. En Turquie, au Liban et en Jordanie les projets ont pour objectif de soutenir les efforts des autorités locales pour répondre aux besoins des réfugiés syriens et de renforcer la résilience des communautés les accueillant Nombre de ces actions font l'objet de financements du Fonds fiduciaires européen 271 ( * ) . Les interventions d'Expertise France se font également sur financements (ou cofinancements) bilatéraux français, comme ceux du Centre de crise et de soutien (CDCS) du MAEDI. Des coopérations opérationnelles avec l'AFD sont également recherchées dans le domaine en particulier des crises/post-crise sur des pays pilotes comme le Liban ou la Turquie.

Dans le cadre de la mobilisation et de la projection de l'expertise technique, notamment sur ces théâtres d'opération, Expertise France élabore, en lien avec le centre de crise et avec le soutien du MAEDI, une politique de sécurité et une procédure de gestion des risques adaptée aux besoins des experts, qu'ils soient résidents ou experts de court-terme

3. Une approche globale dépourvue de moyens

Le groupe de travail a essayé d'obtenir du ministère des affaires étrangères et du développement international une évaluation de l'effort budgétaire des opérations civiles et civilo-militaires extérieures conduites dans les pays où la France intervient ou est intervenue militairement. Il a même fourni une matrice détaillant les actions à prendre en compte, qu'il s'agisse des actions françaises ou des contributions de la France à des actions multilatérales menées par d'autres organisations (Union européenne, OTAN, Nations unies....).

Il a obtenu du centre de crise et de soutien un tableau de bord de janvier 2016 concernant le Sahel et récapitulant une série de décisions et d'engagements financiers, mais sans éléments de suivi des réalisations.

D'autres éléments ont été fournis à titre d'exemples : « le montant de nos actions d'aide au développement, dans un cadre bilatéral et multilatéral, a représenté en 2014 un total de 178 millions d'euros sur le périmètre géographique de l'opération Barkhane, et 212 millions d'euros sur le périmètre de la stratégie Sahélo-saharienne (chiffres communiqués au Comité d'aide au développement de l'OCDE- Burkina Faso : 44 millions d'euros, Mali : 57 millions d'euros, Mauritanie : 17 millions d'euros, Niger : 36 millions d'euros, Tchad : 25 millions d'euros + Sénégal : 34 millions d'euros).

En RCA, depuis le lancement de la transition, en janvier 2014, jusqu'à l'arrivée, en mars 2016, des nouvelles autorités issues du processus électoral, la France a débloqué plus de 70 millions d'euros pour appuyer la stabilisation du pays. Cet appui a pris des formes très variées, allant de l'aide humanitaire à l'appui au récent processus électoral ».

S'il montre l'importance de l'effort en valeur absolue, il ne distingue pas selon les modalités (dons-projets, coopération structurelle de défense, annulation de dettes, aide humanitaire d'urgence) et le défaut d'historique ne permet pas de mesurer s'il y a eu un accroissement de l'effort par rapport à la période précédant la crise ou à certains moments de la crise. Autant, à travers le BOP OPEX, il est facile de suivre le montant des surcoûts pour la Mission « défense », autant le ministère des affaires étrangères, qui est censé réaliser une forme de coordination, semble dépourvu d'une méthode et d'un outil le permettant. Il faut alors collecter des données éparses, qui recouvrent des aspects très différents.

Un effort méthodologique est à réaliser pour construire des tableaux de bord qui, du reste, pourraient être très utiles dans les discussions bilatérales avec les pays soutenus et dans les négociations avec les autres bailleurs que nous souhaitons engager dans ce soutien.

Proposition : Se doter de tableaux de bords pour apprécier l'effort financier consentis au titre des opérations civiles et civilo-militaires sur les théâtres où la France est engagée militairement

a) Les insuffisances de l'aide publique au développement

Le groupe de travail devra donc se contenter de rappeler la réduction progressive des crédits de l'aide publique au développement depuis plusieurs années, la tendance à transférer l'essentiel de ces ressources d'aides aux institutions d'aide européennes ou internationales et la montée en puissance de l'AFD qui agit davantage comme un prêteur que comme un donateur et privilégie les objectifs universels aux objectifs ciblés.

Comme l'écrivent nos collègues Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret dans leur rapport « Sahel, repenser l'aide au développement » 272 ( * ) , « depuis que la coopération lui a été rattachée en 1998, le ministère des affaires étrangères a globalement démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD. Pour sa part, le ministère de l'économie est plus mobilisé par les moyens nécessaires pour les activités dont il a la charge directe en faveur des banques de développement et, au plan bilatéral, par les activités de prêt qui figurent à son budget que par les dons pour les projets dans les pays les plus pauvres ou pour l'assistance technique qui figurent au budget du ministère des affaires étrangères.

Enfin, l'AFD, qui est montée en puissance depuis la réforme de 1998, incarne une vision plus neutre et technique de l'aide au développement, construite en partie contre l'image de la Françafrique. L'importance des financements qu'elle peut mobiliser lui confère une certaine indépendance. Adossée aux grands objectifs internationaux de l'aide publique au développement, elle est désormais autant une banque de prêts aux pays émergents 273 ( * ) qu'une agence de coopération à destination des pays pauvres d'Afrique subsaharienne . Les nouvelles tendances de l'aide publique au développement au niveau mondial, développement durable et biens publics mondiaux, impliquent d'emblée une action quasi-universelle, non des interventions concentrées sur des pays avec qui nous aurions une relation privilégiée du fait de l'Histoire ou de notre proximité humaine et géographique ».

De fait, sur un budget d'aide au développement d'environ 3 milliards d'euros, environ 1,7 milliard est confié aux institutions multilatérales et européennes et il reste 1,2 milliard pour notre aide bilatérale.

Une fois déduits les annulations de dette, les contrats de désendettement et de développement et les bonifications de prêts AFD, il reste moins de 230 millions d'euros par an pour des subventions aux 16 pays pauvres prioritaires 274 ( * ) soit une quinzaine de millions d'euros par an en moyenne, ce qui est évidemment insuffisant pour financer dans les pays sahéliens des actions de développement rural, de développement social et toutes les infrastructures qui n'offrent pas de rentabilité à court terme et pour lancer des projets permettant de mobiliser l'aide des institutions internationales dont la France est fortement contributrice, et qui pourraient davantage se concentrer sur les besoins des pays sahéliens.

Sans doute peut-on apprécier les efforts de concentration de l'aide publique sur les pays les plus fragiles et notamment les pays du Sahel mais comme le faisait remarquer Serge Michaïlof devant le groupe de travail « Cette politique compréhensible si l'on considère que notre aide n'a qu' un objectif caritatif est déraisonnable si l'on comprend que l'aide est avant tout un instrument d'intervention géopolitique comme le savent toute les puissances mondiale s. »

b) Une affectation des moyens du MAEDI vers les postes les plus exposés

On constatera de même l'attention portée par le Ministère des affaires étrangères dans l'appui aux postes diplomatiques des pays des zones de crises ou dans leurs périphéries 275 ( * ) . Ainsi l'évolution des effectifs des postes fait apparaître une augmentation de 26 % entre 2008 et 2016, l'augmentation portant surtout sur les personnels de sécurité (+64 %) sur le personnel « aide au développement/AFD » (+43 %) mais avec un augmentation atypique en 2016 alors que la tendance était plutôt baissière jusque-là, sur les personnels diplomatiques et consulaires (+25 %) et moindre sur les personnels des services culturels et éducatifs (+22 %) mais en baisse de 19 % depuis 2012. Il en va de même si l'on examine le montant des dépenses réalisées par les postes diplomatiques de 2011 à 2016 dans ces mêmes pays qui progressent de façon sensible pour 12 d'entre eux, sont équivalentes pour trois (dont la Tunisie avec d'importants pics en 2013 et 2014) ou en baisse pour cinq dont le Mali (avec un pic important en 2013), la Syrie où l'ambassade est fermée et en Libye où elle est restée inoccupée.

c) Une insuffisante dotation pour la coopération de défense et de sécurité

S'agissant de la coopération de défense et de sécurité, le tableau est plus sombre et difficilement compréhensible, compte tenu des enjeux. La DCSD connaît une déflation de 50 postes au cours du triennum 2015/2017 sur un effectif de 370 dont 309 déployés dans 48 pays 276 ( * ) . Elle dispose sur le programme 105 d'un budget de 87,8 millions d'euros dont 19,6 millions d'euros au titre des crédits d'interventions qui subissent une réduction de 19 % par rapport à 2015. La DCSD peut aussi s'appuyer sur des crédits du Fonds de solidarité prioritaire et des crédits de sorties de crises inscrits au programme 209 « aide au développement »

La DCSD concentre néanmoins ces efforts sur les zones où la France est ou a été engagée.

Évolution de l'effort budgétaire annuel de la DCSD
consacré aux pays et régions demandés

Budget en M€

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Afghanistan

0,51

0,49

0,95

0,98

1,28

1,29

1,10

1,02

0,93

Côte d'Ivoire**

0,44

0,42

0,45

0,96

2,81

3,41

3,44

4,34

4,32

Libye*

0,04

0,04

0,09

0,16

0,72

0,62

0,55

0,01

0,01

BSS (G5**)

19,50

18,90

21,86

21,33

18,81

18,91

18,12

19,33

18,40

RCA

2,92

2,84

2,72

2,50

2,43

2,42

0,86

0,46

0,38

Irak-Syrie

0,01

0,01

0,52

0,40

0,30

0,33

0,08

0,05

0,05

*En Libye, la difficulté demeure l'identification d'interlocuteurs fiables afin de pouvoir bâtir des projets de coopération structurants notamment dans le domaine militaire.

**Pour ce qui concerne la BSS et la Côte d'Ivoire, les chiffres à peu près équivalents entre 2015 et 2016 traduisent en réalité une augmentation relative de nos efforts dans ces zones prioritaires au regard de la baisse imposée de 18,6 % du budget d'intervention de la DCSD au cours de cette période.

Cette situation implique un effort continu d'adaptation de moyens, une hiérarchisation des priorités et l'obligation de se doter d'une capacité d'ingénierie de projet pour pouvoir rechercher chez des bailleurs ou donateurs extérieurs les moyens de financer des projets, ce qui n'était pas dans la culture d'une direction dont les missions de souveraineté pouvait paraître assez peu compatible avec ces méthodes.

Ainsi, pour mener à bien le projet pilote ACTS (appui à la coopération transfrontalière au Sahel) qui vise, sur le territoire transfrontalier et stratégique du Liptako Gourma, à lutter contre les causes profondes de déstabilisation, en appuyant le renforcement des différentes autorités nationales (Mali, Niger, Burkina Faso) et locales dans leurs capacités à gérer conjointement cet espace, en proposant une approche intégrée (sécurité, justice, développements économiques et durable, santé et éducation) permettant de soutenir les améliorations de la gouvernance transfrontalière et d'assurer la résilience des populations locales, c'est à dire de leur procurer des revenus de substitution aux bénéfices qu'elles pouvaient retirer d'une frontière poreuse à tous les trafics, la DCSD a-t-elle dû s'adresser à tout un ensemble de partenaires étrangers japonais, danois, suisses, allemands, faute de trouver les financements suffisants en France alors même que le projet est considéré comme une action exemplaire de la Stratégie globale pour le Sahel conduite par le SGDSN.

Il y a là un véritable paradoxe entre la position défendue par la France qui tend à orienter ses partenaires vers la reconnaissance de la sécurité comme élément préalable et nécessaire au développement et la réduction des crédits de la DCSD. Sans doute, cette direction atypique au sein de l'administration du Quai d'Orsay a-t-elle quelques difficultés à faire arbitrer ces besoins dans un ministère qui a déjà lui-même bien des difficultés à sauvegarder ces crédits d'aide publique au développement.

d) Un décloisonnement nécessaire

Le continuum entre l'intervention militaire, l'aide humanitaire et l'aide au développement est de fait théorique car si l'on souhaite limiter les effets de la crise et les dommages de l'intervention militaire, il faut pouvoir agir de conserve et de façon autant que possible coordonnée sur ces trois registres : l'action civilo-militaire portée par les armées permet de soulager les populations immédiatement à défaut de l'intervention d'organisation humanitaire et mettre en place des actions ponctuelles de développement dont certaines devraient pouvoir être prolongées par des crédits d'aide au développement ; l'aide au développement pourra en apportant, par des travaux à haute intensité de main d'oeuvre, une source de revenu à une population, soulager l'assistance humanitaire... Enfin dans la période de stabilisation, voire de normalisation, des projets peuvent être conduits selon une approche intégrée. Il y a donc un travail commun à organiser entre les différents intervenants.

e) Vers de nouveaux modes de financements plus souples et plus larges

La faiblesse des moyens budgétaires, la rigidité et la lourdeur des procédures d'instruction, de décision d'engagement et de décaissement attachées aux moyens traditionnels de l'aide au développement, tant au niveau national qu'au niveau européen où les enveloppes budgétaires et les règles d'attributions sont fixées tous les 6 ans, est de surcroît incompatible avec les besoins immédiats propres en situation d'urgence ou de crise. C'est pourquoi il a été recherché des procédures plus simples et plus efficaces pour répondre à ces besoins.

Au-delà des crédits d'urgence, mais forcément d'un montant très réduit dans les budgets nationaux comme peuvent en disposer le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères ou de procédures exceptionnelles mises en place par des agences d'aide au développement comme l'AFD, la nécessité de réunir des financements plus conséquents et d'associer de multiples donateurs a conduit à mettre en oeuvre des procédures particulières.

Serge Michaïlof propose que la France « reprenne le contrôle des considérables ressources qu'elle verse aux institutions d'aide internationales, ce qui n'exige nullement une baisse de notre contribution à ces institutions mais la généralisation de la politique habilement menée par les Britanniques qui consiste à utiliser les ressources bilatérales afin de mobiliser les ressources multilatérales pour des objectifs définis par le donateur bilatéral. Les meilleurs instruments sont les fonds fiduciaires dédiés qui correspondent à des comptes où les donateurs doivent accepter de verser une partie de leurs ressources et d'en confier la gestion à des instances de gouvernance appropriées. Cette formule permettrait à la France de jouer un rôle clef au sein de ces instances et de retrouver l'essentiel du pouvoir de décision sur des montants considérables L'abondement de ces fonds implique une négociation qui devrait avoir pour objectif de lever annuellement auprès des institutions internationales et européennes au minimum 1 milliard d'euros par an pour le Sahel qui devrait être scindé en deux fonds gérés par l'AFD, l'un pour les projets de développement rural incluant des programmes de planning familial, l'autre pour la remise à niveau et la participation au financement courant des dépenses de sécurité des Etats sahéliens. Pour cela, il faudrait abonder ces fonds à hauteur d'environ 200 millions (et donc au minimum doubler nos ressources sur don par des arbitrages appropriés) . »


* 254 Réponse du ministère des affaires étrangères au questionnaire du groupe de travail.

* 255 Serge Michaïlof « Africanistan » Fayard 2015 - L'auteur chercheur à l'IRIS, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements a été l'un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l'Agence française de développement.

* 256 Ce qui est une source de préoccupation car ces mouvements sont hostiles à nos valeurs et confortent le cercle vicieux du sous-développement en remettant en cause des politiques d'émancipation féminine et notamment de fécondité maîtrisée par l'étalement des naissances.

* 257 « S'engager pour le développement du Maghreb : un défi et une obligation » - Rapport d'information n° 108 (2013-2014) de Mme Josette Durrieu et M. Christian Cambon -
30 octobre 2013 -
http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-108-notice.html voir aussi sur ce sujet les travaux de M. Jean-Louis Guigou et de l'IPEMED.

* 258 Qui représente un volume financier de 20 millions d'euros en 2015 pour les six pays concernés

* 259 Via Barkhane (voir supra p. 123) et les éléments français du Sénégal

* 260 L'UNICEF estime qu'il faudrait 1,2 milliard d'euros pour éviter une génération perdue (et limiter les migrations au-delà des pays voisins. Au Liban, 200 000 enfants réfugiés ne sont pas scolarisés, 4 sur 10 en Jordanie...

* 261 http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2015/03/16-council-conclusions-eu-regional-strategy-for-syria-and-iraq-as-well-as-the-isil-daesh-threat/

* 262 150 policiers italiens ont été déployés en Irak.

* 263 L'AFD et la Mission de stabilisation (MS) du Centre de crise et de soutien se sont accordées pour articuler leurs interventions dans les Etats en crise ou sortie de crise. Tout en reconnaissant le rôle d'acteur pivot de l'AFD, cet accord confirme l'existence d'une niche d'intervention suivant un principe de subsidiarité en faveur de la MS s'agissant de projets de relèvement de faible montant (inférieur à 150 000 €) et à impact rapide (exécution en quelques semaines) que l'AFD n'est pas en mesure de développer.

* 264 La centrale thermique de Bangui ne dispose que d'un groupe installé en fonctionnement d'une puissance de 2,6 MW qui n'est utilisé qu'en secours, en cas de panne à Boali et il doit faire l'objet d'une maintenance car il présente quelques défaillances.

* 265 Le Professeur Jean-François Delfraissy a été nommé coordonnateur des opérations nationales et internationales. Il était secondé par quatre coordonnateurs délégués dont une ambassadrice, un préfet et deux professeurs de médecine.

* 266 Il permettra à l'Agence, à l'instar des autres agences de développement, d'intervenir sur une palette complète de projets et de pleinement intégrer les sujets de gouvernance dans ces approches sectorielles et d'accroître très sensiblement les volumes financiers consacrés par la France aux questions de gouvernance .

* 267 « Ne pas nuire » (éviter d'accentuer involontairement les tensions), privilégier les « opérations à double dividende » (développement et réduction des fragilités qui constituent le terreau de la crise), mieux articuler les opérations d'urgence, de transition et de développement, miser sur les partenariats.

* 268 Au niveau des outils, l'Agence a adapté plusieurs de ses produits financiers afin d'ajuster ses modes d'action à des contextes exigeant plus de flexibilité et de réactivité (appel à projets crise et sortie de crise ; outils d'intervention crises et conflits; fonds d'études et d'expertise sortie de crises; sécurisation de 10 % de l'enveloppe disponible sur le guichet ONG (DPO) pour la réponse aux crises).

* 269 En vue de mieux prendre en compte et opérationnaliser les articulations urgence- sécurité- développement 270 , elle a ainsi accentué et structuré ses relations dans plusieurs directions : le MAEDI (DGM, CDCS, DCSD, CAPS), les Ministères de la Défense et de l'Intérieur (DCI), Expertise France et les ONG humanitaires.

Avec le Ministère de la Défense (MINDEF), des relations multiformes se sont tissées et intensifiées avec différentes entités. Ces relations ont différents objectifs : l'échange d'analyses ; la formation ; la participation à des exercices de planification ; l'appui ponctuel, au cas par cas, à la sécurité des missions de l'AFD (en relation avec le CPCO) ; la concertation opérationnelle enfin sur les activités du dispositif français urgence-sécurité-développement dans les théâtres de coopération conjointe ou d'engagement. Le développement de ces relations a conduit le MINDEF et l'AFD à les retracer dans un accord-cadre signé en juin 2016 (voir infra p. 220).

* 271 D'une durée de 36 mois et doté d'un budget de 74 M€ dont 21,2 M€ gérés par Expertise France .

* 272 Sahel : repenser l'aide publique au développement - Rapport d'information de M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret, n° 728 (2015-2016) - 29 juin 2016 http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-728-notice.html

* 273 Ce qui est en soit une excellente chose en permettant de contribuer au développement durable au niveau mondial et en diffusant l'influence de la France pour un coût minime pour le contribuable français.

* 274 Conformément aux décisions prises lors CICID du 31 juillet 2013, à partir de 2014, la France concentre au moins la moitié des subventions de l'Etat et les deux tiers de celles mises en oeuvre par l'AFD sur un nombre limité de pays pauvres prioritaires (PPP). En 2014, cet objectif de concentration des subventions strictement budgétaires relevant des programmes 110 (aide économique et financière au développement) et 209 (solidarité à l'égard des pays en voie de développement) a été quasi rempli, 49 % des subventions des programmes 110 et 209 ayant été à destination des pays pauvres prioritaires. L'objectif des deux tiers de subventions mises en oeuvre par l'AFD à destination des PPP a également été rempli en 2014.

L'aide au développement dans les pays Sahel égale 60 à 90 % des budgets d'investissements et environ 8 à 12 % des PIB.

* 275 Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Côte d'Ivoire, Centrafrique, Cameroun, Nigéria, Djibouti, Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Turquie dans le questionnaire du groupe de travail.

* 276 229 coopérants militaires, 34 coopérants gendarmes et 46 ETI (police et sécurité civile).

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