B. DROIT DE L'EAU AU TOURNANT DU XXÈME SIÈCLE : USAGES, SANTÉ PUBLIQUE ET HYDROÉLECTRICITÉ

Le XIX ème siècle se caractérise par un fort développement de l'industrie en France et par une modernisation des villes , à l'image des travaux du baron Haussmann à Paris. Néanmoins, de nombreuses épidémies sont recensées et la qualité de l'eau devient un enjeu majeur de santé publique. Plusieurs compagnies de distribution d'eau sont alors créées sous forme de concessions de service public, comme par exemple la Compagnie générale des eaux en 1853 ou encore la Société lyonnaise des eaux en 1867 .

1. La loi de 1898 : une loi relative aux usages de la ressource

La loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux peut être qualifiée de première grande loi sur l'eau : elle vise à organiser les différents usages qui se sont développés dans le contexte de la révolution industrielle. Pour la première fois, l'État intervient pour réglementer les usages par un système d'autorisation « police des eaux » . À travers cette loi, le législateur de l'époque a voulu consolider la jurisprudence antérieure tout en permettant d'atténuer le droit de propriété sur les eaux souterraines. Il a également souhaité renforcer la police de l'eau , notamment grâce à l'article 11 4 ( * ) , qui énonce un retour de la compétence de l'État. Enfin, la loi met en place un régime des eaux définies comme les eaux de mer, les eaux dormantes, les eaux rurales et courantes et les eaux vives. Un statut juridique particulier est mis en place en fonction de chacun de ces types d'eau. Les eaux vives par exemple sont à la fois régies par le droit civil comme patrimoine de particulier mais également par le droit public en tant que biens hors du commerce.

L'objectif sous-tendu par cette première grande loi s'inscrit dans le cadre d'une gestion pragmatique des usages de la ressource en eau . Les principes sont novateurs mais visent avant tout le développement industriel, la sécurité, plutôt que des impératifs d'ordre écologique.

2. La loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique

La loi du 15 février 1902 marque un tournant vers la prise en compte de la santé publique dans la gestion de l'eau en France. Au nom de la santé publique, l'article 9 de la loi institutionnalise deux commissions : le conseil d'hygiène départemental et le comité consultatif d'hygiène de France. La loi met également en place une possibilité pour le préfet de se substituer au maire , en cas de carence de ce dernier. L'article 10 renforce le rôle central des préfets en leur donnant la possibilité d'instaurer des périmètres de protection des sources d'eau potables afin d'éviter toute pollution. Concrètement, l'autorisation du préfet est requise pour pouvoir épandre des engrais humains et forer des puits.

3. La loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique

La loi du 16 octobre 1919 ne concerne que l'énergie hydraulique et la production d'électricité , mais elle donne une parfaite illustration du régime de la propriété de l'eau et de la présence accrue de l'État.

Le développement de la production d'hydroélectricité relève en effet, comme le prévoit l'article 1er, du monopole de l'État qui en a l'usage et qui peut le concéder : « Nul ne peut disposer de l'énergie (...) des cours d'eau sans une concession ou une autorisation de l'État » . Ce principe est codifié à l'article L. 511-1 du code de l'énergie .

La loi de 1919 a également distingué deux régimes applicables, en fonction de la puissance unitaire de l'installation , autrement appelée puissance maximale brute. Ces régimes se distinguent notamment par la propriété des ouvrages.

Les installations dont la puissance est inférieure à 4,5 MW sont soumises au régime de l'autorisation . Sous ce régime, les installations appartiennent, en général, au permissionnaire qui les exploite dans le respect de prescriptions de police de l'eau fixées par arrêté préfectoral encore appelé « règlement d'eau ». La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives a fusionné explicitement les procédures d'autorisation prévues par le code de l'énergie et par le code de l'environnement, en précisant que les actes « eau » valent autorisation « énergie » (article L. 531-1 du code de l'énergie). Le décret n° 2014-750 du 1 er juillet 2014 a harmonisé la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec la procédure applicables aux autres IOTA (installations, ouvrages, travaux et aménagements) relevant de la police de l'eau.

La loi de 1919 a prévu une durée maximale de 75 ans, avec possibilité de renouvellement . L'autorisation délivrée ne donne aucun droit particulier d'expropriation ou de servitude. Elle est révocable. Elle peut être retirée, notamment sur les cours d'eau domaniaux, si l'intérêt général le justifie. Elle est personnelle et tout changement de propriétaire doit être notifié au préfet.

Les installations dont la puissance est supérieure à 4,5 MW sont soumises au régime de la concession. La concession est propriété de l'État, qui en assure la valorisation. Les installations (barrage, canaux d'amenée et de fuite, conduites forcées, terrains ennoyés, etc.) appartiennent à l'État, qui en délègue la construction et l'exploitation à un concessionnaire. Les obligations du concessionnaire vis-à-vis de l'autorité concédante en matière de production d'énergie, de versement de redevances, de préservation de l'environnement, de sécurité et de gestion des usages de l'eau sont inscrites dans un cahier des charges. Ce régime concerne peu les petits producteurs, la puissance de leur centrale étant en général inférieure à 4,5 MW. Il est accordé par arrêté préfectoral sauf pour les puissances supérieures à 100 MW où un décret en Conseil d'État est nécessaire.

On compte aujourd'hui en France près de 400 concessions hydroélectriques qui représentent plus de 95 % du total de la puissance hydroélectrique installée, soit environ 24 GW.

EDF a la charge de plus de 80 % de ces concessions, et GDF-Suez de près de 12 %, au travers de ses deux filiales hydroélectriques, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société Hydroélectrique du Midi (SHEM).

Le seuil distinguant les deux régimes a évolué au cours du temps : initialement fixé à 500 kW en 1919, il a été porté à 4,5 MW par la loi n°80-5311 du 15 juillet 1980 relative aux économies d'énergie et à l'utilisation de la chaleur. Il est codifié à l'article L. 511-5 du code de l'énergie. Cette augmentation a progressivement conduit à une extension du régime de l'autorisation, qui est devenu le régime le plus fréquent, accordé par arrêté préfectoral.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a instauré de nouveaux dispositifs concernant le régime des concessions hydroélectriques , dans l'objectif de garantir la gestion cohérente des ouvrages, la conciliation des usages de l'eau, la bonne information des parties prenantes et le développement économique des territoires :

- le regroupement des concessions, lorsque des aménagements sont hydrauliquement liés et doivent être exploités de manière coordonnée ;

- la procédure de création, lors du renouvellement de concessions, de sociétés d'économie mixte hydroélectriques, associant des opérateurs compétents, des collectivités locales et l'État.


* 4 « Aucun barrage, aucun ouvrage destiné à l'établissement d'une prise d'eau, d'un moulin ou d'une usine ne peut être entrepris dans un cours d'eau non navigable et non flottable sans l'autorisation de l'administration ».

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