C. LE RECYCLAGE DES TÉLÉPHONES PORTABLES EST UNE OPPORTUNITÉ POUR CRÉER UNE FILIÈRE FRANÇAISE D'EXCELLENCE

Les marges de progression de la filière française de recyclage des déchets issus des téléphones portables sont importantes. Un tel développement aurait des avantages environnementaux, économiques, stratégiques et sociaux significatifs. Une augmentation du gisement de matière collectée est toutefois indispensable pour améliorer la rentabilité des projets. Par ailleurs, l'État doit encore définir une stratégie claire, pour définir des priorités de développement et orienter les soutiens apportés à la recherche et à la création d'unités de traitement.

1. La massification de la collecte de déchets est une condition sine qua non pour développer la filière de recyclage

Une massification du gisement est indispensable pour développer une filière de valorisation économiquement viable, a fortiori pour les matières rares, présentes en très faible proportion par appareil. L'augmentation du flux détermine largement l'horizon économique des projets d'installations.

Les déchets issus des téléphones portables ne constituent sans doute pas le périmètre le plus pertinent à prendre en considération pour le développement d'unités de recyclage. Compte tenu de leur convergence en termes d'architecture et de composition, les téléphones portables pourraient utilement être rapprochés d'autres équipements électroniques, comme les ordinateurs et les appareils nomades, ce qui suggère d'examiner un gisement de déchets plus étendu.

L'accès à ce gisement doit être garanti par une collecte plus efficace et sécurisée ( cf. supra ). Selon Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de l'Institut de chimie séparative de Marcoule (ICSM), entendu par votre mission, le problème de la filière française se situe essentiellement à ce niveau : « Les technologies de recyclage en aval existent, au moins en laboratoire. Le principal verrou, c'est la collecte des téléphones usagés ». Comme indiqué précédemment, les organismes auditionnés par votre mission ont unanimement reconnu les faiblesses de la collecte de téléphones portables, et plus généralement les marges significatives de progrès pour les DEEE. Les importations de déchets démantelés peuvent également accroître le gisement à traiter. Une entreprise comme Morphosis importe ainsi la moitié des matières qu'elle valorise.

Une augmentation du volume de déchets n'est toutefois pas le seul paramètre à prendre en compte pour apprécier la rentabilité des projets et la possibilité de voir émerger une filière d'excellence en matière de recyclage. Le prix des matières premières est également déterminant, et sa variabilité peut compromettre la pérennité de certaines activités . Solvay a ainsi mis un terme à ses activités de recyclage à la Rochelle, seul site hors de Chine capable de séparer et de purifier les terres rares à un stade avancé, compte tenu de la baisse du prix des terres rares à partir de 2013 suite à la reprise des exportations chinoises, et du remplacement des lampes basse consommation par les lampes LED 59 ( * ) . Toutefois, la variabilité du prix des matières premières est une donnée structurelle de ce marché .

ÉVOLUTION DU PRIX DE CERTAINS TERRES RARES
(EN EUROS PAR KILOGRAMME)

Source : Arafura Resources limited, 2014.

L'évolution de la composition des équipements électroniques comme la baisse du taux de métaux précieux dans les cartes électroniques du fait de la miniaturisation et de certaines substitutions de matériaux, est également à prendre en considération. L'entreprise Umicore estime ainsi que l'augmentation du nombre d'unités d'équipements électriques et électroniques vendus sera plus que neutralisée par la miniaturisation et la diminution de matière par appareil, à l'exception des téléphones portables et des tablettes.

COMMERCIALISATIONS DANS LE MONDE D'APPAREILS ÉLECTRONIQUES,
EN UNITÉS (À GAUCHE) ET EN MILLIONS DE TONNES (À DROITE)

Source : Umicore, données IDC septembre 2014 (unités) et Umicore (volumes).

Cependant, selon les créateurs de startups entendus par votre mission, ces variations ne font pas obstacle au développement de projets, car elles sont inhérentes à toute activité industrielle, qui suppose d'effectuer une veille attentive sur l'évolution technologique.

Plusieurs organismes auditionnés considèrent par ailleurs que le marché des matières premières est un aiguillon insuffisant pour guider le développement d'une filière de recyclage . Selon les représentants d'Eco-systèmes  entendus par votre mission : « Si, comme certains spécialistes le pensent, les cours des terres rares restent bas dans les cinquante prochaines années, il sera difficile de rendre rentables des technologies de récupération ». Les Amis de la Terre constatent également : « pour les métaux, le coût du développement de procédés de recyclage performant étant plus élevé que l'extraction minière, le jeu du marché conduit à un renouveau extractif » 60 ( * ) . Ces observations doivent être confirmées et affinées par matière. Un tel constat suggère cependant que le lancement de certains projets sans soutien extérieur, qu'il soit public, ou privé dans le cadre de REP, pourrait être compromis. Les difficultés de financement des startups actives dans le recyclage, malgré la rentabilité attendue sur le long terme, semblent témoigner de ces défaillances de marché.

Le recyclage ne trouve pas sa raison d'être dans la seule valeur marchande des matériaux recyclés. Le développement d'une filière doit être guidé par une combinaison d'objectifs économiques, sociaux et environnementaux . Une récupération organisée des matériaux présents dans des produits massivement consommés permet en effet de lutter contre l'épuisement des ressources, l'impact environnemental et parfois éthique de l'extraction, et de maîtriser la toxicité des substances à la fin du cycle de vie. Les activités de recyclage représentent également un gisement d'emploi local, notamment pour l'économie sociale et solidaire.

2. Le développement de la filière nécessite de définir une stratégie nationale pour le recyclage

Une meilleure valorisation matière des déchets de téléphones portables suppose de doter la France de technologies et de moyens industriels suffisants.

À ce jour, la filière de recyclage manque en particulier des infrastructures nécessaires au traitement des cartes électroniques , qui concentrent les enjeux techniques, économiques et environnementaux du recyclage des téléphones portables. Les limites de la filière française ont été soulignées par Frédéric Goettmann, président de l'entreprise Extracthive, lors de son audition par votre mission : « les sociétés qui disent faire du recyclage de déchets électroniques ne font que du broyage et de la séparation physique. Les cartes sont envoyées aux trois recycleurs du nord de l'Europe ».

En effet, les exutoires de la filière sont très largement situés à l'étranger . L'essentiel de la valeur des déchets, concentrée dans les cartes électroniques, échappe à la filière française. Elle est récupérée par trois grands affineurs 61 ( * ) européens : Umicore en Belgique - dont une délégation de votre mission a visité le site d'Hoboken, près d'Anvers -, Aurubis en Allemagne, Boliden en Suède. Outre la perte de valeur pour les entreprises françaises, le transfert des déchets vers d'autres pays remet en cause la priorité accordée au principe de proximité.

UMICORE PRECIOUS METALS REFINING

Umicore est un des principaux groupes mondiaux actifs en matière de recyclage et de technologie des matériaux. Le recyclage représente 20 % de ses activités, principalement concentré sur les métaux précieux et non-ferreux . La principale usine de traitement du groupe est celle d'Umicore Precious Metals Refining, localisée à Hoboken, près d'Anvers. Votre mission a visité ce site le 1 er septembre 2016.

Cette activité se décompose en quatre grandes étapes : l'approvisionnement en matières premières, l'échantillonnage et l'analyse des lots, la fonte et l'affinage, et enfin la vente des métaux raffinés.

Les produits traités sont des déchets électroniques (cartes électroniques, téléphones portables), des catalyseurs automobiles et industriels usagés ou encore des fractions de métaux lourds non-ferreux. Umicore utilise des techniques pyrométallurgiques pour traiter ces produits et extraire les métaux, dont le processus est présenté par le schéma suivant.

Umicore valorise 17 métaux : des métaux précieux (or, argent, palladium, platine, rhodium, ruthenium, iridium), des métaux spéciaux (indium, arsenic, étain, antimoine, bismuth, selenium, tellurium) et des métaux de base (cuivre, nickel, plomb). Les capacités du site d'Hoboken ont été récemment étendues pour permettre le traitement de 500 000 tonnes de matières par an.

Source : documents transmis par Umicore lors de la visite du site d'Hoboken.

Répliquer les installations présentes dans d'autres pays européens semble toutefois hors de portée . Les sites actuellement capables d'assurer massivement le recyclage ultime des cartes électroniques et la récupération des matériaux les plus précieux sont dotés d'équipements déployés dans le cadre d'une industrie minière, pour traiter des concentrés métalliques. Ces équipements sont désormais utilisés pour le recyclage des cartes, car les enjeux techniques sont similaires. Les investissements nécessaires à la création de ces hauts fourneaux et à leur adaptation, supérieurs à 1 milliard d'euros, ont été préalablement amortis par des activités de fonderies de cuivre. Les investissements initiaux et les retours attendus pour la seule activité de recyclage semblent compromettre tout projet d'une telle ampleur.

LES PROCÉDÉS DE VALORISATION DES CARTES ÉLECTRONIQUES

La pyrométallurgie est le procédé utilisé par les dix fonderies de cuivre actives dans le monde pour le recyclage (3 en Europe, 1 en Amérique du Nord, 6 en Asie) et qui représentent 95 % des cartes traitées. Cette technique procède en deux étapes : une fusion à une température de l'ordre de 1 100° C qui produit une scorie et un cuivre impur, puis un raffinage par électrolyse qui permet de produire du cuivre pur et des boues contenant les métaux précieux. Les plastiques et résines présents dans les cartes électroniques fournissent l'énergie du processus. Si cette technique permet d'atteindre un taux de récupération élevé pour le cuivre et les métaux précieux (or, argent, palladium), elle perd généralement les métaux minoritaires (étain, nickel, tantale). Les techniques classiques de pyrométallurgie restent peu adaptées à l'hétérogénéité des matériaux constituant les cartes électroniques.

La pyrolyse est une opération préalable à l'affinage par pyrométallurgie, qui consiste à détruire les plastiques et les résines par évaporation et craquage thermique. En produisant une matière brute polymétallique plus facile à traiter, elle permet d'améliorer les performances des fonderies de cuivre. Cette technique est notamment utilisée par l'entreprise Boliden en Suède. L'entreprise française Terra Nova a travaillé sur un procédé alternatif de pyrolyse mais la séparation entre les métaux et les fibres de verre demeure complexe.

L' hydrométallurgie est un procédé moins coûteux en investissement initial, parfois utilisé en Chine, en Inde et en Afrique. Par des procédés acides, les cartes sont traitées pour extraire l'or. Cette technique permet un taux de récupération médiocre (inférieur à 60 %) et elle est mise en oeuvre dans des conditions environnementales et sanitaires critiques. Mieux organisée, l'hydrométallurgie peut améliorer le traitement des cartes électroniques et aboutir à des taux de récupération des métaux théoriquement très élevés. De nombreux projets de recherche sont menés depuis une quinzaine d'années, afin de réduire la quantité de déchets ultimes produits et la quantité de réactifs utilisés par l'hydrométallurgie.

Plusieurs procédés alternatifs ou complémentaires à ces techniques sont menés au stade de recherche et développement, notamment pour la production de concentrés métalliques, comme la biolixiviation , les fours à plasma ou encore l' eau supercritique .

Source : THOMAS, Christian, « Recyclage des cartes électroniques : un aperçu de l'état de l'art », Responsabilité & Environnement, n° 82, avril 2016.

Rompre l'oligopole de l'affinage en Europe apparaît donc difficile à moyen terme, comme l'a souligné le président d'Extracthive lors de son audition par votre mission : « Aujourd'hui, on ne convaincra personne en France de construire un nouveau four. La seule solution est donc hydro-métallurgique ». La relocalisation en France d'une partie de la valorisation matière s'appuiera sur des techniques innovantes et des installations légères ou moyennes . Selon l'Ademe : « Une rupture technologique est nécessaire car il n'est pas possible d'être compétitif avec un procédé de fonderie classique (trop grosse économie d'échelle et avance en maîtrise technologique des fonderies existantes) » 62 ( * ) . Une analyse partagée par Christian Thomas, fondateur de Terra Nova Développement, auditionné par votre mission, selon lequel le développement du recyclage « résultera de l'installation d'usines nouvelles aux procédés innovants et non de la copie de dispositifs existants (...) nous n'avons plus d'industrie métallurgique en France, mais nous disposons des moyens d'en développer d'autres radicalement différents de ceux qui existaient jusqu'à présent ».

Il semble plus opportun et pragmatique de concentrer les développements français sur certaines activités, comme le désassemblage, la production de concentrés et le traitement final ciblé sur certaines matières rares ou critiques .

L'État doit se doter d'une stratégie de développement du recyclage des métaux, pour orienter les soutiens publics vers les projets susceptibles d'aboutir à des techniques innovantes et des unités industrielles. Sans préconiser une politique dirigée, susceptible d'être rapidement rendue obsolète par l'évolution des techniques et du marché, votre mission recommande de mieux définir les priorités des pouvoirs publics.

Cette stratégie devrait permettre de cibler des matières spécifiques, comme le tantale 63 ( * ) et l'indium, pour lesquelles les procédés de récupération dédiés n'existent pas et qui sont caractérisés par une disponibilité limitée, dans des conditions environnementales et sociales acceptables. Des techniques plus efficaces de recyclage pourraient également permettre de mieux valoriser en France des matières à forte valeur comme le cuivre, l'or, l'argent et le palladium. Le recyclage des batteries lithium-ion est une autre perspective d'avenir, conditionnée au développement futur des véhicules électriques. Le lithium pourrait alors devenir un métal stratégique, à l'instar du cobalt, ces deux métaux étant présents dans les batteries. L'entreprise Umicore est en cours de positionnement sur ce marché. Compte tenu des risques associés aux batteries, ce recyclage suppose toutefois des procédés spécifiques.

Ces priorités doivent tenir compte des enjeux d'approvisionnement des industriels français . Afin d'identifier les orientations de recherche pour le développement du recyclage des métaux critiques, l'Ademe conduit actuellement une étude dans le cadre du Comité pour les métaux stratégiques (COMES), pour mieux orienter les fonds disponibles vers une R&D qui se concrétisera en un développement économique (création d'installations, dépôt de brevets, création d'emplois). Le COMES a été créé en 2011 lors de l'embargo mis en place par la Chine sur ses exportations de terres rares pour améliorer la réflexion prospective sur l'approvisionnement nécessaire au développement de l'économie française, en réunissant des industriels, des experts et des administrations publiques. Ce comité est doté d'un groupe de travail spécifique au recyclage des métaux. Si le COMES a déjà produit une analyse des matériaux stratégiques et des projets de recherche, il n'a pas encore permis de définir une politique active de l'État selon Christian Thomas, membre du comité, entendu par votre mission.

Le degré de désassemblage est un autre paramètre à étudier, entre un traitement en gros analogue à celui mené par les affineurs, et un démantèlement exhaustif. Une séparation plus précise permettrait d'atteindre des matériaux plus purs et de faciliter le traitement final, mais la conception complexe des téléphones compromet un désassemblage total à un coût raisonnable. Gérard Cote, directeur de la chaire « mines urbaines » ParisTech, a souligné, lors de son audition par votre mission, qu'à l'instar de la collecte, le démantèlement est une faiblesse majeure de la chaîne française de recyclage.

Le niveau de qualité environnementale du processus est également à définir. Plusieurs organismes auditionnés par votre mission ont souligné les imperfections des techniques de traitement par fusion utilisées par les affineurs : perte de certaines matières minoritaires dans les scories, incinération de substances dangereuses, consommation d'énergie élevée. Si les taux de récupération sont élevés pour les métaux précieux (de l'ordre de 95 %), les déchets ultimes représentent près de 35 % du poids de départ. Il semble donc utile de progresser sur des alternatives à la pyrométallurgie classique. La priorité accordée à la neutralisation des substances toxiques s'oppose à un traitement plus massif et indistinct. La mise en place d'une unité de traitement consacrée aux plastiques bromés, présents dans la coque et dans la carte électronique des téléphones, constituerait, selon Christian Thomas, un progrès significatif pour la filière, le brome étant massivement utilisé par différentes industries, bien au-delà des seuls téléphones portables 64 ( * ) .

L'importance accordée à la proximité doit être précisée. La mise en oeuvre de ce critère est complexe, et très variable selon les flux de déchets considérés. Une étude de l'Ademe de 2016 65 ( * ) souligne que l'application du critère de proximité pour le recyclage des métaux se fait actuellement à l'échelle continentale, par distinction avec des transports plus longs, notamment vers l'Asie. Les choix de transfert pour ces déchets sont fondamentalement orientés par l'offre de rachat de matières et des économies d'échelle qui ne sont pas fondées sur les distances géographiques mais sur les volumes. Mondialisé, le marché des métaux présente une circulation importante des matières, guidée par l'efficacité technique.

Si le développement de centres de tri et de désassemblage au niveau local, dans le cadre de l'économie sociale et solidaire est souhaitable pour les DEEE, l'application de la proximité pour la valorisation matière trouverait à s'appliquer au niveau national, en tentant de réduire les exportations à forte valeur ajoutée, ce qui constituerait déjà un progrès pour le développement de la filière française. Une concentration des flux apparaît inévitable en bout de chaîne.

Enfin, un inventaire des sites industriels reconvertibles pour des activités de recyclage devrait être mené . Si des entreprises comme Terra Nova Développement apparaissent comme les héritiers des activités de Metaleurop Nord, on ne peut que regretter que le potentiel de reconversion d'un tel groupe, spécialisé dans les métaux non ferreux, se soit dilué. Cet inventaire devrait permettre d'éviter la destruction de capital et la perte d'expertise, et de favoriser le développement de nouvelles activités. Une entreprise innovante comme Morphosis a ainsi pu être créée en acquérant des installations existantes, à moindre coût. Le potentiel de réutilisation est également illustré par les affineurs européens, qui emploient pour le recyclage des infrastructures initialement conçues pour l'activité minière.

Proposition n° 26 : définir les priorités d'une stratégie nationale de développement du recyclage des métaux pour guider le soutien public apporté aux projets de recherche et d'unités de traitement : identification des faiblesses de la filière, ciblage sur des métaux rares ou stratégiques, choix sur le degré de désassemblage et de neutralisation des substances dangereuses, inventaire des sites industriels reconvertibles...

3. Un soutien public aux projets de recherche et de développement industriel est indispensable

Les recherches actuellement menées en France placent notre pays parmi les plus actifs en la matière, grâce à une coopération efficace entre établissements publics, chercheurs et startups . L'absence de grands groupes industriels métallurgiques permet à la recherche française de s'inscrire davantage en rupture qu'en amélioration de processus existants.

Sur le plan de la recherche fondamentale, une chaire « mines urbaines » a été créée en 2014 avec le soutien financier de l'éco-organisme Eco-systèmes et en partenariat avec trois écoles : Chimie ParisTech, Mines ParisTech et Arts et Métiers ParisTech. Le BRGM et l'Ademe soutiennent certains travaux. Dotée d'un budget de 2,5 millions d'euros sur cinq ans, cette chaire vise l'élaboration de seize thèses. Arts et Métiers ParisTech se concentre sur les plastiques, Chimie ParisTech travaille sur le recyclage des métaux, notamment stratégiques, et Mines ParisTech analyse les questions d'organisation et de chaîne de valeur. Deux thèses portent notamment sur un processus de biolixiviation, utilisé dans l'hydrométallurgie, pour exploiter le pouvoir de digestion de bactéries en vue d'éliminer les éléments organiques des déchets métalliques dans des conditions économes en énergie.

Un groupement de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), appelé Prométhée , a par ailleurs été récemment créé, en vue de rassembler les compétences pluridisciplinaires en hydrométallurgie. L'objectif est de développer des solutions pour récupérer les différents métaux présents dans les gisements plus réfractaires.

Comme le souligne le directeur de l'ICSM : « la recherche propose des solutions compartimentées ». La mise en place de structures de dialogue entre industriels, chercheurs et créateurs de startups semble essentielle pour faire le lien entre recherche fondamentale et application industrielle. Comme l'a également noté Gérard Cote, directeur de la chaire « mines urbaines » : « Trop de chercheurs pensent avoir trouvé des solutions miracles, qui restent inapplicables faute de cohérence avec le reste de la chaîne. C'est pourquoi les échanges entre universitaires et industriels sont si importants » . Une telle coopération permet également de progresser sur des problèmes bien identifiés.

À cet égard, le dispositif de pôles de compétitivité apparaît favorable à cette rencontre indispensable entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise. Le pôle TEAM 2 dans la région des Hauts-de-France permet ainsi de mettre en relation les différents acteurs du recyclage sur trois axes : les déchets du bâtiment et les sédiments, les plastiques et les métaux stratégiques.

À l'échelle européenne, le réseau PROMETIA , créé en 2014, regroupe des industriels, des centres de recherche et des startups, en vue de soutenir l'innovation en matière d'extraction et de recyclage. L'ICSM et l'entreprise Extracthive y participent. Face au recul des activités minières dans plusieurs pays européens et à la disparition progressive de l'expertise dans le domaine de la métallurgie, PROMETIA a pour objectif de rétablir au niveau européen un réseau d'industriels et de chercheurs capables de développer des solutions dans ce domaine, afin d'éviter une dépendance à l'égard de pays extérieurs à l'Europe.

De nombreux programmes de recherche existent. L'Agence nationale de la recherche (ANR) soutient ainsi actuellement plusieurs programmes visant à développer des technologies de valorisation matière pour les DEEE , intégrant notamment les déchets issus des téléphones portables. Ces projets associent des établissements publics de recherche ainsi que des acteurs privés de la R&D et des industriels.

PROGRAMMES DE RECHERCHE SOUTENUS PAR L'ANR

Titre

Objet

Edition

Durée

Aide

Partenaires

RECVAL-HPM

Récupération d'aimants permanents usagés contenus dans les déchets d'équipements électroniques pour une réutilisation et un recyclage

Développer une nouvelle voie de valorisation des aimants permanents haute performance contenus dans les déchets électroniques industriels.

2013

3 ans

888 000 €

CEA LITEN, TRIADE, ADAMEC, BASF, ARELEC, BOSCH, VOITH

CYTER

Recyclage des terres rares

Développer une technologie solide-liquide complémentaire ou alternative à la technologie liquide-liquide habituelle de l'extraction des terres rares, en vue de simplifier la séparation des différentes matières.

2014

3 ans

171 000 €

CEA, Université Paris 11

REPUTER

Récupération, purification et élaboration des terres rares pour le recyclage des batteries Ni-MH

Développer un procédé complet de récupération et de purification de terres rares issues du recyclage de batteries Ni-MH en vue d'obtenir des oxydes ou des éléments à l'état métallique suffisamment purs pour être valorisés dans les filières industrielles.

2015

3,5 ans

750 000 €

CEA DEN, LGC - UMR 5503, CEA DRT, IMPE, SNAM

SILEXE

Liquides ioniques pour le recyclage de métaux stratégiques par procédé d'extraction/électrodéposition

Démontrer la faisabilité d'un procédé innovant de recyclage des métaux stratégiques et son développement industriel par la mise en place d'un pilote, pour l'extraction et la purification des métaux stratégiques, l'indium, le tantale et l'or étant choisis comme cibles.

2013

3,5 ans

742 000 €

ICSM, LCME, IJL, TND

EXTRADE

Extraction des terres rares contenues dans les aimants permanents des déchets des équipements électriques et électroniques

Développer de nouvelles filières de valorisation des aimants permanents à terres rares présents dans les D3E en ciblant les disques durs d'ordinateurs, les haut-parleurs des matériels audio et vidéo et les petits moteurs électriques présents.

2013

3,5 ans

686 000 €

BRGM, Eco-systèmes, SR France, Selfrag AG, GALLOO France, Université de Rouen

Source : Agence nationale de la recherche.

Parmi les autres programmes de recherche, on peut également relever REMETOX, projet mené par un consortium français auquel participent la start-up Terra Nova Développement, le BRGM, deux laboratoires du CNRS (ICARE et CEMTHI) et l'entreprise SEPAREX. Il vise à développer une technique de traitement des déchets sous eau en condition supercritique en vue de séparer les métaux valorisables des éléments organiques dans les cartes électroniques, ce mélange étant très problématique pour les infrastructures de traitement des métaux. Cette technique permettrait également d'affaiblir les fibres de verre présentes dans les cartes, pour faciliter leur élimination. L'objectif du projet est de porter le taux de récupération de tous les métaux au-delà de 95 %. L'aboutissement de REMETOX permettrait la création d'une unité capable de traiter 10 000 tonnes de cartes électroniques par an, pour un chiffre d'affaires de 150 millions d'euros et la création de 80 emplois dans la région des Hauts-de-France. Ce projet pourrait aboutir à la création du premier producteur européen de tantale.

Pour cette filière, le rôle positif du crédit d'impôt recherche , bonifié lorsqu'une entreprise privée passe une commande auprès d'un organisme public (CRNS, CEA), a été souligné lors de plusieurs auditions. Ce dispositif fiscal gagnerait à être renforcé en faveur des technologies de recyclage. La mise en place de taux bonifiés ou de régimes différenciés pour les projets relevant de la chimie verte, de la chimie durable ou du recyclage de certains composants spécifiques a été évoquée pour soutenir le développement d'une filière française d'excellence.

S'agissant du passage à la phase industrielle , les startups du secteur sont convaincues de l'existence de solutions techniques et de modèles économiques viables. Selon Stéphane Pellet-Rostaing, directeur de recherche au CNRS : « Le modèle économique existe, le reste est une question de volonté et de financement » . Plusieurs entreprises tentent de mettre en place des modèles moins capitalistiques que les grandes installations européennes, en se concentrant sur la récupération d'un nombre limité de métaux.

L'entreprise Morphosis , créée au Havre en 2008, ambitionne de devenir un leader européen de l'extraction et de la valorisation des métaux rares et précieux. Après avoir développé un procédé d'hydrométallurgie, l'entreprise développe désormais un projet de pyrométallurgie par four à plasma pour traiter les cartes électroniques. Pour certains métaux, Morphosis va plus loin que les fonderies de cuivre européennes, en les transformant en sels pour faciliter leur réutilisation industrielle.

Le développement du recyclage est aujourd'hui largement porté par des PME et des startups. Les grands groupes industriels du secteur semblent s'en désintéresser. Comme le souligne Christian Thomas : « Les principaux acteurs du développement sont des PME (les grands groupes étant inactifs sur ces sujets) qui sont confrontés au manque d'intérêt total des fonds d'investissement (...) le recyclage est un orphelin financier » 66 ( * ) .

L'investissement dans les projets de recherche et développement puis de création d'installations de traitement reste très insuffisant . Cette situation favorise une fuite de la technologie et de l'activité industrielle vers d'autres pays, en particulier en Asie. L'entreprise Terra Nova a ainsi été contrainte de se tourner vers des fonds étrangers, faute d'investisseurs intéressés en France. La concurrence avec d'autres investissements plus attractifs à court terme, comme les technologies et services numériques, et la durée indispensable au développement de projets industriels (en moyenne 5 ans) limitent l'accès à des fonds privés.

Le soutien aux projets industriels innovants doit donc être renforcé et pérennisé. Les retombées positives du concours mondial de l'innovation, piloté par Bpifrance et qui a bénéficié au projet REMETOX et à l'entreprise Morphosis, tous deux lauréats, doivent encourager de nouvelles initiatives de cette nature, qui permettent de donner de la visibilité à des projets innovants. L'effet de levier du soutien apporté par OSEO puis Bpifrance sur l'accès au crédit bancaire a été souligné par Morphosis 67 ( * ) . Une véritable stratégie de l'État en matière de métaux stratégiques devrait s'accompagner d'un soutien accru à l'investissement des startups innovantes.

La réglementation de la filière de recyclage pourrait également permettre de soutenir une filière d'excellence . Le président d'Extracthive a ainsi noté, lors de son audition par votre mission, dans son activité auprès de grands groupes : « Nous rencontrons aujourd'hui des industriels qui ne se posaient pas des questions auparavant. Ainsi, les constructeurs de meubles s'interrogent sur le recyclage des meubles en panneaux de particules, que l'on ne sait pas recycler. La réglementation les force à innover. La réglementation est d'abord vécue comme une contrainte, mais elle force les fabricants à devenir intelligents et meilleurs ».

Selon Gérard Cote, l 'encadrement actuel de la filière DEEE, centrée sur la masse, a un effet désincitatif pour l'innovation , en favorisant la valorisation des matériaux majoritaires en masse comme les métaux ferreux ou le cuivre. Christian Thomas, fondateur de Terra Nova Développement, note également : « le critère général de quantité de DEEE collectés et l'évaluation en comptabilisant le tonnage s'applique très mal aux appareils nomades par essence légers et riches en métaux stratégiques ».

L'intégration de la rareté ou de la dangerosité dans les objectifs de collecte et de traitement est une piste pour orienter le recyclage, et éviter les pertes aujourd'hui constatées pour les matières minoritaires, présentes en faible quantité par unité.

Proposition n° 27 : renforcer le soutien public au développement de la filière : en pérennisant les dispositifs favorables aux projets de recherche (appels à projets ANR fléchés, taux bonifiés de crédit d'impôt recherche, structures d'échanges entre la recherche et l'industrie), en améliorant la visibilité et l'accès aux fonds privés des startups, et en envisageant une évolution de la filière DEEE plus favorable à l'innovation sur les matières rares et stratégiques.


* 59 Le site de Solvay à La Rochelle traitait notamment les terres rares nécessaires aux luminophores, substances utilisées dans le domaine des lampes basse consommation.

* 60 « 10 ans de la filière de collecte et de recyclage des DEEE en France : bilan et recommandations », note des Amis de la Terre, 2016.

* 61 En métallurgie, l'affinage consiste à purifier un métal, afin de le séparer d'éléments indésirables. L'expertise dans ce domaine est historiquement associée aux activités de fonderie.

* 62 Réponse au questionnaire transmis par votre rapporteure.

* 63 En France, les projets en cours SILEXE et REMETOX ont pour objectif de développer des procédés de recyclage du tantale.

* 64 Lors du recyclage, le brome produit de l'acide bromhydrique, du dioxyde de brome et du brome natif, ce dernier étant difficile à capter avec des techniques classiques. Terra Nova Développement travaille actuellement sur le recyclage et la captation du brome.

* 65 « Vers une économie circulaire... de proximité ? », rapport d'étude de l'Ademe, mars 2016.

* 66 Réponse au questionnaire transmis par votre rapporteure.

* 67 Fin 2015, Bpifrance comptait environ 860 clients dans la filière de récupération et de recyclage des métaux précieux, pour un total d'encours de 226 millions d'euros. Bpifrance a indiqué à votre mission mobiliser l'ensemble des produits dont elle dispose, que ce soit en garantie, en cofinancement bancaire, en innovation ou encore en fonds propres.

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