III. UN MODE DE FINANCEMENT QUI DOIT ÊTRE REVU

A. INSCRIRE UNE PROVISION PLUS JUSTE : UN IMPÉRATIF DE SINCÉRITÉ

Votre rapporteur spécial considère tout d'abord que le recours au décret d'avance ne devrait en aucun cas constituer la règle mais une exception liée à l'imprévisibilité de la dépense .

En effet, si l'article 13 de la LOLF prévoit que les décrets d'avance sont pris « en cas d'urgence », selon la Cour des comptes, ce critère est apprécié au regard de deux conditions 10 ( * ) « que sont la nécessité , constatée au moment où est préparé le décret d'avance, et l' imprévisibilité des dépenses auxquelles ce dernier doit faire face ».

Or comme le notait notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, dans son rapport sur le décret d'avance relatif à la fin de gestion 2015 11 ( * ) , « le recours fréquent aux décrets d'avance (trois décrets d'avance en 2015) est lié pour une large part à des sur-exécutions récurrentes et prévisibles , tant en matière d'opérations extérieures (Opex), que de dépenses d'intervention (en particulier contrats aidés et hébergement d'urgence) et de personnel. Votre rapporteur général souligne donc, une nouvelle fois, que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère et que ces difficultés récurrentes en exécution invitent à mener de réelles réformes de structure afin de redonner de la visibilité et des marges de manoeuvre aux gestionnaires publics ».

Si votre rapporteur spécial est conscient de la difficulté d'évaluer précisément le montant de la provision inscrite chaque année au titre du financement du « surcoût OPEX », compte tenu du nombre de « variables » à prendre en compte (nombre d'opérations, durée, intensité, conditions géographiques et climatiques, etc.), il apparaît néanmoins possible d'en améliorer significativement la prévision.

En effet, la fixation d'une provision plus juste dès la loi de finances initiale permettrait d'améliorer la visibilité des gestionnaires, du ministère de la défense, comme des autres ministères contributeurs.

L'analyse de la Cour des comptes développée dans son enquête figurant en annexe rejoint d'ailleurs celle de votre rapporteur spécial : « une meilleure prévision est possible et devrait pouvoir donner lieu à l'inscription d'une provision plus réaliste en loi de finances initiale et plus sincère au sens de l'article 32 de la LOLF ».

Plusieurs possibilités pourraient être envisagées.

Dans son analyse de l'exécution 2014 des crédits de la mission « Défense », la Cour des comptes préconise par exemple une budgétisation fondée sur l'exécution passée sur cinq ou trois ans , l'écart moyen entre prévision et exécution sur la période 2008-2014 aurait alors été abaissée à respectivement 27 % et 16 %. En 2014, l'application d'une telle règle de calcul se serait traduite par l'inscription d'une provision de 1 ou 1,1 milliard d'euros soit un écart à l'exécution compris entre 1 % et 10 % (contre 148 % avec le système actuel).

De manière plus « innovante », il pourrait être envisagé de s'inspirer du modèle britannique (cf. encadré ci-dessous) qui prévoit le financement du « surcoût OPEX » via une réserve spéciale gérée par le Trésor dont le montant, fixé à partir d'une estimation réalisée par le ministère de la défense, est voté lors de l'adoption du budget général.

Les modalités de financement du « surcoût OPEX » au Royaume-Uni

Le surcoût des OPEX (calculé par le ministère de la défense) est financé par une Réserve spéciale du Trésor . Ce mécanisme a été créé en 2002 face aux coûts importants engendrés par les opérations en Afghanistan. Cette Réserve spéciale est alimentée lors de l'adoption du budget général britannique sur la base d'une estimation du ministère de la défense (Main Estimate).

Le graphique ci-après présente le détail du coût des opérations sur les différents théâtres (Wider Gulf, Afghanistan, Libye, Mali, Balkans). Figurent également :

- les dépenses incluses dans le « Conflict Pool » (alerte précoce, gestion de crise, maintien de la paix, renforcement des architectures internationales et régionales de sécurité, etc.) ;

- celles du DMAP (Deployed Military Activity Pool), un fonds commun ministère de la défense-Trésor visant à disposer de ressources immédiates pour financer les coûts initiaux de toute activité militaire non planifiée décidée par le NSC (National Security Council).

Ces coûts représentent les « dépenses additionnelles nettes » (directes et indirectes) engagées par le ministère de la défense dans ses opérations, en sus de celles que le ministère aurait supportées si l'opération n'avait pas eu lieu (par exemple, les dépenses de salaires ou encore les économies générées par les annulations d'exercices ou d'entraînement sont déduites du coût total de l'opération).

Au cours des onze dernières années, les coûts liés aux OPEX britanniques ont atteint un pic en 2009-2010. Les opérations en Irak ont représenté le principal poste de dépenses jusqu'en 2007-2008, lorsque les opérations en Afghanistan se sont intensifiées. Au total, les surcoûts OPEX en 2014-2015 ont diminué de 3,1 milliards de livres (soit 74 %) par rapport au pic de 2009-2010.

En 2014-2015, le ministère de la défense a dépensé la somme de 1,1 milliard de livres en opérations (soit une diminution de 887 million de livres par rapport à 2013-2014), conséquence de la fin des opérations de combat en Afghanistan. Dans un contexte de réduction sensible de l'engagement opérationnel, les dépenses liées à l'Afghanistan (964 millions de livres) représentaient encore 89 % du montant total du coût des OPEX en 2014-2015.

Source : Ministère de la défense, réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

En tout état de cause, la fixation d'un montant en loi de programmation militaire servant de base au montant de la provision inscrite chaque année en loi de finances n'apparaît pas adaptée et il conviendrait de ne plus considérer les lois de programmation militaire comme un cadre budgétaire contraignant mais comme une simple trajectoire.

Recommandation n° 11 : inscrire en loi de finances un montant sincère du « surcoût OPEX » fondé sur les montants constatés au cours des cinq dernières années. Prévoir que l'éventuel surcoût non prévu soit pris en charge via un financement interministériel.

Recommandation n° 12 : envisager, sur le modèle du Royaume-Uni, la création d'une réserve spécifique consacrée au financement des OPEX.


* 10 Cour des comptes, Rapport sur les crédits du budget de l'État ouverts par décret d'avance, décembre 2014.

* 11 Rapport d'information n° 182 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 23 novembre 2015.

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