B. UN COÛT HUMAIN ÉLEVÉ

En 2015, 8 160 militaires ont été déployés en moyenne sur l'ensemble des théâtres d'opérations extérieures . Les opérations Barkhane, Sangaris et Chammal représentaient à elles-seules plus de 6 500 soldats en moyenne annuelle, soit plus de 80 % des effectifs déployés.

Effectifs militaires moyens déployés en 2015 par opération

PAYS/ZONE

OPEX

Effectifs

Kosovo

TRIDENT

2

Bosnie

ASTREE

RCI

LICORNE

259

Sahel

EPERVIER

SERVAL

EUTM MALI

24

BARKHANE

3 791

RCA

BOALI MICOPAX

SANGARIS

1 371

EUFOR / EUMAM / EUTM RCA

72

Guinée

TAMARIN

73

Océan Indien

ATALANTE

77

Liban

DAMAN

855

Afghanistan

PAMIR HERACLES

EPIDOTE

180

Levant

CHAMMAL

1 350

AUTRES OPERATIONS

106

TOTAL OPEX

8 160

Source : réponse au questionnaire budgétaire 2017

1. Des personnels très fortement sollicités

Dans un rapport d'octobre 2015 6 ( * ) , le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) notait que les effectifs moyens instantanés déployés en OPEX en 2014 s'élevaient à 9 034, soit 4,4 % des effectifs militaires totaux. Mais, ainsi que l'a rappelé Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire devant le Sénat le 19 octobre 2016, « si nos effectifs en OPEX s'élèvent à environ 10 000 hommes, ce sont plus de 30 000 de nos militaires qui sont déployés ». La durée de projection est en moyenne de quatre à six mois, selon le théâtre d'opération . Si « le temps de présence minimal en métropole entre deux projections effectives en opération extérieure est en principe de huit mois », « cette durée peut être soumise à dérogation sur décision du commandement ». Or le HCECM notait que « le nombre de militaires de l'armée de terre faisant l'objet d'une dérogation aux règles usuelles de désignation pour les déploiements opérationnels, après une forte diminution entre 2009 et 2012, repart à la hausse, passant de 373 en 2012 à 1 098 en 2013 et 1 257 en 2014 ».

Certains pilotes sont ainsi mobilisés deux mois chaque année au titre des OPEX. Les mécaniciens sont, quant à eux, détachés pour des périodes allant de un à trois mois chaque année .

Cette accélération du rythme des projections n'est évidemment pas sans conséquence sur la vie personnelle des militaires .

Il serait par conséquent utile, comme le recommande la Cour des comptes dans son enquête figurant en annexe, « de développer et de suivre des indicateurs comparables entre armées (et entre les services interarmées) afin de mesurer le degré de sujétion opérationnelle des militaires, comme par exemple, le nombre de jours de présence en garnison, sur base ou à quai ».

Personnel des armées déployé en opérations et stationné
hors du territoire métropolitain

Effectifs moyens instantanés en OPEX

% des effectifs militaires en OPEX

Effectif
total

2010

9 939

4,3 %

231 422

2011

10 862

4,9 %

223 846

2012

7 771

3,6 %

217 114

2013

9 657

4,6 %

209 783

2014

9 034

4,4 %

203 646

Champ : militaires des forces armées placés sous le contrôle opérationnel du CEMA.

Sources : EMA/CPCO pour les effectifs en OPEX - DRH-MD pour les effectifs.

Nos armées payent également un lourd tribut humain, qu'il s'agisse des blessures pour faits de guerre ou des décès . Ainsi, en 2014, 66 militaires ont été blessés à la suite de faits de guerre en OPEX, soit le nombre le plus élevé depuis 2011 .

Nombre de militaires blessés à la suite de faits de guerre en OPEX

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

7

15

5

94

55

91

168

40

24

66

Champ : militaires des forces armées blessés par arme à feu ou engin explosif en opérations.

Source : service de santé des armées

De même, selon le HCECM, entre 2011 et 2014, 85 militaires ont perdu la vie en OPEX .

Aux blessures physiques s'ajoutent en outre de graves traumatismes psychologiques. Dans un rapport de 2011, le HCECM dresse un bilan extrêmement préoccupant des conditions physiques et psychologiques des soldats de retour d'OPEX (cf. encadré infra ). Les constats développés par le HCECM en 2011 semblent malheureusement toujours pertinents cinq ans plus tard.

Extraits du rapport de 2011 du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire

Quelle que soit la situation rencontrée, les conditions de vie des militaires déployés restent cependant soumises à une certaine forme de rusticité, à l'éloignement, aux difficultés de liaison avec les familles ou aux contraintes que fait peser, sur toute force en opération, la nécessité de se prémunir contre les évolutions imprévisibles du climat sécuritaire local ». « Pour les militaires engagés ou présents sur le terrain, il a noté l'intensité des activités (patrouilles ou sorties quotidiennes, préparation opérationnelle, remise en condition du matériel, renseignement, mais aussi maintien en condition physique, missions de garde ou de permanence etc.). Dans les groupements tactiques interarmes (GTIA) du théâtre afghan, le rythme est particulièrement soutenu. Au plan individuel, le rythme d'activité est rendu d'autant plus lourd que, les moyens humains déployés sur le théâtre étant limités, les mêmes personnels effectuent souvent sans discontinuer les missions tactiques, les escortes de convois logistiques et les missions usuelles de garde, de permanence ou de fonctionnement courant.

Dans la plupart des unités opérationnelles engagées sur les théâtres les plus actifs, la possibilité d'une journée hebdomadaire d'interruption, même partielle, de ce rythme est limitée et aléatoire. Les exigences en matière de disponibilité opérationnelle des matériels sont très élevées, ce qui implique un très fort degré d'engagement des personnels qui en ont la charge. Les militaires de retour d'Afghanistan disent achever leur mandat physiquement éprouvés.

L'intensification des opérations militaires, notamment en Afghanistan, a considérablement renforcé l'exposition des militaires à des situations de violence et de stress extrêmes susceptibles de provoquer, à des degrés divers et à plus ou moins longue échéance, l'apparition et le développement de syndromes post-traumatiques aux conséquences potentiellement sérieuses.

Les états de stress post-traumatiques sont soumis à surveillance épidémiologique dans les armées depuis 2002. Mais les opérations d'Afghanistan ont conduit notamment l'armée de terre à mettre progressivement en place un dispositif permanent de détection et de traitement de ces troubles.

Dans son état actuel, il repose, sur le terrain, sur un trinôme associant des personnels spécialisés du service de santé (un psychiatre est présent en permanence sur le théâtre afghan), des psychologues de l'armée de terre et des moniteurs formés aux techniques de gestion des tensions. Si nécessaire, la cellule d'intervention et de suivi psychologique de l'armée de terre (CISPAT) peut également intervenir. Le dispositif a été complété par la mise en place, dans chaque unité de l'armée de terre, de référents, cadres volontaires formés à la détection des personnes fragilisées et des premiers signes cliniques qu'elles pourraient présenter.

L'estimation quantitative du phénomène est rendue délicate, pour l'instant, par les difficultés liées à la définition précise de l'affection et par la durée de la période durant laquelle elle peut potentiellement survenir (parfois plusieurs années après les faits).

Les conditions extrêmes auxquelles sont soumis les militaires français posent en outre la question de l'attractivité de certains métiers et de la capacité de notre armée à continuer d'attirer, voire de « fidéliser » ses personnels.

Au cours des auditions réalisées par votre rapporteur spécial, il a ainsi été indiqué que certains personnels, à l'instar des maintenanciers de l'armée de l'air, très fortement sollicités, pouvaient être tentés par une reconversion dans le secteur privé, leur permettant une vie personnelle plus stable. Il s'agit par conséquent d'un défi auquel le ministère de la défense devra apporter rapidement une réponse afin d'éviter une « fuite » de ses compétences vers le secteur privé .

2. Des conséquences négatives sur la préparation opérationnelle et l'entraînement des troupes

Niveau de réalisation des activités et de l'entraînement

2013

2014

2015

2015

2015

2017

Normes annuelles

Réalisation

Réalisation

Prévision PAP 2015

Prévision actualisée PAP 2016

Réalisation

Cible PAP 2015

Jours d'activités par homme Terre «JPO»

-120

84

83

64

64

84

90

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Terre

157

156

156

156

146

164

180

Heures de vol par pilote de chasse Air

157

153

150

150

154

157

180

Heures de vol par pilote de transport Air

276

235

260

260

239

320

400

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Air

191

174

170

170

159

200

200

Jours de mer par bâtiment Marine

90 (97)

83 (92)

86 (94)

86 (94)

91 (104)

96 (106)

100 (110)

Heures de vol par pilote de chasse Marine

154 (207)

136 (194)

150 (180)

161 (193)

193 (236)

165 (205)

180 (220)

Heures de vol par pilote d'hélicoptère Marine

187

218

180

186

218

220

220

Heures de vol par pilote de patrouille maritime Marine

409

360

288

282

336

350

350

Sources : rapport annuel de performances 2015

L'entraînement de nos armées souffre de la conjonction de deux phénomènes : d'une part, une accélération du rythme de déploiement des troupes, qui s'effectue au détriment de leur préparation , et d'autre part, un transfert de l'indisponibilité des matériels vers la métropole, qui ne leur permet pas de s'entraîner dans de bonnes conditions .

D'une manière générale, comme le montre le tableau supra , la préparation et l'entraînement de nos forces apparaissent très en deçà des normes annuelles.

S'agissant de l'armée de terre, le rapport annuel de performances 2015 note que le nombre de journées de préparation opérationnelles (mises en condition avant projection, préparation opérationnelle générique et formation individuelle) a chuté de 24 % passant de 84 jours à 64 jours en un an. Cette situation se traduit par « une usure du personnel de l'armée de terre qui vit sur un capital opérationnel qu'elle peine à régénérer ». Le rapport annuel de performances rappelle que si « la remontée des effectifs de la FOT [force opérationnelle terrestre] devrait redonner des marges de manoeuvre permettant une reprise progressive de la préparation opérationnelle interarmes fin 2016. Cette remontée sera toutefois conditionnée par le volume des forces maintenues sur l'opération Sentinelle ».

Par ailleurs, si la disponibilité moyenne des matériels apparaît satisfaisante (cf. supra ), celle-ci masque des disparités importantes entre matériels utilisés en OPEX, qui sont considérées comme prioritaires, et ceux destinés à la métropole. En effet, la surutilisation des matériels a d'importantes conséquences alors que « la production de matériels régénérés reste insuffisante car une partie des personnels de maintenance est engagée » au titre de l'opération Sentinelle.

S'agissant de la marine, le rapport annuel de performances note que « la génération de pilotes opérationnels est pénalisée par l'emploi des pilotes instructeurs dans des missions opérationnelles et les tensions sur la dotation et la disponibilité de certaines flottes d'hélicoptères ». La disponibilité des matériels navals peut également s'avérer inférieure aux objectifs, notamment en ce qui concerne les plus anciens d'entre eux.

S'agissant de l'armée de l'air, il rappelle que « l'intensité des engagements actuels, en accélérant le vieillissement des appareils , pourrait, en l'état, compromettre la disponibilité technique nécessaire à cette remontée d'activité. Enfin, l'activité aérienne est en grande partie réalisée en opérations pour la chasse comme pour le transport, obérant l'activité de préparation opérationnelle en métropole ». Il note en outre que, si le nombre d'heures de vol effectuées par les pilotes d'hélicoptère de l'armée de terre est resté stable par rapport à 2014, leur répartition se fait au détriment des pilotes plus jeunes « qui peinent à faire leurs heures » .


* 6 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, 9 e rapport, revue annuelle de la condition militaire, octobre 2015.

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