B. UN MONTANT QUI NE PREND EN COMPTE QU'UNE PARTIE DU TOTAL DES SURCOÛTS

1. Une définition partielle qui exclut certains surcoûts directs et indirects

La lettre de 2010 précitée fait état de dépenses supplémentaires entrant dans le coût global des OPEX mais qui ne sont pas incluses dans le calcul du « surcoût OPEX ».

Ainsi, les achats d'équipements effectués en urgence opérationnelle (tels que les matériels spécifiques de lutte contre les engins explosifs improvisés en Afghanistan) ne sont pas couverts par le mécanisme OPEX bien que ceux-ci soient en principe éligibles au « surcoût OPEX ». Il conviendrait par conséquent de remédier à cette situation , en conformité avec les modalités de calcul définies par la lettre du 1 er décembre 2010.

Recommandation n° 6 : Inclure dans le « surcoût OPEX » les dépenses liées à l'achat d'équipement en urgence opérationnelle, en conformité avec les modalités de calcul définies par la lettre du 1 er décembre 2010.

Diverses dépenses supplémentaires liées aux dispositifs d'action sociale ouverts par la participation d'un militaire en OPEX ou encore aux bonifications de droit à pension au profit des militaires participant à une OPEX ne sont pas prises en compte dans le « surcoût OPEX ». Il en va de même pour les dépenses de contentieux juridiques consécutifs aux OPEX ou encore les dépenses d'actions civilo-militaires .

D'autres surcoûts indirects non pris en compte dans le calcul du « surcoût OPEX » peuvent également être cités tels que le nécessaire rattrapage de préparation opérationnelle lié à la préemption par les OPEX du potentiel et de l'activité ou encore la nécessité de recourir à des affrètements pour effectuer des transports vers les territoires ultramarins, rendus nécessaires par la faible disponibilité des aéronefs de transport qui ne permet pas de couvrir à la fois ces besoins intérieurs et les besoins OPEX .

2. Une usure accélérée du capital du ministère de la défense qui n'est pas compensé

Si les surcoûts présentés précédemment représentent des montants non-négligeables et pourraient faire l'objet d'une meilleure prise en compte dans le calcul du surcoût total lié aux OPEX, comme le suggère la Cour des comptes dans son enquête figurant en annexe, il est en revanche plus préoccupant que l'usure accélérée du capital de nos armées résultant de la forte activité opérationnelle liée aux OPEX ne soit pas compensé au ministère de la défense.

Cette situation revient, ainsi qu'il l'a été indiqué à votre rapporteur spécial par la plupart des personnes entendues, à « hypothéquer » l'avenir.

La compensation de ces coûts induits pour le ministère de la défense suppose en premier lieu d'en chiffrer le montant et d'en identifier les contours . Ainsi, les pertes, destructions et cessions gratuites de matériels aux armées étrangères engagées au sein des théâtres d'opération, qui ne sont pas comptabilisées dans le « surcoût OPEX », font l'objet d'une dépréciation en principe retracée dans le compte général de l'État , conformément à la norme comptable de l'État n° 6 (cf. encadré infra ).

La norme comptable de l'État n° 6 « Immobilisations corporelles »

Le matériel militaire est constitué des matériels militaires, détenus et contrôlés par l'État dans ses différentes composantes (air, terre, mer, gendarmerie), à l'exception de ceux retirés du service actif et classés en autres immobilisations corporelles.

La dépréciation d'un actif est la constatation que sa valeur actuelle est devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable qui ne correspond plus au potentiel de service résiduel attendu par l'État dans le cas où l'actif continue d'être utilisé .

Une dépréciation est comptabilisée lorsqu'il y a une dégradation significative de l'état physique de l'actif, liée à des circonstances exceptionnelles (par exemple, attentats, inondations, incendies, etc.), qui empêche son utilisation normale. Une dépréciation est également comptabilisée en cas d'obsolescence technique avérée résultant d'un événement compromettant à court terme son utilisation normale .

Le compte général de l'État ne distingue cependant pas les dépréciations liées à ces événements des autres facteurs de dépréciation. Dans sa réponse au questionnaire budgétaire 2016 de votre rapporteur spécial, le ministère de la défense indique ainsi que « la décision d'enregistrer une dotation pour dépréciation sur un matériel militaire trouve son origine dans l'indisponibilité du matériel, quelle qu'en soit la cause , et l'importance des travaux de réparations à réaliser pour permettre son utilisation normale. En tout état de cause, l'indisponibilité des matériels militaires relevant du SSF n'a pas pour origine leur engagement en OPEX. Pour les matériels militaires relevant de la SIMMT et de la SIMMAD, les systèmes d'information de logistique ne retracent pas la cause de l'indisponibilité des matériels faisant l'objet de dépréciation. En conséquence, il n'est pas possible de déterminer à ce jour la part des dépréciations imputable à l'engagement des matériels en OPEX ». Votre rapporteur spécial considère que la position du ministère n'est pas satisfaisante compte tenu de l'hétérogénéité des motifs d'indisponibilité (dépréciation liée à une dégradation « normale » des matériels, utilisation en OPEX, etc.).

Il conviendrait par conséquent d'envisager une évolution des systèmes d'information logistiques afin de retracer, au sein du compte général de l'État, la part des dépréciations du ministère de la défense liées aux OPEX .

Recommandation n° 7 : Identifier, au sein du compte général de l'État, la part de la dépréciation du capital du ministère de la défense imputable aux OPEX.

Surtout, ni l'usure du capital, résultant d'un engagement en OPEX supérieur aux contrats opérationnels, ni le décalage des programmes d'armement lié à l'anticipation des livraisons rendues nécessaires compte tenu de cette usure, ne sont pris en compte dans ce surcoût .

Or force est de constater que le niveau d'engagement actuel de nos armées n'est pas compatible avec le calendrier de livraison des matériels tel que prévu dans le livre blanc de la défense de 2013 et la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 .

L'actualisation de la loi de programmation militaire a prévu un effort supplémentaire sur certaines capacités critiques notamment la composante « hélicoptères » (7 Tigres et 6 NH90 supplémentaires), la capacité de projection aérienne tactique (par l'achat de C-130 notamment) ou encore le renseignement (acquisition d'un troisième satellite MUSIS). En outre, la commande de trois avions MRTT prévue initialement au-delà de la loi de programmation militaire sera anticipée en 2018, leur livraison devant intervenir en 2024 et 2025.

Le coût total de cet effort supplémentaire s'élève à 1,5 milliard d'euros sur la période 2016-2019, financé à hauteur de 500 millions par des ouvertures de crédits et d'un milliard d'euros par le redéploiement d'économies liées à des prévisions plus favorables quant à l'évolution des indices économiques (prix du pétrole, prix de certains marchés de fourniture, taux de change).

Selon les indications communiquées par le ministère de la défense à votre rapporteur spécial, le coût d'acquisition des matériels sur la période 2016-2019 et leur calendrier de commande et de livraison, donné par paquet de programmes, serait le suivant :


Paquet frégates (FREMM, FTI et RMV FLF) - environ 150 millions d'euros

- L'objectif est de disposer à terme de 15 frégates de 1 er rang. La commande des premières Frégates de Taille Intermédiaire (FTI) est anticipée sur la période, avec une livraison de la 1 re FTI prévue en 2023.


Paquet hélicoptères (TIGRE et NH90) - environ 485 millions d'euros

- 7 hélicoptères HAD supplémentaires seront commandés à court terme et livrés sur 2017-2019.

- Par ailleurs des roquettes de précision métrique seront commandées en 2019. Elles seront livrées et intégrées au-delà de 2019.

- 6 NH90 TTH supplémentaires seront commandés à court terme pour une livraison se déroulant de 2017 à 2019.


Paquet transport tactique (C130 et armement associé, MRTT) - environ 370 millions d'euros

- La commande de missiles destinés à équiper certains C130, ainsi que leur intégration sur avion sont prévues en début de période, pour une livraison avant fin 2019.

- La commande de 3 avions MRTT prévue initialement au-delà de la LPM sera anticipée en 2018. De même, leur livraison est anticipée en 2024 et 2025.


Paquet renseignement (MALE, MUSIS) - environ 125 millions d'euros

- La commande et la livraison d'une capacité charge utile ROEM sur drone REAPER sont prévues sur la période.

- La commande du 3 e satellite MUSIS est prévue en 2015 ; la livraison interviendra postérieurement à la LPM 2014-2019.


Paquet mesures diverses - environ 275 millions d'euros

- 25 PDL NG supplémentaires seront commandés sur 2017-2018 ; leur livraison interviendra postérieurement à la LPM 2014-2019.

- Une première capacité de simulation et d'entraînement CERBERE sera commandée en début de période ; sa livraison interviendra à compter de 2019.

- La commande et la livraison du 4 e lot OPEX Rafale, prévues post LPM, sont anticipées sur la LPM.

- La LPM 2014-2019 prévoit l'acquisition ou l'affrètement de 8 BSAH, dont 2 militaires acquis en patrimonial au titre du programme d'armement. La commande de ces derniers est prévue en 2015. Dans le cadre de l'actualisation de la LPM, il est proposé l'acquisition patrimoniale de 4 BSAH militaires d'ici 2019. Le complément de la cible fera l'objet d'un affrètement.

- Un 4 e B2M sera commandé en début de période avec une livraison prévue avant la fin de la période.

- La composante VBL fera l'objet d'un effort de régénération dont le flux commencera dès le début de la période.

Source : ministère de la défense

En 2015, les dépenses d'équipement se sont ainsi élevées à 16,449 milliards d'euros, soit une augmentation de 0,7 milliard d'euros par rapport à l'année précédente. Ce montant est toutefois inférieur au montant prévu dans le cadre de l'actualisation de la LPM (16,638 milliards d'euros) et au montant inscrit en loi de finances (16,661 millions d'euros).

Par ailleurs, si l'effort prévu dans la LPM apparaît bienvenu, il ne devrait cependant pas être suffisant pour répondre aux besoins importants et en augmentation de nos forces comme l'ont rappelé la plupart des personnes entendues par votre rapporteur spécial.

Il fait par conséquent sienne la recommandation de la Cour des comptes consistant à « évaluer, avant la prochaine loi de programmation militaire, les moyens et les conditions d'une restauration d'un niveau de préparation opérationnelle suffisant, pour ne pas obérer les capacités futures des forces françaises ».

Recommandation n° 8 : à défaut d'une actualisation à court terme de l'actuelle loi de programmation militaire, prévoir dans la future LPM la fixation de plafonds de crédits prenant en compte la réalité des engagements de nos armées en OPEX.

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