IV. UN MONTANT DU « SURCOÛT OPEX » INSCRIT CHAQUE ANNÉE EN LOI DE FINANCES VOLONTAIREMENT SOUS-ÉVALUÉ

A. LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LES ANNÉES 2014 À 2019 : UN INSTRUMENT INADAPTÉ DANS UN CONTEXTE INSTABLE

1. Une prévision qui reposait sur l'hypothèse d'un retour à trois théâtres d'opération

Les contrats opérationnels fixés dans le livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 reposaient sur l'hypothèse d'un retour à deux voire trois théâtres d'opération dont un pour lequel la France serait contributeur majeur , en lien avec le désengagement des troupes françaises d'Afghanistan.

Le contrat opérationnel des armées fixé dans le livre blanc
sur la défense et la sécurité nationale de 2013

Le contrat opérationnel des armées [...] décrit les forces dont disposent le pays et le chef des armées pour mettre en oeuvre les missions qui sont assignées aux armées. L'efficacité des armées repose alors sur trois conditions. [...]

Les armées devront remplir des missions non permanentes d'intervention à l'extérieur de nos frontières. À ce titre, elles pourront d'abord être engagées simultanément et dans la durée dans plusieurs opérations de gestion de crise. Elles devront pouvoir mener ce type d'opérations dans la durée sur deux ou trois théâtres distincts dont un en tant que contributeur majeur.

Le total des forces engagées à ce titre sur l'ensemble des théâtres sera constitué, avec les moyens de commandement et de soutien associés :

- de forces spéciales et d'un soutien nécessaire à l'accomplissement des missions envisagées ;

- de l'équivalent d'une brigade interarmes représentant 6 000 à 7 000 hommes des forces terrestres, équipés principalement avec des engins blindés à roues, des chars médians, des moyens d'appui feu et d'organisation du terrain, des hélicoptères d'attaque et de manoeuvre ;

- d'une frégate, d'un groupe bâtiment de projection et de commandement et d'un sous-marin nucléaire d'attaque en fonction des circonstances ;

- d'une douzaine d'avions de chasse, répartis sur les théâtres d'engagement.

La nature des opérations ou leur sécurisation peut rendre nécessaire l'utilisation de moyens supplémentaires permettant des frappes à distance à partir de plates-formes aériennes ou navales.

Enfin, nos forces devront pouvoir être engagées dans une opération de coercition majeure, tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur les théâtres déjà ouverts.

Sous préavis suffisant (évalué aujourd'hui à environ 6 mois), après réarticulation de notre dispositif dans les opérations en cours et pour une durée limitée, les armées devront être capables de mener en coalition, sur un théâtre d'engagement unique, une opération à dominante de coercition, dans un contexte de combats de haute intensité. Elles pourront assumer tout ou partie du commandement de l'opération. La participation française à cette opération se fondera sur l'engagement d'une force interarmées, disposant d'une capacité d'appréciation autonome de situation, de la supériorité informationnelle, d'une capacité de ciblage et de frappes dans la profondeur. À ce titre, les forces françaises conserveront la capacité de participer à une opération d'entrée en premier sur un théâtre de guerre dans les trois milieux.

La France pourra engager dans ce cadre, avec les moyens de commandement et de soutien associés :

- des forces spéciales ;

- jusqu'à deux brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres, susceptibles d'être renforcées par des brigades alliées pour constituer une division de type OTAN, dont la France pourra assurer le commandement ;

- jusqu'à 45 avions de chasse incluant les avions de l'aéronautique navale ;

- le porte-avions, 2 bâtiments de projection et de commandement, un noyau clé national d'accompagnement à base de frégates, d'un sous-marin nucléaire d'attaque et d'avions de patrouille maritime. La permanence de cette capacité aéronavale pourra s'inscrire dans le cadre de la force intégrée franco-britannique prévue par les Accords de Lancaster House ;

- les moyens permettant d'assurer les fonctions de commandement, de renseignement et de logistique de l'opération (transport, santé, essence, munitions, stocks de rechange).

Source : Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013

Ces hypothèses ont servi de base aux prévisions inscrites dans la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

2. Une prévision dépassée avant même d'être mise en exécution et qui n'a pourtant pas été modifiée lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire en 2015

L'article 4 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoit que « la dotation annuelle au titre des opérations extérieures est fixée à 450 millions d'euros ». L'article 5.3 (« Le financement des opérations extérieures ») de son rapport annexé rappelle en outre que les hypothèses retenues dans le cadre de la loi de programmation militaire sont celles fixées par le livre blanc de 2013 : « afin de sécuriser le financement des opérations extérieures, la programmation repose sur une dotation prévisionnelle annuelle dans le budget de la mission « Défense » en adéquation avec les nouveaux contrats opérationnels et les priorités stratégiques définis dans le Livre blanc. Par rapport à la période précédente, il est en particulier tenu compte de la limitation de nos engagements, dans le modèle retenu, à une moyenne de trois théâtres importants, de l'adaptation de notre dispositif en Afrique aux nouvelles menaces sur la sécurité des pays amis et de la nécessaire reconfiguration du dispositif actuel des forces prépositionnées, en cohérence avec les analyses précitées . La présente programmation retient un montant de 450 millions d'euros pour la dotation prévisionnelle annuelle au titre des opérations extérieures ».

Ce montant de 450 millions avait été établi sur la base des coûts constatés des opérations extérieures en cours et des coûts et moindres dépenses liées au désengagement d'Afghanistan .

Or cette prévision a été inscrite alors que l'opération Serval au Mali était déjà en cours . Avant même son adoption, la loi de programmation militaire était donc obsolète et le montant de la provision inscrite au titre du « surcoût OPEX » de 450 millions d'euros par an, soit un montant inférieur à celui prévu dans la précédente loi de programmation militaire (630 millions d'euros) et qui était déjà insuffisant, apparaissait donc dès l'origine irréaliste.

Il est par conséquent regrettable que le montant de la provision OPEX n'ait pas été modifié à l'occasion de l'actualisation de la loi de programmation militaire, qui s'est notamment traduite par une sécurisation des ressources du ministère de la défense, via la rebudgétisation des ressources exceptionnelles (REX) - dont le montant sur la période 2015-2019 devrait être limité à 0,93 milliard d'euros, contre 6,26 milliards d'euros prévus par la loi de programmation des finances publiques 2015-2017.

Cet exemple montre toutes les limites d'une loi de programmation militaire censée prévoir, six ans en avance, l'évolution des crédits d'un ministère dont « l'activité » est par nature imprévisible.

Si ce type d'exercice n'est pas dénué d'utilité pour déterminer une trajectoire, il ne devrait en revanche pas avoir pour objet de fixer un cadre budgétaire contraignant. C'est pourtant ainsi qu'il est vécu par les gestionnaires dans un contexte où il apparaît plus que jamais nécessaire de faire preuve de souplesse et d'adaptation.

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