N° 440

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 février 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif aux moyens de favoriser la transmission d' entreprise au bénéfice de l' emploi dans les territoires ,

Par MM. Claude NOUGEIN et Michel VASPART,

Sénateurs

La délégation sénatoriale aux entreprises est composée de : Mme Élisabeth Lamure, présidente ; MM. Martial Bourquin, Olivier Cadic, Philippe Dominati, Jérôme Durain, Alain Joyandet, Mmes Hermeline Malherbe, Sophie Primas, M. Dominique Watrin, v ice-présidents ; M. Gilbert Bouchet, Mme Nicole Bricq, M. Serge Dassault, Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Guillaume Arnell, Jacques Bigot, Mme Annick Billon, MM. Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, Michel Canevet, René Danesi, Francis Delattre, Mmes Jacky Deromedi, Frédérique Espagnac, MM. Michel Forissier, Alain Fouché, Jean-Marc Gabouty, Éric Jeansannetas, Antoine Karam, Guy-Dominique Kennel, Mmes Anne-Catherine Loisier, Patricia Morhet-Richaud, MM. Claude Nougein, André Reichardt, Michel Vaspart, Jean-Pierre Vial.

SYNTHÈSE

Depuis sa création en décembre 2014, la délégation sénatoriale aux entreprises a rencontré plusieurs centaines de chefs d'entreprises qui l'ont alertée sur les nombreuses difficultés qu'ils rencontrent lors des transmissions d'entreprises, notamment dans les régions éloignées de Paris. C'est un enjeu économique majeur, à la fois en termes de dynamisme et d'attractivité des territoires, et bien évidemment un défi pour l'emploi dans nos territoires.

I. La transmission d'entreprise : Enjeux et réalités

Après plusieurs années d'absence des débats, la transmission a fait l'objet ces deux dernières années d'un certain nombre de rapports et d'études économiques. Ils se sont toutefois trop souvent limités à un secteur (par exemple l'artisanat) ou à un type d'entreprise (par exemple les TPE). Rares sont ceux qui ont approché l'enjeu de la transmission sous l'angle territorial. Vos rapporteurs ont souhaité combler ces manques en présentant un bilan complet de la transmission en France -réalités, enjeux et difficultés- avant de proposer des solutions concrètes pour favoriser l'anticipation, l'accompagnement et le financement de la reprise et pour simplifier, moderniser et sécuriser les différentes modalités de transmission en France. L'objectif de ce rapport est d'alerter les acteurs politiques et économiques sur l'urgence de la situation.

1. Un enjeu démographique, économique et territorial

Le défi de la transmission est un défi autant démographique qu'économique et territorial. Démographique car près de 20 % des dirigeants des PME sont âgés de plus de 60 ans et plus de 60 % des dirigeants d'ETI ont au moins 55 ans : le nombre d'entreprises à transmettre dans les prochaines années va donc considérablement augmenter. C'est une période délicate qui s'ouvre pour l'économie française car ces entreprises ne trouvent pas toujours de repreneurs et, lorsqu'elles en trouvent, ceux-ci peuvent être tentés d'opérer des économies d'échelle en opérant des fusions voire de réduire la masse salariale en délocalisant. A la perte de ces emplois directs s'ajoute alors celle des emplois indirects, créant un cercle vicieux de dévitalisation de nos territoires que certaines de nos régions ne connaissent déjà que trop bien.

Favoriser et fluidifier la transmission devient donc un défi économique autant qu'un enjeu pour l'aménagement de nos territoires . Il est grand temps de couvrir l'ensemble du champ de la transmission, en n'oubliant aucune de nos entreprises, qu'elles soient TPE, PME ou ETI, qu'elles soient agricoles, artisanales ou industrielles.

2. Les six maux de la transmission en France

Après cinq mois de travaux comprenant l'audition de quatre-vingts personnes et capitalisant sur les visites de terrain de la Délégation sénatoriale, vos rapporteurs ont identifié principalement six obstacles auxquels font face acteurs publics et privés en matière de transmission d'entreprise en France :

1) Une difficulté à obtenir des statistiques fiables

2) Une information insuffisante tant pour les cédants que pour les repreneurs potentiels

3) Un manque cruel de préparation dans le processus de transmission des entreprises

4) Des difficultés de financement persistantes

5) Un cadre fiscal et économique inadapté

6) Une reprise interne par les salariés insuffisamment accompagnée pour être pleinement efficace.

3. Connaître et affiner les données statistiques et économiques de la transmission au niveau de chaque territoire

Depuis 2006, l'INSEE ne comptabilise plus le nombre de transmissions, laissant libre cours à des chiffres aussi variés que variables selon les définitions, les secteurs, les années ou les territoires retenus par les chercheurs et statisticiens. Ce manque de données fiables rend difficile toute action concertée des pouvoirs publics en la matière, ceux-ci se contentant à présent d'un vague « consensus » chiffrant à 60 000 le nombre de transmissions d'entreprises par an, sans autre réelle précision. Il est dès lors indispensable de se donner les moyens d'une politique ambitieuse en disposant de données non seulement fiables mais également affinées au niveau de chaque territoire , l'enjeu de la transmission étant intimement lié à la survie de PME et d'ETI faisant vivre plusieurs bassins de vie dans nos territoires.

II. Anticiper, accompagner, financer : Trois étapes-clés pour une reprise réussie

1. Favoriser l'anticipation

Le manque d'anticipation des entrepreneurs français explique une grande partie des échecs de transmission en France. Ce constat, partagé par l'ensemble des personnes auditionnées, nécessite une meilleure prise de conscience des pouvoirs publics : l'anticipation doit pouvoir être favorisée par tout moyen en créant des dispositifs d'incitation adaptés .

2. Mieux informer, mieux accompagner

La reprise d'entreprise est insuffisamment mise en valeur tant dans les cursus universitaires et professionnalisant que dans les publications universitaires économiques.

Les actions de communication initiées récemment restent relativement parisiennes ou réservées aux capitales régionales, alors même que l'essentiel des TPE-PME-ETI susceptibles d'être fermées faute de repreneurs se trouvent éloignées des centres de formation et d'information. Enfin, les organismes d'information et de conseil existants coordonnent insuffisamment leur action avec le réseau « Transmettre et Reprendre », encore trop peu connu localement, et « l'Agence France Entrepreneur» dont le rôle d'animateur et de coordinateur national doit être renforcé. C'est en coordonnant des actions et en les rapprochant du terrain, dans l'ensemble de nos territoires, que la promotion de la transmission sera la plus efficace.

3. Moderniser et dynamiser le financement de la transmission

Malgré un récent -et relatif- desserrement du crédit en France, avec des taux historiquement bas, l'accès au financement reste un frein indéniable à la transmission en France, notamment dans les milieux ruraux.

Prenant désormais plusieurs formes, le financement de la reprise doit pouvoir être mieux accompagné, notamment fiscalement, en facilitant l'étalement dans le temps du coût de la reprise et en prenant mieux en compte les besoins d'investissement des jeunes repreneurs. L'objectif est d'éviter que des reprises n'échouent pour de simples questions de financement alors qu'un étalement de l'impôt dû ou des facilités de crédit pourraient être dynamisés sans pour autant représenter un surcoût excessif pour l'État. Le crédit-vendeur en particulier, insuffisamment utilisé, doit être développé car il a l'avantage d'être un outil d'anticipation pour le cédant et de financement pour le repreneur, gages d'une transmission réussie.

III. Simplifier, moderniser et sécuriser pour une meilleure transmission d'entreprise dans nos territoires

1. Simplifier et moderniser le cadre fiscal et économique

La fiscalité de la transmission reste largement inadaptée en France en comparaison des pratiques de nos voisins européens . Elle est également le fruit d'un malentendu entre les services de l'administration des finances publiques et les entrepreneurs sur le terrain qui insistent pour une prise en compte globale du coût de la transmission : droits de mutation certes, mais également ISF et cotisations sociales qui influent sur les choix du cédant comme du repreneur. Transmettre son entreprise apparaît bien trop souvent, selon les mots des entrepreneurs rencontrés, comme « un véritable parcours du combattant ». Favoriser une meilleure reprise des entreprises en France, c'est donc avant tout simplifier, moderniser et sécuriser son cadre fiscal et économique . Il est ainsi nécessaire de libérer la transmission en offrant aux entrepreneurs une fiscalité adaptée à leurs besoins et de favoriser ainsi le maintien de nos entreprises dans nos territoires.

Le pacte « Dutreil » doit être modernisé en ce sens en offrant la possibilité d'une exonération fiscale plus élevée en contrepartie d'un engagement plus long de détention des parts. L'ISF a régulièrement été cité comme un impôt pénalisant tant la fluidité que l'anticipation des reprises d'entreprises : il est nécessaire a minima de le réformer pour qu'il ne frappe plus la transmission des actifs productifs. Le système doit également être simplifié avec un taux unique pour les droits d'enregistrement, ainsi qu'une clarification de la notion de « holding animatrice » réclamée depuis longtemps par les différents professionnels de la transmission.

Enfin, les relations avec l'administration fiscale doivent être aussi bien modernisées et simplifiées en mettant en place un système d'indicateurs valorisant les bonnes pratiques sécurisantes pour les chefs d'entreprise telles que le rescrit-valeur qui doit évoluer vers un système plus accessible notamment via son anonymisation.

Le rapport ouvre également des pistes d'expérimentation territoriale pour évaluer la pertinence et l'efficacité de certains dispositifs destinés à dynamiser la reprise en milieu rural en sécurisant les différents investissements financiers nécessaires à la reprise, notamment dans le secteur agricole.

2. Conforter le soutien territorial de la transmission

Le manque de repreneurs de petites entreprises locales ainsi que d'entreprises familiales en milieu rural menace la vitalité de nos territoires. Cette réalité est bien connue des collectivités locales qui disposent d'un certain nombre d'outils pour accompagner, directement ou indirectement, la transmission ou la reprise d'entreprise afin d'en éviter la fermeture . Cette territorialisation de l'action publique en faveur des entreprises peut prendre plusieurs formes, toutes essentielles pour décliner les actions nationales en actions locales au plus proche du terrain.

Les leviers fiscaux et immobiliers des collectivités sont utilement complétés par le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) dont la logique de guichet a été récemment supprimée au bénéfice d'appels à projets dont l'efficacité en matière de reprise d'activités est réelle mais risque à l'avenir de manquer de réactivité.

3. Favoriser la reprise par les salariés

Les personnes auditionnées ont été unanimes pour saluer la reprise interne comme une des reprises les plus efficaces tant en termes de pérennité de l'entreprise qu'en termes de sauvegarde des emplois . Mais elles ont également unanimement critiqué le droit d'information préalable des salariés prévu par la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. Il est donc nécessaire de donner un nouveau souffle à la reprise salariale en remplaçant le dispositif d'information préalable des salariés par un plan d'action permettant réellement de favoriser les reprises d'entreprises par leurs salariés, à travers la formation continue, la fiscalité incitatrice et des dispositifs d'aides à la reprise.

Les 27 propositions déclinées en six actions couvrent l'ensemble du champ de la transmission . Elles conditionnent le maintien des entreprises -et donc des emplois- dans nos territoires . Cet ensemble de propositions doit pouvoir servir de feuille de route dans le cadre de la prochaine législature afin que nos territoires ne soient pas pénalisés par un carcan administratif et des règles fiscales devenues obsolètes et inadaptés. Loin des positionnements idéologiques, ces propositions sont de bons sens et font écho au travail que tentent de mener quotidiennement les élus locaux au côté des entreprises pour favoriser leur maintien sur des territoires riches et variés où elles assument une vitalité et une activité nécessaire à l'ensemble de nos concitoyens.

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