Rapport d'information n° 450 (2016-2017) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 2 mars 2017

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N° 450

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 mars 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur l' éducation et la culture au coeur de la relation France-Maroc : relever ensemble les défis contemporains ,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Joseph Castelli, Mme Anne Chain-Larché, MM. François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, M. Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Mmes Évelyne Rivollier, Marie-France de Rose, MM. Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou .

ALLOCUTIONS D'OUVERTURE

• Catherine MORIN-DESAILLY , Présidente de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

• Christian CAMBON , Président du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat

• Neila TAZI, Vice-présidente de la Chambre des conseillers et Vice-présidente du groupe d'amitié Maroc-France

• Chakib BENMOUSSA , Ambassadeur du Royaume du Maroc en France

Catherine MORIN-DESAILLY, Présidente de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Monsieur le Ministre, Monsieur l'Ambassadeur, Monsieur le Conseiller du Roi, Madame la Vice-présidente et Monsieur le Président des groupes d'amitié Maroc-France et France-Maroc, bonjour et bienvenue à tous au Sénat. Je vous accueille au nom du Président Gérard Larcher qui ne peut être présent cet après-midi. Le choix de la date du 14 février n'a pas échappé à l'attention malicieuse des services de l'ambassade du Maroc qui y voient une belle preuve de l'histoire d'amour qui unit la France et le Maroc.

Nos deux pays ont forgé, depuis des décennies, les bases d'un partenariat fort et durable. Cependant, celui-ci doit se réinventer sans cesse pour mieux relever les défis qui se présentent à nous en ce début de XXI e siècle qui connaît des bouleversements inédits : la mondialisation, la crise économique, les tensions énergétiques, les défis environnementaux, la mutation numérique, la montée des extrémismes et le terrorisme, l'enjeu de la paix. En même temps, il faut combattre l'appréhension du changement qui génère la peur voire le rejet de l'autre, le repli identitaire et de nouvelles formes de protectionnisme. Les évolutions en cours montrent à quel point nos deux continents sont plus que jamais liés. Un cadre de réflexion stratégique et d'actions communes est donc nécessaire.

Au carrefour de l'Europe et de l'Afrique, de la Méditerranée et de l'Atlantique, de la chrétienté et de l'Islam, engagé dans la voie du développement économique et social, le Maroc dispose d'un positionnement stratégique avéré. Ce pays est devenu un acteur majeur comme le prouve, encore, l'organisation de la COP 22 à Marrakech en décembre 2016.

Avant la mission qu'elle y a effectuée en avril 2015, notre commission ne s'était jamais rendue auparavant en Afrique et a fortiori au Maroc, ni dans le monde arabe. Pourtant, les étudiants marocains, de par leur nombre, constituent le plus important contingent d'étudiants étrangers accueillis en France. En outre, le Maroc représente le premier réseau d'enseignement français ainsi que le premier réseau culturel français à l'étranger. Il était donc nécessaire de dresser un bilan dans les domaines relevant de la compétence de notre commission (éducation, formation, médias et culture) et de jeter les bases d'un partenariat stratégique renouvelé pour notre jeunesse.

L'année 2015 a été très riche car elle nous a permis d'approfondir les coopérations culturelles à l'occasion de saisons croisées France-Maroc. La culture marocaine a été mise à l'honneur au Louvre avec l'exposition consacrée au Maroc médiéval, ensuite présentée au Musée Mohammed VI de Rabat, à l'Institut du monde arabe (IMA) avec une exposition permettant de découvrir la scène artistique marocaine contemporaine. Depuis, les initiatives se poursuivent. Le salon du Livre de Paris, en mars, mettra à l'honneur le Maroc, pays arabe et francophone. Après Giacometti, nous retrouverons également Picasso, dès le mois d'avril, au Musée Mohamed VI de Rabat.

Au-delà de leur réalité propre, la France et le Maroc peuvent s'enrichir de leur expérience pour faire face aux réalités du monde contemporain. De nombreux programmes communs réunissent ainsi des partenaires des deux pays dans de multiples domaines notamment en matière de formation. En France, je rencontre de nombreux Français, Marocains et Franco-Marocains très actifs avec de belles initiatives qui continuent à créer toujours plus de passerelles entre nos deux pays. Dans le prolongement des travaux effectués par notre commission, vous avez suggéré l'organisation de ce colloque quelques mois plus tard pour approfondir la réflexion.

Aussi, Monsieur l'Ambassadeur, c'est avec un grand plaisir que nous avons répondu à votre demande car le développement par l'éducation et la culture est un enjeu majeur qui doit être au coeur de la relation France-Maroc. De nombreuses interrogations de fond se posent à nous aujourd'hui. Compte tenu des évolutions démographiques en cours, comment répondre au besoin accru de formation - tant en France qu'au Maroc - de la jeunesse et développer les filières d'excellence et les filières professionnelles vers les métiers de demain ? Comment promouvoir et accompagner les nouvelles coopérations entre la France et le Maroc - je citerai, par exemple, l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès, l'Ecole Centrale de Casablanca et l'Université Internationale de Rabat ? Comment valoriser et assurer la transmission de notre patrimoine, vecteur d'attractivité et de développement durable ? Comment répondre à la soif culturelle de nos jeunes à travers une nécessaire ouverture au monde et en renforçant les projets communs ? Comment offrir, par l'éducation et la culture, une alternative à la radicalisation et à la violence ?

L'art et la culture sont des facteurs de développement, de coopération mais également d'ouverture. La destruction de vestiges historiques en Irak et en Syrie et les attentats abjects qui ont frappé le Musée National du Bardo, la salle de concert du Bataclan, la fête du 14 juillet à Nice ou Charlie Hebdo ont démontré que la culture et le patrimoine sont ciblés prioritairement par la volonté annihilatrice des fanatiques de l'Etat Islamique. Ces hauts lieux du patrimoine de l'Humanité sont le résultat du brassage des civilisations et du dialogue interculturel qu'il est nécessaire de maintenir.

Nos destins sont plus que jamais liés. Nous avons l'ardente obligation de relancer un grand projet méditerranéo-européen. Nous devons oeuvrer au rapprochement de nos deux continents pour notre jeunesse qui est, selon Victor Hugo, sénateur et poète éminent, « le sourire de l'avenir ».

Christian CAMBON, Président du Groupe d'amitié France-Maroc du Sénat

Je vous souhaite, au nom de l'ensemble des sénateurs et du Président Larcher, la bienvenue à ce colloque passionnant. Le Groupe d'amitié France-Maroc est un lieu d'échange que j'ai l'honneur de présider, à la suite de la grande Paulette Brisepierre. Je suis heureux de reprendre ce flambeau et de maintenir cet engagement car plus de 70 sénateurs et sénatrices appartiennent à ce groupe d'amitié. Au Sénat, la relation entre la France et le Maroc n'est pas un vain mot. Au-delà des échanges interparlementaires, les groupes d'amitié au sein de l'institution sont, comme l'évoquait Mme Morin-Desailly, autant de passerelles qui revêtent toutes les formes de coopération et d'initiative pour le développement économique, la culture, l'enseignement et la formation professionnelle afin de permettre aux deux peuples de parfaire leur connaissance mutuelle et de mieux agir ensemble.

Je souhaiterais profiter de votre présence, Monsieur le Ministre, pour vous exprimer, au nom de la France, la reconnaissance que nous devons vous manifester pour la coopération essentielle du Maroc en matière de sécurité. Sans l'aide et le soutien indéfectible du Maroc, la présence française dans cette région du monde ne serait pas ce qu'elle est. Les armes de la culture, de l'enseignement et de la formation doivent être au coeur de nos préoccupations à une époque où l'on confond trop souvent islam et islamisme.

Je salue la présence d'André Azoulay pour son action au sommet du Royaume et son engagement en faveur du festival d'Essaouira. Je salue également Xavier Darcos, membre de l'Académie Française, qui nous fait l'immense l'honneur d'être présent parmi nous. Le Sénat continuera d'être à vos côtés dans l'ensemble des manifestations culturelles concernant le Maroc. Enfin, je remercie l'Ambassadeur pour son rôle moteur. Je souhaite que nous ayons encore ces moments formidables de rencontre et d'amitié entre la France et le Maroc, deux pays qui ancrent leurs relations pour la paix et la fraternité dans l'Histoire et l'avenir.

Neila TAZI, Vice-présidente de la Chambre des Conseillers et Vice-présidente du Groupe d'amitié Maroc-France

Le partenariat entre la France et le Maroc est historique, stratégique et sincère. Je suis honorée de prendre la parole parmi vous, pour la première fois, en tant que Vice-présidente de la Chambre des Conseillers, productrice du festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira et Vice-présidente du Groupe d'amitié Maroc-France qui est un maillon essentiel de notre coopération.

J'espère qu'au cours des prochaines années, notre groupe sera plus actif sur le volet culturel de notre coopération car les parlements sont les lieux où s'élaborent les principaux choix politiques. Nous pourrions ensemble, aborder les spécificités régionales et les perspectives au niveau du continent africain et partager nos expériences en matière d'éducation et de culture. Les sujets qui nous réunissent aujourd'hui sont des enjeux majeurs pour notre jeunesse, notre avenir économique et notre stabilité commune.

La dynamique des réformes engagées par le Maroc nécessite une montée en puissance importante de la formation pour répondre aux enjeux de gouvernance et du développement économique et social. Nous devons mettre en place un plus grand nombre de formations en adéquation avec les filières de l'économie verte et des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et renforcer la formation en industrie dans le cadre de notre plan ambitieux d'accélération industrielle. Cependant, nous manquons d'enseignants, notamment de langue française. 36 établissements français au Maroc accueillent plus de 32 000 élèves dont 65 % de Marocains mais les frais de scolarité ne cessent d'augmenter, ce qui affecte l'égalité des chances d'accès à l'apprentissage du français. Pourtant, nos étudiants continuent toujours d'aimer la France car, parmi les 54 000 étudiants marocains présents à l'étranger, 32 000 sont installés sur le territoire français.

Pour permettre aux étudiants qui ne peuvent se délocaliser par manque de ressources d'avoir accès aux meilleures formations, les Marocains sont partis chercher les plus grands établissements français de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, il est possible d'habiter au Maroc et d'être diplômé de l'Ecole Centrale ou de l'Université Dauphine. L'Université internationale de Rabat a été pionnière dans ce domaine car elle accueille également des étudiants français. Par ailleurs, le Maroc accueille de nombreux étudiants subsahariens, renforçant ainsi le rôle stratégique du Maroc, devenu un hub pour l'Afrique et qui sera leader en matière de formation des futures élites sub-sahariennes.

Comme l'a si bien dit André Malraux, « l'art est le chemin le plus court de l'homme à l'homme ». Au regard du monde qui se dessine devant nous, la culture deviendra un enjeu essentiel, d'intérêt public.

Les Instituts français sont des lieux de référence et des partenaires privilégiés pour la jeunesse attirée par les métiers de la culture. Dans notre pays, ce secteur offre des perspectives d'emploi considérables pour notre jeunesse mais il manque de moyens et de compétences. La formation aux métiers de la culture est primordiale car les profils nécessaires font défaut. Le Maroc s'apprête à ouvrir d'importants lieux culturels, notamment des théâtres. Nous devons donc développer ces filières.

Nous assistons, depuis une quinzaine d'années, à l'émergence de nouveaux styles et courants de création contemporaine. Les artistes marocains les plus talentueux sont enfin reconnus à leur juste valeur. Ils représentent une véritable source d'inspiration pour la jeunesse des deux rives de la Méditerranée.

Nos échanges culturels et éducatifs ont connu des avancées considérables sur le plan qualitatif et quantitatif mais nous devons relever les défis du troisième millénaire. Cet objectif nécessite un dialogue plus soutenu, des structures adéquates, des programmes ciblés et l'analyse minutieuse des besoins de la jeunesse. Le lancement des travaux de la Maison des Cultures du Maroc en France par Sa Majesté le Roi et le Président François Hollande témoignent d'un grand intérêt accordé par notre souverain à la culture. Ce lieu renforcera notre connaissance mutuelle.

Je rends hommage à toutes les personnes qui oeuvrent pour le rapprochement entre le Maroc et la France ainsi qu'aux médias marocains et français. Ils portent un regard juste sur les efforts consentis par ceux qui veillent à inscrire notre pays dans la voie de la modernité. Le soutien des médias français a ainsi été capital pour l'avenir du festival Gnaoua-musiques du Monde dont nous célébrons la 27 ème édition le 29 juin. Pour ceux qui ne peuvent se déplacer, les Gnaouas se produiront le 27 mars au Bataclan car cette salle incarne une exigence de fraternité. Nous espérons vous voir nombreux assister à cette manifestation.

Chakib BENMOUSSA, Ambassadeur du Royaume du Maroc en France

En préambule, je souhaite rendre hommage au rôle d'impulsion diplomatique joué par le Sénat dans le renforcement des relations France-Maroc. Je remercie les groupes d'amitié des deux pays pour leur soutien à la relation privilégiée entre la France et le Maroc et, plus particulièrement, M. Christian Cambon pour les efforts déployés afin de renforcer ce lien.

Il nous a semblé utile de nous appuyer sur le rapport de la commission présidée par Mme Catherine Morin-Desailly pour nourrir un partenariat prometteur entre les deux pays dans les champs de la formation et de la culture. Ce partenariat, déjà très étroit, consolide le choix d'ouverture et de modernité opéré par le Maroc, comme en témoignent la révision des ouvrages pédagogiques, la place accordée à la philosophie, la généralisation des sections internationales francophones ou le rétablissement des langues étrangères, notamment le français comme langue d'enseignement dans certaines disciplines.

Ces efforts d'ancrage doivent être soutenus par des projets éducatifs, le développement de la formation technique et technologique en lien avec les opérateurs économiques ; en élargissant les programmes Erasmus au sud de la Méditerranée ; en apportant des réponses au décrochage des jeunes et en soutenant les efforts de formation des jeunes Africains dans les établissements marocains. Il convient également de préparer la jeunesse aux enjeux du numérique tout en l'aidant à lutter contre les différentes formes de radicalisation.

En même temps, le Maroc suit avec intérêt le renforcement de l'apprentissage de la langue arabe en France. Un apprentissage réussi de l'arabe, langue onusienne, réceptacle d'un savoir et d'une civilisation millénaires, aiderait au rayonnement économique et culturel de la France dans certaines régions du monde et participerait à la promotion de la francophonie. Il contribuerait également à rééquilibrer les termes de l'échange culturel.

Un récent rapport a fait état d'un délitement de la connaissance du Maghreb en France et de la nécessité d'un réinvestissement intellectuel de cette zone, en priorisant des politiques d'éducation et de culture permettant une meilleure connaissance mutuelle et de s'ouvrir aux enjeux futurs.

Le Maroc a fait le choix de la pluralité et de l'ouverture. La diversité culturelle est reconnue dans le texte de la Constitution qui stipule que l'identité nationale résulte de plusieurs composantes (arabo-musulmane, amazighe, hassani, sahraouie et hébraïque). Cette diversité est conçue par le Maroc comme une richesse pour mieux affronter le monde en tant qu'acteur qui dialogue avec les autres cultures, peut donner et recevoir tout en respectant l'autre dans sa différence, en favorisant le vivre-ensemble. Cette ouverture et cet enrichissement mutuel sont des leviers pour lutter contre les replis communautaires, la peur de l'autre et la radicalisation. Dans son discours du 20 août 2016, Sa Majesté le Roi, en tant que Commandeur des Croyants, a exhorté les Marocains du monde à être toujours en première ligne parmi les défenseurs de la paix, de la concorde et du vivre-ensemble dans leur pays de résidence respectif. Il a également appelé les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs à dresser un fonds commun pour contrecarrer le fanatisme, la haine et le repli sur soi.

Au cours des dernières années, Sa Majesté le Roi a placé la culture au coeur du développement du Maroc et a lancé de grands projets dans ce domaine. La culture participe à valoriser un patrimoine ancestral très riche et au rayonnement du Maroc. Elle suscite un grand intérêt en France comme le démontre le succès rencontré par les expositions organisées au Louvre, à l'IMA et aux Invalides ( Le Maroc à travers les âges ) qui ont fait découvrir ce Maroc pluriel. Dans quelques semaines, le Maroc sera l'invité d'honneur du Salon du Livre de Paris sur le thème « Le Maroc à livre ouvert » afin de célébrer les auteurs marocains écrivant en arabe, en français, en amazighe ou en hébreu. Un programme extrêmement riche est prévu au niveau du pavillon marocain. Je vous invite à venir le visiter et à participer aux concerts qui seront organisés en parallèle de ce salon, notamment le concert « les religions à l'Unisson » de l'Orchestre Philharmonique du Maroc qui se tiendra à l'église de Saint-Germain-des-Prés le 17 mars.

Cet esprit de promotion culturelle sera également très présent au centre culturel du Maroc qui ouvrira ses portes en 2018 à Paris. Au Maroc, de nombreuses manifestations culturelles sont organisées, notamment un événement sur l'art et les cultures contemporaines de l'Afrique, du 28 mars au 28 avril. Cette dynamique doit être soutenue car, dans ce contexte de crise et de repli, la culture est ce supplément d'âme, plus que jamais nécessaire, pour émanciper les jeunes et les former à la citoyenneté. Il s'agit, en outre, d'une filière économique, créatrice d'emplois.

EDUQUER ET FORMER : PRÉPARER NOTRE JEUNESSE AU MONDE DE DEMAIN

TABLE RONDE 1 - « EDUQUER ET FORMER : PRÉPARER NOTRE JEUNESSE AU MONDE DE DEMAIN »

Président et modérateur

• Jean-Pierre MILELLI, A djoint au Directeur de France 24 pour la chaine arabophone

Intervenants

• Jean-Christophe DEBERRE, Directeur général de la Mission laïque française-OSUI (par vidéo )

• Ouidad TEBBAA, ancienne Doyenne de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech et titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie à Marrakech

• Noureddine MOUADDIB , Directeur de l'Université Internationale de Rabat

• Mostapha BOUSMINA, Président de l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès

• Jean-Michel BLANQUER , Directeur général de l'ESSEC, ancien Directeur général de l'enseignement scolaire

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Jean-Pierre MILELLI, Adjoint au Directeur de France 24 pour la chaîne arabophone

Bienvenue à cet après-midi de réflexion. Je suis chargé de la chaîne arabophone de France 24 qui est suivie au Maroc. Une partie des journalistes est marocaine. Cette chaîne permet de faire connaître le dynamisme culturel et la réflexion philosophique et artistique en cours dans le monde arabe. Avant d'exercer cette fonction, j'ai passé cinq ans au Maroc en tant que directeur d'un centre chargé de l'enseignement de l'arabe dans les établissements français.

Le millefeuille linguistique marocain est un des aspects de la culture particulière de ce pays et l'un des enjeux de la formation. Le Maroc est arabophone, amazighe, francophone, anglophone et hispanophone. Il existe une émulation entre ces langues dans l'enseignement supérieur, avec un flux et un reflux d'une arabisation qui a été parfois problématique et un retour du français. L'information, la formation et la culture sont trois éléments indissociables. C'est la raison pour laquelle, le rapport de la commission de la culture contient un chapitre sur la formation des journalistes et le rôle de la presse au Maroc.

Jean-Christophe DEBERRE, Directeur général de la Mission laïque française-OSUI (par vidéo)

En 2017, trois grandes pistes méritent d'être explorées :

? la formation des cadres et des enseignants, indispensable à la réussite de toute réforme ;

? l'évaluation, car l'amélioration du système de formation nécessite une mobilisation de tous les acteurs sur des indicateurs simples et efficaces permettant d'interroger leurs pratiques ;

? les formations de techniciens supérieurs pour répondre à un besoin urgent du Maroc qui a présenté récemment sa Vision 2030 pour le développement industriel. Elles peuvent déboucher sur des formations plus longues susceptibles d'intéresser des filières jugées prioritaires : le développement durable, les énergies renouvelables, et l'informatique au service du renouvellement des processus de production industrielle.

Ces pistes correspondent à un intérêt commun pour une politique en faveur des jeunes et de leur insertion et au besoin historique d'un resserrement des liens en matière d'éducation.

Ouidad TEBBAA, ancienne Doyenne de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech et titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie à Marrakech

Je vous remercie pour cette invitation. C'est avec beaucoup d'émotion que je précède dans la parole les présidents d'universités qui incarnent le fleuron de l'enseignement supérieur au Maroc. J'incarne, pour ma part, l'université publique avec sa massification et les défis considérables qu'elle rencontre. Issue d'un milieu traditionnel modeste de Marrakech, je suis un produit de l'école française. La francophonie n'est donc pas un vain mot pour moi. C'est une façon de vivre et d'appréhender le monde. La majeure partie des étudiants de l'Université de Marrakech sont issus de milieux extrêmement modestes, ruraux et péri-urbains où la notion de francophonie est inaccessible et représente un indicateur social, ce qu'il m'est très difficile d'accepter compte tenu de mon parcours.

La francophonie, si convoitée au Maroc, représente un enjeu majeur de professionnalisation mais constitue également une alternative à la radicalisation qui est le péril le plus grave. Quand l'étudiant est polyglotte et francophone, il a déjà un regard porté vers l'ailleurs, la France et les valeurs qu'elle incarne.

La France est engagée avec le Maroc dans un partenariat extrêmement fructueux depuis des années. Nous avons besoin de vous pour réfléchir aux actions à mener pour les sciences humaines et sociales et les langues au niveau de l'enseignement supérieur. Des filières d'excellence existent dans ce domaine mais elles sont si rares. Or leur taux d'insertion professionnelle est impressionnant.

Au niveau de la recherche, des dispositifs existent mais ils sont à l'état embryonnaire. Nous avons la chance de disposer d'un centre Jacques Berque à Rabat qui est très actif. Nous avons besoin qu'il s'intéresse à l'Université Qarawiyine, entrée dans le giron, depuis peu, du Ministère de l'Enseignement Supérieur. Nous avons besoin de partenariats innovants et atypiques. L'IRD (Institut de Recherche pour le Développement) dispose de laboratoires mixtes internationaux en sciences humaines et sociales. Des expatriations de chercheurs français de renom sont également à l'oeuvre dans nos facultés mais elles se réduisent à vue d'oeil. Son Excellence M. l'Ambassadeur et Mme la Présidente de la commission ont évoqué, avec beaucoup de force, le thème de la radicalisation, de l'Islam et la question du genre au Maroc. Ces questions essentielles sont portées dans ces laboratoires. Nous avons besoin de les promouvoir.

Jean-Pierre MILLELI, adjoint au Directeur de France 24 pour la chaîne arabophone

Je vous remercie d'avoir fait allusion au rôle particulier de la France dans la recherche en sciences sociales. Ce rôle n'est parfois pas aussi important que nous le souhaiterions. Il y a ainsi plus d'arabisants français qui se consacrent à l'étude des sociétés proche-orientales qu'aux sociétés maghrébines. Cette lacune porte préjudice à la connaissance fine de la société marocaine.

Noureddine MOUADDIB, Directeur de l'Université Internationale de Rabat

Je souhaiterais rendre hommage aux universités publiques marocaines qui réalisent un travail colossal mais sont confrontées à un problème important de massification depuis 2010. Le projet d'université internationale de Rabat a été initié en 2004 et a vu le jour en 2010. Au début des années 2000, nous nous sommes interrogés avec des collègues de la diaspora maghrébine et africaine sur l'absence d'universités de rang mondial dans nos pays. En outre, nous avons constaté que le nombre de jeunes issus de milieux défavorisés, qui poursuivaient leurs études en Europe et notamment en France, ne cessait de diminuer. Nous nous sommes donc lancés comme défi de déplacer les diplômes et les formations dispensées en France au Maroc afin de les rapprocher de ces jeunes par souci d'équité. 20 % des étudiants devaient ainsi bénéficier de bourses sur des critères sociaux et d'excellence. Actuellement, le taux d'étudiants boursiers s'établit à 30 % pour un effectif de 2 800 étudiants. A leur entrée, ils disposent de deux cartes d'étudiant, celle de l'université internationale de Rabat et celle de l'établissement partenaire. Ils obtiennent ainsi un double diplôme, marocain et européen.

Ce projet est enrichissant pour nos partenaires car il leur permet de se développer à l'international sans investissement particulier et favorise la mobilité des étudiants dans les deux sens. En parallèle, la R&D devait être développée. Aujourd'hui, dans le cadre de partenariats avec des laboratoires français, l'Université internationale de Rabat dispose de trois laboratoires de recherche dans les domaines suivants : sciences humaines et sociales et sciences politiques, matériaux et énergies, big data et cyber-sécurité. Un open-lab avec le Groupe PSA a également été mis en place en partenariat avec l'Institut national des sciences appliquées (INSA) et l'université Euro-Méditerranéenne. Une dynamique s'est donc créée.

Actuellement, le tiers des brevets déposés par l'Etat marocain à l'international provient de l'Université internationale de Rabat. Par ailleurs, les contrats de recherche avec nos partenaires nous ont permis d'accéder à des financements européens et de leur faire bénéficier de financements locaux ou américains dans le cadre d'appels à projets. En revanche, nous avons besoin d'un accompagnement avec des moyens financiers. Il est également nécessaire d'améliorer la formation des enseignants-chercheurs marocains. Un projet d'école de formation des formateurs est donc à l'étude avec nos partenaires.

Mostapha BOUSMINA, Président de l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès

Cette université régionale a été labellisée par l'Union pour la Méditerranée avec l'appui des 43 pays membres. Elle émane de l'initiative de Sa Majesté le Roi qui souhaitait construire une plateforme de dialogue interculturel, d'échange et de coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Ce projet est d'autant plus justifié au regard du repli identitaire et de la prolifération des idéologies extrémistes, isolationnistes et xénophobes que nous observons actuellement. La coopération Maroc-France représente un axe privilégié. Le premier partenariat a ainsi été réalisé avec l'INSA.

Au lieu de former des experts dans différents domaines, nous avons conçu un socle commun de formation basé sur sept piliers :

? le multilinguisme ;

? des cours d'histoire, de civilisation et de philosophie pour que les étudiants puissent s'identifier au patrimoine commun méditerranéen et acquérir une immunité intellectuelle contre les idéologies de radicalisation et de rejet de l'autre ;

? des cours de communication, innovation et entrepreneuriat délivrés par des intervenants issus des milieux socio-économiques ;

? une utilisation massive des Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ;

? une mobilité obligatoire de 18 mois minimum pour s'enrichir au contact des autres cultures ;

? une implication sociale obligatoire des étudiants dans l'espace euro-méditerranéen (réalisation de projets sociaux) ;

? des cours spécialisés en développement durable tout au long de la formation.

Ces différents piliers constituent l'ADN de cette université ; ils permettront de former des étudiants capables d'appréhender les enjeux et la complexité de notre région dans une logique de co-construction et de développement commun des deux rives de la Méditerranée.

Jean-Michel BLANQUER, Directeur général de l'ESSEC, ancien Directeur général de l'enseignement scolaire au Ministère de l'éducation nationale

Les étudiants marocains ont, pendant longtemps, constitué la communauté étrangère la plus importante de l'ESSEC. Cette présence prépondérante perdure, même si la proportion d'étudiants chinois et indiens ne cesse de croître. Nous en sommes très fiers. L'ESSEC a une identité très forte et forme ses étudiants à devenir de grands acteurs de la vie économique. Cette école diffuse également, depuis 1907, ses valeurs auprès des étudiants, notamment son engagement pour la société.

Lorsque nous avons décidé de mettre en place une stratégie internationale multipolaire, il y a trois ans, nous avons choisi le Maroc comme lieu d'implantation en Afrique compte tenu du succès de sa politique pour devenir un hub pour l'Afrique de l'Ouest. Pour l'instant, l'ESSEC, qui ne dispose pas encore de locaux, est hébergée par l'Université Internationale de Rabat.

Un investisseur immobilier marocain (EL DOHA) se développe dans le nouveau quartier situé à proximité de l'université. L'ESSEC y installera donc son campus et proposera les diplômes qu'elle maîtrise le mieux (Bachelor) ainsi que des masters en études urbaines et dans d'autres domaines d'expertise de l'école qui représentent autant de défis pour l'Afrique (entreprenariat, management de l'éducation, de la santé et des infrastructures).

Nous élaborons des projets en matière de formation continue avec des entreprises marocaines, africaines et françaises. Nous serons également à l'écoute des enjeux de société au Maroc. Je remercie les deux ambassades pour leur soutien à notre projet. Le campus de l'ESSEC à Rabat sera inauguré le 21 avril et ouvrira à la rentrée prochaine.

I. - Retour d'expérience

Jean-Louis BILLOËT, Président du groupe INSA

Pendant des années, j'ai entendu de nombreuses personnes dire que le Maroc avait besoin de la France. C'est dorénavant l'inverse. Nous devons donc réinventer notre relation avec le Maroc, le Maghreb et l'Afrique. Je remercie le Ministre de l'éducation, Lahcen Daoudi, et la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso pour leur action afin d'inscrire l'INSA au coeur de l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès. Nous avons repensé intégralement ce premier Institut Euro-Méditerranée de Technologie afin de lancer un concept novateur qui ne peut être dupliqué en France. Dans le cadre de ce projet, nous avons su réunir un certain nombre de partenaires mais nous devons encore progresser en nous posant des questions fondamentales. Quel ingénieur, demain, pourra participer au développement de l'espace euro-méditerranéen ? La première promotion marocaine de l'INSA, il y a deux ans, a accueilli 50 % de femmes alors qu'en France leur proportion n'est que de 32 %.

Sur le plan culturel, nous avons fait découvrir la médina de Fès à certains étudiants fassis qui ne l'avaient jamais visitée. Ces jeunes ont donc réfléchi à leur histoire et, plus largement, à celle de l'espace euro-méditerranéen.

Enfin, des moyens doivent être alloués à ces projets novateurs. Les financeurs qui jugent la durée de mise en place de tels projets trop longue doivent accepter de prendre des risques. L'INSA a mis trente ans pour atteindre son positionnement actuel. Il est donc important de laisser le temps nécessaire à ces projets d'envergure pour qu'ils puissent réussir, sinon nous céderons le terrain à l'obscurantisme et à tous ceux qui prônent le repli sur soi.

II. Synthèse et mise en perspective

Marianne de BRUNHOFF, Déléguée aux relations européennes et internationales et à la coopération du Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Nos deux pays ont des ambitions communes portées au sein d'instances de dialogue partagées. Le Maroc et la France agissent ensemble au sein des mêmes instances internationales (UNESCO, Organisation internationale de la Francophonie, CONFEMED) pour préparer notre jeunesse au monde de demain.

Nos deux pays sont engagés, chacun au niveau national, dans un processus de réforme et d'adaptation de leur système éducatif et universitaire aux évolutions du monde afin de donner les moyens à notre jeunesse de répondre aux défis à venir. La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République du 8 juillet 2013 a fixé un cadre permettant d'assurer la réussite de tous les élèves dans une logique d'école inclusive, en travaillant sur un nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

La réforme du collège de 2016 s'appuie sur l'ensemble de ces orientations. L'apprentissage des langues vivantes et des cultures associées constitue un axe fort. L'enjeu de cette réforme est de former des citoyens ouverts sur le monde qui les entoure, la culture, les arts et le monde économique. Nous sommes entrés dans l'ère du numérique. Ce formidable outil d'accès au savoir fait donc l'objet d'un plan développé au niveau de notre système scolaire. Concernant l'enseignement et la recherche, nous sommes engagés dans une réforme majeure pour favoriser l'employabilité et l'insertion professionnelle des jeunes. C'est notamment l'objectif de la réforme des universités qui permet leur regroupement en Communauté d'universités et établissements (COMUE) afin de mieux former les étudiants.

Le Maroc est également engagé dans une vaste réforme éducative visant à ouvrir et améliorer la scolarité pour le plus grand nombre. Au niveau de l'enseignement supérieur marocain, la France a à coeur d'accompagner, sur le territoire marocain, la structuration d'une offre de formation adaptée aux évolutions socio-économiques du pays. La coopération franco-marocaine se caractérise par l'extrême diversité de ses champs, la multiplicité de ses acteurs, une longue tradition d'échange et une collaboration scientifique intense, notamment au travers du Partenariat Hubert Curien (PHC). Il permet aux deux pays de soutenir ensemble la formation d'une centaine de doctorants ainsi que 280 mobilités de chercheurs chaque année.

Quelles perspectives s'ouvrent à nous aujourd'hui ? Nous sommes confrontés à de nouveaux défis :

? mieux orienter et guider les diplômés de l'enseignement supérieur français qui souhaitent contribuer au développement des secteurs économiques porteurs au Maroc, en favorisant leur mise en relation avec les entreprises qui investissent dans ce pays ;

? contribuer au développement d'une offre de formation d'excellence en renforçant le réseau d'établissements d'enseignement supérieur présents au Maroc et ayant de forts liens avec la France ; en soutenant le dispositif de classes préparatoires aux grandes écoles qui a permis à 800 Marocains d'être admis dans une grande école française en 2016 ; en développant une offre de formation de techniciens et techniciens supérieurs au service des entreprises ;

? favoriser l'accès au savoir du plus grand nombre depuis le pays de résidence en travaillant sur la numérisation de nos systèmes de formation. À cet égard, la création de la plateforme Maroc Université Numérique en partenariat avec France Université Numérique (FUN) offre de belles perspectives en matière de co-construction de formations pour les étudiants de demain.

Nous espérons que nos coopérations contribueront à la mise en oeuvre de la stratégie d'éducation de l'Union Africaine pour 2015-2025. Enfin, nous travaillons étroitement ensemble afin de développer une offre de langues diversifiée. L'enseignement de l'arabe en France et du français au Maroc repose sur différents dispositifs que nous avons à coeur de faire évoluer afin qu'ils correspondent aux attentes de nos jeunes. La maîtrise de plusieurs langues, comme vous l'avez rappelé, est gage d'ouverture culturelle, de meilleure compréhension du monde et d'attachement à nos valeurs de liberté des deux côtés de la Méditerranée.

Rachid BENMOKHTAR, Ministre de l'éducation nationale et de la formation professionnelle

Je félicite les acteurs présents pour les projets et actions menés. Le Maroc est engagé dans une réforme ambitieuse qui visent à remédier aux carences de notre système d'éducation que nous critiquons très fortement. Pour la première fois, cette critique ne s'est pas arrêtée au diagnostic mais a fait l'objet d'une analyse approfondie sur le terrain et au niveau institutionnel. Une enquête sur le terrain, menée auprès de 70 000 enseignants, de parents et d'autres acteurs, a permis d'identifier les principaux axes d'amélioration à court et moyen terme et de définir des mesures prioritaires en réponse aux préoccupations exprimées. Plus de 92 % des 103 000 acteurs sur le terrain ont validé nos propositions. S'agissant des mesures à prendre sur le long terme, le Conseil supérieur a réfléchi à des objectifs en matière d'éducation à l'horizon 2015-2030.

Parallèlement, j'ai engagé avec l'Académie marocaine des Sciences et Techniques, une réflexion sur l'avenir de l'éducation. Celle-ci repose sur cinq socles :

? l'appartenance : un jeune Marocain doit se situer par rapport à son origine, son pays, le monde où il vit et son univers pour qu'il puisse comprendre les défis actuels de notre planète et les autres cultures ;

? la science : l'enfant doit acquérir le savoir avec des approches différentes qui utilisent les NTIC de manière naturelle. Il est également nécessaire d'introduire la recherche plus en amont du parcours scolaire et pas uniquement au niveau de l'enseignement supérieur ;

? le capital social : celui-ci doit être développé en fonction de la culture du pays et s'inscrire dans une logique de groupe afin que ce collectif devienne un agent de développement. L'école actuelle produit l'effet inverse car en s'adressant aux élèves individuellement, elle les empêche de travailler collectivement ;

? l'individu : il doit prendre conscience de son être, de sa responsabilité et apprendre à gérer sa santé et ses relations avec les autres ;

? le développement humain, économique et durable.

La réforme comporte 22 projets dont 16 purement éducatifs et 6 visant le rapprochement de la formation avec le monde de l'entreprise.

La langue française devient obligatoire à partir de la première année de l'enseignement primaire et la langue anglaise à partir de la 4 ème année. L'enseignement au collège et au lycée sera bilingue arabe-français. Les élèves auront la possibilité de choisir une autre langue en plus de l'anglais au niveau de l'enseignement secondaire. L'amazighe deviendra également obligatoire à partir de l'enseignement primaire.

Pour le français, nous avons lancé le programme « apprendre autrement » qui intègre le primaire, le collège et le secondaire. Les premières évaluations des établissements pilotes sont très encourageantes. Il sera généralisé à l'ensemble des écoles à partir de 2017. Par ailleurs, les centres d'épanouissement reçoivent les élèves de différentes écoles et organisent des ateliers en arts plastiques, histoire, théâtre, musique, langues étrangères, communication et design animés par des professionnels de ces secteurs. Ces centres en cours de création sont présents dans l'ensemble des académies. L'Institut français participe également à ce projet.

La qualité de l'enseignement est une dimension très importante. S'agissant des sciences, l'enseignement des mathématiques au niveau du primaire et du collège a fait l'objet d'une révision. Celle-ci sera menée ultérieurement pour le lycée. La méthode d'apprentissage par l'erreur a ainsi été développée afin de dynamiser le corps enseignant. Par ailleurs, une coopération très forte avec l'Agence française de développement (AFD) est prévue dans les instituts de formation aux métiers de l'industrie (automobile, énergies renouvelables). De nouveaux enseignements ont été introduits notamment l'Histoire de la Méditerranée.

Table ronde 1

III. Echange avec la salle

> Mohammed AMRAOUI, Président de l'association des Ingénieurs AIEM-Europe

Déploie-t-on les efforts nécessaires en matière de formation continue, de partenariat entre les universités et les entreprises et de réinsertion des jeunes par la formation ?

Noureddine MOUADDIB, Directeur de l'Université Internationale de Rabat

Plusieurs universités réalisent un travail colossal en matière de formation continue. L'offre proposée est de plus en plus riche. La problématique de la réorientation des jeunes chômeurs soulève la question du financement. Au Maroc, nous comptabilisons 150 000 diplômés par année pour 100 000 emplois créés. Le développement de l'entreprenariat est donc nécessaire .

> Fouzia BENYOUB, journaliste bilingue arabe-français

Nous avons entendu le cri du coeur lancé par Mme Ouidad Tebaa en faveur de la culture, de la recherche au sein de l'université publique et du renforcement du partenariat franco-marocain.

Comment répondre au défi de l'enseignement supérieur public compte tenu des besoins financiers ? Faut-il augmenter les budgets, établir un partenariat public-privé ou inciter les capitaux marocains à investir davantage dans l'éducation, la formation universitaire et la culture ?

Mostapha BOUSMINA, Président de l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès

Les spécialistes estiment que 30 à 50 % des métiers de demain seront différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui compte tenu de l'essor du numérique. Les jeunes doivent donc être des créateurs de richesse au travers d'emplois valorisants. Peugeot dispose de 120 000 employés dans le monde pour une capitalisation boursière de 12 milliards d'euros par an. WhatsApp emploie 55 personnes alors que sa capitalisation boursière annuelle est de 17 milliards d'euros. Le modèle de formation proposé à nos étudiants doit donc faire l'objet d'une révision. Enfin, nous souhaitons former des citoyens à même de développer la région euro-méditerranéenne avec son prolongement africain car la population d'Afrique s'établira à 2 milliards en 2030. Il s'agit donc d'un marché colossal. En outre le taux de croissance moyen dans les pays du continent africain est de 5 % contre 1,5 % au maximum en Europe.

Ouidad TEBBAA, ancienne Doyenne de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech et titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie à Marrakech

Le programme d'urgence de 2010-2012 a alloué des moyens considérables aux universités mais nous avons besoin d'ouverture, d'enthousiasme et d'innovation. Au plus haut sommet de l'État, Sa Majesté le Roi a voulu porter la vision d'un Maroc polyglotte. C'est cette politique qui s'incarne à travers le discours de notre ministre.

Noureddine MOUADDIB, Directeur de l'Université Internationale de Rabat

Il ne s'agit effectivement pas d'un problème de moyens mais d'ambition. En outre, la question de la formation de l'enseignant-chercheur représente une réelle problématique.

Jean-Pierre MILELLI, Adjoint au directeur de France 24 pour la chaîne arabophone

Il faut oeuvrer à consolider la réflexion sur l'esprit critique et l'ouverture à la diversité pour que cette révolution numérique ne menace pas le vivre-ensemble en renforçant les préjugés et le fanatisme.

> Abdelghani IDRISSI, Professeur à l'Université de Rouen

Des réflexions sont-elles menées pour que les universités publiques puissent construire leur propre stratégie ?

Noureddine MOUADDIB, Directeur de l'Université Internationale de Rabat

La loi prévoit l'autonomie des universités mais l'application de cette dernière rencontre des difficultés. Par conséquent, la question du statut de l'université se pose. Une migration vers une fondation publique pourrait notamment être envisagée pour une plus grande souplesse de fonctionnement.

Mostapha BOUSMINA, Président de l'Université Euro-Méditerranéenne de Fès

Notre université est une fondation. Notre conseil d'administration ne dispose pas de pourvoyeurs de fonds mais regroupe des experts reconnus pour leurs qualités académiques, politiques ou socio-économiques. Dans les textes, l'université dispose d'une autonomie mais elle ne parvient pas à la mettre en place, notamment sur le plan administratif.

INTERMÈDE ARTISTIQUE

PRÉSENTATION D'UNE OEUVRE DE KARIM JAAFAR, CALLIGRAPHE

Catherine MORIN-DESAILLY , Présidente de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Karim Jaafar associe la calligraphie arabe à l'art figuratif. Il a donc introduit la calligraphie dans l'art contemporain. À l'occasion d'une joute oratoire sur les trois religions monothéistes dans le cadre des Fêtes de Jeanne d'Arc de Rouen en 2007, il a réalisé une oeuvre très représentative du dialogue interculturel.

Karim JAAFAR, calligraphe

Cette oeuvre fait partie d'une série de tableaux sur les trois religions monothéistes. L'archevêque de la cathédrale de Rouen m'a demandé de réaliser une calligraphie pour illustrer un débat interreligieux sur le thème « Juifs, Chrétiens, Musulmans ont-ils le même Dieu ? ». Étant un calligraphe particulier, qui mélange l'image et l'écriture, j'ai souhaité, dans un premier temps, travailler sur une calligraphie autour des trois lieux de culte. J'ai abandonné cette idée pour réfléchir à une autre calligraphie sur les symboles des trois religions : la croix, l'étoile et la lune. J'ai donc invité un ami juif, un ami chrétien et un ami musulman dans mon atelier pour réfléchir à un projet de calligraphie. Or ces derniers se battaient pour que leur personnage occupe la place centrale car chacun pensait détenir la vérité. J'ai donc réalisé seul, à partir d'un bateau, une calligraphie qui signifie « la prière et le recueillement réduisent la différence ». Une fois mon tableau achevé, j'ai lâché mon qalam et j'ai laissé le bateau partir. Un soleil est apparu et a pris la forme d'un visage qui représente la quatrième personne, l'Autre, le Sage qui conduit le bateau. A la vue de ce soleil, j'ai songé à ma devise qui m'a toujours accompagné depuis que j'ai quitté le Maroc à l'âge de douze ans : « l'espoir est la lumière de la vie ».

Table ronde 2

Crédit photo : ambassade du Maroc

MISER SUR L'ART ET LA CULTURE, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT, DE COOPÉRATION ET UVERTURE

TABLE RONDE 2 - « MISER SUR L'ART ET LA CULTURE, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT, DE COOPÉRATION ET D'OUVERTURE »

Présidente et modératrice

• Neila TAZI , Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Intervenants

• Bariza KHIARI, Présidente de l'Institut des cultures d'islam, Vice-Présidente du groupe d'amitié France-Maroc au Sénat

• Mathilde MONNIER, Directrice du Centre national de la danse
(par vidéo)

• Frédéric MARAGNANI, Metteur en scène et Directeur de la Compagnie Travaux Publics

• Younes AJARRAI, Commissaire général du pavillon du Maroc du Salon du Livre de Paris

• Farid BENSAÏD, fondateur de l'Orchestre philharmonique du Maroc

• Alain WEBER, Directeur artistique du festival des musiques sacrées du Monde de Fès (intervention vidéo)

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Bariza KHIARI, Présidente de l'Institut des cultures d'islam, Vice-Présidente du groupe d'amitié France-Maroc du Sénat

L'Institut des cultures d'islam (ICI) est un établissement culturel situé à Paris, pionnier, car il est en cours de duplication sur le territoire français. Cet institut, qui vise à promouvoir les cultures d'islam, du Maroc à l'Indonésie, est ambitieux car il propose deux saisons culturelles par an autour d'une exposition d'art contemporain. Il dispense également des formations en arabe, berbère, en calligraphie et en musique arabo-andalouse. Cet établissement est très complexe compte tenu du domaine d'intervention. Or dans le contexte actuel, il est nécessaire d'apporter de la connaissance pour lutter contre les préjugés et le repli sur soi. Il est donc important de donner à nos compatriotes une idée sur les cultures d'Islam et de sensibiliser les Français de culture musulmane aux figures tutélaires de cette civilisation ainsi qu'à ses concordances avec d'autres cultures. Ainsi, le séminaire d'initiation aux trois religions monothéistes connaît un vif succès.

La thématique de la prochaine saison culturelle de l'ICI « Rock en Casbah » porte sur la musique dans les cultures d'islam. Certains professent l'idée que la musique serait interdite en Islam. Cette controverse théologique sur la musique au sein de l'Islam est ancienne. Qui est à l'origine de cette idéologie obscurantiste qui s'étend également aux oeuvres artistiques ? Les Talibans, les terroristes de l'Aqmi et les assassins de Daech. Cette idéologie mortifère sur la musique est également à l'origine de l'attentat contre la salle de concert du Bataclan et la discothèque d'Istanbul. La culture est au coeur du conflit qui déchire le monde musulman car elle représente la voie de l'émancipation qui mène vers l'altérité. La saison culturelle à venir s'intéressera donc à cet écart prodigieux entre la prohibition et la vitalité des productions musicales dans les cultures d'Islam comme facteur de libération.

L'ICI projettera un film d'Ahmed Menouni sur Nass El Ghiwan, groupe créé en 1974 par des jeunes issus d'un quartier défavorisé de Casablanca et devenu mythique grâce à l'association de textes très contemporains avec des modes musicaux sacrés en Islam (transe). Nous organisons également une conférence autour de la figure de Fatima Fihriyya, née à Fès et qui a vécu au IX e siècle. Elle a consacré une grande partie de sa fortune à l'édification de la première université pluridisciplinaire dans le monde - la fondation Qarawiyine - qui est toujours en activité.

Les artistes sont les vigies de notre monde en pleine tourmente. Leurs oeuvres peuvent déranger mais permettent à nos sociétés de se regarder et d'imaginer le futur en fraternité.

Mathilde MONNIER, Chorégraphe (par vidéo)

On observe une véritable effervescence de la danse contemporaine au Maroc. Vincent Melilli, directeur de l'Institut français de Marrakech, est l'instigateur de ce mouvement qui remonte à une dizaine d'années en invitant de nombreux artistes européens, en mettant en place des cycles de formation et en fédérant les écoles de la ville de Marrakech autour de la danse contemporaine. Cette dynamique, extrêmement vive et structurée notamment dans le cadre du Festival « On marche », créé il y a onze ans par deux artistes marocains formés au Maroc et en France, repose sur un échange entre les deux pays.

Frédéric MARAGNANI, Metteur en scène et directeur de la Compagnie Travaux Publics

Le spectacle GaliléE qui sera représenté du 22 au 25 février au Tarmac (scène internationale francophone) est un exemple très concret du métissage des langues et des cultures. Il est joué en français et en dialecte marocain (darija) car l'équipe est franco-marocaine. Ce projet est une commande de l'Institut français du Maroc et plus particulièrement de son directeur Pierre Raynaud. Je ne parle pas l'arabe mais dans le cadre de mon travail artistique, je me suis toujours intéressé aux sonorités et aux langues. Dans le spectacle, adapté de la pièce de Bertold Brecht, le rôle de Galilée est interprété par une grande actrice, Bouthaïna El Fekkak, qui a débuté sa carrière à Rabat. Nous avons donc réinventé l'histoire. GaliléE est une belle jeune femme de 35 ans qui se bat contre une société d'hommes. Le spectacle n'est pas sous-titré car le sens global du texte est largement compréhensible par tous les publics.

Younes AJARRAÏ, Commissaire général du pavillon du Maroc du Salon du Livre de Paris

Le Maroc et la France entretiennent une relation très particulière et inégale. La première inégalité, source de richesse pour les Marocains, est leur connaissance de votre langue, de vos philosophes et de votre cinématographie. En France, peu de gens s'intéressent réellement à ce qui se passe au Maroc, à l'exception de quelques spécialistes. L'Histoire explique en majeure partie, cette relation inégale mais elle doit néanmoins faire l'objet d'une réflexion.

La thématique retenue pour le Salon du Livre est « le Maroc à livre ouvert ». Cette recherche d'ouverture, en cours au Maroc depuis presque deux décennies, a entièrement changé l'image de ce pays. Or la seule question qui m'a été posée par la presse française a été la suivante : pourquoi la littérature carcérale ne fait-elle pas partie de la programmation ? Ce regard relève du préjugé qui reste attaché au Maroc.

Nous avons en partage de nombreux auteurs, artistes, intellectuels et cadres de haut niveau qui portent haut et fort nos valeurs communes. Dans cette relation bilatérale, la France bénéficie d'un avantage considérable car elle dispose de centaines de milliers d'ambassadeurs qui peuvent créer un pont entre les deux pays. Il faut véritablement s'orienter vers un changement de paradigme dans cette relation qui passe par un certain nombre d'hommes et de femmes, notamment des personnes issues de l'immigration ou des Français installés au Maroc.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Farid Bensaïd est un violoniste et un brillant homme d'affaires qui dirige une holding composée de vingt sociétés. Il préside également la fondation TENOR qui abrite cinq grands projets dont celui de l'Orchestre Philharmonique composé de 80 musiciens professionnels. Cet Orchestre qui vient de célébrer son vingtième anniversaire a interprété 592 oeuvres, organisé 17 concours internationaux et 4 tournées à l'étranger. Farid Bensaïd a également créé deux écoles de musique et de danse à Casablanca et Rabat qui accueillent près de 1 000 enfants chaque année ainsi que le programme socio-culturel MAZAYA qui offre une formation professionnelle à des jeunes enfants de 8 à 14 ans issus de milieux défavorisées et en situation de déscolarisation.

Farid BENSAÏD , fondateur de l'Orchestre Philharmonique du Maroc

L'Orchestre Philarmonique du Maroc a oeuvré au changement du statut du musicien. La construction d'un grand opéra à Rabat et Casablanca est la récompense du travail mené conjointement durant vingt ans avec Neila Tazi dans le cadre du festival Gnaoua-musiques du monde. Dès la création de cet orchestre, des échanges ont eu lieu avec la France. La coopération est donc très importante pour remédier au manque de financements. Enfin, il faut miser sur l'art comme facteur d'ouverture. L'Orchestre Philarmonique du Maghreb a ainsi été créé. Au lendemain des attentats de Paris, il a joué une oeuvre sacrée « le Requiem de Verdi », en janvier 2016, dans l'église Saint-Eustache des Halles. Cependant, cette manifestation a été peu médiatisée. Je vous invite à assister dans l'église Saint-Germain des Prés au concert « Les Trois religions à l'Unisson » porté par des musiciens des trois confessions qui diffusent un message de tolérance. Enfin, l'Orchestre Philharmonique du Maroc a été reconnu d'utilité publique. Il s'agit de la plus belle récompense qui vient couronner un travail de vingt ans.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Cet orchestre est une fierté pour nous, Marocains. La somme du savoir double tous les sept ans. Cette évolution rapide montre l'ampleur du défi qui attend les étudiants à l'issue de leur cursus.

Alain WEBER, Directeur du festival des musiques sacrées de Fès (par vidéo)

Le festival international des musiques sacrées de Fès, créé en 1974, est important au Maroc et dans le monde arabe. Pour la première fois, un pays de culture arabe et de tradition musulmane organisait un festival qui représentait un lieu de rencontre de toutes les croyances. Le mélange de cette culture francophone arabisante et amazighe donne une ouverture extraordinaire sur le monde. Le public marocain a su, à la fois, prendre conscience de son héritage musical traditionnel et s'ouvrir à des traditions culturelles occidentales et françaises. La prochaine édition du festival, du 12 au 20 mai, sera consacrée au thème de l'eau qui est omniprésent dans toutes les religions monothéistes et fait écho aux enjeux du développement durable.

I. Retours d'expérience

Pierre RAYNAUD, ancien Directeur de l'Institut français de Marrakech

J'ai eu deux expériences très différentes au Maroc. A Meknès et Fès, j'étais un Français qui faisait de la coopération pour le compte de la France. Nous avons lancé de beaux projets, notamment une « cantate pour un coeur bleu » avec Jean-Louis Trintignant, dans le cadre du Festival des Musiques Sacrées. À Marrakech, nous avons ouvert la maison Denise Masson, en mémoire à la célèbre islamologue, pour favoriser le dialogue entre nos deux cultures. Si les Français sont présents pour vendre des cours dans les Instituts, ils n'ont plus vocation à donner des leçons. Je partage donc le point de vue exprimé par Youness Ajarraï. Nous devons porter un regard empathique sur le pays avec lequel nous travaillons et nous inscrire dans un rapport d'égalité. A Marrakech, en mettant l'institut au service des Marocains, la coopération est devenue plus enrichissante et a irrigué l'ensemble des secteurs. Le Maroc sait recevoir l'héritage français et le faire fructifier. Je crois que cette coopération culturelle et cet amour parfois incompris et un peu urticant entre nos deux pays, comme dans toute histoire d'amour, sont passionnants et durables.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, Directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

Mahi Binebine a exposé ses peintures dans les galeries les plus prestigieuses du monde. Il a publié dix romans traduits dans plusieurs langues dont « Les Etoiles de Sidi Moumen », adapté au cinéma par Nabil Ayouch. Cet ouvrage retrace l'histoire des jeunes de ce quartier défavorisé de Casablanca qui ont commis les attentats du 16 mai 2003 au Maroc où 45 personnes ont péri. Depuis cet événement, Mahi Binebine est fortement engagé dans un centre culturel situé au coeur du bidonville de Sidi Moumen.

Mahi BINEBINE, Artiste, peintre et romancier

Le 16 mai 2003, nous pensions que nous étions immunisés contre le terrorisme. Or les 14 jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ont commis ces actes étaient issus de notre pays. Je me suis donc intéressé à leur quartier d'origine. Celui-ci est en réalité une ville car il compte 300 000 habitants qui vivent dans une véritable déchetterie avec des égouts éventrés. Dans cette affaire, l'Etat m'a semblé responsable en laissant vivre des personnes dans des conditions aussi effroyables. Une mafia pseudo-religieuse s'est installée dans cette décharge pour instrumentaliser les jeunes qui ne sont que des victimes. Compte tenu du succès du roman et du film « Les chevaux de Dieu » de Nabil Ayouch, nous avons décidé de réinvestir les sommes gagnées dans un centre culturel à Sidi Moumen. Actuellement le centre fonctionne de façon autonome avec des financements. Un partenariat a été noué avec l'Institut français, l'Institut Goethe et l'Institut Cervantès pour les cours de langue qui y sont dispensés. Le centre qui accueille 1000 jeunes dispose d'une salle de cinéma, d'une médiathèque, d'une salle de danse et de musique, d'une cafétéria et d'un jardin où chaque enfant a planté un arbre qui porte son nom. Un centre a ouvert à Tanger et un autre centre verra le jour à Fès.

Emilie DELORME, Académie du Festival d'Aix

Chaque été, nous accueillons presque 300 jeunes (artistes, créateurs) issus de 45 pays dans le cadre d'une coopération euro-méditerranéenne. L'Orchestre des Jeunes de la Méditerranée a accueilli deux musiciens marocains grâce au partenariat avec l'Orchestre Philharmonique du Maroc. Le réseau Medinae regroupe des partenaires autour de la Méditerranée et travaille sur les musiques improvisées. Plusieurs groupes de musiciens sont nés de ce réseau notamment « Zyriab et nous », autour de la chanteuse marocaine Aber El Abed, qui revisite l'héritage arabo-andalou. Nous nous intéressons également aux grands textes de la littérature arabe avec un opéra réalisé à Aix-en-Provence autour de l'oeuvre « Kalila Wa Dimna » d'Ibn Al Muqaffa, qui sera présenté au Maroc le 23 mars pour l'ouverture du festival de Casablanca. Des pistes de réflexion sont proposées pour encourager la coopération culturelle franco-marocaine :

? la constitution d'un fonds de coopération artistique géré par les deux pays ;

? le soutien à la formation des acteurs culturels et aux métiers techniques de la culture ;

? l'obtention de visas de longue durée pour les artistes afin de mettre en place des coopérations sur le long terme ;

? l'ouverture des programmes européens aux pays voisins comme le Maroc.

II. Echange avec la salle

Yassir BOUSSELAM, Violoncelliste et doctorant en ethno-musicologie

Quelle est la place accordée à la création et à la créativité au sein de l'Orchestre Philarmonique du Maroc et dans le cadre du festival Gnaoua ?

Farid BENSAID, fondateur de l'Orchestre Philharmonique du Maroc

La vocation d'un orchestre philarmonique est de produire des oeuvres de musique classique. Cependant, nous travaillons sur des fusions pour permettre la rencontre de genres musicaux différents mais ce type d'opération reste marginal. Un grand orchestre se doit d'accorder une place à la création d'oeuvres, ce que nous avons fait avec le grand compositeur Ahmed Sayyad, mais ces projets sont coûteux car ils nécessitent l'achat de plusieurs centaines d'heures de travail.

Neila TAZI, Vice-Présidente de la Chambre des Conseillers, directrice-productrice du Festival Gnaoua-musiques du monde d'Essaouira

La question de la création est au coeur du festival Gnaoua-musiques du monde. Depuis vingt ans, nous tentons de maintenir ce festival et de le développer. Cependant, pour améliorer le concept de ce festival qui s'appuie sur la fusion des musiques et rehausser le niveau artistique, nous avons besoin d'étendre la durée des résidences d'artistes.

Rachid BELMOKHTAR, Ministre de l'éducation nationale et de la formation professionnelle

Le centre culturel de Sidi Moumen réalise un travail formidable que nous apprécions beaucoup. Le livre et le film nous ont fait découvrir ce quartier. Nous nous y sommes rendus ; le quartier de Sidi Moumen a beaucoup changé. Le projet de lycée le plus significatif qui sera lancé dans le cadre de nos réformes sera basé dans ce quartier. Nous nous sommes inspirés d'un projet initié à New-York par la société IBM dans un quartier marqué par le trafic de drogue et la criminalité. Ce lycée a pour ambition de conduire les jeunes vers l'enseignement supérieur. Le projet qui sera mis en place avec IBM débutera avec 60 jeunes déscolarisés, l'objectif étant fixé à 300. Un deuxième lycée sera ouvert à Khourigba avec le soutien d'OCP Group et un troisième à El Jadida en partenariat avec Al Tijari Wafa Bank. Grâce aux associations telles que le centre culturel des Etoiles de Sidi Moumen, nous pouvons réaliser des actions de cette envergure.

III. Synthèse et mise en perspective

Bruno FOUCHER, Président de l'Institut français

La culture est un sujet majeur et sérieux. Le monde change vite. Il est porteur de progrès et d'espoir mais des vents mauvais soufflent. Or la culture est le meilleur des antidotes pour éviter le repli identitaire et l'intolérance. Ce sujet est donc parfaitement d'actualité dans ce monde où l'on voit naître des mouvements inquiétants.

Contrairement à une idée reçue, la culture ne va pas de soi. S'il manque des structures et des publics, les artistes ne peuvent se produire et la culture tourne à vide. L'Institut français dispose d'un petit budget pour remplir ses missions. Les politiques publiques sont donc nécessaires pour faire fonctionner la culture. Le Maroc est le réseau le plus important de l'Institut français et reste une de nos grandes priorités en matière de coopération culturelle.

Les talents n'émergent pas seuls. Il faut donc les mettre au contact de professionnels de la culture issus de différents pays afin de développer un vivier de créateurs. Par ailleurs, les structures sont essentielles. Un modèle doit être inventé pour former des générations de managers de lieux culturels qui jouent un rôle fondamental dans la promotion des artistes.

Le délitement de la connaissance du Maghreb en France, évoqué par M. l'Ambassadeur, est un sujet qui nous préoccupe. Nous rencontrons le même problème dans le cadre du couple franco-allemand. Les éditeurs des deux pays ne se parlent plus. Les traductions se font donc de plus en plus rares. Or les guerres naissent toujours d'imperceptibles impolitesses, comme le soulignait un des personnages de « La Guerre de Troie n'aura pas lieu » de Jean Giraudoux.

Il est donc nécessaire de former les publics en faisant circuler les artistes. En France, le passeport « compétences et talents » permet aux artistes de s'installer durablement dans un pays où ils peuvent construire leurs oeuvres et les enrichir. Des temps forts peuvent être créés entre deux pays. Le jumelage de festivals est également envisageable. Il faut s'appuyer, en outre, sur les étudiants qui circulent entre les deux rives de la Méditerranée.

Par ailleurs, il ne faut pas hésiter à confronter les points de vue. L'Institut français a ainsi organisé « La Nuit des Idées » le 26 janvier dernier. 200 000 personnes dans le monde ont participé à une centaine de Nuits des Idées dont trois au Maroc autour du thème « un monde commun ». Enfin, le Maroc est un grand pays francophone. Or la langue est un vecteur d'échanges entre les deux rives de la Méditerranée. Il faut, par conséquent, continuer à oeuvrer pour une politique éducative de qualité afin de préserver ces échanges entre toutes les générations marocaines et françaises.

CONCLUSION GÉNÉRALE

André AZOULAY, Conseiller de Sa Majesté le Roi

Je souhaiterais vous faire part de ma fierté et de mon bonheur d'être marocain après avoir revisité ce Maroc avec chacun d'entre vous dans un discours empreint de lucidité et de détermination. Si nous n'avions pas su résister à cette culture du repli qui envahit nos rivages, je n'aurais pas osé exprimer cette fierté. Compte tenu des menaces qui pèsent sur le monde que nous laisserons à nos enfants, je souhaite porter ce témoignage car il provient d'un espace qui est celui de l'Islam. Cet Islam est trop souvent mis en scène, commenté, analysé, ostracisé et stigmatisé. Dans l'espace qui est le mien car je ne suis pas musulman mais marocain, je suis âgé d'un peu plus de 3 000 ans car je suis porteur d'une grande histoire. Dans le cadre de cette histoire, mon pays a fait le choix singulier, pas toujours compris, d'additionner toutes les civilisations qui l'ont enrichi et les cultures qui l'ont façonné. Il y a six ans, les Marocains ont adopté une Constitution, la seule au monde qui indique, dans son préambule, que le Maroc d'aujourd'hui a été modelé par la grande civilisation amazighe, la civilisation juive, la grande civilisation arabo-musulmane, l'Andalousie et notre africanité. Nous n'avons rien laissé sur le bord de la route car, pour la plupart d'entre nous, nous l'avons voulu. Il s'agit d'une réalité que nous devons rappeler, à chaque occasion, face à cette tendance générale à l'amnésie.

La ville d'Essaouira-Mogador a été oubliée après avoir connu une destinée formidable. Après avoir eu le privilège d'être nommé conseiller de Sa Majesté le Roi en 1991, j'ai pensé, en premier lieu, à ma ville. Nous avons donc entrepris une expérience exceptionnelle en réalisant un métissage des valeurs et cultures afin de l'aider à renaître. Aujourd'hui, Essaouira est probablement l'une des villes du Maroc qui accueille le plus de festivals. En 1991, cette ville comptait 6 hôtels. A présent, ils sont au nombre de 300. Il y a 25 ans, la majeure partie des Marocains ne s'était jamais rendue à Essaouira.

Nous avons réalisé ce chemin grâce à la culture. La culture est belle sous toutes ses facettes et ne peut être comprise uniquement dans sa seule dimension esthétique et émotionnelle. La culture permet d'être très exigeant et d'apporter des réponses que la politique n'est pas en mesure de donner. A Essaouira, la musique a été le premier signal de la liberté, de l'altérité, de la diversité et de l'universalité. Grâce à cette expérience, le Maroc et Essaouira sont devenus une sorte de navire amiral de l'art de tous les possibles et incarnent un espace de résistance pour tous ceux qui tournent le dos à la modernité alors que l'ensemble de la gouvernance mondiale ne peut apporter de réponses aux défis inimaginables auxquels nous sommes confrontés notamment après les drames contemporains que nous avons vécus, en l'occurrence le nazisme.

Dans cette avalanche de tragédies que nous lisons chaque jour, gardez en mémoire, lorsqu'on vous parle du monde arabe et de la civilisation musulmane, l'exemple du Maroc pour vous mobiliser et dissiper ces vents mauvais. Tout ce qui a été dit aujourd'hui est le fruit de la vision de Sa Majesté le Roi dans un consensus national dont il faut prendre la juste mesure et dans le cadre d'une mobilisation de notre société civile qui me réconforte et me donne toutes les raisons d'espérer.

Xavier DARCOS, Membre de l'Académie française, ancien Ministre de l'éducation nationale

Vous avez raison de dire qu'il faut concevoir la culture comme l'antidote à tous les malheurs du monde d'aujourd'hui. Le Maroc qui a su être accueillant envers ses diverses composantes culturelles a échappé au sort de ses voisins. Au Maroc, ce qui m'a frappé lors des dîners, c'est qu'on ne se couche pas car on ne cesse de discuter et d'échanger sur le fonctionnement de nos deux pays. Cette conscience formidable de la dialectique est la conscience de l'altérité. Avec quel pays pourrions-nous organiser ce type de colloque et entendre ce niveau de maîtrise de la langue française, cette subtilité dans l'expression et cette connaissance fine des dispositifs du monde éducatif et des exigences de la société moderne en matière de formation ?

La progression très rapide des connaissances représente un véritable défi comme l'a souligné Mme Tazi. L'idée que nous pourrions, chacun de notre côté, construire notre propre système est aujourd'hui irrecevable. La connaissance et le savoir sont aujourd'hui universels. Nous sommes donc condamnés à cette entente dans le domaine de la formation. Tout cela n'est rien sans le partage, par les individus, d'un humanisme et d'une conception de l'Homme.

Le Maroc est tourné vers la Méditerranée et adossé à cet immense continent africain. Les élites sub-sahariennes ont besoin de ce lieu de passage et de se confronter à cette limite qu'est le sud de la méditerranée. Les intellectuels, les journalistes et les jeunes artistes du continent africain se sont donnés pour mission de s'approprier leur patrimoine culturel et religieux pour la transformer en instrument de dialogue avec des cultures différentes. Au-delà de ce face-à-face amoureux en matière de savoir et de culture, nous avons tout intérêt à ce que le Maroc et l'Europe restent fortement liés car ils représentent un lieu de médiation entre deux mondes qui pourraient, sans cela, s'affronter.

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