B. ... TOUT EN ASSURANT LA FLUIDITÉ DU TRAFIC ET EN ANTICIPANT L'ACCROISSEMENT DES FLUX

Si, face à la menace terroriste, les impératifs de sécurité sont dans l'ensemble bien compris par chacun, ils représentent toutefois un défi aux points de passage frontaliers tant en termes de fluidité du trafic à l'heure où celui-ci connaît une croissance forte, qu'en termes d'acceptabilité par les usagers des transports.

Cet enjeu de la fluidité du trafic en dépit des contrôles est au coeur des préoccupations des gestionnaires des plateformes ferroviaires, portuaires et aéroportuaires, comme cela a pu être exposé à votre commission d'enquête lors de ses déplacements aussi bien à Calais qu'à Roissy. Pour prendre l'exemple de ce dernier, alors que 66 millions de passagers ont transité par l'aéroport francilien en 2016, soit 176 000 passagers chaque jour, voyageant par 165 compagnies, 75 millions de passagers sont attendus en 2025 et 100 millions en 2030, selon les prévisions du groupe Aéroports de Paris (ADP). Les querelles de chiffres au sujet des files d'attente liées aux contrôles aux frontières entre le groupe ADP et les services de l'État apparaissent ainsi récurrentes, la préoccupation d'ADP en la matière s'inscrivant dans une démarche de qualité de service rendu aux usagers, dans un contexte de concurrence mondiale entre les plateformes aéroportuaires. La question de l'organisation spatiale des contrôles et de leur ordonnancement - à Roissy, les postes d'inspection filtrage des passagers et des bagages cabines, tenus par les opérateurs privés et établis après l'enregistrement des passagers, sont situés avant les contrôles aux frontières, contrairement à l'organisation retenue dans d'autres aéroports - est ainsi d'importance. Les mêmes préoccupations ont été exprimées au port de Calais.

Face à l'accroissement du trafic dans un contexte à la fois de rigueur budgétaire, limitant l'augmentation des effectifs policiers, et de renforcement des contrôles pour l'ensemble des passagers, y compris les ressortissants communautaires, la police aux frontières préconise l'automatisation du contrôle des personnes.

1. Accroître le recours aux systèmes automatisés de contrôle des personnes afin de fluidifier le contrôle aux frontières et d'optimiser les moyens humains disponibles

Seul le recours aux systèmes automatisés de contrôle des personnes paraît en effet être en mesure de résoudre cette délicate équation en permettant d'optimiser les moyens humains disponibles.

De tels dispositifs sont déjà utilisés par la police aux frontières française : il s'agit du dispositif « Passage automatisé rapide aux frontières extérieures » (PARAFE) .

LE DISPOSITIF « PASSAGE AUTOMATISÉ RAPIDE AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES » (PARAFE)

Lors de son déplacement à Roissy, la délégation de votre commission d'enquête a assisté à une démonstration du dispositif « Passage automatisé rapide aux frontières extérieures » (PARAFE).

Pour utiliser ce dispositif, les passagers doivent se présenter à l'entrée des sas automatiques, situés à côté des aubettes permettant le contrôle traditionnel effectué par les fonctionnaires de la PAF. Dans un premier temps, le passager introduit son passeport dans une borne dotée d'un lecteur optique de bande MRZ à l'entrée du sas.

Un sas PARAFE

Source : Safran identity and security.

Après lecture des données, la porte du sas s'ouvre. Le passager pénètre alors dans le sas et pose son doigt sur un capteur. Le contrôle biométrique est effectué. Si l'authentification est positive, la porte de sortie du sas s'ouvre. Dans l'hypothèse où la consultation d'une base de données (SIS, SLTD d'Interpol, FPR) s'est révélée positive, le dispositif émet une alerte à l'attention du superviseur et le sas se ferme automatiquement.

Source : Direction centrale de la police aux frontières.

Sur la période 2015-2016, une augmentation de plus de 50 % du trafic dans les sas PARAFE a été enregistrée. À l'aéroport de Roissy, les sas PARAFE traitent en moyenne 35 000 passagers par semaine.

Autorisé par un décret de 2007 161 ( * ) et opérationnel depuis 2009, ce dispositif présente plusieurs avantages :

- pour l'usager d'abord, il permet de réduire le temps d'attente au contrôle dans la mesure où des files de passage frontière y sont dédiées et que le temps de passage moyen par le sas est évalué à 15 à 20 secondes ;

- pour la police aux frontières ensuite , un « superviseur PARAFE », qui n'intervient qu'en cas de refus de passage par l'automate ou de doute sur le comportement d'un passager, pouvant superviser 5 sas automatisés, le nombre de fonctionnaires nécessaire est réduit de 5 à 3 dans la mesure où PARAFE requiert tout de même des agents en « seconde ligne ».

Le parc actuel compte 44 sas PARAFE : 31 à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, 5 à l'aéroport de Paris-Orly, 4 à celui de Marseille-Provence et 4 à la gare de Saint-Pancras, à Londres, où la PAF dispose de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés 162 ( * ) . La Direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l'intérieur a indiqué à votre commission d'enquête que 20 sas PARAFE seront installés en 2017 à l'aéroport Lyon-Saint-Exupéry.

L'utilisation de ces sas connaît cependant des restrictions de deux ordres :

- juridiquement , ne peuvent l'utiliser que les citoyens majeurs de l'Union européenne, de l'Espace économique européen et de la Confédération suisse, leurs conjoints ainsi que les ressortissants d'un pays tiers disposant d'une carte de séjour française de membre de famille d'un citoyen de l'Union ou « vie privée et familiale » ou d'une carte de résident ;

- techniquement , seuls les personnes s'étant préalablement enrôlées dans le programme et les détenteurs de passeports biométriques français peuvent y accéder car le dispositif repose sur la lecture des empreintes digitales ; or la police aux frontières n'a accès à ces données contenues dans la partie la plus sécurisée de la puce des passeports biométriques que pour les seuls ressortissants français - non pour l'ensemble des ressortissants communautaires.

L'ACCÈS LIMITÉ AUX DONNÉES BIOMÉTRIQUES CONTENUES DANS LES PUCES DES TITRES SÉCURISÉS

Comme l'expliquaient nos collègues François Bonhomme et Jean-Yves Leconte dans leur rapport d'information consacré à la biométrie 163 ( * ) , les autorités françaises ne peuvent pas accéder aux empreintes digitales des titres sécurisés délivrés par les autres États de l'espace Schengen.

Les puces de ces titres comprennent plusieurs « couches » :

- une qualifiée de « BAC » ( basic access control ) contenant les informations relatives à l'identité du voyageur (nom, prénoms, date de naissance notamment) et sa photographie. Ces données sont accessibles à l'ensemble des États membres ;

- une désignée sous le terme de « EAC » ( extended access control ) qui comprend les empreintes digitales du voyageur. Son accès est beaucoup plus restreint dans la mesure où il est protégé par un haut niveau de cryptographie.

Un règlement de 2004 164 ( * ) organise les conditions dans lesquelles les États peuvent s'échanger les informations contenues dans cette seconde couche. Il s'agit, concrètement, de communiquer aux autres pays des certificats de sécurité.

La Commission européenne a développé, pour ce faire, le programme d'échange « SPOC » ( single point of contact ). Toutefois, à ce stade, ce dispositif n'est toujours pas effectif et ce pour plusieurs raisons.

Les États ont d'abord tardé à s'y investir. Constatant que la date limite de mise en oeuvre du SPOC, le 20 mai 2012, n'avait pas été respectée, la Commission a, par exemple, saisi la France, le 13 mars 2013, avant de la mettre officiellement en demeure en janvier 2014.

Le déploiement du SPOC soulève également des difficultés techniques importantes. Des problèmes d'interopérabilité ont ainsi été constatés lors des phases d'expérimentation, la phase de test de janvier 2015 menée par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) avec la République tchèque, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie et la Roumanie n'ayant pas donné satisfaction. Cette interopérabilité est d'autant plus compliquée à assurer que les États membres modifient leurs certificats de sécurité plusieurs fois par an dans une logique de sécurisation des titres 165 ( * ) .

Lors du déplacement à Roissy, il a été indiqué à la délégation de votre commission d'enquête qu'à l'instigation de l'Allemagne et de la France, cette démarche devait être relancée. Elle devrait impliquer en 2017 la République tchèque, l'Italie, la Roumanie et la Confédération helvétique, puis les Pays-Bas, l'Espagne et la Belgique, selon leur degré d'avancement dans l'expérimentation.

En effet, comme le soulignait la Direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur en réponse aux questions de votre rapporteur, « les autorités françaises sont attachées à ce que l'identification par les empreintes digitales soit systématiquement retenue, soit comme une alternative autorisée à la reconnaissance faciale, soit en combinaison avec une autre biométrie, soit en exclusivité. Considérant les évolutions rapides et toujours plus sophistiquées de fraude sur les documents d'identité, notamment de la photographie falsifiable par morphing , cette vérification biométrique est essentielle . »

Il en résulte qu'aujourd'hui seulement 5 % des passagers sont éligibles à ce dispositif.

C'est pourquoi, dans le cadre du programme « Frontières intelligentes » de l'Union européenne, la police aux frontières expérimente jusqu'au mois d'avril 2017 des sas PARAFE dit « de deuxième génération » mettant en oeuvre la technique biométrique de la reconnaissance faciale : la photographie prise par l'automate est comparée avec celle figurant dans la puce et sur la page du passeport. Ce nouveau dispositif devrait permettre des passages en 10 secondes. 40 % des passagers, à savoir les bénéficiaires de la libre circulation détenteurs de passeports biométriques, pourraient ainsi y être éligibles, ce qui permettrait d'absorber une hausse du trafic de 3 % par an à court terme, à effectifs constants.

Une extension aux ressortissants de pays tiers, non bénéficiaires de la libre circulation, n'est en effet pas immédiatement envisageable. S'il est possible d'interfacer PARAFE avec les systèmes VIS et VISABIO, leur contrôle implique également une vérification des justificatifs relatifs à l'objet et aux conditions du séjour, ainsi que des moyens de subsistance, qui ne saurait être automatisée.

Le groupe ADP espérant un gain important de ce dispositif, il finance l'acquisition de 87 de ces sas PARAFE « de deuxième génération », dont 45 devraient être déployés avant l'été 2017. Dans un premier temps, ces sas ne pourront mettre en oeuvre que la reconnaissance digitale, l'objectif étant de passer rapidement à la reconnaissance faciale, d'ici le 1 er juillet 2018 - voire fin 2017 selon le souhait d'ADP -, après autorisation du ministère de l'intérieur. ADP souhaiterait également l'extension du dispositif à certains mineurs.

LE SAS PARAFE DE « SECONDE GÉNÉRATION », À RECONNAISSANCE FACIALE

Source : Commission d'enquête.

Convaincue que la réponse à l'enjeu du renforcement des contrôles dans un contexte de rigueur budgétaire et d'accroissement des flux réside effectivement dans l'automatisation de ces contrôles , votre commission d'enquête recommande que les sas PARAFE de nouvelle génération soient mis en service le plus rapidement possible.

À moyen terme, votre commission d'enquête estime également intéressant d'ouvrir ce dispositif aux ressortissants de pays tiers en y ajoutant un capteur multi-doigts pour consulter les bases VIS et VISABIO avant de les diriger vers une aubette où seront vérifiés par un garde-frontière les seuls justificatifs liés aux conditions de leur séjour.

Cela rendrait d'autant plus nécessaire d'anticiper la mise en place du système d'entrée/sortie (EES) en prévoyant dès à présent l'interfaçage des sas PARAFE avec ce nouveau système.

Propositions relatives au dispositif PARAFE :

mettre rapidement en service les sas PARAFE de seconde génération, à biométrie de reconnaissance faciale (proposition n° 12)

envisager à moyen terme l'ouverture du dispositif PARAFE aux ressortissants de pays tiers (proposition n° 13)

anticiper la mise en place du système d'entrée / sortie (EES) en prévoyant l'interfaçage des sas PARAFE avec ce nouveau système (proposition n° 14)

Poursuivant le même objectif de fluidification des contrôles, ADP et les services de l'État rencontrés à l'aéroport de Roissy ont mis en avant un autre projet participant de la « digitalisation » du parcours passager : le « pré-check ». Ce dispositif permettrait de scanner le passeport en amont du passage à la frontière, d'interroger les bases des données dans l'intervalle et ainsi d'accélérer le passage de la frontière lui-même.

Votre commission d'enquête approuve toute démarche visant à accélérer les contrôles à condition que cela ne conduise pas à amoindrir l'acuité de ceux-ci et qu'ils soient opérés dans le respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel. Il convient donc de bien distinguer ce qui relève des démarches commerciales des dispositifs réglementaires mettant en jeu la souveraineté de l'État. Sous ces réserves, votre commission encourage le développement de ce projet de « pré-check ».

Proposition n° 15 : développer le « pré-check » permettant d'accélérer le passage de la frontière en procédant en amont au scan des documents de voyage et à la consultation des bases de données pertinentes

2. Tirer les conséquences budgétaires de l'évolution des flux et des contrôles

Au lendemain des attaques du 13 novembre 2015, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures a nécessité le redéploiement d'un grand nombre d'agents de la police, des douanes et de la gendarmerie, dont une partie demeure mobilisée sur ces missions. Lors des déplacements sur le terrain, votre commission d'enquête a pu constater que ces redéploiements ont conduit à réduire les moyens alloués à d'autres missions - par exemple à la lutte contre la grande fraude douanière s'agissant des douaniers ou à la sécurité routière s'agissant des gendarmes.

Depuis lors, la police aux frontières et les douanes ont vu leurs effectifs renforcés dans le cadre de différents plans - plan de lutte anti-terroriste, pacte de sécurité et plan de lutte contre l'immigration - à hauteur respectivement de 390 et de 1 000 emplois entre 2015 et 2017. Du point de vue de ces deux administrations, si ces effectifs supplémentaires permettent de répondre aux besoins aux frontières intérieures, ils semblent insuffisants pour faire face à l'accroissement des missions de contrôle aux frontières extérieures à moyen terme.

À cet égard, deux facteurs doivent être pris en compte et anticipés :

- d'une part, l'augmentation des flux de voyageurs , et en particulier de passagers aériens, déjà évoquée précédemment ;

- d'autre part, l'entrée en vigueur de l'article 8-2 révisé du code frontières Schengen et, à l'horizon 2020, du système d'enregistrement des franchissements à l'entrée et à la sortie (EES), qui conduiront à une augmentation du nombre de voyageurs à contrôler aux frontières extérieures.

La politique d'automatisation et de modernisation des contrôles aux frontières - acquisition de nouveaux sas PARAFE, achat de tablettes Néo connectées, etc. - ainsi que le développement des systèmes d'information et de leur interopérabilité nécessiteront également des investissements importants de l'État à court et moyen termes - même si ces derniers ont vocation à améliorer l'efficience des contrôles et à réduire les besoins en effectifs.

Enfin, le projet de refonte complète de la partie nationale du SIS II 166 ( * ) , essentiel au bon fonctionnement de Schengen en France, doit constituer une priorité sur le plan budgétaire pour les années à venir.

Proposition n° 16 : adapter les moyens humains et financiers dévolus au contrôle et à la surveillance des frontières à l'évolution du trafic des passagers et aux nouvelles mesures de renforcement des contrôles aux frontières extérieures


* 161 Décret n° 2007-1182 du 3 août 2007 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à des passagers des aéroports français franchissant les frontières extérieures des États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.

* 162 À la suite de la construction du lien fixe transmanche (le tunnel sous la Manche), la France et le Royaume-Uni ont signé des accords bilatéraux de coopération en matière de contrôle des frontières. En vertu du protocole de Sangatte, signé le 25 novembre 1991 et du protocole additionnel du 29 mai 2000, les agents de l'État d'arrivée sont autorisés à exercer des contrôles sur le territoire de l'État de départ dans des bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) ; ainsi, les autorités des deux pays s'assurent successivement que les personnes peuvent quitter le territoire d'un État et qu'elles disposent des documents requis et remplissent les conditions pour être autorisées à entrer dans l'autre État.

* 163 Biométrie : mettre la technologie au service des citoyens, rapport d'information de MM. François Bonhomme et Jean-Yves Leconte, fait au nom de la commission des lois (n° 788 ; 2015-2016).

* 164 Règlement (CE) n° 2252/2004 du Conseil du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres

* 165 Le certificat de sécurité des passeports français est par exemple modifié tous les trois mois.

* 166 Cf . IV, C ci-dessous.

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