AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Créée le 16 novembre 2016 à l'initiative du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) du Sénat 1 ( * ) , la mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France a débuté ses travaux au mois de décembre dernier. La nécessité pour la représentation nationale de se saisir de cette question résulte des insuffisances constatées dans le domaine de la détection et de la prise en charge des troubles mentaux des enfants et adolescents, ainsi que des jeunes adultes. La mission d'information s'est donc intéressée à l'articulation des rôles entre les différents acteurs qui interviennent en la matière, professionnels de santé mais aussi professionnels des champs social et médico-social, de l'éducation nationale et de la justice, patients et familles. Elle s'est également penchée sur l'organisation territoriale des prises en charge, sur la recherche en pédopsychiatrie et sur la diffusion de ses apports.

A cette fin, elle a conduit vingt-six auditions et réalisé deux déplacements , l'un dans la région Provence-Alpes-Côtes-d'Azur et l'autre dans les Hauts-de-France. Au cours de ses travaux, elle a ainsi pu échanger avec une centaine de personnes .

La mission d'information a souhaité dépasser les polémiques dont a pâti la pédopsychiatrie ces dernières années. Son objectif est de réunir le plus largement possible décideurs et acteurs autour de propositions concrètes susceptibles de rassembler au-delà des appartenances politiques et des positions idéologiques. Elle a ainsi formulé 52 propositions dont certaines fixent des orientations politiques générales et d'autres définissent des pistes d'évolution précises pour améliorer l'accompagnement des mineurs souffrant de troubles psychiatriques.

Les sénateurs membres de la mission d'information souhaitent remercier l'ensemble des personnes rencontrées pour la qualité des échanges, permise notamment par le fort engagement de chacun, et pour la contribution précieuse de tous aux travaux qu'elle a menés.

INTRODUCTION

Peu de sujets ont fait l'objet d'autant de rapports publics au fil des dernières décennies que la psychiatrie 2 ( * ) . C'est toutefois principalement la psychiatrie des adultes qui a suscité l'intérêt, la situation de la psychiatrie des mineurs ayant été relativement peu étudiée en tant que telle. La question des troubles mentaux susceptibles d'affecter les enfants et les adolescents est au coeur de politiques anciennes. Historiquement, celles-ci ont néanmoins été tournées d'abord vers les enjeux d'ordre public plutôt que sanitaires.

Ce n'est que récemment que l'importance du repérage et de la prise en charge des troubles psychiatriques des mineurs a été véritablement placée au premier plan. Remis en octobre dernier, le rapport relatif à la santé mentale présenté par M. Michel Laforcade 3 ( * ) formule une série de préconisations spécifiques sur la psychiatrie infanto-juvénile. Une étape nouvelle paraît avoir été franchie avec la mission « Bien-être et santé des jeunes », conduite par le professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent Marie-Rose Moro et l'inspecteur d'académie Jean-Louis Brison. Ces derniers ont rendu leurs préconisations au Président de la République le 29 novembre 2016. Dans le cadre d'une approche large de la santé des jeunes, ce rapport dresse un bilan des besoins de la psychiatrie infanto-juvénile en France. Il suggère plusieurs pistes d'évolution, dont certaines ont déjà connu une traduction, notamment sous forme législative.

Le nombre de jeunes faisant appel à la pédopsychiatrie apparaît important. Le rapport Moro-Brison l'estime à près d'un million en prenant en compte l'ensemble des jeunes ayant consulté au moins une fois au cours de l'année dans une structure dédiée. Le périmètre de cette estimation inclut tant la psychiatrie publique que les structures associatives et privées ainsi que les jeunes pris en charge dans le secteur médico-social, qu'ils fassent ou non l'objet d'un suivi après cette première consultation.

S'agissant spécifiquement de la prise en charge ambulatoire en psychiatrie hospitalière, en 2015, sur 2 millions de patients suivis, 25 % étaient des mineurs 4 ( * ) .

La prise en charge des mineurs répond d'abord à un enjeu de prévention. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l'adulte apparaissent avant seize ans. Le Pr Pierre Thomas, président du collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP), précise en outre que la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif, comme les schizophrénies, les troubles bipolaires, les troubles du spectre autistique et les dépressions récidivantes, commencent avant l'âge de 15 ans et, pour les trois-quarts d'entre eux, avant l'âge de 25 ans 5 ( * ) .

La nécessité d'agir le plus en amont possible avec les instruments adaptés s'impose d'autant plus que, s'ils sont pris suffisamment tôt, certains troubles peuvent disparaître et l'enfant ou l'adolescent guérir . Plusieurs professionnels auditionnés par la mission d'information ont ainsi souligné que pour certaines maladies qui se déclarent au cours de l'enfance et de l'adolescence, la précocité du diagnostic conditionne le pronostic et la qualité de vie des patients. Selon une étude récente, « les cinq premières années de la maladie sont considérées comme une phase critique au cours de laquelle les chances de rémission sont les plus grandes et la réponse aux traitements la meilleure » 6 ( * ) .

L'un des objectifs du repérage précoce est de raccourcir la durée des troubles psychotiques et d'éviter les complications qui résultent de l'absence de traitement (addictions, isolement, décrochage scolaire, comportements suicidaires notamment).

La prise en charge précoce apparaît en effet d'autant plus importante que les maladies psychiatriques ont un fort retentissement sur la vie de la personne atteinte et de son entourage mais aussi pour la société dans son ensemble. L'introduction au plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015 rappelle que les coûts collatéraux liés à la perte de production et à la perte de qualité de vie atteindraient près de 80 milliards d'euros chaque année, soit plus de 3,5 points de produit intérieur brut. D'un point de vue médico-économique, il a été démontré que la prévention sous ses différentes formes permet des économies par rapport à l'absence de réponse adaptée 7 ( * ) .

Les besoins des mineurs en psychiatrie appellent des modalités de prise en charge spécifiques car le mineur n'est pas un adulte en miniature . La pédopsychiatrie s'est structurée en discipline médicale pour prendre en compte cette spécificité.

En tant que discipline universitaire, la pédopsychiatrie est récente. Après la tenue à Paris en 1937 du premier congrès international sur la question, la première chaire française de psychiatrie de l'enfant a été créée en 1949. A la même époque, un service universitaire de pédopsychiatrie ouvre pour la première fois à l'hôpital Necker-Enfants malades avant d'être transféré à la Salpêtrière. Il jouera un rôle important dans la formation des premiers pédopsychiatres français dont l'action permettra une reconnaissance universitaire plus large de la discipline. A compter de 1967, de nouvelles chaires de psychiatrie de l'enfant voient le jour. Leur nombre s'élève à 29 en 1990.

Après la mise en place du secteur de psychiatrie infanto-juvénile en 1972, d'importants développements théoriques ont eu lieu dans les années 1980, lorsqu'a été introduite en France la psychopathologie du nourrisson, notamment par le Pr Serge Lebovici. La psychiatrie périnatale et celle des adolescents occupent aujourd'hui un champ de plus en plus important et la psychiatrie des mineurs apparaît en grand développement au plan international.

Au fur et à mesure de l'évolution des connaissances, des tranches d'âge jusque-là négligées ont en effet été mieux prises en compte. En ce qui concerne spécifiquement les adolescents, la sociologue Isabelle Coutant constate que « la souffrance adolescente, pensée dans le champ psychologique depuis les années 1950, n'est devenue un enjeu dans le champ politique qu'à partir des années 1990. Des circulaires ont été publiées préconisant de développer des lieux d'accueil, d'écoute et d'information spécifiques. Dans les années 2000, les maisons des adolescents ont été créées » 8 ( * ) .

La nécessité d'une prise en charge étendue du bébé au jeune adulte est aujourd'hui reconnue. Par rapport aux divers termes employés pour faire référence à la discipline qui les concerne (pédopsychiatrie, psychiatrie infanto-juvénile, psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent), la mission d'information a choisi d'insister sur la cohérence de l'approche incluant l'ensemble des mineurs et a donc retenu le terme de psychiatrie des mineurs .

C'est bien la prise en charge psychiatrique qui est l'objet des travaux de la mission. Pour autant, celle-ci n'a pas entendu se limiter à la question du traitement d'un certain nombre de pathologies déterminées. Il s'agit de prendre en compte, du point de vue de la santé mentale, la continuité possible entre un simple mal-être, des troubles psychiques ou psychiatriques et des pathologies psychiatriques avérées. De plus, la pédopsychiatrie est une discipline complexe qui se doit d'aborder l'enfant et l'adolescent dans sa globalité. Elle se trouve au carrefour des champs sanitaire, médico-social, éducatif, parfois judiciaire ou carcéral, et de plusieurs politiques publiques d'envergure.


* 1 Résolution n° 116 (2016-2017) de MM. Michel Amiel et Jacques Mézard, déposée au Sénat le 9 novembre 2016.

* 2 Citons parmi les principaux : « Une voie française pour une psychiatrie différente » de Marie et Jean Demay (1982) ; « La psychiatrie ouverte, une dynamique en santé mentale » de Gérard Massé (1992) ; « Psychiatrie et grande exclusion » dirigé par Catherine Patris (1996) ; « De la psychiatrie vers la santé mentale » de Eric Piel et Jean-Luc Roelandt (2001) ; « Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale » de Philippe Clery-Melin, Viviane Kovess et Jean-Charles Pascal (2003) ; « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie » d'Edouard Couty (2009) ; « La psychiatrie en France : de la stigmatisation à la médecine de pointe » de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (2009) ; « Évaluation du plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 » par le Haut conseil de la santé publique (2011) ; « Rapport d'information sur la prise en charge psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux » d'Alain Milon (2012) ; « Rapport d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie » de Denys Robiliard (2013) ; « Évaluation du plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015 » par le Haut conseil de la santé publique (2016) ; « Rapport relatif à la santé mentale » de Michel Laforcade (2016).

* 3 Directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine.

* 4 Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH).

* 5 Audition du mardi 7 février 2017.

* 6 Rapport de l'Institut Montaigne - Fondation FondaMental, « Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français », octobre 2014.

* 7 « Mental health promotion and mental illness prevention: the economic case » ; Martin Knapp, David McDaid et Michael Parsonage (editors) ; Personal Social Services Research Unit, London School of Economics and Political Science, avril 2011.

* 8 Audition du mercredi 15 février 2017.

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