H. FAVORISER L'ACCUEIL DES ENTREPRISES

1. La tendance à la concentration spontanée des emplois et des activités pénalise les territoires périphériques

La politique d'aménagement du territoire vise traditionnellement à éviter une trop forte concentration des activités économiques. Dans ce contexte, les élus locaux ont longtemps misé sur leur capacité à attirer et négocier l'implantation d'entreprises sur leur territoire. Les relations avec les acteurs économiques s'inscrivaient dans le cadre d'un contrat tacite, où les pouvoirs publics offrent des conditions optimales de production (fiscalité incitative, facilités d'accès aux infrastructures et services) en échange de créations d'emplois. Le maillage de notre industrie aéronautique est ainsi intimement lié à une politique publique d'aménagement du territoire, car il n'est pas rationnel économiquement : pour Airbus, il aurait été préférable d'implanter toute la chaîne de construction et de sous-traitance à Toulouse, par exemple.

Aujourd'hui, ce paradigme a évolué sous l'effet de la mondialisation qui met en avant les gains économiques liés à la concentration spatiale des activités : des externalités technologiques localisées, un meilleur appariement sur le marché du travail local, des échanges d'informations, un partage plus efficace des équipements. Les élus locaux n'ont que peu de prise sur de tels phénomènes et ont perdu une grande part de leur influence. Pour autant, ces choix d'implantation ne résultent pas nécessairement du libre fonctionnement des marchés et sont souvent eux-mêmes le fruit d'une réglementation (en matière d'urbanisme par exemple), qui réhabilite le rôle des pouvoirs publics.

Au final, l'emploi se concentre dans les principales métropoles : entre décembre 2007 et décembre 2014, la France a perdu 450 000 emplois privés, mais 7 aires urbaines en ont créé à elles seules 110 000. Il en résulte une division spatiale du travail défavorable aux territoires moins denses, dans lesquels les métiers marqués par des tâches répétitives y sont plus nombreux. Comme le souligne France Stratégie 36 ( * ) , « dans un contexte d'élévation tendancielle des niveaux de qualification, une question centrale est la capacité de notre système productif à maintenir, voire à développer des emplois qualifiés hors des métropoles ».

LES MÉTIERS À FORT POTENTIEL DE CRÉATIONS D'EMPLOIS (EN POURCENTAGE)

Source : France Stratégie.

PART DES MÉTIERS « FRAGILES » DANS L'EMPLOI (EN POURCENTAGE) 37 ( * )

Source : France Stratégie.

En tout état de cause, un problème se pose pour des territoires fragiles (absence de spécialisation forte, industries en déclin, etc.) qui souffrent de la mondialisation. En particulier, pour certaines villes moyennes qui ne parviennent pas à conserver leurs outils de production et dont le déclin entraîne celui de l'ensemble du territoire alentours. Il s'ajoute aux difficultés structurelles des communes isolées liées à la baisse des effectifs dans les activités agricoles et industrielles. L'attitude des pouvoirs publics centraux ne facilite en rien les choses : la promesse d'accompagnement sur la base d'appels à projets est contreproductive, car il est difficile pour ces territoires de lancer des projets. Au final, la mise en concurrence des territoires productifs apparaît comme une tendance de fond déclenchée par la mondialisation et amplifiée par l'action publique. Il n'est ainsi pas rare de trouver deux zones d'activités distantes de seulement quelques kilomètres.

Le groupe de travail considère qu'il appartient aujourd'hui aux régions, compétentes en matière de développement économique, d'organiser la gestion des aides publiques pour éviter une concurrence excessive entre les territoires. Une vision d'ensemble est nécessaire pour structurer le tissu productif sur l'ensemble du territoire régional, en fléchant les aides et subventions dans le cadre d'une contractualisation région/EPCI.

2. Un effort public est nécessaire pour valoriser l'attractivité économique des territoires périphériques

Pour les territoires défavorisés, l'enjeu n'est pas celui de leur réindustrialisation par l'implantation artificielle d'activités économiques. Il s'agit avant tout de créer des conditions favorables à l'implantation d'entreprises pour lesquelles la concentration spatiale importe peu. Ils peuvent en effet miser sur certains atouts, comme des coûts de production avantageux, avec un foncier peu coûteux et une échelle des salaires plus basse, ou une économie de proximité non délocalisable.

À cet égard, les centres-bourgs des petites et moyennes agglomérations connaissent un affaiblissement important, caractérisé par la désertification commerciale et l'augmentation des logements vacants, une tendance dénoncée de longue date par les élus locaux. En? 2015, plus de la moitié des coeurs des villes moyennes avaient un taux de commerces vides supérieur à 10 % 38 ( * ) . Le groupe de travail plaide pour la mise en place d'un programme ambitieux de rénovation de l'habitat et des commerces dans les centres-bourgs destiné à enrayer ce phénomène inquiétant pour l'aménagement du territoire. Sur ce point, le coût de l'inaction serait également bien plus élevé que celui d'un soutien public immédiat, tant il est difficile d'enrayer les dynamiques de désertification lorsqu'elles sont amorcées.

En complément, il apparaît indispensable que les aides économiques de la région et de l'État soient modulées en fonction de critères d'aménagement du territoire, afin de soutenir les filières ou activités nécessaires à la vitalité de chaque territoire. À cet égard, le groupe de travail regrette la baisse drastique des moyens de revitalisation du commerce, notamment en milieu rural. En effet, les crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) se sont effondrés au cours des dernières années, de 65,5 millions d'euros en 2010 à 16,5 millions d'euros en 2017, alors que ce fonds a largement démontré son utilité. Le Fisac apporte en effet un formidable effet de levier pour le maintien et le développement de l'offre de commerces, de services et d'activités artisanales dans les territoires qui souffrent le plus de la désertification économique : on estime en moyenne qu'une subvention de 1 € permet de trouver des financements pour 5 €.

De plus, pour encourager le maintien d'une économie locale et d'une capacité d'innovation, la politique d'aménagement du territoire doit intégrer les externalités liées à la présence de services publics. Il est certes légitime que les têtes de réseau soient implantées dans les métropoles, mais des antennes spécialisées doivent être maintenues dans les villes moyennes, afin de conserver une population jeune et une vitalité du tissu économique.

Enfin, au-delà de ces grandes installations publiques, le groupe de travail considère que l'attractivité économique des territoires est intimement liée à la présence de services de proximité. Près de quatre millions de Français sont ainsi menacés par la fermeture des stations-services, à la campagne comme à Paris. De même, la suppression des distributeurs automatiques de billets accélère la disparition des commerces dans certaines communes. Si le niveau de rentabilité de ces installations n'est pas suffisant pour leur exploitation par le secteur privé, les collectivités doivent contribuer à leur prise en charge afin d'éviter qu'un cercle vicieux de désertification ne s'installe. Il appartient alors à l'État d'ajuster sa dotation de péréquation pour prendre en compte l'intérêt général lié au maintien de ces installations critiques.

Proposition : Conforter l'attractivité des centres-bourgs par un programme ambitieux de rénovation de l'habitat et des commerces, et le maintien ou l'installation d'équipements essentiels pour l'activité locale.

3. Renforcer la formation et la mobilité pour faciliter l'appariement sur le marché du travail local

L'appariement sur le marché du travail local est encore insuffisant dans les territoires périphériques. Les entreprises sont confrontées à des difficultés réelles de recrutement dans certaines filières, faute d'une main-d'oeuvre qualifiée, adaptée et disponible à proximité.

Une remise à plat de notre système de formation continue est nécessaire pour rééquilibrer l'investissement en capital humain et enrayer la spirale de déqualification de l'emploi dans les territoires périphériques. Jean-Pisani Ferry constate ainsi que « les dépenses pour la formation continue des chômeurs sont très variables selon les territoires. Grandes sont ainsi les différences entre les Hauts-de-France et la Bretagne. Les applications de la politique nationale de lutte de chômage sont ainsi très différentes selon les territoires. Consacrons-nous suffisamment d'efforts à la correction de telles inégalités liées au territoire de résidence ? ». Au-delà des seuls aspects quantitatifs, il existe un réel problème d'adaptation du contenu de l'offre de formation : il n'est pas rare que des formations soient proposées localement aux demandeurs d'emploi alors qu'aucun débouché réel n'existe sur le territoire.

DÉPENSES DE FORMATION CONTINUE DESTINÉE AUX DEMANDEURS D'EMPLOI
PAR CHÔMEUR

Source : France Stratégie.

Proposition : Proposer des offres de formation réellement adaptées aux besoins des entreprises locales.

Lorsque la main-d'oeuvre n'existe pas localement, des dispositifs de mobilité innovants peuvent être mis en place pour contourner le manque de transports collectifs dans certaines zones et faciliter les déplacements de la ville vers la campagne (et pas seulement l'inverse). A titre d'illustration, la région Hauts-de-France a récemment lancé au début de l'année 2017 une initiative « En route pour l'emploi », qui permet aux demandeurs d'emploi d'emprunter des véhicules de la flotte régionale pour la somme de deux euros par jour, assurance comprise. Plus largement, une réflexion doit être engagée pour lever l'ensemble des freins à la mobilité qui pénalisent l'appariement sur le marché du travail local, à commencer par les mobilités résidentielles (rigidité du parc locatif social, niveau élevé des droits de mutation à titre onéreux sur les résidences principales) et familiale (difficultés à trouver rapidement un emploi pour le conjoint).


* 36 Note d'analyse « Dynamique de l'emploi et des métiers : quelle fracture territoriale ? », France Stratégie (février 2017).

* 37 Les métiers ici considérés comme fragiles sont ceux affectés par au moins 2 000 pertes d'emplois entre 2012 et 2022 dans le rapport de France Stratégie et de la Dares (2015), « Les métiers en 2022 ». Il s'agit essentiellement des métiers agricoles, des ouvriers industriels, des secrétaires et employés de la banque-assurance ou des employés ou professions intermédiaires administratives de la fonction publique dans le scénario central. S'y ajoutent dans le scénario de crise d'autres employés administratifs, des ouvriers non qualifiés de la manutention ou du bâtiment, les conducteurs de véhicule et les caissiers.

* 38 « La revitalisation commerciale des centre-villes » (juillet 2016) - Rapport de l'Inspection générale des ' finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du ' développement durable (CGEDD).

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