II. LES DIX AXES D'UNE NOUVELLE AMBITION TERRITORIALE

A. REPLACER L'ÉTAT AU CoeUR D'UNE POLITIQUE NATIONALE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

L'organisation politique et administrative de la France repose encore sur un État centralisé. Faute d'avoir achevé la décentralisation, qui nous conduirait à terme vers la construction d'un État fédéral, nous sommes au milieu du gué. L'État conserve une réelle emprise et une influence certaine, sans pour autant disposer de l'ensemble des leviers d'action pour la mise en oeuvre de ses décisions. Il s'appuie pour cela sur les collectivités territoriales, d'autant plus volontiers que de nombreux exemples montrent que l'État est aujourd'hui incapable de s'adapter à la réalité de chaque territoire.

Il convient de prendre acte de cette situation de fait pour définir les contours d'une politique d'aménagement du territoire à notre époque et la répartition des responsabilités entre ses acteurs multiples. S'agissant de l'État, il n'est plus question de plaider pour un interventionnisme exacerbé. Dans le contexte budgétaire actuel, la recentralisation ne constitue en rien une garantie d'amélioration de la situation des territoires oubliés. Aussi, le groupe de travail propose d'identifier trois rôles dévolus à l'État en matière d'aménagement du territoire : l'État stratège, l'État régulateur et l'État aménageur en dernier ressort.

1. L'État stratège

Il est un rôle que personne ne conteste à l'État : il demeure le lieu de formation de la volonté collective, le garant de l'intérêt général à long terme et le gestionnaire des risques. Cette posture implique de sa part une capacité d'anticipation et l'énonciation d'orientations stratégiques. Il doit avoir une vision, opérer des choix lisibles et favoriser la convergence des actions des différents acteurs publics et privés. Une véritable stratégie suppose de définir clairement des objectifs, et de mobiliser durablement les moyens adaptés pour les atteindre.

Il ne s'agit pas pour autant de se lancer à nouveau dans un grand mouvement de planification prescriptrice, de schémas d'aménagement et de zonages en tout genre, déjà bien trop nombreux. Une telle démarche paralyserait encore davantage les projets de développement. Pour Gérard-François Dumont, « le temps consacré, par les élus et par leurs collaborateurs, à rédiger ces documents, est d'une efficacité limitée. Ces schémas ne sont souvent que la copie d'un document voisin et ont une utilité pratique extrêmement réduite. Les territoires n'ont pas besoin de schémas, mais de projets. Ce n'est pas la même chose ! ».

La politique des zonages a déjà démontré ses nombreuses limites. Outre son effet potentiellement stigmatisant, la superposition des zonages de toute nature conduit à une complexité particulière pour les élus et les habitants concernés. La multitude et la variabilité des critères d'établissement de ces zonages posent de réels problèmes de cohérence. Le principe même du zonage, dont la définition repose sur des paramètres définis au niveau central, méconnaît rapidement la diversité des difficultés et des besoins territoriaux. Dès 2001, le rapport des députés Geneviève Perrin-Gaillard et de Philippe Duron soulignait les dérives de ces dispositifs : « la généralisation du procédé, la sédimentation excessive des zonages, la normalisation des politiques sur des territoires différents, constituent autant de facteurs qui en limitent l'efficacité. » 11 ( * ) La principale recommandation était déjà de remplacer le système des zonages par des contrats.

Vos rapporteurs regrettent à cet égard que le dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR) n'ait pas bénéficié d'une refonte plus ambitieuse. La réforme de 2015 a été d'abord guidée par des considérations techniques et des préoccupations budgétaires, ciblées sur les critères d'éligibilité, en privilégiant une approche intercommunale 12 ( * ) . Les sorties et les entrées de communes dans le zonage tendent à s'équilibrer à l'issue de cette réforme, mais l'attractivité des communes exclues du zonage sera affaiblie sur le long terme. L'appréciation des critères d'éligibilité au niveau intercommunal a conduit à la sortie de communes rurales ayant encore besoin d'un appui renforcé. L'intercommunalité aurait pu être chargée d'identifier en son sein les communes nécessitant encore d'être aidées. Par ailleurs, une réforme plus approfondie aurait permis de moderniser les avantages associés au zonage, pour soutenir plus efficacement la ruralité en difficulté.

Proposition : Évaluer l'efficacité des différents schémas et zonages existants afin de les rationaliser et de réduire leur nombre.

L'État dispose encore de plusieurs leviers pour modeler le territoire. En dépit des vagues successives de décentralisation, il a conservé jusqu'ici une certaine maîtrise des grands équipements et réseaux et des services qui leur sont associés, qu'il s'agisse des transports, du numérique, de la distribution de l'énergie, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de la santé ou de la culture. Bien qu'il n'en soit plus le principal financeur, l'État a encore un rôle à jouer dans l'organisation territoriale de la « France en réseaux ». Cette fonction dépasse d'ailleurs nos seules frontières, puisqu'il s'agit de penser l'articulation de notre territoire avec ceux de nos voisins, de l'interconnexion des réseaux de distribution d'énergie au rôle de nos hubs portuaires et aéroportuaires comme portes d'entrée du continent européen.

Au final, une vision stratégique de la connectivité et de l'organisation de notre territoire national apparaît plus que jamais nécessaire. Cette dimension ne peut être portée que par l'État. À cet effet, le groupe de travail préconise de prendre acte de l'échec du CGET, une fusion davantage portée par des impératifs de rationalisation des moyens et par des débats théoriques de structures et de compétences, plutôt que par une volonté d'agir réellement sur les modalités concrètes d'action en faveur d'un développement équilibré du territoire.

Le groupe de travail souhaite la transformation de cette instance en structure de pilotage transversal chargée de concevoir une vision prospective et cohérente du territoire national et d'assurer sa mise en oeuvre. Afin que ses orientations s'imposent à l'ensemble des politiques sectorielles de l'État, cette structure devrait être placée sous l'autorité d'un secrétaire d'Etat rattaché au Premier ministre et être dotée de réels moyens de contrôle et d'évaluation. Ce secrétaire d'État disposerait d'un rôle transversal sur toutes les politiques publiques importantes pour l'aménagement du territoire. Un tel poste devrait être dépourvu d'autres compétences que l'aménagement du territoire, afin de garantir qu'il se consacre exclusivement à cette mission.

Proposition : Transformer le CGET en structure de pilotage stratégique du territoire national, placée sous l'autorité d'un secrétaire d'État dédié uniquement à l'aménagement du territoire et rattaché directement au Premier ministre.

Les conséquences en termes d'aménagement du territoire sont trop souvent négligées par les politiques sectorielles. Des évolutions majeures pour l'avenir des territoires, comme les réformes successives du système de santé ou l'évolution des cartes administratives, ont insuffisamment pris en compte les fragilités territoriales. Les mesures directement liées à l'aménagement du territoire sont elles-mêmes souvent mal évaluées. Dans son avis de septembre 2016 sur le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne , le Conseil d'État avait pu relever les nombreuses faiblesses de l'étude d'impact : « de façon générale, l'étude d'impact transmise par le Gouvernement est apparue, pour bon nombre de dispositions, lacunaire ou insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009, alors qu'une telle étude aurait été particulièrement précieuse pour l'examen d'un projet de loi de la nature de celui-ci, qui regroupe de nombreuses mesures distinctes les unes des autres et prévoit des dispositions nouvelles incitatives dont, en l'absence de toute étude sérieuse, il est bien difficile d'apprécier l'effet réel et la pertinence » 13 ( * ) .

Afin de permettre une réelle prise en compte des effets des réformes sur la localisation des ressources et des activités dans les territoires, il apparaît nécessaire d'intégrer systématiquement l'aménagement du territoire à l'élaboration et à l'évaluation des politiques publiques. L'analyse des effets pour les collectivités territoriales des nouvelles dispositions législatives et réglementaires devrait à ce titre être complétée par une réflexion ciblée sur l'aménagement du territoire, dans les études et fiches d'impact.

Proposition : Mesurer systématiquement l'impact en termes d'aménagement du territoire des politiques publiques et des projets de lois et de décrets.

2. L'État régulateur

Puisque l'État a désormais vocation à définir les grandes orientations stratégiques du territoire national, et non plus à intervenir directement dans leur mise en oeuvre, il doit pour cela s'en remettre aux autres acteurs publics et privés. Il demeure cependant seul à disposer des moyens et de l'autorité permettant d'organiser la répartition géographique de certaines activités au nom de l'intérêt général.

Il en découle naturellement une fonction de régulation de l'aménagement du territoire que l'État doit assumer bien davantage qu'aujourd'hui. Il lui revient ainsi de fixer les critères d'installation des professionnels de santé, de définir les priorités en matière de nouvelles infrastructures de transport, ou encore d'assurer la contribution des opérateurs privés au déploiement homogène des réseaux numériques sur le territoire national. Dans tous ces domaines, l'initiative privée n'intervient spontanément qu'au-delà d'une certaine densité car elle assure une rentabilité suffisante. En l'absence d'intervention de l'État, les rapports de force sont globalement défavorables aux collectivités territoriales dans de telles situations.

Le rôle de l'État régulateur est alors d'équilibrer la couverture du territoire, en imposant au besoin des obligations aux différents acteurs ou opérateurs. À cet effet, la mise en place d'autorités de régulation indépendantes, comme c'est désormais le cas pour la plupart des services en réseaux, ne doit pas entraîner un effacement systématique du pouvoir politique. Le contenu de la régulation a bien vocation à intégrer d'autres enjeux que les seules règles d'une concurrence loyale, et notamment les impératifs de développement équilibré et d'égalité des chances. À ce titre, l'État reste également le garant de l'aménagement de territoires spécifiques, comme les territoires littoraux et les territoires de montagne, dont la mise en valeur ne peut intervenir que dans le cadre d'un modèle de développement adapté et équilibré.

Il revient à l'État de maîtriser les effets de l'ouverture à la concurrence et de la privatisation de certaines activités pour les territoires fragiles. Cette responsabilité est particulièrement importante dans les zones peu denses ou difficiles d'accès, dont les besoins ne sont pas satisfaits par les mécanismes de marché, faute d'une rentabilité suffisante. Ce rôle de régulation suppose également que l'Etat définisse mieux ses priorités dans la gestion de sa participation au capital de nombreuses entreprises. Le récent rapport de la Cour des comptes sur l'Etat actionnaire met en lumière le manque de vision stratégique et de hiérarchisation entre les différents objectifs poursuivis par l'Etat alors qu'il pourrait s'agir d'un réel levier au service d'une intervention territoriale ciblée 14 ( * ) . L'opposition aux récentes tentatives de consolidation dans le secteur des communications électroniques illustre une focalisation de l'État sur les enjeux économiques, au détriment d'autres considérations d'intérêt général.

L'aménagement du territoire doit également être identifié comme une priorité des choix d'investissement de l'État. La contractualisation établie avec les collectivités territoriales doit en être le levier, au-delà du seul volet territorial des contrats de plan État-région. L'intervention de l'État n'a de sens que si elle poursuit des finalités distinctes de celles des forces de marché, au nom de l'intérêt général. Or le maintien d'équilibres territoriaux est une considération que seule la puissance publique peut défendre durablement.

Proposition : Faire de l'aménagement du territoire un critère prioritaire de la régulation et des choix d'investissement de l'État.

3. L'État aménageur

Enfin, pour compléter ces deux missions d'orientation stratégique et de régulation, l'État demeure le seul recours pour certains territoires interstitiels situés aux interfaces des régions ou des grandes agglomérations. Ceux-ci ne sont pas toujours intégrés dans le projet de développement local, surtout si le bassin de vie s'organise davantage en cohérence avec un territoire situé dans le périmètre d'une autre collectivité. Les limites administratives et la gouvernance ne correspondent pas toujours à la réalité du terrain. L'État reste alors le seul acteur capable de créer le lien nécessaire pour mettre en place un fonctionnement cohérent.

Il ne s'agit pas pour autant de réduire l'intervention de l'État au seul aménagement de l' « inter-territoire ». Celui-ci doit également exercer des fonctions essentielles en matière de continuité territoriale, en particulier pour les territoires d'outre-mer et les territoires insulaires comme la Corse, dont le potentiel pour notre pays mérite qu'un effort particulier d'aménagement leur soit consacré.


* 11 « Du zonage au contrat, une stratégie pour l'avenir », rapport de Geneviève Perrin-Gaillard et de Philippe Duron remis au Premier ministre, 2001.

* 12 Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 13 Avis du Conseil d'État n° 391883 sur un projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

* 14 Rapport public thématique de la Cour des comptes, « L'État actionnaire », janvier 2017.

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