B. CONFORTER LES LOYERS BUDGÉTAIRES POUR TRANSFORMER LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE EN VÉRITABLE LEVIER BUDGÉTAIRE

1. Les loyers budgétaires doivent être rénovés et renforcés

La question de l'avenir des loyers budgétaires fait partie du programme de travail pour 2017 de la conférence nationale de l'immobilier public. Alors qu'ils constituaient un des outils emblématiques de la politique immobilière de l'État lors de leur généralisation, les loyers budgétaires sont aujourd'hui critiqués par les administrations pour leur stérile formalisme et leur effet réel sur la rationalisation immobilière ne peut être attesté (cf. encadré).

Toutefois, cet outil doit être maintenu et conforté , pour deux raisons principales :

- d'une part, en parallèle de la suppression du droit de retour des ministères sur les cessions qu'ils effectuent, il doit constituer le nouveau facteur d'association des administrations à leur rationalisation immobilière ;

- d'autre part, prolongeant la tendance observée chez nos voisins étrangers mettant l'accent sur les produits de gestion du parc, il doit être utilisé pour le financement de la politique immobilière de l'État .

Dans cette perspective, la couverture des immeubles domaniaux majoritairement à usage de bureaux par convention d'utilisation, support juridique fixant les loyers budgétaires, doit être achevée. Conformément à la nouvelle circulaire du 19 septembre 2016 sur les opérateurs de l'État, ces derniers doivent désormais mieux s'intégrer dans les principes de la politique immobilière de l'État : les loyers budgétaires doivent par conséquent être appliqués aux opérateurs de l'État .

Par ailleurs, l'activation des loyers budgétaires, envisagée lors de leur mise en place mais jamais permise, doit désormais prendre le relais de la suppression du droit de retour des ministères sur leurs cessions comme moyen d'incitation, de deux façons différentes :

- premièrement, selon la logique définie lors de leur création : l'intéressement par le maintien de la dotation budgétaire initiale pendant deux ans en cas de libération d'une emprise plus coûteuse en raison de sa surface ou de sa localisation ;

- deuxièmement, de façon innovante, par leur transformation en dépense réelle, en soutien de l'accroissement de l'actif immobilier de l'État. Ainsi, en cas de projet immobilier structurant, telle la construction d'un nouveau site, l'administration continuerait de recevoir la dotation correspondante aux immeubles toujours occupés dans l'attente du déménagement, mais les loyers budgétaires afférents seraient désormais affectés au financement de la construction.

Recommandation n° 11 : Afin de constituer le nouvel outil d'incitation des ministères à la rationalisation de leur fonction immobilière et d'accompagner la transition du modèle de financement de la politique immobilière de l'État des produits de cession aux produits de gestion récurrents, conforter les loyers budgétaires en les étendant aux opérateurs de l'État.

Les loyers budgétaires

Après une expérimentation en 2006 portant sur trois ministères (économie et finances, affaires étrangères et justice), les loyers budgétaires ont été progressivement étendus jusqu'à leur généralisation en 2009 pour l'ensemble des immeubles domaniaux de bureaux, y compris les immeubles situés outre-mer et à l'étranger.

Il s'agit d'un loyer acquitté par les ministères en vertu de la convention d'utilisation conclue avec la direction de l'immobilier, dont le montant varie en fonction de la surface d'immeubles domaniaux à usage de bureaux qu'ils utilisent et des caractéristiques locales de marché. Pour les acquitter, ils reçoivent une dotation budgétaire de l'État propriétaire, qui lui revient ensuite par les loyers budgétaires acquittés. L'opération s'opère donc dans un circuit fermé, maintenant l'unité de caisse et traduisant le fait que la distinction État propriétaire et ministère occupant reste une construction théorique.

Lors de leur mise en oeuvre, la dotation budgétaire correspondante a été fixée à un montant équivalent à la somme des loyers du ministère. Ensuite, alors que la dotation budgétaire initiale demeure, le montant des loyers budgétaires évolue en fonction des prix du marché, des surfaces et lieux d'implantations du ministère. Il s'agit donc, en théorie, d'un mécanisme fort d'incitation à la rationalisation immobilière.

Dans cette perspective, la circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009 introduisait deux moyens complémentaires pour renforcer leur pouvoir incitatif :

- un intéressement des « occupants qui libèrent des surfaces ou choisissent une localisation moins coûteuse » prenant la forme du maintien pendant deux ans de la dotation budgétaire antérieure ;

- une sanction lorsqu'une solution de rationalisation proposée par la DGFiP n'a pas conduit le ministère à améliorer sa performance immobilière, conduisant à réduire la dotation budgétaire.

En parallèle, un lien a été établi entre les loyers budgétaires acquittés par un ministère et sa contribution aux crédits de l'ex-programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État », selon un taux de 12 % en 2009, 16 % en 2010 et 20 % entre 2011 et 2016.

Toutefois, en pratique, ce dispositif rencontre de nombreuses difficultés d'application et apparaît assez inopérant :

- sur le plan fonctionnel, les conventions d'utilisation, qui doivent déterminer le loyer budgétaire applicable, ne couvrent toujours pas l'intégralité du parc (cf. supra ), tandis que les discussions entre les administrations et la direction de l'immobilier de l'État sur l'assujettissement des immeubles majoritairement à usage de bureaux 91 ( * ) se poursuivent encore. Même, selon la mission risques et audit de la DGFiP 92 ( * ) , des erreurs importantes demeurent, certains bâtiments relevant du dispositif n'entrant pas dans le champ des loyers budgétaires, et inversement. Le dispositif de sanction n'a jamais pu être activé ;

- sur le plan administratif, le dispositif est peu suivi et peu piloté par la direction de l'immobilier de l'État. Il est donc ressenti comme une contrainte chronophage et inutile par les administrations occupantes. Selon des estimations concordantes, ils représentent une quarantaine d'équivalent temps plein travaillé (ETPT) ;

- sur le plan budgétaire, comme le souligne le référé de la Cour des comptes de décembre 2014, « les recettes et dépenses qui leur correspondent sont confondues à tort avec les recettes et dépenses réelles. Cette forme de comptabilité budgétaire ne saurait tenir lieu d'une véritable comptabilité analytique » .

De fait, leur effet sur la rationalisation immobilière n'est pas mesurable. Comme le souligne le rapport de l'inspection générale des finances, « la négociation des enveloppes de crédits pour les loyers budgétaires se déroule au niveau central (entre les secrétariats généraux des ministères et les bureaux sectoriels de la direction du budget), au sein d'une discussion globale sur la dotation de fonctionnement, sans précision à l'euro ».

Le caractère lacunaire des développements sur les loyers budgétaires dans les projets annuels de performances de chaque mission atteste de ce qu'ils sont devenus : un passage administratif et budgétaire obligé, ce que la grande stabilité de leurs montants depuis 2011 illustre.

Évolution des loyers budgétaires depuis 2011

(en millions d'euros)

Source : documents de politique transversale « Politique immobilière de l'État » successifs

2. Afin de porter l'ensemble des charges et produits du parc de l'État, le compte d'affectation spéciale doit être transformé en budget annexe

La seconde raison justifiant le maintien des loyers budgétaires, à savoir les affecter au financement de la politique immobilière, conduit à distinguer deux produits de gestion du parc immobilier de l'État :

- les produits tirés des cessions ;

- les produits tirés de la location , qu'elle soit réelle (à des tiers) ou fictive (aux administrations).

Pour autant, cette logique se heurte actuellement au droit budgétaire , dans la mesure où la loi organique relative aux lois de finances précise que les recettes d'un compte d'affectation spéciale « peuvent être complétées par des versements du budget général, dans la limite de 10 % des crédits initiaux » du compte 93 ( * ) . Compte tenu de leurs caractéristiques, les loyers budgétaires ne peuvent donc pas être affectés au compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

C'est pourquoi le compte d'affectation spéciale doit être remplacé par un budget annexe dédié à la politique immobilière de l'État . Il retracerait ainsi les produits tirés par l'État de ses actifs immobiliers, produits de cession comme loyers perçus, et les dépenses que cette activité de gestion induit, à savoir les dépenses structurantes liées aux nouveaux projets immobiliers, de valorisation et d'entretien lourd du propriétaire. Ce changement, outre qu'il rend possible l'affectation des loyers budgétaires, permettra de renforcer l'efficacité de la gestion de cette politique :

- en unifiant l'ensemble des produits et des charges résultant pour l'État de son patrimoine immobilier, son pilotage sera facilité tandis que la transparence de la présentation des crédits pour le Parlement sera réellement assurée ;

- en prévoyant une présentation en comptabilité générale 94 ( * ) , le budget annexe favorisera la dimension commerciale et patrimoniale ainsi que l'inscription dans une logique pluriannuelle qui doivent caractériser la politique immobilière de l'État.

3. Le budget annexe pourrait servir de base à la création d'une entité publique spécialisée pour la gestion du patrimoine immobilier de l'État

Vos rapporteurs spéciaux soutiennent la création d'une entité publique dédiée à la gestion du patrimoine immobilier civil de l'État . Tel est par exemple le cas en Allemagne, où un organisme public a progressivement reçu la propriété de la quasi-totalité des biens de l'État fédéral et le loue aux administrations fédérales. Cette position reflète le double constat de développement de cette logique, qui nourrit actuellement les réflexions au Royaume-Uni, et amène plusieurs entreprises disposant d'un important patrimoine immobilier à l'appliquer (La Poste) ou à l'envisager (SNCF).

Si la maturité de la politique immobilière de l'État en France ne permet pas la création d'une telle structure à court terme, les propositions précédentes doivent nous permettre de réunir les conditions nécessaires à sa mise en place . Aussi qualifiée de foncière publique, cette entité prendrait la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial, sur lequel la direction de l'immobilier de l'État assurerait la tutelle. Son rôle serait concentré sur l'immobilier soumis à loyer budgétaire, à savoir l'immobilier domanial majoritairement à usage de bureaux, dont elle recevrait la propriété et assurerait la gestion courante au service des administrations. Le budget annexe dédié à la politique immobilière de l'État constituerait en ce sens une préfiguration de cet établissement :

- en produits, il recevrait les loyers, réels et budgétaires, acquittés pour l'occupation des bâtiments, ainsi que les montants tirés des cessions ;

- en charges, il assurerait la gestion courante, l'entretien lourd et les dépenses immobilières liées à de nouveaux projets de construction.

Recommandation n° 12 : Afin d'assurer une vision globale des traductions budgétaires de la politique immobilière de l'État et d'initier une approche commerciale et patrimoniale du parc, créer un budget annexe dédié à la politique immobilière de l'État pour doter le propriétaire d'un bras armé financier retraçant l'intégralité des produits, y compris les loyers budgétaires rénovés, et des charges résultant de son patrimoine immobilier. Cette évolution préfigurerait la création, à terme, d'une foncière publique.


* 91 Surface de bureaux supérieure ou égale à 51 % de la surface utile brute.

* 92 Mission risques et audit sur les loyers budgétaires, mai 2015.

* 93 Article 21 de la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances.

* 94 L'article 18 de la loi organique relative aux lois de finances précise que « les budgets annexes sont présentés selon les normes du plan comptable général, en deux sections. La section des opérations courantes retrace les recettes et les dépenses de gestion courante. La section des opérations en capital retrace les recettes et les dépenses afférentes aux opérations d'investissement et aux variations de l'endettement ».

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