B. DES LIMITES TRADUISENT L'ÉPUISEMENT DE LA STRATÉGIE INITIALE

1. Un inventaire imparfait

Si le recensement du parc immobilier de l'État demeure imparfait, la connaissance de son état et de ses caractéristiques (techniques, économiques) est très lacunaire et ne permet guère l'élaboration d'une stratégie globale d'intervention. Le bilan des schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI), conduits à partir de 2006 afin de fiabiliser les données immobilières de l'État, est limité dans la mesure où les données renseignées étaient souvent incomplètes et très hétérogènes selon les occupants.

La mission conduite par l'Inspection générale des finances en 2015 22 ( * ) relève que « les incohérences en matière de surfaces concernent plus de 27 % du parc » et distingue la complétude des mesurages selon le type de bâtiments. De façon générale, le parc tertiaire est le mieux appréhendé, tandis que la connaissance des logements 23 ( * ) et des bâtiments techniques est mal appréhendée, puisque respectivement 13 % et 26 % de leur surface utile brute (SUB) n'est pas renseignée. Or les bureaux représentent seulement 12 % des bâtiments de l'État, contre 51 % pour les bâtiments techniques et 17 % pour les logements. Encore le constat est-il aggravé pour les opérateurs de l'État. Alors qu'il possède les deux tiers du parc immobilier qu'ils occupent, « il a une connaissance toute relative des surfaces [qu'ils occupent], essentiellement via les éléments synthétisés dans les SPSI des opérateurs (lorsqu'ils sont réalisés) [et] il ne dispose pas de données consolidées et fiables concernant la valorisation comptable du parc des opérateurs » . Même, certains établissements publics administratifs, disposant pourtant d'un important patrimoine immobilier, ne figurant pas parmi les opérateurs de l'État, à l'instar de la « masse des douanes » 1 .

En outre, l'État ne dispose pas d'une connaissance des caractéristiques des biens qu'il possède , la mission notant que « le diagnostic technique du parc reste incomplet et le diagnostic économique impossible à établir » .

2. Un essoufflement du modèle de financement

La matrice du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », consistant à financer l'entretien et la modernisation du parc immobilier par le produit des cessions réalisées, n'est pas soutenable . Certes, sur la décennie passée les produits de cession ont oscillé autour d'une tendance de 500 millions d'euros par an, mais des signes d'essoufflement doivent être relevés :

- le montant annuel tiré des ventes est fortement dépendant de quelques ventes exceptionnelles : ainsi, en 2016, quatre cessions représentent près de la moitié du total des ventes 24 ( * ) . De même, le seul produit des cessions parisiennes pèse également pour la moitié du montant total, alors même que le stock des biens parisiens a considérablement décru ces dernières années ;

- l'arbitrage opéré au sein du parc immobilier dans le cadre de la dynamisation de la politique immobilière de l'État s'est d'abord traduit par la vente des biens les plus facilement cessibles et valorisables. Un stock de biens difficiles à céder s'est progressivement constitué. Parmi les 1 375 biens dont la cession est prévue en 2017, 60 % d'entre eux étaient déjà en vente en 2016, et la moitié dès 2015. De fait, 34 % des biens à vendre début 2015 sont encore sur le marché.

À cette logique initiale non soutenable s'est ajouté un conflit d'objectif dès lors que la contribution au désendettement de l'État a été instituée en 2009. Elle prenait la forme d'un taux appliqué à chaque produit tiré d'une vente d'un bien immobilier de l'État, réduisant de fait le montant ensuite affecté aux dépenses immobilières. Si elle traduit une volonté de responsabilisation, l'importance des exceptions prévues ainsi que le décalage entre son caractère symbolique et ses conséquences pour le financement des dépenses immobilières doivent être soulignées. En obérant la capacité de l'État à entretenir son patrimoine immobilier, la contribution au désendettement de l'État se révélait in fine contreproductive . Les crédits de paiement du programme 721 « Contribution au désendettement de l'État » représentaient ainsi 27 % des crédits de paiements inscrits au programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État » en 2010, mais ont atteint 126 % en 2016.

Comparaison des crédits de paiement des programmes 309 « Entretien des bâtiments de l'État » et 721 « Contribution au désendettement de l'État »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Vendre pour entretenir, l'insoutenable modèle de financement

Depuis 2005, l'État a cédé 7 milliards de biens immobiliers, soit 11 % de la valeur comptable des constructions qu'il possède fin 2015.

Chaque année, seules quelques ventes emblématiques permettent de maintenir un niveau élevé de produits de cessions. En 2016, quatre cessions ont rapporté autant que les 909 autres réalisées au cours de l'année.

Parallèlement, un stock de biens difficiles à vendre se constitue : la moitié des biens à vendre en 2017 l'était déjà début 2015.

3. Une centralisation chimérique

Surtout, la logique équilibrée du CAS entre incitation et mutualisation, telle que définie à compter de 2009 en parallèle de l'affirmation de l'État propriétaire n'a guère porté ses fruits. Comme le constate le rapport de la mission de l'inspection générale des finances, « si la politique immobilière de l'État a consacré la dichotomie entre l'État propriétaire et les occupants, les prérogatives et les moyens de ces derniers en matière immobilière demeurent prépondérants » . Les outils prévus à cette fin n'ont guère été activés : « les conventions d'utilisation et les loyers budgétaires (...) sont restés excessivement formels et ne sont pas, à ce jour, appréhendés comme des outils de gestion dynamique du parc immobilier » . Deux éléments peuvent être relevés :

- concernant les loyers budgétaires, un double problème de fiabilisation et de suivi se conjugue. La mission risques et audit (MRA) de la direction générale des finances publiques conduite début 2015 25 ( * ) estime ainsi que 8 % des bâtiments remplissant les conditions devraient être soumis à loyer budgétaire, soit 7 235 bâtiments, alors qu'elle n'en dénombre que 3 745 en cours de validité en mars 2015 ;

- concernant les conventions d'utilisation, l'objectif de couverture complète du parc, initialement fixé au 31 décembre 2013, puis repoussé au 31 décembre 2016, n'a finalement pas été tenu, puisqu'au 30 janvier 2017, 94,9 % des surfaces étaient couvertes.

La démarche de mutualisation du CAS n'a pas été convertie . Si 20 % du produit de cession doit normalement être mutualisé, en pratique, les décisions ad hoc et les dérogations générales en réduisent l'effectivité. De fait, selon les calculs de la mission de l'inspection générale des finances, seulement 7 % des produits de cessions annuels ont été mutualisés entre 2009 et 2014, soit 37 millions d'euros de recettes par an en moyenne. Le financement de la réforme de la carte judiciaire, dont le coût actualisé début 2017 est estimé à plus de 318 millions d'euros par le ministère de la justice, illustre tout à fait cette limite. Tel qu'arrêté dans la lettre plafond du Premier ministre du 17 juillet 2008, un financement à partir du CAS était prévu à hauteur de 187,5 millions d'euros sur cinq ans, à la fois dans le cadre du retour ministériel sur les cessions et de l'enveloppe mutualisée. Or le volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire n'a in fine pas bénéficié de cette ressource et a intégralement été financé par des crédits ministériels ; la mutualisation des produits de cessions a été affectée à la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE).

En somme, en dépit des principes posés par les deux circulaires du 16 janvier 2009, les ministères occupants continuent de gérer leur patrimoine immobilier en quasi-propriétaires . Le rapport de l'inspection générale des finances note que « les ministères occupants maîtrisent à la fois l'ensemble des crédits de l'occupant et l'essentiel des crédits du programmes » .

Pourcentage des montants d'autorisations d'engagement annuelles en matière immobilière placés sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Total des AE consacrées à la PIE

11 382

11 165

6 699

7 730

6 398

8 177

8 989

Dont AE gérées par la DIE 26 ( * )

505

514

651,6

687,9

542,8

567,8

533,6

Source : commission des finances du Sénat à partir des données du document de politique transversale « Politique immobilière de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2017


* 22 « Rénovation du cadre institutionnel et modernisation des outils de la politique immobilière de l'État », Inspection générale des finances, novembre 2015.

* 23 Cette situation a récemment été mise en lumière par le référé de la Cour des comptes sur la « masse des douanes », cf. « Le logement des douaniers par la Masse des douanes », référé de la Cour des comptes rendu public le 25 juillet 2016. La « Masse des douanes » est un établissement public national à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé des douanes avec la mission de pourvoir au logement de ses agents.

* 24 Il s'agit des cessions de l'hôtel de l'Artillerie (Paris 7 e ), de l'ensemble immobilier de la rue de Penthièvre (Paris 8 e ), de l'hôtel de Broglie (Paris 7 e ) et du palais Clam Gallas (Vienne, Autriche), pour 258,3 millions d'euros, sur un total de ventes de 531 millions d'euros en 2016.

* 25 Mission Risques et Audit, Rapport d'audit n° 2014-24, « Mission de conseil relative aux loyers budgétaires », mai 2015.

* 26 Il s'agit des crédits inscrits sur le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'État » du budget général, intégré au CAS à compter de 2017, et du programme 723 « Contribution aux dépenses immobilières » du CAS.

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