B. LES EFFETS DE LA PERTE DU « PASSEPORT » DÉPENDRONT LARGEMENT DE L'ISSUE DES NÉGOCIATIONS MENÉES AVEC LE ROYAUME-UNI ET NOS PARTENAIRES EUROPÉENS

1. Si certains services financiers pourraient continuer d'être fournis depuis le Royaume-Uni après le Brexit, les régimes d'équivalence existants ne constituent pas une réelle alternative au « passeport »

Dans l'hypothèse d'une sortie « sèche » , le Royaume-Uni se retrouverait dans la situation d'un pays tiers vis-à-vis de l'Union européenne . Les relations avec le Royaume-Uni seraient dès lors régies à titre principal par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Certains services financiers pourraient néanmoins continuer d'être assurés dans l'Union européenne depuis le Royaume-Uni.

À cet égard, deux cas de figure doivent être distingués.

Premièrement, le droit européen permet dans tous les cas « l'exercice de certaines activités au sein du marché unique, y compris lorsque les entités sont originaires d'un pays tiers, en application du droit de l'OMC » 120 ( * ) . À titre d'illustration, dans le secteur de l'assurance des entreprises, les activités dites « MAT » (maritime, aviation et transport) devraient continuer de pouvoir être réalisées depuis le Royaume-Uni dans le cadre des accords OMC 121 ( * ) .

Deuxièmement, certains textes européens prévoient des « régimes d'équivalence » permettant aux pays tiers dont le droit applicable est considéré comme équivalent par la Commission européenne de proposer librement leurs services dans l'Union européenne, sous la seule supervision de leur régulateur local .

Pour l'entreprise, une décision d'équivalence confère donc des droits proches du « passeport européen » , dans la mesure où elle lui permet de « proposer ses services dans l'Union sans avoir à appliquer le droit de l'Union ni à solliciter un agrément ou être soumis à la supervision de l'autorité compétente de l'État européen dans lequel elle est établie ou propose d'offrir ses services » 122 ( * ) .

Si chaque régime d'équivalence possède ses spécificités, l'appréciation portée par la Commission européenne est fondée sur le concept général d'une « équivalence de résultats » , qui suppose la réunion de trois conditions 123 ( * ) :

- les exigences fixées par le droit du pays tiers sont comparables et juridiquement contraignantes ;

- leur respect est soumis à une surveillance effective de la part des autorités nationales ;

- elles permettent d'atteindre le même résultat que les exigences fixées par le droit de l'Union européenne.

Les évaluations sont menées par la Commission européenne , parfois sur la base d'un avis technique des autorités européennes de supervision. La décision d'équivalence prend le plus souvent la forme d'un acte d'exécution , qui ne peut être adopté qu'après avoir été confirmé par les représentants des États membres dans le cadre des procédures de « comitologie » Il peut être précisé dans la décision que l'équivalence accordée est limitée dans le temps ou ne vaut que pour certains services, produits et entités . L'équivalence peut également être accordée sous réserve du respect de certaines conditions spécifiques par le pays tiers. Ainsi, l'équivalence accordée aux chambres de compensation américaines est subordonnée au respect par ces dernières, sur une base volontaire, des conditions fixées dans la décision 124 ( * ) .

À ce jour, 212 décisions d'équivalence ont été prises par la Commission européenne. Parmi les 32 États tiers ayant fait l'objet d'une décision d'équivalence favorable, le Japon arrive en tête avec 17 décisions favorables, suivi des États-Unis et du Canada, avec 16 décisions positives 125 ( * ) .

Même en l'absence d'accord, les acteurs britanniques pourraient donc bénéficier de droits proches du « passeport européen » sur les segments de marché pour lesquels il existe un régime d'équivalence - et ce d'autant que la législation britannique sera par définition équivalente à celle de l'Union européenne à la date de la sortie.

Toutefois, le système d'équivalence actuel ne constitue pas une alternative crédible au « passeport » pour les acteurs britanniques.

En effet, de nombreux textes européens relatifs aux services financiers ne prévoient à l'heure actuelle aucun régime d'équivalence .

Tour d'horizon des principaux régimes d'équivalence existants

Principaux acteurs

Législation

Champ couvert

Existence d'un régime d'équivalence comportant des droits proches du passeport

Banques

CRD IV / CRR

Activités de crédit

Non

MiFID / MiFIR

Services d'investissement

Oui, pour servir les clients professionnels

Assureurs et réassureurs

Solvabilité II

Assurance et réassurance

Uniquement pour la réassurance

Gestionnaires d'actifs

Ucits

Fonds pour les particuliers

Non

AIFM

Fonds alternatifs réservés aux professionnels

Oui

Infrastructures de marché

Emir

Chambres de compensation

Oui

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Parlement européen, « Third-country equivalence in EU banking legislation », 7 mars 2017)

En particulier, il n'existe aucun régime d'équivalence pour les activités de crédit et d'assurance.

En outre, le système européen d'équivalence actuel ne semble pas de nature à offrir aux acteurs britanniques une prévisibilité suffisante pour leur permettre de différer les relocalisations, dans la mesure où :

- les modalités de délivrance et de retrait de l'équivalence laissent une grande marge de manoeuvre à la Commission européenne ;

- les délais nécessaires pour obtenir l'équivalence peuvent être particulièrement longs, comme l'illustre la décision relative aux chambres de compensation américaines, rendue par la Commission européenne après une phase d'évaluation de quatre ans 126 ( * ) ;

- des débats nourris sont actuellement en cours sur l'opportunité de durcir les régimes d'équivalence existants, tant au niveau des institutions européennes 127 ( * ) que des États membres 128 ( * ) .

2. La City et les autorités britanniques demandent la mise en place d'un régime « avancé » d'équivalence et d'un accord général de transition

Dans ce contexte, la City et les autorités britanniques évoquent désormais la mise en place d'un régime « avancé » d'équivalence couvrant l'ensemble du secteur financier et d'un accord général permettant d'assurer la transition 129 ( * ) , comme tendent à le confirmer les auditions menées par votre commission des finances 130 ( * ) et les récentes déclarations de Mark Carney, Gouverneur de la Banque d'Angleterre 131 ( * ) .

Les caractéristiques de ce régime sui generis garantiraient aux acteurs une prévisibilité suffisante , par exemple en encadrant strictement les conditions dans lesquelles une décision d'équivalence pourrait être retirée et en prévoyant l'intervention d'une autorité indépendante de résolution des différends 132 ( * ) .

Un accord de transition pour les services financiers ne s'impose pas

Plusieurs acteurs britanniques, dont le Gouverneur de la Bank of England , Mark Carney 133 ( * ) , ont mentionné de potentielles conséquences du Brexit pour les conditions de financement des entreprises européennes .

Toutefois, votre rapporteur général estime que ces risques sont limités . Cette possibilité s'apparente davantage à une tentative d'influencer les négociations, dès lors que certains services financiers pourront continuer d'être assurés depuis le Royaume-Uni et que, pour d'autres, une offre de substitution existe déjà au sein de l'Union européenne.

De fait, il ressort des auditions que la grande majorité des acteurs estime que la conclusion d'un accord de transition couvrant l'ensemble des services financiers ne s'impose pas .

Il peut être noté que le Royaume-Uni disposera de moyens de pression non négligeables dans la négociation , les conditions d'accès des acteurs européens au marché britannique n'étant nullement garanties .

Le secteur de l'assurance apparaît à cet égard le plus vulnérable , dans la mesure où le montant des primes susceptibles d'être relocalisées vers l'Union européenne (4 à 5 milliards d'euros) serait inférieur au montant des primes qui pourraient être relocalisées au Royaume-Uni (7 milliards d'euros) 134 ( * ) . Autrement dit, les acteurs européens de l'assurance ont davantage à perdre avec le Brexit que leurs homologues britanniques.

S'agissant du secteur bancaire, la Banque d'Angleterre a ouvertement évoqué la possibilité de durcir les conditions d'exercice des établissements étrangers, en exigeant la mise en place de filiales 135 ( * ) . Or, la conversion des succursales des banques européennes en filiales pourrait se traduire par une hausse des exigences de fonds propres comprise entre 30 et 40 milliards d'euros, d'après une récente étude du Boston Consulting Group (BCG) 136 ( * ) . Il s'agit néanmoins d'une menace « à double tranchant » qui pourrait avoir pour effet d'accélérer le mouvement de relocalisation vers l'Union européenne 137 ( * ) .

Si les États membres ont affirmé à juste titre qu'il est nécessaire de s'accorder au préalable sur les conditions du « divorce » avant d'ouvrir les discussions sur la future relation avec le Royaume-Uni, il apparaît nécessaire d'examiner dès à présent les réponses susceptibles d'être apportées aux demandes britanniques et de tracer les « lignes rouges » susceptibles de constituer l'armature de la position française lors des négociations.


* 120 Réponse au questionnaire adressé à la direction générale du Trésor

* 121 Paris Europlace, « Brexit : Synthèse des travaux pour la filière Assurance et Réassurance », février 2017, p. 5.

* 122 Autorité des marchés financiers (AMF), « Quelle équivalence pour les infrastructures de post-marché », 2 mai 2017, p. 2.

* 123 Commission européenne, « EU equivalence decisions in financial services policy : an assessment », document de travail, 22 février 2017, p. 7.

* 124 Ibid ., p. 8.

* 125 Ibid ., p. 10.

* 126 Parlement européen, « Third -country equivalence in EU banking legislation », 7 mars 2017, p. 4.

* 127 Voir par exemple : L'Agefi Quotidien, « Bruxelles brandit l'arme de l'équivalence », 1 er mars 2017 ; L'Agefi Quotidien, « Le Parlement souligne les failles du régime d'équivalence », 17 janvier 2017.

* 128 Voir par exemple les propos tenus le 8 février 2017 par Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor, lors de l'audition relative à la compétitivité des places financières organisée par la commission des finances du Sénat.

* 129 Voir par exemple : Jean-Christophe Catalon, « Brexit : la City demande cinq ans pour se retourner », La Tribune, 9 décembre 2016.

* 130 Voir notamment les propos tenus le 8 février 2017 par Mme Marie-Anne Barbat Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française, lors de l'audition relative à la compétitivité des places financières organisée par la commission des finances du Sénat.

* 131 Ben Wright, « Super equivalence needs new international regulator, says City », The Telegraph, 4 mars 2017.

* 132 Chambre des communes , Treasury Committee, « Oral evidence : Bank of England Financial Stability Reports, HC 549 » , 11 janvier 2017, pp. 8-9.

* 133 « Brexit no longer the biggest risk to UK's financial stability, says Carney » , Financial Times, 11 janvier 2017.

* 134 Paris Europlace, « Brexit : Synthèse des travaux pour la filière Assurance et Réassurance », février 2017, p. 3. Le potentiel de relocalisation porte essentiellement sur le segment de l'assurance des entreprises, hors activités dites « MAT » (maritime, aviation et transport).

* 135 Reuters, « Banquiers : Plutôt quitter Londres que de se convertir en filiale », 9 mai 2017.

* 136 Les Échos, « Des banques européennes menacent de quitter la City face à la pression du régulateur britannique », 10 mai 2017.

* 137 Financial Times, « European banks face €30bn-€40bn capital bill after Brexit », 15 juillet 2016.

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