B. UN FINANCEMENT PRINCIPALEMENT DÉDIÉ AU VOLET « SIRÈNES », DONT L'INTÉRÊT OPÉRATIONNEL APPARAÎT POURTANT LIMITÉ

1. Les sirènes : vecteur traditionnel de l'alerte dont la primauté est contestable

Les sirènes, avec les cloches des églises, sont, en France, le vecteur historique de diffusion de l'alerte à la population. Sa primauté est aujourd'hui largement consacrée, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises estimant qu'elle constitue « le principal vecteur de l'alerte ».

En 2002, le rapport « Hirel » établissait ainsi qu' « un réseau dense de sirènes rest [ait] le moyen le plus approprié pour prévenir, à tout moment et dans les meilleurs délais, le maximum de populations de l'occurrence d'un événement grave. Les technologies nouvelles permettant d'obtenir une grande fiabilité, d'adapter la granulométrie du système en fonction des bassins de risque et d'inscrire le système dans une véritable chaîne de commandement » 17 ( * ) .

Il précisait que les sirènes présentaient principalement trois séries d'avantages :

- elles sont faciles à mettre en oeuvre ;

- une grande partie de la population est susceptible de les entendre, la quasi-totalité en zone urbaine, une proportion notable en zone rurale ;

- elles peuvent délivrer un message clair (« confinez-vous et allumez telle radio ou telle chaîne de télévision »).

Cette analyse doit, aujourd'hui, être largement relativisée.

La sirène en elle-même, qu'elle soit mécanique ou électronique, constitue certes une installation simple et peu onéreuse. Les coûts d'entretien et d'exploitation (de l'ordre de 50 euros d'électricité par an et par sirène, selon les informations recueillies par votre rapporteur) restent faibles. Les moyens d'activation de la sirène peuvent toutefois être facteurs de complexité. L'obsolescence du RNA s'expliquait notamment par le vieillissement des liaisons filaires et des équipements de télécommande 18 ( * ) . S'agissant du SAIP, et dès lors que l'entretien du réseau repose sur Antares, des coûts d'entretien sont également à prévoir. Le chiffrement des boîtiers d'émission-réception, qui assurent la liaison entre le réseau et la sirène, devront par exemple être mis à jour tous les deux ans, impliquant des allers et retours entre les sirènes et les services des préfectures. En tout état de cause, la relative simplicité d'utilisation de la sirène doit être examinée à l'aune de l'émergence des nouveaux moyens de communications beaucoup plus souples, tels que ceux offerts par la téléphonie mobile.

Par ailleurs, l'efficacité du message délivré doit être largement nuancée. Si la conduite à tenir implicite est de rester chez soi et de se tenir informé (sur les radios et chaînes de télévision publiques), un sondage réalisé sur un échantillon représentatif de 1 000 personnes a en effet montré que seuls 22 % des français savaient comment réagir dans les cas où les sirènes hurlaient 19 ( * ) . Par ailleurs, un réseau de sirènes n'est efficient que si une véritable politique de communication, sur les risques existants et sur les mesures d'autoprotection adéquates à tenir en cas d'alerte, est convenablement menée.

Le signal des sirènes d'alerte

Le signal national d'alerte, défini par l'arrêté du 23 mars 2007 relatif aux caractéristiques techniques du signal national d'alerte, et consistant en trois cycles successifs d'une durée de 1 minute et 41 secondes chacune et séparés par un intervalle de 5 secondes, prescrit un comportement réflexe de mise en sécurité.

Plus spécifiquement, pour les aménagements hydrauliques, le signal d'alerte, comportant un cycle d'une durée minimum de 2 minutes composé d'émissions sonores de 2 secondes séparées par un intervalle de 3 secondes, prescrit uniquement une évacuation.

Dans les deux cas, le signal continu de 30 secondes annonce la fin d'une alerte. Il peut être diffusé dans les situations de danger clairement identifié dont les effets cessent instantanément.

L'émission du signal national d'essai comporte un cycle unique d'une durée de 1 minute et 41 secondes.

Le signal d'essai des dispositifs d'alerte des aménagements hydrauliques comporte, pour sa part, un cycle d'une durée de 12 secondes composé de trois émissions sonores de 2 secondes séparées par un intervalle de 3 secondes.

Source : Guide ORSEC 2013

Enfin, les sirènes ne constituent pas un moyen approprié d'alerte dans de nombreux cas. Leur efficacité dépend en premier lieu des conditions météorologiques (elles sont inopérantes en cas de forts vents, par exemple) et des lieux et populations concernées par l'alerte (espaces clos, personnes malentendantes ou n'étant pas dans le rayon d'action d'une sirène sont de fait exclues de ce moyen d'alerte). Même des scénarios dans lesquels les sirènes apparaissaient a priori comme le moyen d'alerte le plus pertinent, à l'instar des accidents industriels, ont montré que les sirènes n'étaient pas nécessairement adaptées. Ainsi, lors de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001, le bruit de l'explosion a suffi à alerter les populations avoisinantes. Dans ce cas, l'utilisation de moyens d'alerte pouvant également véhiculer de l'information aurait été bien plus pertinente. En cas d'attaque terroriste, les sirènes peuvent par ailleurs amplifier les mouvements de panique et entrer en contradiction avec d'autres consignes (fuir plutôt que se confiner) et n'ont donc jamais été déclenchées en de pareils cas.

Au total, considérer les sirènes comme « principal moyen d'alerte » constitue une doctrine datée, qui n'est plus en phase avec les nouveaux risques et les nouveaux moyens d'alerte. Les sirènes devraient, en conséquence, être considérées comme un moyen d'alerte parmi d'autres .

Recommandation n° 1 : afin de favoriser le développement d'autres moyens d'alerte ( smartphones , médias, etc.) et pour en améliorer la diffusion, renoncer à la doctrine faisant des sirènes le « vecteur principal » de diffusion de l'alerte.

2. Un financement qui aurait dû porter davantage sur les autres vecteurs d'alerte et d'information, notamment la téléphonie mobile

Tant le rapport « Hirel » que les travaux récents menés sur les moyens d'alerte et d'information des populations insistent sur la nécessité de combiner plusieurs moyens pour véhiculer l'alerte. Au plan national, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises estime que « si le vecteur principal de l'alerte est constitué par la sirène, l'alerte et l'information des populations ne sont cependant pas circonscrites à ce seul moyen ». Pourtant, les choix de financement du SAIP ne reflètent pas cette stratégie.

Si les sirènes, les télévisions et radios restent très utilisées dans les pays étrangers, beaucoup de systèmes nationaux d'alerte reposent également depuis longtemps sur la téléphonie mobile (SMS géo-localisés en Norvège depuis 2007, Cell Broadcast 20 ( * ) aux Pays-Bas, au Japon et en Corée depuis 2012, applications smartphone en Allemagne depuis 2012...) 21 ( * ) . La téléphonie mobile, qui permet, en plus de l'alerte, d'assurer l'information est dans la plupart des cas plus pertinente. Par ailleurs, l'augmentation tendancielle du taux d'équipement en téléphones mobiles, qui atteint aujourd'hui 93 % de la population (contre 63 % pour les smartphones , qui connaissent toutefois une forte hausse depuis 2011) 22 ( * ) , tend à accroître la force de pénétration de ce moyen d'alerte.

Les initiatives locales prises dans les bassins de risque, antérieurement ou indépendamment du SAIP, démontrent cette prise de conscience de l'insuffisance des sirènes. À proximité de certains sites classés Seveso et soumis à des plans particuliers d'intervention (PPI) 23 ( * ) , des systèmes d'alerte par téléphone permettent d'alerter et informer les populations avoisinantes sont mis en place. Plusieurs préfectures disposent de moyens d'avertissement des maires en cas d'événement nécessitant des réactions urgentes de leur part.

En tout état de cause, le financement du SAIP, très largement concentré sur les sirènes, ne prend pas suffisamment en compte cette logique multi-vectorielle. La première phase du déploiement du SAIP a en effet été répartie comme suit :

- réalisation du logiciel pilote, coeur du dispositif, pour 2,4 millions d'euros ;

- déploiement de 2 830 sirènes, correspondant aux sites présentant les plus forts enjeux, pour 35,5 millions d'euros ;

- études opérationnelles concernant la téléphonie mobile, pour 5 millions d'euros.

Répartition initiale des crédits
de la première vague de financement

Source : commission des finances du Sénat

Observation : eu égard à son impact opérationnel, le volet « mobile » apparaît trop largement négligé. Une augmentation substantielle de la part des crédits alloués à cette partie du budget est nécessaire, au moins pour la seconde phase 24 ( * ) .

Recommandation n° 2 : rééquilibrer les crédits de la phase 2, en renforçant le financement du volet « mobile » pour garantir la mise en place soit d'une application smartphone pleinement efficace (scénario 2) soit le recours au Cell Broadcast (scénario 1).


* 17 Rapport sur le réseau national d'alerte de l'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des finances, le conseil général des technologies de l'information, le contrôle général des armées et l'inspection générale de l'environnement, novembre 2002, p. 41.

* 18 Ibid, p. 6.

* 19 Sondage IFOP, Que faire si les sirènes hurlent ? , 2013.

* 20 Technologie proche du SMS géolocalisée, explicitée infra p. 31.

* 21 European Emergency Numbers Associations, Public warnings, 15 juillet 2015.

* 22 CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2016.

* 23 Le PPI définit l'organisation des secours en cas d'accidents susceptibles d'affecter les populations dans une installation classée (installations nucléaires, usines chimiques, stockages souterrains de gaz, barrages de plus de 20 mètres de hauteur et pouvant stocker plus de 15 millions de mètres cube d'eau, infrastructures liées au transport des matières dangereuses et laboratoires utilisant des micro-organismes).

* 24 Cf infra , partie du rapport relative à l'application mobile.

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