B. UNE CAPTATION DE LA RESSOURCE PAR L'ÎLE-DE-FRANCE À RELATIVISER

1. Une concentration mécanique du produit de CVAE en Île-de-France, corrigée par les dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle

La crainte de transferts intra-groupes provient entre autres de la concentration du produit de la CVAE en Île-de-France , qui est effectivement très différente de celle des bases de taxe professionnelle, comme l'illustre le tableau ci-dessous. Le tableau doit néanmoins être examiné en se souvenant que, outre la création de la CVAE, la suppression de la taxe professionnelle s'est accompagnée de la mise en place, notamment, de la CFE (dont le produit est d'environ 7 milliards d'euros environ) et des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau (1,5 milliard d'euros environ) et par le transfert au bloc communal de la taxe sur les surfaces commerciales (700 millions d'euros environ).

Comparaison du poids de chaque région dans les bases de taxe professionnelle
et dans le produit de CVAE

Poids de la région dans les bases de TP
(2009)

Poids de la région dans le produit de CVAE (2011)

Évolution

Alsace

3,7 %

3,0 %

- 18,9 %

Aquitaine

4,1 %

4,0 %

- 2,4 %

Auvergne

1,9 %

1,5 %

- 21,1 %

Basse Normandie

2,4 %

1,7 %

- 29,2 %

Bourgogne

2,3 %

2,0 %

- 13,0 %

Bretagne

3,9 %

3,8 %

- 2,6 %

Centre

4,0 %

3,5 %

- 12,5 %

Champagne-Ardenne

2,4 %

1,7 %

- 29,2 %

Corse

0,0 %

0,3 %

-

Franche-Comté

2,0 %

1,5 %

- 25,0 %

Guadeloupe

0,4 %

0,2 %

- 50,0 %

Guyane

0,2 %

0,1 %

- 50,0 %

Haute Normandie

4,2 %

2,8 %

- 33,3 %

Île-de-France

21,5 %

32,8 %

+ 52,6 %

La Réunion

0,6 %

0,6 %

-

Languedoc-Roussillon

2,5 %

2,6 %

+ 4,0 %

Limousin

0,9 %

0,7 %

- 22,2 %

Lorraine

4,1 %

2,6 %

- 36,6 %

Martinique

0,4 %

0,3 %

- 25,0 %

Midi-Pyrénées

3,6 %

3,7 %

+ 2,8 %

Nord-Pas-de-Calais

6,8 %

5,1 %

- 25,0 %

Pays-de-la-Loire

5,0 %

4,9 %

- 2,0 %

Picardie

2,9 %

2,2 %

- 24,1 %

Poitou-Charentes

2,2 %

2,0 %

- 9,1 %

Provence-Alpes-Côte d'Azur

6,6 %

6,3 %

- 4,5 %

Rhône-Alpes

11,3 %

10,3 %

- 8,8 %

Total

100,0 %

100,0 %

-

En grisé les régions qui ont vu leur part augmenter.

Source : commission des finances du Sénat

Alors que l'Île-de-France comptait à peine plus d'un cinquième des bases de taxe professionnelle, elle concentre désormais 35 ( * ) près d'un tiers du produit de CVAE .

Il faut cependant avant tout y voir la conséquence du choix du législateur de baser la nouvelle fiscalité économique locale sur la valeur ajoutée : ceci conduit mécaniquement à concentrer le produit de cette imposition sur les territoires produisant la valeur ajoutée la plus importante, à commencer par l'Île-de-France .

Par ailleurs, cette concentration du produit de CVAE sur le territoire francilien doit également être relativisée au regard des mécanismes de compensation exposés précédemment, destinés à neutraliser les effets de la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales, pour la première année d'application. À ce titre, les collectivités territoriales franciliennes participent à hauteur de 1,7 milliard d'euros chaque année aux mécanismes de compensation , comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Participation des collectivités territoriales franciliennes aux mécanismes
de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (2016)

(en millions d'euros)

Versement DCRTP

Solde FNGIR

Région Île-de-France

-

- 674,8

Départements franciliens

156,7

- 930,0

Communes franciliennes

73,3

- 189,9

EPCI franciliens

65,8

- 220,9

TOTAL

295,8

- 2 015,6

Solde du territoire francilien

- 1 719,9

Source : commission des finances du Sénat

À ces chiffres pourrait être ajoutée, dans une certaine mesure, la contribution nette du territoire francilien au FPIC (350 millions d'euros environ en 2016), mis en place pour accompagner la réforme de 2010.

2. Une comparaison entre la répartition de la CVAE et du PIB peu éclairante

Les craintes évoquées précédemment ont également été alimentées par une comparaison entre la répartition du produit de CVAE et celle de la valeur ajoutée, c'est-à-dire du PIB . Le raisonnement sous-jacent étant qu'un décalage entre ces deux données trahirait des transferts injustes de valeur ajoutée entre territoires, notamment au profit de ceux concentrant des sièges sociaux.

Écart entre la contribution au PIB de chaque région
et son poids dans le produit de CVAE

Part du PIB 2012

Part de la CVAE 2014

Gain ou perte

Alsace

2,6 %

2,9 %

+ 9,1 %

Aquitaine

4,5 %

4,1 %

- 8,5 %

Auvergne

1,7 %

1,6 %

- 4,8 %

Basse Normandie

1,8 %

1,7 %

- 4,5 %

Bourgogne

2,1 %

2,0 %

- 4,8 %

Bretagne

4,1 %

3,8 %

- 6,6 %

Centre

3,3 %

3,6 %

+ 9,1 %

Champagne-Ardenne

1,8 %

1,7 %

- 6,0 %

Corse

0,4 %

0,3 %

- 22,5 %

Franche-Comté

1,4 %

1,4 %

- 3,5 %

Guadeloupe

0,4 %

0,3 %

- 32,5 %

Guyane

0,2 %

0,1 %

- 36,8 %

Haute Normandie

2,5 %

2,7 %

+ 8,2 %

Île-de-France

30,1 %

31,7 %

+ 5,3 %

La Réunion

0,8 %

0,6 %

- 22,5 %

Languedoc-Roussillon

3,2 %

2,7 %

- 15,6 %

Limousin

0,9 %

0,7 %

- 17,6 %

Lorraine

2,8 %

2,6 %

- 7,2 %

Martinique

0,4 %

0,3 %

- 31,7 %

Midi-Pyrénées

3,9 %

4,1 %

+ 4,1 %

Nord-Pas-de-Calais

5,1 %

4,8 %

- 5,1 %

Pays-de-la-Loire

5,0 %

5,0 %

+ 0,2 %

Picardie

2,3 %

2,2 %

- 1,3 %

Poitou-Charentes

2,2 %

2,1 %

- 5,4 %

Provence-Alpes-Côte d'Azur

7,0 %

6,6 %

- 6,0 %

Rhône-Alpes

9,7 %

10,5 %

+ 8,7 %

En grisé les régions dont le produit de CVAE est supérieur à leur contribution au PIB.

Source : commission des finances du Sénat

On constate de nombreux écarts entre les deux données et notamment en ce qui concerne l'Île-de-France si l'on raisonne en valeur absolue (+ 1,6 point). Les écarts sont toutefois également très importants en valeur relatives dans de nombreuses régions (- 37 % en Guyane).

Ces écarts doivent cependant être relativisés et ne permettent pas de conclure à une remontée de la valeur ajoutée aux sièges sociaux , car ils s'expliquent par le fonctionnement même de l'impôt. La valeur ajoutée au sens de la CVAE et la valeur ajoutée au sens de l'Insee sont deux données différentes (cf. encadré) et il semble donc difficile de vouloir apprécier la répartition de la CVAE au regard d'une valeur ajoutée calculée différemment .

Comparaison des valeurs ajoutées comptable et fiscale

La valeur ajoutée, de façon générale, représente la création de richesse de l'entreprise ; elle se calcule en retranchant du chiffre d'affaires, majoré de certains autres produits de gestion, les consommations de biens et services. Cependant, la valeur ajoutée fiscale , c'est-à-dire au sens de la CVAE, diffère de la valeur ajoutée comptable calculée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Le tableau ci-dessous retrace ces différences.

VA comptable

VA fiscale

Agrégats absents
de la VA comptable

Agrégats de la VA comptable absents de la VA fiscale

Valeur de la production diminuée de la consommation intermédiaire

- Redevances pour concessions, brevets, licences, etc.

- Plus-values de cession d'actif liées à l'activité normale et courante

- Subventions d'exploitation

- Autres produits de gestion courante

- Rentrées sur créances amorties liées au résultat d'exploitation

- Montant des loyers et redevances exclus des charges déductibles

- Certaines taxes sur le chiffre d'affaires et contributions indirectes

- Autres charges de gestion courante

- Amortissements des biens corporels donnés en location plus de six mois ou en crédit-bail

- Moins-values de cession d'actif liées à l'activité normale et courante

Ces modalités de calcul distinctes se justifient par la nécessité pour la valeur ajoutée fiscale de mieux appréhender la réalité de l'activité économique d'une entité, et de neutraliser en partie les effets des opérations intra-groupes . Tel est le cas par exemple de l'exclusion des loyers portant sur des locations de plus de six mois des charges déductibles.

Par ailleurs, en parallèle de l'assiette de droit commun, quatre définitions particulières sont prévues par la loi pour appréhender des activités spécifiques de nature financière. Sont concernés les établissements de crédit, sociétés de financement et entreprises d'investissement agréées, les entreprises de gestion d'instruments financiers, les sociétés créées pour une opération de financement d'immobilisations corporelles, ainsi que les entreprises d'assurance et assimilées.

3. Une hausse des recettes qui ne traduit pas un dynamisme particulier de la CVAE sur le territoire francilien

S'agissant de la dynamique de la CVAE, il faut distinguer ce qui relèverait du dynamisme propre à chaque région et le fait que, les bases étant concentrées, même à progression identique, certaines régions verront leur produit de CVAE progresser davantage .

Sur ce deuxième point, le tableau ci-dessous retrace, dans l'ordre décroissant, la hausse du produit de CVAE par habitant résultant d'une augmentation de 1 % du produit de CVAE de chaque région par rapport à son niveau de 2011. On voit ainsi que la concentration des bases fiscales en Île-de-France permet à cette région de gagner plus d'un euro par habitant, quand la plupart des régions gagnent entre 40 et 50 centimes. Ce résultat est logique, dès lors que la CVAE a été assise sur la valeur ajoutée. Il montre néanmoins que cette région bénéficie grandement de la mise en place de la CVAE, sans que les mécanismes de compensation de la réforme n'aient d'effet puisqu'ils ne jouent que sur le « stock » de CVAE 2011 .

Hausse du produit de CVAE par habitant lorsque chaque région
voit son produit 2011 progresser de 1 %

(en millions d'euros et en euros par habitant)

Région (hors Mayotte)

Hausse

Hausse
par habitant

Région (hors Mayotte)

Hausse

Hausse
par habitant

Île-de-France

12,1

1,02

Bretagne

1,4

0,43

Rhône-Alpes

3,8

0,61

Picardie

0,8

0,43

Alsace

1,1

0,60

Auvergne

0,6

0,42

Haute-Normandie

1,0

0,56

Basse-Normandie

0,6

0,42

Centre

1,3

0,50

Lorraine

1,0

0,42

Pays de la Loire

1,8

0,50

Poitou-Charentes

0,7

0,41

Provence-Alpes-Côte D'azur

2,3

0,47

Languedoc-Roussillon

1,0

0,36

Midi-Pyrénées

1,3

0,46

Limousin

0,3

0,36

Champagne-Ardenne

0,6

0,46

Corse

0,1

0,33

Nord-Pas-de-Calais

1,9

0,46

La Réunion

0,2

0,26

Franche-Comté

0,5

0,46

Martinique

0,1

0,25

Aquitaine

1,5

0,45

Guadeloupe

0,1

0,21

Bourgogne

0,7

0,45

Guyane

0,0

0,17

Source : commission des finances du Sénat

Par ailleurs, le dynamisme du produit de CVAE a été très différent selon les régions . S'il est en moyenne de 13 % au niveau national, on peut distinguer :

- quatre régions qui ont connu une progression supérieure à 20 % (Midi-Pyrénées, Guadeloupe, Poitou-Charentes et Corse) ;

- sept régions où cette progression est inférieure à 10 % (Franche-Comté, La Réunion, Haute Normandie, Martinique, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais et Picardie).

L'Île-de-France se situe parfaitement dans la moyenne (13 %), même si l'on peut distinguer en son sein des évolutions très contrastées entre la ville de Paris (+ 22 %) et les Hauts-de-Seine (+ 6 %, soit la cinquième plus faible progression). Dans l'ensemble, la CVAE n'est donc pas plus dynamique sur le territoire francilien que sur l'ensemble du territoire . De plus, le fait que le département des Hauts-de-Seine - qui abrite le quartier d'affaires de La Défense - n'ait connu qu'une croissance de 6 % relativise l'hypothèse d'une remontée de la valeur ajoutée vers les sièges sociaux .

Évolution du produit de CVAE de chaque région entre 2011 et 2015

Source : commission des finances du Sénat


* 35 S'agissant de chiffres de 2011, la pondération des valeurs locatives et des effectifs pour les établissements industriels est égale à 2 et non à 5 comme elle l'est depuis 2014.

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