L'AUTORITÉ EUROPÉENNE DU TRAVAIL ET L'AMÉLIORATION DES CONTRÔLES

La Commission a annoncé, le 13 mars dernier, la création d'une Autorité européenne du travail 23 ( * ) . Ce projet, appuyé par les autorités françaises, s'inscrit dans la lignée de la révision en cours de la directive sur le détachement des travailleurs et de la mise en oeuvre, en 2016, d'une plateforme européenne de lutte contre le travail illégal. L'ambition affichée est de mieux encadrer les conditions d'exercice de la liberté de circulation des travailleurs et d'assurer ainsi une mobilité équitable.

À l'occasion de son discours sur l'état de l'Union prononcé le 13 septembre 2017, le président de la Commission européenne avait envisagé la création d'une Autorité commune du travail destinée « à veiller au respect de l'équité dans notre marché unique » et à lutter contre l'apparition de « travailleurs de seconde classe ». Un tel dispositif avait déjà été ébauché en 2013 par la Commission européenne. Il s'agissait alors de créer une structure destinée à coordonner et renforcer les investigations menées par les inspecteurs du travail au niveau national. Dans une résolution européenne adoptée en 2013, l'Assemblée nationale avait également dressé les contours d'une Agence européenne du travail mobile, dont l'activité serait transectorielle 24 ( * ) .

L'Autorité européenne du travail est censée répondre au besoin, maintes fois réaffirmé des organismes de contrôle nationaux, d'un renforcement concret de la coopération administrative entre les États membres. Les autorités de contrôle des États d'accueil rappellent régulièrement les difficultés rencontrées pour pouvoir avoir accès à des documents ou des informations dont disposent les États d'envoi, alors même que les opérations de détachement sont, par essence, limitées dans le temps. La coopération est, dans ces conditions, souvent jugée décevante, voire inopérante. Il s'agit, à cet effet, de dynamiser la coopération opérationnelle mais aussi de proposer une médiation rapide - moins de trois mois -, et de faciliter la recherche de solutions en cas de différends ou de perturbations transfrontières du marché du travail liées à des restructurations d'entreprises multinationales. L'Autorité devrait, par ailleurs, fournir des informations sur la mobilité de la main-d'oeuvre aux particuliers et aux entreprises.

L'Autorité ne se substituera pas, cependant, aux États membres en vue de veiller au respect du droit de l'Union en matière de mobilité. Elle n'exercera, conformément aux traités, qu'une compétence d'appui et permettra avant tout de fluidifier la coopération administrative entre États. Il ne s'agit pas de créer une inspection européenne du travail mais plutôt de faciliter les échanges entre les corps nationaux dédiés, en promouvant, en la matière, des approches novatrices et en permettant la mise en oeuvre d'inspections concertées et communes. L'Autorité apportera alors un soutien logistique et technique et relaiera, le cas échéant, auprès des États membres concernés, des soupçons d'irrégularité qui découleraient de ces contrôles. Elle prendrait alors le relais des accords bilatéraux en matière de contrôle signés par de nombreux États membres : 8 devraient ainsi être signés par la France en 2018.

La nouvelle Autorité devrait coopérer avec plusieurs organismes existants, pour l'essentiel des comités techniques ou d'experts. Il est regrettable qu'elle ne s'y substitue pas. Elle aurait ainsi plus pleinement simplifié le paysage institutionnel et décloisonné les différents services en charge de la mobilité transfrontière (la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofund), le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cefedop), l'Agence pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), la Fondation européenne pour la formation (ETF) ou le portail européen sur la mobilité de l'emploi (EURES)) . Elle devrait cependant prendre le relais de la plateforme européenne sur le travail non déclaré lancée en mai 2016 25 ( * ) . Celle-ci se réunit pour l'heure deux fois par an. Trois priorités lui ont été assignées : acquérir une meilleure connaissance des différentes formes du travail non déclaré, aider les membres à apprendre les uns des autres grâce à l'échange de bonnes pratiques, et encourager les activités conjointes telles que les échanges de personnel, les inspections transfrontalières communes ou les campagnes. Il s'agit désormais de rendre ce dispositif plus opérationnel et plus contraignant qu'il ne l'est actuellement.

Le budget prévu pour ce nouvel organe sera de l'ordre de 50,9 millions d'euros annuels ; 144 postes, dont 60 experts nationaux détachés, étant créés. Le financement pour la période 2019-2020 sera réalisé par des redéploiements de crédits.

À l'instar de ce que propose le rapporteur de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement européen sur le projet de révision des règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale, M. Guillaume Balas (France - S&D) (cf infra ), il pourrait être envisagé d'aller plus loin et de permettre à l'Autorité de s'appuyer sur une « banque-carrefour de la sécurité sociale », sur le modèle belge, fondée sur une interconnexion des systèmes européens de sécurité sociale 26 ( * ) . Une entité d'un État membre pourrait directement y consulter les données sur un travailleur détaché sans passer par une procédure d'échange. Instituée en 1990, la Banque carrefour de la sécurité sociale belge (BCSS) a développé un réseau électronique reliant les différentes institutions de sécurité sociale locales. Chacune d'entre elles est responsable de l'enregistrement et de la tenue à jour des informations contenues dans sa banque de données. Elle permet aux services sociaux de vérifier la véracité des déclarations d'emploi et, ainsi, de lutter contre le travail illicite ou dissimulé. Les assurés bénéficient, de leur côté, de services personnels électroniques leur permettant de consulter et de gérer leurs dossiers sociaux (mutuelle, retraite, chômage).

Il pourrait également être envisagé que la nouvelle Autorité publie une liste noire des entreprises condamnées pour fraude au détachement, consultable par les autorités de contrôle . Elle pourrait, dans le même temps, élaborer un registre d'entreprises réalisant des prestations de service au sein de plusieurs États membres afin de mieux cerner les « entreprises boîte aux lettres ».


* 23 Proposition de règlement établissant une Autorité européenne du travail (COM(2018) 131 final), 13mars 2018.

* 24 Résolution européenne de l'Assemblée nationale n° 185 (2012-2013) du 11 juillet 2013 sur la proposition de directive relative à l'exécution de la directive sur le détachement des travailleurs (article 5).

* 25 Décision (UE) 2016/344 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 établissant une plateforme européenne afin de renforcer la coopération dans la lutte contre le travail non déclaré.

* 26 Projet de rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 ; 20 novembre 2017.

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