C. UNE CONCURRENCE EXACERBÉE ENTRE ÉTATS, OÙ CHACUN ENTEND FAVORISER SON INDUSTRIE NATIONALE

Si la mondialisation de l'économie a favorisé l'émergence de grands groupes industriels qui peuvent avoir une action et une stratégie qui ne leur sont pas dictées par les pouvoirs publics, les États, à travers le globe, n'ont pas renoncé, loin s'en faut, à agir pour favoriser l'essor des activités industrielles sur leur territoire et la compétitivité de leurs « champions ».

Ainsi, les États ont tendance à conforter la spécialisation de leur industrie dans certains secteurs en pointe ou, à l'inverse, contribuent à favoriser des secteurs perçus comme à fort impact potentiel , quand ils n'ont pas tout bonnement mis en place un système de planification, à l'instar de la Chine. Dans tous les cas, les pouvoirs publics des plus grandes nations industrielles ont adopté des stratégies pour faire face aux mutations actuelles.

L'industrie reste donc bien une affaire d'États , alors qu'en Europe, l'Union européenne peine à dégager une stratégie véritable. La stratégie française doit donc prendre place dans ce contexte international .

1. Des stratégies nationales en faveur de l'industrie parfois très dirigistes
a) Des stratégies d'orientation, de promotion et d'accompagnement
(1) L'Allemagne

Selon le service économique régional de Berlin, avec lequel s'est entretenue la mission lors de son déplacement à Munich, le succès industriel de l'Allemagne est peu lié à une véritable politique industrielle d'investissement et de subventionnement sectorialisée . Il est néanmoins patent, avec un secteur industriel qui représente 22,9 % de la valeur ajoutée brute totale du pays et emploie 17,3 % des actifs.

De manière générale, les machines-outils 15 ( * ) permettent à l'Allemagne de pouvoir se positionner efficacement sur les chaînes de valeur, en particulier en ce qui concerne les biens à haute valeur ajoutée. La force industrielle sur ce secteur est donc un point clé de la localisation des industries en Allemagne, car il permet l'émergence d'un véritable écosystème industriel, capable de servir les besoins de l'innovation industrielle en local. Sur le plan de l'innovation, l'industrie allemande est d'ailleurs à elle seule à l'origine de 85 % des dépenses de recherche et développement en Allemagne. En termes de branches, l'industrie automobile (10,2 Md€ de dépenses) est leader, devant l'électronique (9,9 Md€), la chimie/pharmacie (7,8 Md€) ainsi que les machines et équipements (5,6 Md€).

Néanmoins, les pouvoirs publics allemands sont présents pour orienter les acteurs industriels et les soutenir pleinement dans l'appropriation de certaines filières . Tel est le cas, en particulier, des domaines de l'aéronautique et de l'aérospatial , pour lesquels une « coordinatrice du Gouvernement fédéral allemand » a suggéré une stratégie spécifique en matière spatiale et d'aéronautique civile, visant clairement à renforcer les capacités et compétences de l'industrie allemande pour « assumer un rôle directeur » dans le programme court et moyen-courrier successeur de l'A 320 d'Airbus, ou de prendre la direction et la responsabilité d'un autre programme de développement d'hélicoptère civil d'Airbus Helicopters en Allemagne, grâce à un « élargissement judicieux du portefeuille de produits civils existants » 16 ( * ) .

De plus, l'Allemagne a, la première, développé en 2011 un plan de digitalisation de son industrie, « Industrie 4.0 ». Comme l'ont relevé les représentants de la Fabrique de l'industrie lors de leur audition par la mission, portée initialement par les équipementiers (la première plateforme « Industrie 4.0 » était pilotée par trois fédérations industrielles), cette stratégie prévoit une démarche en trois temps :

- d'abord, bâtir une offre allemande innovante de biens d'équipements et de services numériques dédiés à la production (offreur de solutions pour l'industrie) ;

- ensuite, poursuivre la digitalisation de l'industrie classique ;

- enfin, étendre le projet « Industrie 4.0 » aux services intelligents (à partir de 2015).

(2) Le Royaume-Uni

L'approche du Royaume-Uni, où le secteur industriel représente 13 % de la valeur ajoutée du pays, est traditionnellement peu interventionniste. Toutefois, la crise financière de 2008 puis le Brexit ont révélé les problèmes structurels de son économie, marquée par un déficit de productivité et de fortes inégalités territoriales. L'industrie étant perçue comme un levier pour résoudre ces faiblesses, le rôle de l'État a donc fortement évolué et se positionne désormais comme un chef de file autour de la définition d'une véritable stratégie industrielle.

Cette évolution s'est traduite récemment par l'élaboration d'un « Livre blanc sur la stratégie industrielle » en novembre 2017 ayant pour ambition d'augmenter la productivité britannique en agissant sur ses cinq fondements (idées, capital humain, infrastructures, environnement des affaires et territoires) et en investissant dans les technologies de la quatrième révolution industrielle (objets connectés, digitalisation). Dans ce cadre, le ministre de l'Économie Greg Clark a identifié quatre défis technologiques majeurs auxquels le Royaume-Uni doit répondre : l'intelligence artificielle et données ; la croissance verte ; la mobilité ; le vieillissement.

Si les milieux d'affaires saluent les propositions et la création d'un organe indépendant chargé d'évaluer l'avancement de cette stratégie, peu de mesures concrètes nouvelles ont été en réalité annoncées, la majorité des actions déployées autour des quatre thèmes précités ayant déjà été présentée lors du projet de loi de finances 2018-19. 17 ( * )

(3) Le Japon

Confrontée à des enjeux de productivité (avec un taux de productivité inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE), de démographie (avec un vieillissement démographique et une dénatalité qui pourrait réduire la population japonaise de 127 millions d'habitants en 2017 à 90 millions en 2060), de compétitivité 18 ( * ) et de gouvernance (avec une tendance forte à l'accumulation de trésorerie plutôt qu'à l'investissement et des dirigeants d'entreprises peu enclins à développer des stratégies d'entreprises innovantes et ne permettant pas d'éviter des falsifications financières ou de produits), l'industrie japonaise fait l'objet de mesures récentes de la part du Gouvernement, notamment dans le cadre de la stratégie de revitalisation de l'économie japonaise insufflée par le Premier ministre, Shinzo Abe, connue sous le nom d'« Abenomics ».

Ces initiatives s'ordonnent autour de quatre axes :

- une action transversale, dans le cadre de l'Industrial Competitiveness Enhancement Act , adopté en 2013 ;

- une action de digitalisation de l'industrie, dans le cadre de l'initiative « Connected Industries » ;

- un renforcement des coopérations industrie-gouvernement-monde académique et de l'« Open Innovation » ;

- la promotion des start-up japonaises. 19 ( * )

b) Des stratégies nationales plus dirigistes
(1) La Corée du sud

11 ème économie mondiale selon l'OCDE en 2016, la Corée du sud a fait reposer son développement économique principalement sur un appareil productif orienté vers l'exportation. Suivant une stratégie de substitution aux importations , la Corée a tout d'abord développé des industries à forte intensité de main oeuvre (textiles, produits électroniques bas de gamme, sidérurgie, construction navale,...) puis s'est dotée d'industries à plus forte valeur ajoutée (semi-conducteurs, pétrochimie, smartphones, écrans plats,...).

Le succès de cette stratégie industrielle a reposé pendant plusieurs décennies sur l'alliance entre les dirigeants politiques, les grandes familles d'industriels ( chaebols ) et un système bancaire dédié au financement du développement des groupes coréens. Cette stratégie de développement économique explique la place importante qu'occupe encore aujourd'hui l'industrie dans le PIB coréen (38,6 %).

Toutefois, selon le service économique régional de Séoul, l'industrie coréenne fait aujourd'hui face à la concurrence des grands pays émergents comme la Chine et l'Inde, qui bénéficient d'une main oeuvre à meilleurs prix, et du Japon dont la spécialisation industrielle est similaire. Aussi le nouveau président de la République de Corée, Moon Jae-In, entend-il accorder la priorité à la « 4 ème révolution industrielle » pour permettre à l'industrie coréenne de trouver de nouveaux relais de croissance. 20 ( * )

(2) La planification industrielle chinoise

Inscrite dans le cadre de sa planification quinquennale (13 ème plan, 2016-2020), la politique industrielle de la Chine s'inscrit dans la recherche d'une « Nouvelle révolution industrielle » fondée sur l'informatisation des chaînes de production et l'intégration de technologies innovantes (objets connectés, fabrication additive, big data, biotechnologies...). Dans ce cadre, le Conseil des affaires d'État chinois a ainsi publié au cours de l'année 2015 deux plans, « China Manufacturing 2025 » et « Internet + » devant servir de feuille de route à long terme.

Dans ce cadre, la Chine déploie, selon le service économique régional de Pékin, des moyens financiers considérables et souhaite rapidement s'imposer comme leader mondial dans les domaines :

- du véhicule à énergie nouvelle . La Chine est de loin le premier producteur et le premier marché mondial pour les véhicules à énergie nouvelle. La croissance de ce marché est extrêmement rapide : 770 000 véhicules à énergie nouvelle vendus en Chine en 2017 (3,1 % du total des ventes), 500 000 en 2016 (2,1 %) et 300 000 en 2015 (1,4 %). À près de 90 %, il s'agit de véhicules tout électrique ;

- et des technologies numériques . Dans ce domaine, la Chine bénéficie de la taille de son marché intérieur. Outre le plan « Internet + », plusieurs plans sectoriels précisent les ambitions de la Chine, en ayant pour but de faire de ce pays un leader dans de nombreux domaines de l'économie numérique :

- un plan de développement de l'industrie du traitement de données (« big data ») adopté en décembre 2016. Le chiffre d'affaires généré par ce secteur au sens large doit atteindre 1000 Mds CNY (environ 130 Mds EUR) en 2020 contre 280 Mds CNY (35 Mds EUR) en 2016 ;

- un plan portant sur les objets connectés adopté en janvier 2017. Ce plan vise notamment une production de 1 500 Mds CNY (environ 200 Md€) en 2020 pour le secteur des objets connectés au sens large (allant de la fabrication d'objets aux services en passant par le réseau télécom) Surtout, les objets connectés devraient se répandre dans un grand nombre de secteurs de l'industrie, de l'agriculture ou du bâtiment. Le renforcement de la cyber-sécurité est également pris en compte ;

- un plan de développement du « cloud computing » adopté en avril 2017, qui vise notamment le passage de 150 Mds CNY (20 Mds EUR) en 2015 à 430 Mds CNY (56 Mds EUR) en 2019 du chiffre d'affaires du secteur ;

- un plan pour le développement de l'intelligence artificielle (IA) adopté en juillet 2017. Ce plan, qui comporte de nombreuses synergies avec le plan « big data », distingue une phase initiale de rattrapage (avant 2020) et une deuxième phase où le pays doit parvenir à s'imposer comme leader mondial et centre de l'innovation dans ce domaine. Les industries liées à l'IA devraient représenter un marché de 1000 Mds CNY en 2025. L'IA devrait être intégrée d'ici 2030 dans de multiples domaines de l'économie chinoise : agriculture, santé, éducation, santé, sécurité, robotique, réalité virtuelle, et automobile.

La stratégie chinoise repose ainsi sur une politique sectorielle très interventionniste . 21 ( * )

2. Une stratégie européenne qui n'a pas encore pris toute sa mesure

En 2014, le cabinet Roland Berger estimait que pour que l'Europe reste une terre d'industrie, il serait nécessaire que les entreprises consacrent à l'évolution technologique 1 350 milliards sur 15 ans, soit 90 milliards par an 22 ( * ) . Ces chiffres éloquents montrent combien une action d'ampleur au niveau de l'Union européenne est nécessaire pour porter l'évolution des entreprises industrielles européennes. Votre mission ne peut toutefois que constater, pour le regretter, que la stratégie industrielle en la matière n'a pas encore pris toute sa mesure.

a) Une stratégie morcelée

C'est de façon tardive que l'Union européenne a conçu l'existence d'une politique industrielle propre. Ce n'est qu'avec le Traité de Maastricht, en 1992, que l'Europe communautaire s'est dotée d'une base légale ad hoc en matière industrielle, alors même que des projets industriels - dans le charbon et l'acier pour la CECA en 1951, et l'industrie nucléaire, pour l'EURATOM en 1957 - ont joué un rôle moteur au début de l'intégration européenne.

Certes, aujourd'hui, aux termes de l'article 6 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'industrie est l'un des domaines d'action de l'Union, mais en vertu de son article 173 du traité, la « politique industrielle » n'est pas une politique pleinement « communautarisée ». Sous réserve des politiques qui ont des incidences sur l'industrie et sont « communautarisées », comme la politique de concurrence ou la politique commerciale, la stratégie à l'égard de l'industrie relève ainsi d'abord des États membres.

Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, la Commission européenne a multiplié les communications préconisant, par des mesures générales ou sectorielles, de renforcer la position de l'industrie européenne, notamment compte tenu de l'émergence de nations industrielles fortes, d'abord spécialisées sur les activités à bas coût, mais faisant l'objet d'une montée en gamme rapide.

Pour autant, au plan européen, l'industrie manque de longue date d'une stratégie transversale, seule à même d'actionner l'ensemble des leviers réglementaires ou financiers de nature à favoriser son développement. Les institutions de l'Union européenne n'ont longtemps pas regardé l'industrie comme un « domaine » d'activité à part entière, tant et si bien que les politiques d'intégration européenne n'ont jamais porté spécifiquement sur l'industrie. Or, construire une véritable « politique industrielle européenne » exige d'intervenir de manière concertée et ordonnée sur des politiques de l'Union européenne nombreuses : le développement du marché intérieur, la politique commerciale commune, le numérique, le soutien à l'innovation...

Mais la difficulté à construire une vraie politique industrielle européenne s'explique sans doute, comme l'a souligné André Sapir, membre du think tank Bruegel, lors de son entretien à Bruxelles avec une délégation de la mission, par les cultures divergentes des États membres en matière d'interventionnisme économique , qui constituent un frein au développement d'une stratégie globale qui serait davantage qu'une addition de mesures sectorielles spécifiques. En outre, les stratégies de compétitivité des États ne sont pas toujours les mêmes : si l'Allemagne a toujours soutenu son industrie, la France s'en est fortement détournée dans les années 1990 pour faire des activités de service le moteur de sa croissance.

b) Des besoins industriels qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les politiques européennes de concurrence, de commerce et de circulation des capitaux
(1) La constitution de « champions européens » entravée par une application souvent rigide du droit antitrust et du droit des aides d'État

Au cours des travaux menés par votre mission, nombreux ont été les intervenants critiques sur l'application du droit antitrust ou du droit des aides d'État par la Commission européenne, tant la concurrence entre entreprise apparaît, comme l'ont du reste rappelé les membres du cabinet de Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la concurrence, devant la délégation de la mission à Bruxelles, la pierre angulaire de la politique de compétitivité de l'Union européenne. Souvent, le droit européen des concentrations a en effet été présenté comme un handicap pour la constitution de grands groupes européens susceptibles de peser au niveau mondial face à des concurrents de plus en plus puissants.

En ce sens, lors de son entretien à Munich avec une délégation de la mission, Roland Busch, chief technological officer et membre du directoire de Siemens AG, a souligné la menace que constituaient des acteurs - notamment chinois - dans le ferroviaire, qui pouvaient entrer très rapidement et très facilement dans une phase de consolidation leur permettant ensuite de se lancer à la conquête des marchés internationaux. Martin Bouygues a développé la même analyse lors de son audition par vos président et rapporteur au Sénat. En outre, un discours similaire a été tenu devant la délégation de la mission à Munich par Markus Wittman, chef du département « Internationalisation et Industrie » au ministère bavarois de l'économie, qui a jugé la réglementation européenne trop stricte et, en ce sens, peu favorable à la création de champions de taille européenne, alors qu'il faut désormais raisonner à l'échelle mondiale.

C'est du reste la raison pour laquelle votre mission, dans le cadre du rapprochement entre Alstom et Siemens, a appelé la Commission européenne à prendre en considération comme marché pertinent le marché mondial pour le matériel roulant, en retenant une appréciation dynamique des forces et des positions de marchés des acteurs mondiaux. À défaut, le risque est grand qu'au terme de l'analyse, la Commission remette en cause l'intégrité du périmètre industriel d'Alstom, ce qui nuirait nécessairement à la capacité de la nouvelle entité Siemens-Alstom de disposer d'une taille critique lui permettant de faire face aux concurrents mondiaux. 23 ( * )

Les membres du cabinet de Margrethe Vestager ont néanmoins souligné que la Commission n'était pas opposée par principe aux mesures de concentration destinées à renforcer la puissance des entreprises européennes et leur capacité d'innovation, mais qu'il était nécessaire de déterminer les effets qu'elles pouvaient impliquer pour le marché intérieur , et plus particulièrement pour les prix et les consommateurs .

En outre, s'agissant de la politique des aides d'État, les membres du cabinet d'Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne chargée du marché intérieur, de l'industrie et des entreprises, ont souligné que, depuis la communication de la Commission européenne du 27 juin 2014 sur l'encadrement des aides d'État à la recherche, au développement et à l'innovation, 96 % des mesures prises en ce domaine n'avaient pas à être notifiées.

(2) Une politique de défense commerciale encore insuffisamment protectrice des intérêts européens

Longtemps, les institutions de l'Union européenne ont été critiquées pour leur approche jugée naïve en matière de commerce international face au comportement d'États tiers volontiers protectionnistes. Ces critiques apparaissent heureusement aujourd'hui moins fondées.

Ainsi, les membres des différents cabinets des commissaires européens rencontrés à Bruxelles par votre rapporteur ont tous été d'accord pour relever un manque de loyauté de certains États dans les relations commerciales internationales. Mais, en particulier, les membres du cabinet de Cecilia Malmström, commissaire européenne chargé du commerce, ont souligné la double démarche de l'Union européenne en vue de mieux prendre en considération cette situation objectivement défavorable aux intérêts européens :

- d'une part, renforcer la protection du marché européen , notamment par une utilisation plus active des instruments de défense commerciale européens. Ainsi, l'Union européenne a adopté 53 mesures dans le domaine de l'acier, principalement à l'encontre de la Chine.

L'Union a à cet effet renforcé son dispositif antidumping en décembre 2017, 24 ( * ) en adoptant notamment une nouvelle méthode standard de calcul du dumping consistant à comparer les prix à l'exportation avec les prix ou les coûts sur le marché intérieur du pays exportateur et permet à la Commission, si en raison de l'intervention de l'État dans l'économie les prix ou les coûts sur le marché intérieur sont faussés, de les remplacer par d'autres valeurs de référence reflétant des coûts de production et de vente non faussés, établies sur la base de rapports d'enquête, dont les premiers portent sur la Chine et la Russie.

La Commission européenne entend en outre réactiver la proposition de règlement, présentée en 2012 par les commissaires européens Michel Barnier et Karel de Gucht, sur l'accès aux marchés publics , 25 ( * ) dont l'adoption a été bloquée au sein du Conseil de l'Union européenne. Un nouveau projet a été présenté par la Commission le 29 janvier 2016, 26 ( * ) qui n'a cependant toujours pas abouti.

LES PRINCIPAUX POINTS DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT SUR L'ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS

La proposition de mars 2012 confirme la très large ouverture des marchés publics de l'Union européenne mais propose :

- pour les marchés de plus de 5 M€, que la Commission puisse donner son accord à l'exclusion, par les pouvoirs adjudicateurs de l'UE, des offres incluant une part importante de biens et de services étrangers, si ces marchés ne sont pas couverts par des accords internationaux existants ;

- en cas de discrimination grave et répétée à l'encontre de fournisseurs européens dans un pays hors UE, que la Commission dispose d'un mécanisme lui permettant de restreindre l'accès au marché de l'UE, si le pays en question refuse de négocier la correction de ces inégalités d'accès ; ces éventuelles mesures restrictives seront ciblées : elles consisteront par exemple à exclure les offres provenant du pays tiers concerné ou à imposer des pénalités de prix ;

- d'accroître la transparence en ce qui concerne les offres anormalement basses afin de lutter contre la concurrence déloyale de prestataires de pays hors UE sur le marché européen.

La version modifiée de cette proposition, présentée en janvier 2016 , instaure en lieu et place d'une fermeture des marchés, un mécanisme d'ajustement des prix : les marchés publics européens ne seraient pas fermés, mais des pénalités sur les offres de prix seraient appliquées aux opérateurs économiques étrangers issus de pays recourant à des pratiques discriminatoires entravant l'accès des entreprises européennes à leurs marchés publics.

- d'autre part, favoriser l'ouverture des marchés des pays tiers à l'Union européenne par la signature d'accords bilatéraux. Tel est le cas des accords négociés avec le Canada et le Japon qui impliquent notamment un accroissement des conditions d'accès des entreprises de l'Union européenne aux marchés publics de ces États.

En tout état de cause, l'Union européenne - comme du reste les États membres eux-mêmes - est liée en la matière par les règles de l'Organisation mondiales du commerce (OMC), que les institutions européennes entendent pleinement respecter.

Mais la mission souligne combien d'autres signataires de l'OMC ont réussi à imposer des exceptions qui leur sont aujourd'hui éminemment favorables dans le jeu du commerce international, comme c'est le cas des États-Unis qui ont pu, de ce fait, continuer à appliquer le Buy American Act. À l'heure où l'administration américaine a décidé de rompre avec la logique du multilatéralisme en matière commerciale, il y a sans doute lieu de réexaminer certaines règles de l'OMC afin que l'Union européenne, élève disciplinée et soucieuse d'une application scrupuleuse des règles internationales, ne reste pas pénalisée dans ce nouvel environnement international.

Dans ce contexte, votre mission soutient pleinement les initiatives de l'Union européenne et invite les États membres à unir leurs efforts afin de faire respecter par les États tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping.

Proposition n° 1 : A l'heure où certains états ont décidé de rompre avec la logique du multilatéralisme, appeler les états membres à unir leurs efforts et soutenir pleinement les initiatives de l'union européenne visant à faire respecter par les Etats tiers le principe de réciprocité dans l'ouverture de leurs marchés, y compris publics, ainsi qu'à sanctionner les comportements de dumping .

(3) Une absence de politique européenne de contrôle des investissements étrangers

Au cours de leur entretien à Bruxelles avec la délégation de votre mission, les membres du cabinet d'Elzbieta Bienkowska ont reconnu l'existence d'un débat au sein du collège des Commissaires sur les objectifs et modalités d'un contrôle des investissements directs étrangers au niveau européen, soulignant par ailleurs la volonté de nombreux États membres de conserver leurs prérogatives et leur souveraineté en la matière.

La règle reste aujourd'hui une liberté des investissements directs provenant d'acteurs économiques extérieurs à l'Union européenne . Aux yeux de la Commission européenne, ces investissements constituent en effet une source de croissance, d'emplois et d'innovation , jugée essentielle pour le développement économique et social de l'Union européenne, dans la mesure où ils ont contribué à soutenir la réalisation des objectifs fixés dans le plan d'investissement pour l'Europe de la Commission ainsi que d'autres projets et programmes de l'Union.

Pourtant, votre mission souligne que, dans la perspective d'une consolidation et d'un approfondissement du marché intérieur, il est essentiel d'assurer une meilleure coopération au niveau européen pour permettre à l'Union européenne de mieux défendre ses intérêts industriels stratégiques .

Elle ne peut donc que se réjouir du début d'inflexion à la politique européenne en la matière , annoncée notamment dans le cadre de la réflexion de la Commission européenne « sur la maîtrise de la mondialisation », publié le 10 mai 2017. La Commission y affirme en effet désormais clairement que, si l'ouverture aux investissements étrangers reste un principe essentiel pour l'UE et une source majeure de croissance, il y a lieu de prendre en considération les préoccupations des investisseurs étrangers, notamment les entreprises publiques, qui rachètent des entreprises européennes dotées de technologies clés pour des raisons stratégiques, alors que, souvent, les investisseurs de l'Union ne jouissent pas des mêmes droits à investir dans le pays d'origine de ces investisseurs.

Il y a donc lieu d' encourager l'initiative prise par la Commission européenne le 13 septembre 2017, dans sa proposition de règlement tendant à établir un cadre européen sur le contrôle des investissements étrangers 27 ( * ) . Ce projet vise principalement :

- à consacrer et à encadrer les dispositifs nationaux de contrôle des investissements existants ;

- à améliorer la coopération et l'échange d'informations entre les États membres et la Commission ;

- à conférer dans ce cadre un pouvoir consultatif à la Commission européenne, notamment pour les investissements étrangers ciblant des projets et programmes d'intérêt européen tels que Galileo, Copernicus ou Horizon 2020.

Valérie Liang-Champrenault, chef du bureau des investissements à la direction générale du Trésor, a indiqué à votre mission que le Gouvernement soutenait la proposition de la Commission, cette dernière paraissant équilibrée tout en constituant une réponse rapide et efficace à la problématique du contrôle des investissements directs étrangers susceptibles d'être une menace à l'ordre public et à la sécurité nationale.

Au cours des auditions de la mission, certains intervenants ont certes appelé de leurs voeux la mise en place d'un contrôle au niveau européen. Ainsi, pour Philippe Varin, président de France Industrie, « si le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le protectionnisme, il faudrait néanmoins que l'Europe se dote d'un mode de protection, aussi vigilant et fonctionnel que le comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) américain qui préserve les industries stratégiques. En Europe, certains secteurs, comme l'énergie et le numérique, présentent de réelles opportunités de convergence . » 28 ( * ) Toutefois, au regard des positions divergentes des États membres, votre mission estime que la proposition de règlement est un compromis - sans doute perfectible - mais qui constitue déjà une avancée significative .

c) Des raisons d'espérer une véritable politique industrielle européenne ?

À la suite de la demande formulée par le Conseil de l'Union européenne en mai 2017 puis le Conseil européen le 23 juin 2017, et de la résolution du Parlement européen du 5 juillet suivant en faveur d'une « stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne en tant que priorité stratégique pour la croissance, l'emploi et l'innovation », la Commission européenne a publié le 13 septembre 2017 une nouvelle communication intitulée : « Investir dans une industrie intelligente, innovante et durable - une stratégie revisitée pour la politique industrielle de l'Europe ».

Cependant, si la Commission entend replacer l'industrie au coeur des enjeux européens, ses préconisations restent décevantes : plutôt que d'envisager le lancement d'actions idoines nouvelles, la communication présente un certain nombre d'actions clés ponctuelles sans véritable stratégie globale . Celle-ci apparaît avant tout comme une compilation, certes pédagogique, d'actions qui, pour un certain nombre, étaient déjà lancées 29 ( * ) , sur le point de l'être 30 ( * ) ou en cours de discussion au sein des instances européennes 31 ( * ) .

Si le manque d'ambition de cette communication peut s'expliquer par l'échéance prochaine du mandat de la Commission, qui a sans doute été de nature à réduire le champ de ses propositions, il n'en demeure pas moins qu'elle se trouve très en deçà du mandat qui lui avait été donné par le Conseil . Ce dernier a donc repris l'initiative en adoptant, dans sa formation « Compétitivité » des conclusions le 12 mars 2018 dans lesquelles il développe les voies pour l'avenir d'une véritable stratégie industrielle européenne.

En effet, à titre général, le Conseil souligne la nécessité « de renforcer la base industrielle en tant que composante essentielle de l'avenir de l'Europe », l'industrie européenne demeurant « un moteur important de la productivité, de la croissance, de l'innovation et de l'emploi, ainsi qu'un élément fondamental de la prospérité économique en Europe ». Il expose que « l'industrie a besoin d'un cadre réglementaire clair, prévisible et non discriminatoire qui lui permette de réaliser des investissements tournés vers l'avenir », rappelle « l'importance des services liés aux entreprises » et insiste sur « la nécessité d'une approche stratégique structurée et globale à long terme ».

Le Conseil conclut, dès lors, qu'« afin de préserver la compétitivité de l'Europe à l'échelle mondiale, (...) il est nécessaire et urgent de définir une stratégie industrielle globale de l'UE à long terme, qui devrait être en place au plus tard au début du prochain cycle institutionnel de l'UE » et, « à cette fin, invite la Commission à s'appuyer sur la structure de gouvernance existante et à axer ses efforts sur l'élaboration de l'ensemble des éléments qui formeront la future stratégie, notamment un plan d'action » en associant « étroitement les États membres à ce processus ».

Votre mission se félicite de cette nouvelle impulsion donnée à la politique industrielle de l'Union européenne et souhaite que la mise en oeuvre de cette stratégie globale soit l'un des objectifs prioritaires de la nouvelle Commission européenne qui sera désignée en 2019.

Dans cette perspective, elle insiste particulièrement sur la plus grande prise en considération, par la réglementation européenne relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte mondialisé où seules des entreprises d'une taille critique suffisante au niveau mondial peuvent rivaliser durablement avec les géants industriels, souvent de nature conglomérale, implantés hors de l'Union européenne .

Comme l'a souligné devant la mission Philippe Varin, président de France Industrie, « atteindre 20 % de la part de l'industrie dans le PIB est un objectif ambitieux, dont la réalisation exige certaines consolidations ; ce dont doit d'ailleurs avoir conscience la direction de la concurrence de la Commission européenne . »

Votre mission estime que cette inflexion indispensable de la politique actuelle serait pleinement compatible avec les engagements internationaux des États membres comme de l'Union européenne , notamment dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Proposition n° 2 : Inviter la Commission européenne à une plus grande prise en considération, dans l'application de la réglementation relative aux aides d'État et au contrôle des concentrations, d'un contexte mondialisé où les entreprises doivent avoir une taille critique pour rivaliser avec les géants industriels implantés hors de l'Union européenne.

De même, votre mission ne peut qu'inciter la Commission européenne à persévérer dans ses efforts pour favoriser l'adoption par le Conseil de l'Union européenne d'une réglementation plus protectrice des intérêts industriels européens, en matière de commerce international, dans laquelle la notion de réciprocité doit avoir toute sa place.

3. Quel positionnement pour la France ?

Face à ces stratégies étatiques étrangères, et compte tenu de l'état actuel de la stratégie industrielle de l'Union européenne, quel doit être le positionnement de notre pays ?

Au cours des dernières années, l'État a tenté de définir, de façon fluctuante, des stratégies de développement de l'industrie française, sous la bannière de la « Nouvelle France industrielle » . En septembre 2013 ont ainsi été lancés les « 34 plans de reconquête industrielle », destinés à développer des projets innovants sur des segments industriels très circonscrits : par exemple, dans le domaine des transports, « la voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km », les bornes électriques de recharge, les dirigeables-charges lourdes, le TGV du futur ou les navires écologiques.

S'il s'agissait à juste titre de favoriser l'éclosion de solutions où la France jouerait un rôle de leader, on pouvait regretter le choix d'une approche très factuelle et cloisonnée entre les divers plans. Aussi ce programme a-t-il laissé place, en mai 2015, à une approche autour de « 9 solutions industrielles », répondant à la volonté de moderniser notre appareil productif et d'accompagner nos entreprises industrielles dans la transformation de leurs modèles d'affaires, de leur organisation, de leurs modes de conception et de commercialisation par le numérique.

Votre mission souligne en effet qu'aujourd'hui une industrie est puissante si elle est en mesure de « croiser » les technologies pour créer des produits intégrés dans des systèmes. Dans ce contexte, l'industrie française doit donc non seulement créer de nouveaux produits, performant en eux-mêmes - puisqu'effectivement ce sont ces produits qui seront mis sur le marché - mais surtout de définir les systèmes au sein desquels ils prendront place et où leur potentiel d'utilisation pourra se développer .

Les auditions menées par la mission ont fait apparaître la nécessité de porter l'effort industriel en France sur deux axes complémentaires : d'abord participer et créer des solutions dans le cadre des révolutions systémiques actuelles ; d'autre part, s'appuyer sur les domaines actuels de compétence et de compétitivité de notre industrie, afin de les développer encore plus fortement.

a) Faire rayonner l'industrie française dans les révolutions systémiques actuelles

Il est des domaines transversaux qui innervent l'ensemble de l'activité industrielle et, plus généralement, de la société . L'industrie française doit y trouver sa place, et l'un des enjeux de la stratégie industrielle des pouvoirs publics est de pouvoir donner aux entreprises industrielles les moyens d'investir pleinement les problématiques qu'ils soulèvent. La mission en a relevé trois prioritaires .

Dans ces domaines, votre mission insiste particulièrement sur l'importance de la normalisation pour valoriser les solutions industrielles françaises. Ces prescriptions techniques, déterminées par les professionnels eux-mêmes, d'application volontaire mais dont l'impact quotidien dans l'industrie est fondamental, ne doivent pas être négligées. Dans la stratégie industrielle française, il importe d'exercer une action résolue de promotion, tant au niveau européen qu'international, des normes d'origine française , qui peuvent ainsi contribuer à ouvrir des marchés internationaux aux entreprises industrielles, qu'elles soient de grands groupes ou de simples PME ou ETI.

La mission fait donc siennes les préconisations du rapport de notre collègue Élisabeth Lamure en juillet 2017, et insiste pour une utilisation stratégique de la normalisation. 32 ( * )

Proposition n° 3 : Favoriser l'utilisation de la normalisation volontaire française comme un levier de promotion des activités industrielles françaises sur les marchés européens et internationaux.

(1) Les données et l'intelligence artificielle

L'évolution des systèmes d'information permet de prendre en considération de multiples données, relevées par différents capteurs, qui viennent enrichir la connaissance de l'utilisation des produits . Cette connaissance offre la possibilité de paramétrer au mieux les produits afin qu'ils répondent plus précisément encore qu'aujourd'hui aux besoins des utilisateurs. En effet, l'acquisition d'une masse de données, puis leur croisement, permet d'avoir une connaissance particulièrement précise des modalités et conditions d'utilisation des objets ou produits dans leur environnement, tout comme de leur état de fonctionnement.

L'intelligence artificielle permet ensuite de faciliter l'exploitation de ces données et, par ses moyens d'analyse, de proposer les solutions les plus adaptées, avec des moyens décuplés par rapport à l'intelligence humaine, puisque comme l'indiquait récemment Cédric Villani dans son rapport au Premier ministre, « l'intelligence artificielle désigne en effet moins un champ de recherches bien défini qu'un programme, fondé autour d'un objectif ambitieux : comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l'être humain », qui se développe « dans un contexte technologique marqué par la « mise en données » du monde (datafication), qui touche l'ensemble des domaines et des secteurs, la robotique, la blockchain, le supercalcul et le stockage massif ». 33 ( * )

Comme le soulignaient nos collègues Dominique Gillot et Claude de Ganay au titre de l'Office public des choix scientifiques et technologiques (OPECST) 34 ( * ) en mars 2017, le développement de l'intelligence artificielle conforte la transformation de nos économies en économies « de plateformes » qui se fondent sur une exploitation de données numérisées.

La maîtrise des solutions technologiques à la base de l'intelligence artificielle et, plus encore, l'utilisation de ces solutions dans les processus de production industrielle ainsi que pour développer les nouveaux usages de produits « traditionnels », est donc un enjeu majeur à l'échelle mondiale . Elle doit donc être un axe majeur de l'industrie française , tant en termes de conception de mécanismes d'intelligence artificielle qu'au regard de l'utilisation des solutions technologiques qui en sont issues, cette dernière permettant d'assurer la montée en gamme technologique des objets produits et de favoriser le développement des services associés.

Dès lors, votre mission ne peut qu'approuver le plan en faveur de l'intelligence artificielle annoncé par le Président de la République le 29 mars 2018 au Collège de France. L'intelligence artificielle doit être au coeur de la stratégie industrielle des pouvoirs publics, qui doivent tant au niveau national qu'au niveau des territoires, favoriser les actions qui concourent à son développement en France.

(2) La transition énergétique

La transition énergétique actuelle constitue également un enjeu essentiel pour notre industrie. Du reste, dès le Grenelle de l'environnement en 2018, la France avait formalisé une forte ambition pour que la transition énergétique contribue à développer de nouvelles filières industrielles créatrices d'emplois, en particulier dans le secteur des énergies renouvelables. Malheureusement, cet objectif est progressivement passé au second plan, si bien que, selon la Cour des comptes 35 ( * ) , la France présente aujourd'hui un bilan industriel décevant dans ce domaine. Pourtant, la chaîne de valeur de ce secteur comporte de nombreuses activités industrielles, qu'il s'agisse des études, de l'ingénierie, de la fabrication des équipements, de leur installation, de leur exploitation, de leur maintenance, de leur démantèlement ou de leur recyclage.

En réalité, la transition énergétique opère à la fois comme une contrainte et une opportunité pour l'industrie :

- l'industrie est d'abord bousculée par la transition énergétique , puisqu'elle doit intégrer l'évolution des sources et des modes de production énergétiques dans son propre fonctionnement. Pour elle-même, elle doit donc tendre à une réduction de son empreinte énergétique par la réalisation d'économies d'énergie et la recherche d'une plus grande efficacité et sobriété énergétiques de ses processus de production.

La maîtrise du poste « énergie » n'est certes pas nouvelle dans l'industrie, en particulier pour les énergo-intensifs, mais elle est aiguillonnée désormais par des contraintes réglementaires et fiscales, à commencer par la tarification du carbone via les systèmes de taxation ou d'échanges de quotas d'émissions, voire par des engagements environnementaux dans le cadre de la responsabilité sociétale de l'entreprise. Elle permet d'ailleurs à l'industrie, par la modulation de sa consommation - via le recours à la technique de l'effacement ou l'adhésion à un mécanisme d'interruptibilité - de contribuer au pilotage du système énergétique français ;

- mais l'industrie - du moins certaines de ses filières - est aussi un acteur, voire un moteur, de la transition énergétique.

Il en va ainsi, d'abord, des énergéticiens dont le métier est bouleversé et qui doivent s'orienter vers des énergies moins carbonées , sinon décarbonées. L'exemple en est donné par Engie qui cède ses centrales charbon et s'oriente vers les énergies renouvelables, EDF qui annonce un plan d'investissement massif dans le solaire, ou Total qui se déploie dans le gaz et la commercialisation d'électricité. Dans le même temps, ces industries doivent innover, notamment sur le stockage des énergies renouvelables intermittentes. Ainsi, EDF entend désormais investir fortement dans le stockage électrique et Total a racheté le spécialiste français de batteries, Saft.

Cette innovation porte également sur le développement de nouvelles filières énergétiques , comme l'éolien flottant ou l'hydrolien, qui sont deux des rares secteurs où la France est encore en pointe. Sa place dans l'éolien ou l'énergie solaire est en effet désormais réduite à portion congrue : selon l'Ademe, les industries françaises couvrent actuellement moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication dans les énergies renouvelables électriques.

Dans l'éolien, les turbines installées sont fabriquées par des industriels étrangers, quatre grands groupes européens se partageant 80 % du marché. Selon l'Ademe et la DGE, seulement 40 % environ de la part de la valeur ajoutée dans les nouveaux parcs éoliens terrestres serait d'origine française. Dans le domaine de l'énergie solaire, la part française de la valeur ajoutée des installations photovoltaïques représente 44 % du total.

Néanmoins, des sociétés françaises interviennent dans la chaîne de valeur de ces énergies renouvelables. On peut citer notamment Compte-R (chaudière biomasse de grande puissance), Poma (éoliennes terrestres renforcées ou adaptées aux plafonds aéronautiques bas), DualSun (panneaux solaires hybrides), Photowatt (fabrication intégrée de modules photovoltaïques) ou Vergnet (éoliennes à résistance cyclonique). En outre, le marché des modules photovoltaïques est dominé à 90 % par les industriels asiatiques, des entreprises françaises sont relativement bien positionnées sur l'intégration et la gestion des systèmes.

Cette évolution des producteurs d'énergie s'accompagne de celle des services associés . Ainsi, les deux filiales d'EDF et d'Engie, respectivement Dalkia et Cofely, figurent parmi les leaders mondiaux des fournisseurs de services énergétiques et de solutions d'efficacité énergétique , et permettent de diffuser l'efficacité énergétique dans le secteur résidentiel, le tertiaire ou l'industrie, de même que des groupes comme Schneider Electric participent au développement de solutions de gestion intelligente de l'énergie.

Ces bouleversements créent des opportunités de développement fortes pour notre industrie , d'autant que la France va devoir massivement investir pour atteindre objectifs d'augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique qu'elle s'est fixés 36 ( * ) .

Comme le souligne la Cour des comptes, un important enjeu sera tout d'abord de parvenir à gérer l'intermittence et la variabilité des énergies renouvelables grâce à une gestion « intelligente » de l'énergie et au développement de technologies de stockage, avec notamment des innovations de rupture possibles en matière de batteries ou de réseaux intelligents (« smart grids »).

Pour l'Ademe, de nombreuses opportunités s'offriront aux industriels français dans le secteur de l'éolien , avec la rénovation des premiers parcs et le « repowering » - qui consiste à démanteler et remplacer une éolienne ancienne par une éolienne plus puissante - ou le développement de l'éolien flottant. Elle estime également que la filière gagnerait à se positionner sur des marchés spécifiques , à attirer sur le sol français l'usine d'un turbinier étranger ou à accompagner les PME/ETI pour investir dans le secteur de la sous-traitance de composants.

Mais pour que l'industrie française puisse véritablement saisir ces différentes opportunités, il faudra que l'État mette enfin en place une véritable stratégie industrielle identifiant les filières et les maillons de la chaîne de valeur les plus porteurs. La révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours doit être l'occasion de mener cette réflexion.

Or, sur ce point, la mission ne peut que faire état de son incompréhension face à l'attitude du Gouvernement sur la filière française des biocarburants , et notamment du biodiesel à base de colza. Alors que la filière s'est fortement développée - avec l'appui des pouvoirs publics et au prix de lourds investissements - afin de créer une filière valorisant les terroirs nationaux, produisant à la fois de l'huile susceptible notamment d'être incluse dans les carburants et des protéines pour animaux, tout en diminuant la dépendance énergétique vis-à-vis de l'étranger, elle ne peut que regretter la décision de l'État de favoriser aujourd'hui des importations massives d'huile de palme produites dans d'autres continents, comme l'a souligné Michel Boucly, directeur général du groupe Avril, lors de son audition en évoquant la transformation du complexe pétrochimique Total de La Mède (Bouches-du- Rhône) en usine de bio-raffinement.

Votre rapporteur tient également à souligner l'importance de la dimension territoriale des enjeux de la transition énergétique, comme l'illustre le cas du Territoire de Belfort.

Pouvant s'appuyer sur la présence de deux leaders mondiaux dans le domaine de l'énergie, à savoir Alstom et General Electric, Belfort a pu constituer autour de ce duo un véritable pôle industriel d'excellence associant des centaines de PME performantes, des laboratoires de recherche universitaires, des centres de recherche privés, ainsi que des centres de formation - le tout avec un soutien fort des pouvoirs publics locaux. Toutefois, la transition énergétique en cours, parce qu'elle perturbe profondément le secteur des énergies de puissance, et notamment le secteur des turbines à gaz de moyenne et forte puissance, impacte désormais le projet du cluster Vallée de l'énergie. La situation nouvelle crée une contrainte forte pour les salariés et les entrepreneurs locaux, dont votre rapporteur a pu percevoir le caractère anxiogène lors du déplacement de la mission d'information ; toutefois, elle leur ouvre aussi des opportunités de développement nouvelles.

Si l'activité de fabrication et d'intégration des turbines à gaz s'installe durablement à un niveau réduit, inférieur de l'ordre de 40 à 50 % à celui qui prévalait avant la transition énergétique, la stratégie du territoire devra en effet s'adapter à cette nouvelle donne. Une des voies à explorer serait d'accorder dans le projet de Vallée de l'énergie une place plus large aux problématiques liées aux énergies renouvelables et au stockage de l'énergie . Les acteurs économiques, politiques et administratifs locaux doivent se mobiliser et se placer en anticipation par rapport à ces transformations structurelles afin de les orienter dans un sens favorable au développement du territoire au lieu de les subir. L'effort doit viser à faire venir de nouveaux acteurs industriels tout en aidant les acteurs actuels à opérer le virage vers le renouvelable. Moyennant un travail d'accompagnement et d'investissement adéquat, de très nombreuses compétences dans le domaine de la fabrication industrielle et de l'ingénierie des turbines à gaz sont en effet transférables au secteur des énergies renouvelables. Parallèlement à ce travail local de redéfinition de la stratégie économique du territoire, le Gouvernement doit exercer son influence auprès de GE pour conjurer le risque d'un désengagement brutal et laisser le temps d'opérer les transitions nécessaires.

(3) Les nouvelles mobilités

Comme l'a souligné lors de son audition Pierre Veltz, chercheur en économie et sociologie, ancien directeur de l'École des Ponts-et-Chaussées, la mobilité est l'un des secteurs les plus affectés par les croisements de technologies destinés à créer des « produits-systèmes ». Elle intègre en effet des technologies de transport, incluant notamment une problématique de multi-modalités et d'usages, mais également des technologies relatives à l'énergie - notamment la recherche de solutions de propulsion décarbonées - ainsi que concernant l'automatisation et la gestion des données, dans la volonté de développer des véhicules connectés et autonomes. Le tout s'intègre dans un changement de perspective du consommateur, qui recherche moins désormais la détention du bien que son utilisation.

D'abord, les mobilités sont directement impactées par la transition énergétique. En matière automobile, la recherche de moyens de propulsion moins consommateurs en énergie et moins polluants implique de trouver de nouveaux produits. Le choix de réduire le niveau du recours aux énergies fossiles et, en leur sein, de sortir du diesel à très courte échéance implique de repenser les systèmes de propulsion des véhicules automobiles, et par là même, de faire évoluer l'offre industrielle existante dans ce domaine.

Comme le soulignaient récemment le CGEDD et le CGE, 37 ( * ) le diesel représente aujourd'hui seulement un peu plus de 50 % des ventes de véhicules neufs, et les prévisions annoncées envisagent au niveau mondial une part du diesel entre 15 et 35 % en 2025. Les conséquences qui en découlent sont importantes pour la filière en France, dont les effectifs sont évalués entre 12 000 et 13 000 emplois directs. Il est donc nécessaire d'engager la mutation des sites de production actuels vers des activités de motorisation alternative, ce qui nécessite un délai d'adaptation long, des investissements conséquents, et vraisemblablement une diminution du nombre d'emplois concernés. Il revient ainsi à la filière automobile d'investir dans l'usage de nouveaux carburants alternatifs , qu'il s'agisse du gaz naturel véhicule (GNV), des biocarburants, ou de la motorisation électrique.

Dans le même temps, l'industrie française doit prendre toute sa place dans le défi technologique que constitue le véhicule connecté et autonome , dans lequel la France reste en retard par rapport aux acteurs allemands ou nord-américains. À cet égard, la mission se félicite du plan que vient de lancer en mai 2018 le Gouvernement, à la suite des propositions faites par Anne-Marie Idrac, Haute responsable pour la stratégie nationale du développement des véhicules autonomes. 38 ( * )

Les défis ne concernent toutefois pas les seuls véhicules automobiles. Ainsi, la filière ferroviaire s'est également engagée dans l'utilisation d'autres moyens de propulsion. Lors du déplacement d'une délégation de la mission sur le site d'Aytré, la direction d'Alstom a souligné l'intérêt de la propulsion à l'hydrogène , qui constitue une alternative à l'électrification du réseau ferroviaire français (dont 50 % restent encore non électrifiés). Il s'agit d'une piste intéressante de développement, qui pourrait être davantage appuyée par les pouvoirs publics nationaux ou régionaux, afin de définir les besoins et de construire un projet aussi adapté que possible.

b) Conforter les secteurs qui sont le socle de notre puissance

Il n'y a plus aujourd'hui de biens d'équipement de fabrication française dans les usines françaises : selon la Fabrique de l'industrie, la France a pris un tel retard en la matière qu'elle n'est aujourd'hui plus en mesure de rivaliser avec ses concurrents japonais, chinois, allemands voire italiens. 39 ( * ) Il serait donc vain de recréer de tels secteurs. En revanche, la France doit s'appuyer sur ceux qui tirent aujourd'hui sont économie, pour les renforcer.

(1) L'agroalimentaire

Secteur traditionnel de notre économie, le secteur agroalimentaire peut être le fer de lance d'une politique industrielle basée sur les territoires . Les industries alimentaires, fortement implantées dans les espaces ruraux, sont les vecteurs du maintien d'une industrie de proximité , loin des métropoles, dans les parties du territoire où la désindustrialisation a été la plus forte.

Forte d'une image de qualité et de la diversité de sa production, l'industrie agroalimentaire est un atout pour nos emplois et pour ouvrir nos marchés à l'exportation. Concurrencée par des acteurs européens, voire des nouveaux acteurs dans les pays émergents, elle est aujourd'hui confrontée au défi de la transformation.

Transformation du tissu industriel , d'abord, compte tenu de l'émiettement des acteurs. Comme le soulignait l'ANIA lors de son audition, l'industrie alimentaire est formée de 77 % de TPE et de 21 % de PME. Le défi de la croissance, pour peser sur des marchés à l'exportation, est donc plus important qu'ailleurs, notamment dans la mesure où beaucoup restent des entreprises de nature familiale. Par ailleurs, si certains centres de production sont à la pointe des technologies, beaucoup restent encore dotés d'outils de production vieillissants , qui ne seront pas à même de suivre l'évolution de la demande des consommateurs, qui en elle-même est un levier de croissance.

L'alimentation est en effet dorénavant perçue non plus comme un simple moyen de se nourrir, mais comme un élément de santé et de bien-être. Il s'agit d'un axe de développement en tant que tel, et cela peut justement participer d'un écosystème plus large, en étant associé à certains produits de santé.

Par ailleurs, la recherche agroalimentaire est aujourd'hui en mesure d'augmenter la valeur nutritive et énergétique des produits, en renforçant par exemple l'apport en protéines, ou en développement de nouveaux ferments. De même, un axe de développement est, comme l'a indiqué l'ANIA au cours de son audition, le développement du numérique qui permet de renforcer la traçabilité des produits, la qualité des contrôles sanitaires ou les conditions de conservation des produits.

Reste sans doute à créer une image plus « unitaire » de la production alimentaire française. Sa puissance, notamment à l'étranger, s'est faite sur des produits de terroirs et des appellations diverses qui, si elles témoignent de la richesse et de la multiplicité des savoir-faire, apparaissent parfois trop complexes pour des acheteurs étrangers. L'Italie a su développer un marketing national pour l'ensemble de ses produits, sans pour autant gommer les spécificités de ses productions locales. Sur ce point, le défi est sans doute pour nos industries de faire du « label France » une marque que tous les consommateurs étrangers pourront reconnaître sans difficulté .

(2) Les transports

Les constructeurs français en matière de transports sont des acteurs majeurs de notre économie : champions nationaux, ils sont aussi des acteurs majeurs sur le marché mondial.

Ces constructeurs ont su développer des choix technologiques innovants, qui leur ont permis de décrocher des marchés. Mais ils sont des acteurs confrontés à des marchés cycliques et qui doivent affronter aujourd'hui des concurrents puissants. Les travaux de votre mission sur la situation d'Alstom l'ont mis en exergue : il y a, en ce domaine, une course à la taille critique alliée à un développement d'une activité de recherche appliquée qui conduit nos champions à passer sous une bannière étrangère. La situation n'est pas différente dans le domaine de la construction navale, comme le dossier des Chantiers navals de l'Atlantique STX l'a montré : passé sous pavillon norvégien en 2006, puis coréen, compte tenu de la prise de contrôle de l'investisseur norvégien, le groupe a vocation à passer sous pavillon italien, même si l'accord négocié par l'État français avec le groupe Fincantieri est de nature à encadrer provisoirement les prérogatives de ce dernier.

À l'inverse, le groupe PSA a su saisir l'opportunité de racheter les groupes Opel et Vauxhall, en perte de vitesse, à l'américain General Motors, afin de gagner des synergies sur une partie de sa gamme de véhicules.

Sur le marché aéronautique , la France doit conserver sa position de leader, compte tenu de l'implantation des sites d'Airbus sur son territoire, où sont concentrés l'essentiel des bureaux d'études et des capacités d'assemblage du groupe.

Conforter nos leaders est indispensable, d'autant qu'en tant que grands donneurs d'ordres, ils tirent un écosystème structurant de fournisseurs et de sous-traitants, qui restent souvent des PME établies localement.

Mais outre leur caractère structurant, les acteurs industriels français dans le domaine des transports sont, par la nature même de leurs productions, au coeur de la révolution industrielle actuelle qui innerve les nouvelles formes de mobilité : véhicules ou aéronefs connectés, véhicules autonomes. Des grands fournisseurs industriels comme Valéo sont ainsi en pointe dans ce domaine, et il convient de les accompagner au mieux afin qu'ils deviennent des champions.

(3) La défense

Notre pays peut aussi s'appuyer sur une industrie de défense parmi les premières du monde. Aussi appelée Base industrielle et technologique de défense (BITD), elle emploie environ 165 000 personnes au sein de 4 000 entreprises (dont environ 350 à 400 sont considérées comme stratégiques, c'est-à-dire associées à la souveraineté de la France), et dont les plus importantes sont bien connues : Dassault Aviation, Thales, Airbus group, Safran, Naval Group ou KNDS - fruit du rapprochement de l'allemand KMW et du français Nexter Systems.

Cette industrie est présente sur la presque totalité du spectre des biens nécessaires à la défense nationale en produisant des avions militaires de combat ou de transport (Rafale, A400M), des navires (sous-marins, navires Mistral, frégates multi missions FREMM,...), des hélicoptères, des systèmes électroniques de communication et des radars, des véhicules de transport ou de combat terrestres ou encore des missiles.

La force de cette industrie tient également à sa très forte capacité d'innovation : les entreprises de la BITD investissent en moyenne entre 10 % et 20 % de leur chiffre d'affaires dans les opérations de recherche et développement (R&D) et de recherche et technologie (R&T) et jouent donc un rôle de premier plan dans la capacité de la France à rester un leader technologique dans certains domaines. Ce d'autant plus que, comme l'ont souligné les représentants d'Airbus group au cours de leur audition, les développements technologiques de la défense sont souvent duals : ils peuvent ainsi bénéficier, avec les adaptations nécessaires, à des programmes industriels civils dans bien d'autres domaines, et inversement . Ce qui justifie du reste pleinement des groupes industriels qui, à l'instar d'Airbus group ou de Dassault aviation, sont présents à la fois sur le marché des équipements de défense et de sécurité, et sur les marchés de l'aéronautique civile ou du spatial.

Enfin, il s'agit à la fois d'une industrie de « souveraineté » qui, à ce titre, doit être pleinement appuyée par l'État qui lui consacre via ses commandes 18,5 Md€ en 2018, et une industrie d'export dynamique et de grande ampleur. À cet égard, la BITD française a enregistré des commandes record en 2015 et 2016, notamment dans le domaine aéronautique (trois contrats export Rafale avec les armements associés) et naval (conception et construction d'une plate-forme de 12 sous-marins en Australie sur 50 ans).

(4) La santé

La demande de solutions de santé ne va faire qu'augmenter dans les années à venir, en France comme dans le reste du monde, avec le vieillissement de la population des pays industrialisés, le développement des maladies chroniques, la réémergence de maladies infectieuses et l'enrichissement des pays émergents. Or, la France dispose d'atouts scientifiques, industriels et médicaux exceptionnels qui doivent lui permettre de demeurer l'un des principaux pôles mondiaux d'innovation thérapeutique et de répondre efficacement à cette demande.

Selon la Fédération française des industries de santé, cette filière stratégique pour l'économie française compte 3 100 entreprises réparties dans 2 500 sites sur tout le territoire. Ces entreprises réalisent un chiffre d'affaires global de 90 Md€ et représentent quelque 455 000 emplois directs et associés. Leurs ventes à l'exportation s'élèvent à 34 Md€.

En son sein, le secteur pharmaceutique comprend de grands groupes nationaux et internationaux (Sanofi, Novartis, Pfizer, etc.), mais également des petites et moyennes entreprises de chimie et de façonnage pour la production des médicaments. Les grossistes-répartiteurs et les logisticiens dépositaires, qui s'occupent de la distribution des médicaments, sont pour leur part principalement des PME. Le secteur des entreprises qui produisent des dispositifs médicaux ou des dispositifs de diagnostic in vitro sont par ailleurs à 94 % des PME ou des ETI. Parmi, eux les medtechs proposent des dispositifs très innovants, à l'instar de Carmat et de son coeur artificiel. Le secteur des biotechnologies , enfin, connaît un essor important, avec plus de 650 entreprises actives en France.

Les industries de santé investissent lourdement dans la R&D, à laquelle elles consacrent 30 000 emplois. Ces dépenses en faveur de l'innovation représentent 20 % des dépenses totales de R&D des industries françaises et 15 % des personnels employés dans la R&D tous secteurs confondus en France .

Confrontés à un certain nombre de difficultés, avec les efforts réalisés par les organismes de sécurité sociale pour comprimer la dépense publique de santé, des résultats décevants en termes de recherche clinique, la raréfaction des « blockbusters » sur lesquels beaucoup d'industries pharmaceutiques avaient fondé leur modèle économique ou bien encore des lourdeurs administratives, les acteurs du secteur, rassemblés depuis 2013 dans un comité stratégique de filière, s'attaquent s'investissent tout particulièrement dans les sujets relatifs à l'innovation, à l'export, mais également à la sécurité et à la lutte contre la contrefaçon.

La croissance des capacités de calcul et de stockage et l'émergence de l'intelligence artificielle et des objets connectés vont permettre le développement de nombreux outils d'analyse des données biologiques et médicales et d'applications de santé connectée qui pourraient bouleverser la chaîne de valeur de l'industrie. Il est donc crucial que les industriels français veillent à s'emparer pleinement des opportunités offertes par la santé numérique pour devenir non plus seulement des « vendeurs de médicaments » mais des fournisseurs de « solutions thérapeutiques » complètes comprenant réponses médicales et assistance aux patients.

Proposition n° 4 : Retenir comme axes de développement de l'industrie française des domaines transversaux, notamment les données et l'intelligence artificielle, la transition énergétique et les nouvelles mobilités, ainsi que les secteurs déjà porteurs de notre économie, notamment l'aéronautique, l'agroalimentaire, les transports, la défense et la santé.


* 15 Quatrième secteur allemand à l'export en valeur et quatrième secteur également en termes de dépenses en recherche et développement.

* 16 Stratégie aéronautique du Gouvernement fédéral (Luftfahrtstrategie der Bundesregierung), mars 2014.

* 17 Voir infra, en annexe I (p. 237 ), les principales dispositions du « Livre blanc sur la stratégie industrielle ».

* 18 Si le Japon reste très compétitif dans le secteur automobile ou des machineries, la montée en puissance de la Chine, de Taiwan et de la Corée du Sud, a considérablement réduit sa compétitivité dans les secteurs des semi-conducteurs et des écrans de télévision. À titre d'exemple, entre 2014 et 2016, la part de la production japonaise d'équipement audiovisuel dans le monde est passée de 33% à 28%, celle des équipements de communication de 7% à 5% et celle des ordinateurs ou terminaux informatiques de 14% à 13%.

* 19 Pour une présentation détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 20 Pour une présentation plus détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 21 Pour une présentation plus détaillée de ces mesures, voir infra, en annexe I (p. 237 ).

* 22 Etude 2014 : Industrie 4.0 : The new industrial revolution: How Europe will succeed.

* 23 « SIEMENS-ALSTOM : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand », rapport n° 449 (2017-2018), p. 82.

* 24 Règlement (UE) 2017/2321 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 modifiant le règlement (UE) 2016/1036 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne et le règlement (UE) 2016/1037 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 25 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès des produits et services des pays tiers au marché intérieur des marchés publics de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des produits et services originaires de l'Union aux marchés publics des pays tiers (COM (2012) 124 final) du 21 mars 2012.

* 26 Proposition modifiée COM(2016) 034 final.

* 27 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne, COM (2017) 487 final.

* 28 Audition du 15 février 2018.

* 29 En matière de transformation numérique, les mesures destinées à renforcer la cybersécurité de l'industrie européenne ; la proposition de règlement sur la libre circulation des données à caractère non personnel pour créer un véritable espace européen commun des données ; la liste révisée des matières premières critiques ; en matière d'identification des investissements directs étrangers, la proposition de règlement sur le filtrage des investissements étrangers directs dans l'Union européenne et la création d'un groupe de coordination sur les investissements directs étrangers entrants.

* 30 Notamment, des mesures sur l'économie circulaire ; de nouvelles propositions relatives à une mobilité propre, compétitive et connectée ; des initiatives en vue de moderniser le cadre régissant la propriété intellectuelle ; une initiative visant à améliorer le fonctionnement des marchés publics dans l'Union européenne pour favoriser la participation des entreprises européennes ; une stratégie sur la finance durable afin de mieux orienter les flux de capitaux privés vers des investissements plus durables.

* 31 Notamment, la « Stratégie pour un marché unique numérique », les mesures pour l'amélioration des compétences en Europe, le « Socle européen des droits sociaux », l'initiative « Une énergie propre pour tous les européens », lancée en novembre 2016 ; les mesures destinées à donner une nouvelle impulsion à l'économie des services, proposées en janvier 2016.

* 32 « Où va la normalisation ? En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général », rapport d'information n° 627 (2016-2017) d'Élisabeth Lamure au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, 12 juillet 2017.

* 33 « Donner un sens à l'intelligence artificielle », rapport au Premier ministre, remis le 8 mars 2018, pp. 9-10.

* 34 Rapport d'information n° 464 (2016-2017) de Claude de Ganay, député et Dominique Gillot, sénatrice, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 15 mars 2017.

* 35 Dans son rapport à la commission des finances du Sénat présenté le 18 avril 2018 sur le soutien aux énergies renouvelables.

* 36 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et 32 % de cette consommation en 2030, contre un peu plus de 16 % aujourd'hui.

* 37 CGEDD et CGE, « Conséquences industrielles et sociales du déclin des motorisations diesel », mars 2018.

* 38 « Développement des véhicules autonomes : Orientations stratégiques pour l'action publique », 14 mai 2018.

* 39 Vincent Charlet, Stefan Dehnert et Thierry Germain (sous la direction de), L'industrie du futur : progrès technique, progrès social ?, Note de la Fabrique, 2017.

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