N° 568

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la modernisation des services de la navigation aérienne ,

Par M. Vincent CAPO-CANELLAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Les principales observations

1. La direction des services de la navigation aérienne (DSNA) , qui fait partie de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), est chargée d'assurer pour le compte des compagnies aériennes le contrôle aérien dans l'espace aérien français , le plus vaste et le plus fréquenté d'Europe, en contrepartie du versement de redevances de la navigation aérienne .

2. Elle doit faire face aujourd'hui à un trafic en forte augmentation - + 4 % en 2017, avec plus de 3,1 millions de vols contrôlés - et de plus en plus concentré sur des périodes de pointe , en particulier lors de l'été aéronautique. 88 journées ont dépassé les 10 000 vols contrôlés en 2017, plus de 11 000 vols ayant été contrôlés le 7 juillet 2017, du jamais vu en Europe.

3. Cette hausse du trafic aérien met également sous tension les autres prestataires de services de la navigation aérienne qui participent depuis 2004 avec la DSNA à la construction du Ciel unique européen , destiné à lutter contre la fragmentation de l'espace aérien du continent .

4. Cet ambitieux projet présente à ce stade des résultats modestes et peine à aller de l'avant en raison d'un conflit entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de l'aérodrome de Gibraltar .

5. Outre le programme de R&D « SESAR », figure toutefois parmi les principaux acquis du Ciel unique européen la mise en place d'un système de régulation des prestataires de services de la navigation aérienne. Celui-ci constitue une véritable nouveauté pour ces opérateurs placés en situation de monopoles , désormais tenus de réduire les retards dont ils sont responsables, de diminuer leurs coûts et d'optimiser la trajectoire des avions pour réduire leur empreinte carbone.

6. Dans ce contexte, la DSNA présente des résultats pour le moins contrastés . Si ses tarifs de redevances de route sont plutôt compétitifs , elle est en revanche responsable de 33 % des minutes de retards enregistrées au niveau européen , ce qui représente une perte annuelle de 300 millions d'euros pour les compagnies aériennes Quant à ses performances environnementales, elles sont inférieures de 20 % à celles de ses homologues européens.

7. L'obsolescence des systèmes de la navigation aérienne de la DSNA constitue un premier facteur explicatif de ses difficultés à offrir des capacités suffisantes aux compagnies aériennes. À titre d'exemple, la plupart des salles de contrôle françaises ne sont toujours pas équipées d'un environnement tout électronique et utilisent encore des strips papier , alors que la plupart des contrôleurs aériens européens bénéficient d'outils de contrôle stripless depuis parfois plus d'un quart de siècle .

8. Alors que le coût du maintien en conditions opérationnelles de ses équipements vieillissants augmente dangereusement , la DSNA s'est lancée dans d'ambitieux programmes de modernisation de ses systèmes , en faveur desquels elle investit environ 135 millions d'euros annuels . Alors que le coût total de ses six principaux projets dépasse désormais les 2 milliards d'euros , un seul d'entre eux a abouti à ce stade, les autres multipliant les retards et les surcoûts .

9. Le programme 4-Flight , coeur de la modernisation des systèmes de la DSNA dont le coût est passé en quelques années de 500 millions d'euros à 850 millions d'euros , fait l'objet de négociations très difficiles avec Thalès et a vu sa mise en service repoussée à plusieurs reprises . Alors qu'il était annoncé au départ pour 2015, il est maintenant attendu en 2023 .

10. Ces difficultés mettent en lumière des carences de la DSNA , et plus particulièrement de sa direction de la technique et de l'innovation (DTI) dans la gestion de ses programmes de modernisation , en particulier dans la relation avec les industriels : une réforme en profondeur apparaît nécessaire .

11. Le deuxième facteur qui explique les performances insuffisantes de la DSNA est la productivité trop faible des contrôleurs aériens français . Alors que leurs coûts salariaux sont inférieurs à ceux des autres grands prestataires de services de la navigation aérienne européens et que leur formation initiale et continue est reconnue dans le monde entier, l'organisation du travail des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) français n'est plus adaptée aux caractéristiques actuelles du trafic .

12. Cette situation n'a rien d'irrémédiable , puisque des expérimentations menées depuis trois ans dans les centres en-route volontaires ont permis de réduire très significativement les retards grâce à des vacations supplémentaires des contrôleurs aériens en période de pointe . Les rigidités restent cependant très fortes et les marges de progression considérables .

13. Les grèves des contrôleurs aériens constituent le troisième gros problème auquel la DSNA est confrontée, dans la mesure où les aiguilleurs du ciel français sont à eux seuls responsables pour la période 2004-2016 de 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe et de 96 % des retards provoqués par ces grèves .

14. Si les contrôleurs aériens français sont déjà astreints à un service minimum , ils ne sont en revanche pas soumis aux dispositions de la loi Diard , qui exige des salariés des autres acteurs du transport aérien un préavis individuel de grève d'au moins quarante-huit heures . Cette exemption nuit à la prévisibilité des grèves à la DSNA et désorganise considérablement le trafic . Il importe d'y remédier, dans le respect du droit de grève garanti par la Constitution.

Les recommandations

Participer plus activement à la construction du Ciel unique européen

Recommandation n° 1 : enfin faire aboutir le paquet « Ciel unique européen 2+ », le Brexit mettant fin de facto au contentieux entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de Gibraltar.

Recommandation n° 2 : la France doit jouer un rôle moteur pour la mise en place à terme d'un tarif de redevance de route unique au niveau du FABEC.

Recommandation n° 3 : donner la priorité aux enjeux de capacité pour la troisième période de régulation économique européenne 2020-2024, quitte à assouplir le niveau d'exigence en matière de réduction des coûts unitaires des prestataires de services de la navigation aérienne.

Recommandation n° 4 : renforcer considérablement à court terme la séparation fonctionnelle entre les différentes directions de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et étudier des scénarios de séparation structurelle à moyen/long terme pour que la régulation de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) par la direction du transport aérien (DTA) et sa certification par la direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) offrent davantage de garanties d'indépendance.

Combler le retard technologique des systèmes de la navigation aérienne français et tirer les leçons des échecs passés

Recommandation n° 5 : fournir au législateur des informations beaucoup plus détaillées sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne dans le cadre des projets de loi de finances.

Recommandation n° 6 : conclure rapidement la négociation avec Thalès pour garantir que le programme 4-Flight verra bien le jour et bénéficiera d'une première mise en service au plus tard à l'hiver 2022-2023.

Recommandation n° 7 : implanter au plus vite le système Erato dans les centres en-route d'Aix-en-Provence, de Reims et d'Athis-Mons.

Recommandation n° 8 : revoir en profondeur l'organisation de la direction de la technique et de l'innovation (DTI), s'interroger sur son périmètre et sur ses modes de gestion de projets pour la rendre plus agile et la rapprocher des contrôleurs aériens.

Recommandation n° 9 : adopter une nouvelle approche dans les relations avec les industriels consistant à acheter au maximum « sur étagère », à éviter toute « surspécification » inutile et à cesser de développer des composants en interne.

Recommandation n° 10 : professionnaliser la gestion opérationnelle des programmes de modernisation de la DSNA, quitte à avoir davantage recours à des prestations d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO).

Recommandation n° 11 : mutualiser les coûts et les risques liés au développement de systèmes de navigation aérienne innovants grâce à des partenariats avec d'autres prestataires de services de la navigation aérienne européens.

Adapter l'organisation du travail des contrôleurs aériens
aux évolutions du trafic

Recommandation n° 12 : pérenniser le rythme de travail de 7 vacations par cycle de 12 jours mis en place dans le cadre du protocole social 2016-2019 de la DGAC et négocier de nouveaux assouplissements de l'organisation du travail dans le cadre du prochain protocole social.

Recommandation n° 13 : augmenter avec mesure le nombre de recrutements d'élèves contrôleurs aériens à l'École nationale de l'aviation civile (ENAC).

Recommandation n° 14 : appliquer la loi Diard aux contrôleurs aériens, en l'adaptant aux caractéristiques du service minimum auquel ils sont déjà astreints.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page