LES MOUVEMENTS D'INTÉGRATION RÉGIONALE DANS L'ESPACE EUROPÉEN ET EURASIATIQUE

M. Andrey Klimov, Conseil de la Fédération de Russie

Cette année, nous allons commémorer le centenaire de la fin de la première guerre mondiale, qui a été une tentative d'organiser une intégration de l'espace euro-asiatique.

La Russie, du fait de la Révolution qui s'est engagée en 1917, a quitté cette guerre qui s'est terminée en 1918. Vingt ans plus tard, le continent européen a connu une nouvelle agression de l'Allemagne qui a tenté d'organiser à nouveau une intégration de cet espace sous la bannière du III e Reich. Cette tentative a débouché sur la tentative de mettre en place la Communauté économique du charbon et de l'acier (CECA) en 1950, laquelle visait à contrôler la production de charbon et d'acier, en vue de limiter la course à l'armement en Europe. Et le Traité de Maastricht, de nombreuses années plus tard, a permis à l'Union européenne de voir le jour.

En 1922, les Bolcheviks ont créé l'Union soviétique qui s'est effondrée en 1991, après soixante-dix ans d'existence. Difficile de savoir, aujourd'hui combien de temps vivra l'Union européenne, qui a déjà rencontré pas mal de problèmes depuis sa mise en place.

Lorsque le Mur de Berlin est tombé, en 1989, nous pensions célébrer, avec nos homologues européens une victoire commune sur la guerre froide et en profiter pour édifier de nouvelles relations en Europe. Mais George Bush père a rapidement déclaré qu'il s'agissait, dans les faits, d'une victoire du peuple américain sur les Soviétiques, mettant ainsi à mal tout espoir de coopération entre la Russie et les pays de l'UE.

Pourtant, bien avant la fin de la guerre froide, en 1959, de Gaulle avait lancé le projet d'une Europe unie de l'Atlantique à l'Oural ce qui avait alors suscité bien des espoirs. L'accord d'Helsinki de 1975, ayant donné naissance à l'OSCE, aurait dû être un facteur de sécurité en Europe. Mais si le Pacte de Varsovie a été dissous en 1991, l'OTAN est restée en place et n'a eu de cesse de s'élargir à l'Est. Dans le même temps, l'opposition des deux blocs, dans une posture d'affrontement, a persisté, comme l'ont souligné les membres de notre délégation qui se sont exprimés avant moi.

Nous avons été les premiers à reconnaître l'indépendance des pays issus du démantèlement de l'URSS et nous pensions que nous n'avions que des amis sur le continent européen. À cet égard, je rappellerai tout de même que ce n'est pas Poutine mais Nazarbaïev, le président du Kazakhstan, qui a indiqué qu'il était important de créer une union eurasiatique. Et en 1994, nous avons signé un accord de partenariat et de coopération avec l'Union européenne.

Néanmoins, peu à peu, ces processus d'intégration ont été freinés et la Russie s'est retrouvée de plus en plus isolée sur l'échiquier international. Le projet de partenariat oriental, piloté par la Pologne, a également participé à cet isolement. De même que les déclarations de diplomates luxembourgeois qui avaient indiqué, en 2006, qu'ils allaient intégrer certains morceaux de la Russie, en tentant de faire croire ensuite que ce n'était pas ce qui avait été dit.

Nous avons ensuite repris notre cheval de bataille de l'intégration européenne et nous nous sommes trouvés confrontés à l'opposition du secrétaire d'état américain qui, en 2011, a indiqué qu'il n'y aurait pas d'intégration eurasiatique en Europe.

Cela fait deux cents ans que nous appelons de nos voeux l'établissement d'une amitié sans failles avec la France et nous aimerions parvenir à nos fins sous peu. Si les États-Unis ont trois voisins, nous en avons trente. Nous sommes donc contraints d'être sur l'arène mondiale sur un plan géographique et fort heureusement, nous entretenons de bonnes relations avec les quatre cinquièmes des pays du monde, dont le Japon, les deux Corées et les pays de l'ASEAN.

Tout devra être mis en oeuvre pour garantir l'application des accords de Minsk conclus le 11 février 2015 entre les dirigeants de l'Ukraine, de la Russie, de la France et de l'Allemagne concernant la guerre dans le Donbass. Nous devons nous parler, pour mieux nous comprendre et sortir du cercle vicieux de la méfiance réciproque.

M. Bernard Cazeau, Sénat

Le souhait de la Russie de renforcer et d'institutionnaliser ses liens historiques, économiques et sécuritaires avec les pays de l'ancien espace soviétique a conduit à l'émergence de nouvelles formes d'intégration régionale comme l'organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et surtout l'Union économique eurasiatique, dont le mode de fonctionnement se veut très proche de celui de l'UE.

On ne peut que se réjouir de cette dynamique de structuration régionale des espaces qui, au demeurant, se développe partout dans le monde. En effet, elle est un facteur de croissance au plan régional en même temps qu'un moyen « d'apprivoiser » la mondialisation.

Il n'est pas souhaitable, en revanche, que cette évolution se traduise par une forme de concurrence entre les structures régionales conduisant à ce que des choix binaires et exclusifs soient imposés à des pays situés dans leur voisinage commun, comme cela a été le cas avec l'Ukraine. Ces pays du « voisinage partagé devraient être, au contraire, des passerelles entre Union européenne et Union eurasiatique. L'exemple de l'Arménie, membre de l'Union eurasiatique, qui a conclu un partenariat complet avec l'UE en mars 2017, montre qu'il est possible d'aboutir à des accords compatibles avec une double appartenance des Etats à chacun des deux espaces, au bénéfice de tous.

Par ailleurs, il importe que les processus d'intégration régionale soient librement consentis par leurs Etats membres. Les élargissements passés de l'Union européenne ont ainsi toujours résulté d'une aspiration spontanée à la rejoindre, liée à son attractivité et non à des pressions économiques ou politiques.

Vous évoquez dans votre texte l'idée de faire émerger un « grand espace commun de l'Atlantique au Pacifique » et de promouvoir, dans ce but, une convergence entre les organisations régionales du continent euro-asiatique. Cette idée - qui n'est pas nouvelle - nous semble pertinente et pourrait constituer à long terme un objectif partagé.

Mais la Russie le souhaite-t-elle réellement ? Ce n'est pas le sentiment que nous avons quand nous voyons la situation du Donbass ou encore quand la Russie prend des mesures protectionnistes vis-à-vis de l'Union européenne.

Pour nous, il est évident que l'Union européenne et l'Union économique eurasiatique n'ont pas vocation à se tourner le dos. Nous restons donc favorables à un approfondissement des discussions techniques entre elles, ainsi qu'à la reprise du dialogue au plan politique, lorsque la question ukrainienne aura été réglée.

Enfin, concernant le projet chinois des routes de la soie (dénommé « Belt and Road Initiative »), il est vrai qu'il constitue, par les sommes en jeu et les implications géostratégiques, un défi immense pour la Russie comme pour l'Union européenne. Certaines estimations évoquent un potentiel d'investissement de 21 000 milliards de dollars, soit la moitié du PIB mondial. La Russie n'a sans doute pas intérêt à rester à l'écart de ce projet qui interroge la cohésion de l'Union économique eurasiatique. Quant à l'UE, elle doit bien évidemment veiller, dans cette affaire, à la préservation de ses propres intérêts. Il nous semble donc urgent que la France, l'Union européenne et la Russie se concertent davantage à ce sujet pour ne pas être mises devant le fait accompli.

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