C. QUEL AVENIR POUR LES DÉLÉGATIONS AUX DROITS DES FEMMES ?

1. Une formule spontanément écartée : la transformation des délégations en commissions permanentes

L'évolution éventuelle de la délégation en commission permanente a été écartée par la délégation dès l'échange de vues auquel elle a procédé le 29 mars 2018.

Comme l'a alors fait observer notre collègue Françoise Laborde, vice-présidente, le consensus propre à la délégation et son aptitude à travailler dans un cadre transpartisan paraissent difficilement conciliables avec le statut de commission permanente et avec le souhait d'une intervention régulière dans le débat législatif , qui par définition fait apparaître des clivages politiques : « Les membres de notre délégation partagent aussi une convivialité et des convictions communes qui leur permettent de défendre les conclusions adoptées par la délégation sans être contraints par leur appartenance politique, faculté que ne permettrait pas une commission permanente » 168 ( * ) .

Outre le risque d'« entre soi » qui résulterait de l'éventuelle création d'une commission permanente compétente en matière de droits des femmes, une telle solution pourrait altérer une culture du consensus qui est devenue au fil du temps l'ADN de la délégation. La délégation a également relevé que la double appartenance évitait de surcroît l'isolement qui menacerait une structure dédiée aux droits des femmes.

La délégation a également, au cours de son échange de vues du 29 mars 2018, exprimé son attachement à la double appartenance à la délégation et à une commission permanente. Elle a estimé que cette formule était de nature à enrichir ses travaux en leur apportant l'éclairage précieux des commissions permanentes. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la loi de 1999 prévoit que les délégations aux droits des femmes sont constituées de manière à assurer une représentation équilibrée des commissions permanentes - une caractéristique que partagent d'ailleurs toutes les délégations parlementaires.

2. Les axes d'évolution proposés par la délégation

Les réflexions qui précèdent ont conduit la délégation à proposer des orientations dont certaines peuvent être défendues dans le cadre de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, d'autres ne dépendant pas de ce support juridique.

a) Indépendamment de la révision constitutionnelle
(1) Revoir les conditions de la participation des délégations aux débats

Certaines des évolutions soutenues par la délégation pour rendre son travail plus efficace ne dépendent pas de la révision constitutionnelle . Elles peuvent s'inscrire dans le règlement du Sénat :

- pour prévoir un temps de parole spécifique aux représentants de la délégation , au titre des orateurs institutionnels , lors des discussions générales de textes législatifs qui la concernent, afin que la place de ses représentants ne soit plus soumise aux incertitudes du temps de parole des groupes. Ce temps de parole ne devrait pas être inférieur au temps de parole de cinq minutes actuellement imparti aux commissions pour avis ;

- en cohérence avec ce qui précède, pour que la présidente de la délégation siège à la Conférence des présidents .

Il est en effet indispensable que la délégation aux droits des femmes soit associée aux réflexions sur l'organisation des débats, dans la mesure où elle souhaite être appelée à y prendre une part plus importante. La participation des présidents de délégation aux réunions de la Conférence des présidents, deux fois par session, pour y exposer leur programme de travail en matière de contrôle, ne paraît pas de nature à satisfaire ce besoin.

Les évolutions ci-dessus pourraient d'ailleurs être étendues à toutes les délégations sénatoriales, si elles le souhaitent .

Indépendamment des évolutions éventuelles qui supposent de modifier la Constitution, la délégation :

- plaide pour que, lors des discussions générales des textes législatifs qui la concernent, son représentant (ou sa représentante) intervienne en tant qu'orateur institutionnel et dispose d'un temps de parole spécifique, qui ne soit pas inférieur à celui que le règlement du Sénat attribue aux commissions pour avis, même si la délégation n'a pas publié de rapport sur le texte en discussion ;

- souhaite être représentée à la Conférence des présidents.

(2) Sanctuariser les études d'impact des textes législatifs sur l'égalité entre les femmes et les hommes

Par ailleurs, afin de renforcer l'ancrage institutionnel des structures parlementaires dédiées aux droits des femmes, quel que soit leur statut à venir, et leur participation aux débats législatifs, il est important de sanctuariser les études d'impact des projets de loi au regard de leurs conséquences sur les droits des femmes .

À ce jour, cette analyse, très précieuse, relève de la circulaire du 23 août 2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d'égalité entre les femmes et les hommes 169 ( * ) , qui prévoit que :

« L'analyse conduite au stade de la préparation d'un projet de loi aura notamment pour objet :

- de s'assurer que les dispositions envisagées ne portent pas atteinte aux droits des femmes, ni n'aggravent les inégalités entre les femmes et les hommes : il conviendra d'apprécier si ces dispositions ont pour effet, direct ou indirect, de favoriser un sexe au détriment d'un autre, si elles peuvent avoir des conséquences négatives ou aggraver une situation existante, par exemple en matière d'égalité professionnelle, d'accès aux droits ou d'effectivité des droits, d'articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Si tel était le cas, des mesures correctrices devraient être prévues ;

- de s'interroger sur l'opportunité de prévoir des dispositions spécifiques de nature à mieux garantir les droits des femmes ou à réduire des inégalités existantes entre les femmes et les hommes ».

À cet égard, l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution indique que les études d'impact évaluent notamment les conséquences économiques, sociales, financières et environnementales du texte déposé, son articulation avec le droit européen, l'évaluation de ses conséquences sur l'emploi public, les consultations menées en amont ainsi que la liste des textes d'application nécessaires.

Cette liste ne comprend donc pas l'évaluation des conséquences des projets de loi au regard de la situation des femmes, de leurs droits et de la réduction des inégalités entre hommes et femmes.

Or il est important que l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 étende le champ des études d'impact dont font l'objet les projets de loi à la dimension des droits des femmes, de manière à pérenniser cet aspect des études d'impact.

La délégation propose donc une modification de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour que les études d'impact dont sont assortis les projets de loi intègrent l'évaluation des textes sur les droits des femmes et la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, la prise en compte de cette évaluation dans les études d'impact ne devant plus relever d'une circulaire ministérielle.

b) Dans le cadre de la révision constitutionnelle : vers un nouveau type de structure parlementaire chargée des droits des femmes ?

Lors de son échange de vues du 29 mars 2018, la délégation a souhaité s'inspirer, s'agissant de l'évolution des délégations, du modèle des commissions chargées des affaires européennes.

Celui-ci lui a tout d'abord paru de nature à préserver le principe de double appartenance , auquel elle a rappelé son attachement. Comme votre rapporteure l'a alors souligné et comme cela a été mentionné plus haut, cette solution évite le risque d'un « entre soi » qui résulterait immanquablement de la transformation de la délégation en commission permanente.

En effet, la délégation a considéré à cette occasion que les politiques d'égalité entre femmes et hommes irriguaient toutes les politiques publiques , et que dans cette logique elles pouvaient concerner potentiellement l'ensemble des commissions permanentes . C'est dans cet esprit, comme cela a été mentionné plus haut, que la loi du 12 juillet 1999 avait prévu que la désignation des membres des délégations devait assurer une « représentation équilibrée [...] des commissions permanentes » 170 ( * ) .

La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale a, dans le rapport d'information qu'elle a consacré à la révision constitutionnelle de 2018, exprimé le même attachement au principe de double appartenance, « car les questions d'égalité sont par nature transversales et doivent irriguer les travaux de l'ensemble des commissions parlementaires » 171 ( * ) .

Par ailleurs, l'évolution de la délégation vers une commission telle que les commissions des affaires européennes a semblé, lors de l'échange de vues du 29 mars 2018, devoir être défendue par notre délégation à plus d'un titre.

La délégation a estimé que le terme de commission, à lui seul, lui confèrerait un prestige en adéquation avec l'importance des sujets traités . À cet égard, Françoise Cartron, vice-présidente, a rappelé le précédent de la commission pour le contrôle de l'application des lois , créée en 2011, notant que cette structure avait, elle aussi, un « regard transversal (...) englobant le champ de compétences de toutes les commissions permanentes ». De fait, lors de la première réunion de travail de cette commission, le 15 décembre 2011, David Assouline, son président, avait précisé : « Nous ne deviendrons pas une délégation au service des autres commissions ». Cette remarque souligne assez clairement le prestige associé au terme de commission.

Il faut également insister sur la visibilité plus grande qu'il favorise à l'extérieur : la notion de délégation est en effet malaisément compréhensible en dehors du contexte d'une assemblée. Confier les questions relatives à l'égalité femmes-hommes à une commission serait un élément de valorisation des travaux du Sénat dans ce domaine, notamment pour les partenaires extérieurs de la délégation et pour les associations avec lesquelles elle travaille en contact étroit.

La même remarque vaut pour ses relations avec ses interlocuteurs étrangers : le terme de commission présente l'avantage non négligeable d'être facile à traduire .

Par ailleurs, le modèle des commissions des affaires européennes valide l'idée d'une structure ad hoc qui serait dédiée aux droits des femmes et à l'égalité. Cette nouvelle commission pourrait ainsi :

- se saisir pour avis (sans avoir à solliciter cette saisine) des textes législatifs concernant son champ de compétences au débat desquels elle souhaite participer ;

- déposer des amendements en tant que telle, sans recourir à la solution imparfaite d'amendements défendus à titre personnel par ses membres ;

- continuer, parallèlement à cette compétence législative revalorisée et indépendamment du débat législatif , à travailler à des rapports d'information relevant du contrôle des politiques publiques et du suivi de l'application des lois, et demander l'organisation de débats en séance publique sur ces travaux.

Ces compétences ne l'empêcherait pas de poursuivre éventuellement une activité événementielle à laquelle ses membres sont attachés (commémorations, colloques, rencontres avec des élues locales, etc.)

Une telle évolution, qu'il serait préférable d'asseoir sur une disposition spécifique de la Constitution , comme cela a été le cas lors de la création des commissions des affaires européennes 172 ( * ) , paraît pouvoir être défendue par la délégation lors du débat sur la révision constitutionnelle au Sénat.

Par ailleurs, quelle que soit l'évolution institutionnelle de la délégation, la question de ses moyens ne doit pas être négligée : comme le faisait déjà observer Marie-Jo Zimmermann à l'Assemblée nationale, le 11 février 1999, lors de la première lecture des propositions de loi dont l'adoption devait conduire à la création des délégations parlementaires aux droits des femmes, « la souplesse de fonctionnement qu'offrent les délégations parlementaires n'est souvent que la contrepartie de la faiblesse de leurs moyens. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur les moyens qui seront alloués à cette délégation ».

Ce point impose donc une certaine vigilance : sans moyens alloués en conséquence, ces nouvelles structures ne disposeront pas d'une réelle capacité à rendre effectives leurs nouvelles compétences.

La délégation exprime son attachement :

- à l'existence, au Sénat, d'une structure spécifique dédiée aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes ;

- et au principe de double appartenance à cette structure et à une commission permanente.

Elle recommande que les instances parlementaires dédiées aux droits des femmes - commissions ou délégations - reposent sur le même statut dans les deux assemblées.

Elle souhaite que les délégations parlementaires aux droits des femmes deviennent des commissions :

- susceptibles d'intervenir dans les débats législatifs avec des prérogatives comparables à celles des commissions pour avis et, plus particulièrement, à travers le dépôt d'amendements, de manière à mettre fin à la solution non satisfaisante consistant à déposer des amendements à titre individuel lorsque des recommandations doivent être traduites par des dispositions législatives ;

- chargées, dans leur domaine de compétences, de l'évaluation des politiques publiques ainsi que du suivi de l'application des lois.

Elle demande en outre que ces instances soient dotées de moyens en adéquation avec leurs missions.


* 168 Voir en annexe le compte rendu de cette réunion.

* 169 JO n° 0196 du 24 août 2012, p. 13760, texte n° 3.

* 170 Cet équilibre est toutefois resté à bien des égards fictif, car la grande majorité des membres de la délégation appartient traditionnellement à la commission de la culture (13 des 36 membres de la délégation siègent à la commission de la culture, soit 36 %), ce qui la prive de relais dans des commissions « stratégiques » comme la commission des finances ou la commission des lois.

* 171 Rapport d'information fait par Marie-Pierre Rixain au nom de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, Assemblée nationale, n° 1095, VX e législature, juin 2018.

* 172 Alinéa ajouté en 2008 à l'article 88-4 de la Constitution : « Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des affaires européennes ».

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