B. FORMATION INITIALE ET RECRUTEMENT : UN DISPOSITIF À REVOIR

Masterisation, scolarité en ÉSPÉ, mi-temps en alternance : cinq ans après la mise en place des dernières briques constitutives d'un nouveau dispositif de recrutement et de formation des futurs enseignants, le bilan des nouvelles modalités de recrutement et de formation des enseignants apparaît très nuancé.

Les réserves exprimées tiennent tant à la viabilité du schéma conçu en 2013 qu'au contenu et à la qualité des formations dispensées, ainsi qu'à leur adéquation avec les objectifs du système éducatif . C'est particulièrement vrai dans le premier degré, où les professeurs des écoles débutants déclarent avoir reçu un temps parfois extrêmement faible de formation à l'apprentissage des fondamentaux au cycle 2 ; les inspections générales soulignent que ces derniers ne s'estiment « pas suffisamment préparés à assurer la polyvalence qu'ils doivent gérer en classe » 21 ( * ) .

Malgré l'énergie investie, le jugement porté sur la formation initiale des enseignants est très sévère ; un responsable du ministère observait qu'à l'issue de la formation initiale, « nous n'avons pas la certitude d'avoir de bons professeurs », et ce alors même que les non-titularisations ont augmenté pour atteindre un professeur stagiaire sur dix 22 ( * ) .

Dans son référé de mars 2018, la Cour des comptes soulignait ainsi qu'au cours des dix dernières années, près de 120 000 enseignants avaient été recrutés et formés selon pas moins de trois modalités différentes : « un recrutement au niveau licence suivi d'une année de stage en alternance dans les IUFM jusqu'en 2010 ; un recrutement direct après un master universitaire suivi d'une année de stage sans alternance de 2010 à 2014 et, depuis 2014, un recrutement et une année en alternance en ÉSPÉ avec obtention d'un master universitaire. Ce vivier permettrait d'évaluer l'intérêt du modèle actuel de formation » 23 ( * ) .

1. Masterisation et concours en fin de M1 : à l'heure des bilans

• Faut-il revenir sur l'exigence d'un master pour nos futurs enseignants ?

Ce n'est qu'à compter de 1979 que l'on a exigé des instituteurs qu'ils soient titulaires d'un baccalauréat pour être recrutés et qu'ils aient obtenu un DEUG 24 ( * ) pour enseigner. Dix ans plus tard, le recrutement de tous les enseignants est unifié au niveau de la licence et en 2010, au niveau du master .

L'élévation progressive du niveau de recrutement des enseignants s'observe dans l'ensemble des pays de l'OCDE. Dans la plupart de ces pays il est aujourd'hui exigé un master pour enseigner en lycée. L'enquête Eurydice menée par la Commission européenne 25 ( * ) met en évidence une situation plus contrastée s'agissant de l'enseignement au collège : quinze pays de l'Union européenne exigent l'équivalent de la licence quand dix-sept, dont la France, requièrent un master. Pour ces degrés d'enseignement, l'exigence d'un master ne semble pas remise en cause.

En revanche, des interrogations sont apparues, lors des déplacements de vos rapporteurs, concernant le premier degré ou la voie professionnelle, certains des interlocuteurs rencontrés estimant que l'obligation de détention d'un master ne s'y justifiait pas toujours.

Il a notamment été souligné que les jeunes professeurs de lycée professionnels (PLP) avaient parfois un profil trop universitaire et une insuffisante connaissance du « geste professionnel ». Un PLP rencontré par vos rapporteurs a ainsi reconnu avec humour qu'il se sentait, avec son master, plus qualifié pour expliquer à ses étudiants le fonctionnement d'une centrale nucléaire que celui d'une chaudière domestique.

Notre collègue Jacques-Bernard Magner avait également émis en 2013 d'importantes réserves sur la masterisation : « la masterisation a aggravé les problèmes tous azimuts en asséchant les viviers, en réduisant la préparation au métier comme peau de chagrin et en décourageant des jeunes des milieux populaires » 26 ( * ) .

Mais vos rapporteurs sont tous deux attachés au principe de la masterisation de la profession enseignante , quel que soit le degré d'enseignement, et ne souhaitent pas la remettre en cause 27 ( * ) . Les études convergent d'ailleurs pour expliquer la réussite du « modèle finlandais » par l'élévation du niveau de qualification des enseignants. Dans une société où le niveau de diplomation augmente en continu, elle représente un élément fondamental de la reconnaissance sociale des enseignants et de leur statut de profession intellectuelle supérieure.

• Faut-il revoir la place et le contenu des concours ?

De l'aveu de nombreux responsables du système éducatif, une partie des difficultés que rencontre la formation initiale des enseignants tient au caractère « hors-sol » ou « bancal » du modèle conçu en 2013 . Alors que le master MEEF était conçu comme le parcours de formation standard, 40 % des lauréats du concours de professeur des écoles n'en sont pas issus, proportion qui dépasse la moitié dans le secondaire.

En particulier, le choix de placer les concours pendant le second semestre de l'année de M1 est particulièrement critiqué :

- l'année de M1 est essentiellement consacrée au bachotage disciplinaire du concours et les étudiants sont peu attentifs aux enseignements plus professionnalisants dispensés à l'ÉSPÉ dont ils ne voient pas l'utilité immédiate pour la réussite au concours ; en outre, les taux de réussite aux concours sont en-deçà des attentes ;

- le concours situé en fin de M1 reste très disciplinaire, la vérification des aptitudes professionnelles des lauréats se réalisant dans le cadre de l'obtention du master et de la titularisation en fin de M2 ;

- l'admission au concours acquise, l'année de M2 est très lourde avec la responsabilité d'une classe à mi-temps, la scolarité au sein de l'ÉSPÉ et la rédaction d'un mémoire de master ; de l'avis de tous les étudiants interrogés par vos rapporteurs, ils manquent cruellement de temps en M2 pour « prendre du recul » et « reparler du vécu en classe » alors que c'est sur cette seule année que de facto la professionnalisation se concentre ;

- au final, c'est la cohérence même du master MEEF qui est mise à mal par cette césure entre M1 et M2.

Dans l'idéal, le positionnement des concours devrait viser les objectifs suivants :

- tendre vers une plus grande professionnalisation des futurs enseignants 28 ( * ) qui doit allier acquisition de savoirs disciplinaires solides et de compétences professionnelles ;

- permettre aux futurs enseignants de se frotter le plus tôt possible à une classe réelle afin qu'ils puissent mieux appréhender les contenus pédagogiques professionnels qui leur sont dispensés en entrant progressivement dans la prise en charge pratique des classes : tout d'abord lors de stages d'observation, ensuite par des stages de pratique accompagnée et enfin par des stages en responsabilité ;

- favoriser l'accès au métier d'enseignant des étudiants issus de tous les milieux sociaux ;

- encourager l'accueil des « secondes carrières », qui constituent une part croissante des lauréats de concours (un quart environ) et qui ont besoin, pour mener à bien leur projet de reconversion, d'une rémunération dès leur entrée dans le dispositif de formation et d'un parcours adapté.

Quant au contenu des concours, l'année 2014 a vu la mise en place de nouvelles épreuves, à portée plus professionnalisante : la « mise en situation professionnelle » et l' « entretien à partir d'un dossier ». Vos rapporteurs s'en félicitent car cela permet de donner au concours une véritable dimension de recrutement sur le « savoir enseigner », au-delà de la sélection sur les « savoirs à enseigner ».

La rénovation du contenu du concours n'a cependant peut-être pas encore porté tous ses fruits et son impact demeure assez limité (du fait du faible taux de pression sur certains concours) à la fois sur le profil des candidats recrutés mais aussi sur le contenu des formations dispensées.

• Les propositions de vos rapporteurs

Plusieurs scénarios sont possibles. Les principaux sont présentés dans le tableau ci-après, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Aucun de ces scénarios n'est parfait ; vos rapporteurs privilégieraient toutefois :

- Pour le premier degré, un concours dont les épreuves d'admissibilité auraient lieu en fin de L3 29 ( * ) et les épreuves d'admission en fin de M2 ; les admissibles seraient inscrits en master MEEF pour approfondir leurs connaissances disciplinaires (en particulier en français et en mathématiques) et pour acquérir les compétences professionnelles indispensables au métier grâce à une scolarité en alternance progressive ; l'admission serait conditionnée par l'obtention du master et par la validation des compétences professionnelles ; la titularisation interviendrait un an plus tard, à l'issue d'une année de prise en charge d'une classe en tant que fonctionnaire stagiaire ;

- Pour le second degré, un concours dont les épreuves disciplinaires d'admissibilité auraient lieu au cours de l'année de M2 et les épreuves professionnelles d'admission en fin de M2 ; les admissibles se verraient proposer une formation professionnalisante en alternance entre l'ÉSPÉ et un établissement, afin de préparer des épreuves d'admission professionnelles, tout en achevant leur master dont la réussite conditionnerait l'obtention du concours ; la titularisation interviendrait un an plus tard, à l'issue d'une année de prise en charge d'une classe en tant que fonctionnaire stagiaire assortie de cours complémentaires à l'ÉSPÉ.

En revanche, ni les finalités ni l'organisation du concours de l'agrégation ne seraient remises en cause. Ce concours permet en effet de recruter des professeurs disposant d'une forte maîtrise disciplinaire nécessaire pour enseigner dans les classes terminales de lycées, les classes préparatoires aux grandes écoles, les sections de techniciens supérieurs et le premier cycle de l'université.

Place du concours : les préconisations de vos rapporteurs

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

2. Faire évoluer l'organisation interne des ÉSPÉ pour mieux faire « résonner théorie et pratique »

Créées en 2013 dans le cadre de la loi pour la refondation de l'école de la République 30 ( * ) , les trente-deux ÉSPÉ ont prouvé leur grande plasticité en s'adaptant aux divers profils des étudiants souhaitant rejoindre le métier d'enseignant 31 ( * ) . Elles ont notamment permis au système de s'écarter de « l'épure » initiale (un étudiant issu du MEEF1, qui poursuit en MEEF2 une fois le concours réussi, cas qui concerne moins de 40 % des lauréats du concours) pour accueillir directement en MEEF2 sur des « parcours adaptés » des lauréats du concours titulaires d'un master autre que le master MEEF. Il n'est pas dans l'esprit de vos rapporteurs de bouleverser de fond en comble le schéma actuel qui a prouvé sa souplesse.

Par ailleurs, la situation d'une ÉSPÉ à l'autre est très différente et a beaucoup évolué, ce qui interdit une vision globale trop réductrice si l'on veut vraiment appréhender la réalité de ces établissements.

Mais le statu quo n'est pas souhaitable non plus : le rapport Eurydice 32 ( * ) montre que les enseignants français sont plus nombreux que leurs homologues à considérer qu'ils ne sont pas bien préparés pour accomplir leur travail, en particulier en ce qui concerne la théorie et la pratique de l'enseignement.

• Quelle place pour l'éducation nationale dans la gouvernance des ÉSPÉ ?

L'éducation nationale occupe une place particulière auprès des ÉSPÉ. Elle y contribue tout d'abord en tant que formateur : elle fournit les « berceaux de stage » et les tuteurs pédagogiques. Mais surtout, elle est le futur employeur prédominant des enseignants formés au sein de ces écoles.

Malheureusement, vos rapporteurs ont pu constater que les ÉSPÉ ne considéraient pas toujours l'éducation nationale comme une branche professionnelle apte à faire part de ses attentes en matière de formation de ses futurs embauchés. Le rattachement des ÉSPÉ aux universités, même s'il porte de nombreux avantages et n'est pas remis en cause par vos rapporteurs, ne doit pas conduire à « autonomiser » à outrance les ÉSPÉ. Les directives nationales qui leur sont données sont aujourd'hui encore beaucoup trop souples.

Il faudrait à tout le moins que les rectorats puissent établir un cahier des charges précis pour chaque formation aux métiers de l'enseignement, s'appuyant sur le « référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation » de 2013 33 ( * ) .

ð Recommandation : Repositionner l'éducation nationale vis-à-vis des ÉSPÉ dans son rôle d'employeur notamment en élaborant un cahier des charges précis de ses attentes en matière de formation des futurs professeurs.

La procédure d'accréditation des ÉSPÉ pourrait également être renforcée à cette occasion : avec la constitution d'un dossier plus solide, contenant les avis d'inspections, des enquêtes de satisfaction réalisées auprès des étudiants et des chefs d'établissement, mais aussi la définition d'indicateurs de suivi qui pourraient faire l'objet d'un dialogue à mi-mandat pour évaluer l'atteinte des objectifs de l'ÉSPÉ.

ð Recommandation : Renforcer les exigences de la procédure d'accréditation des ÉSPÉ.

Il conviendrait également de renforcer le lien organique entre l'ÉSPÉ et l'éducation nationale, en prévoyant notamment l'intervention du ministère dans la nomination du directeur, sur la base de listes d'aptitude ou de proposition formulées par des comités de sélection (sur le modèle des désignations des directions de certains établissements publics liés au ministère de l'éducation nationale et au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation).

ð Recommandation : Renforcer le pouvoir du ministre de l'éducation dans la nomination des directeurs d'ÉSPÉ .

• Quels formateurs en ÉSPÉ ?

Les ÉSPÉ font parfois l'objet de critiques aussi virulentes que celles qu'enduraient leurs prédécesseurs les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Dans certains cas, seul le nom a changé, les personnels et leurs méthodes étant restés les mêmes.

Au cours de leurs déplacements, vos rapporteurs ont très souvent entendu la critique des formateurs attachés à l'ÉSPÉ qui n'auraient « jamais vu une classe ». Il est évidemment indispensable, s'agissant d'une formation professionnalisante, que les formateurs des futurs enseignants soient eux-mêmes régulièrement confrontés aux classes afin de crédibiliser leur enseignement et d'en améliorer la qualité. C'est l'une des conditions nécessaires pour faire « résonner la théorie et la pratique ».

Les travaux de nos collègues Jacques-Bernard Magner et Colette Mélot 34 ( * ) avaient montré combien il était nécessaire de mettre « plus de professionnels de terrain » dans les ÉSPÉ. Le rapport de l'Assemblée nationale de 2016 35 ( * ) suggérait également « une meilleure intégration des professionnels de terrain dans les équipes de formateurs, dans une logique dynamique et cohérente permettant de desserrer l'emprise qu'exercent les ressources locales en formateurs, que les ÉSPÉ ont bien souvent héritées des IUFM, sur les sujets abordés par le tronc commun ».

Plus récemment encore, notre présidente Catherine Morin-Desailly avait proposé de « réformer le statut des formateurs des ÉSPÉ afin de privilégier des praticiens capables de transmettre un savoir-faire renouvelé par la pratique » 36 ( * ) .

Les rapports se succèdent, préconisant toujours les mêmes pistes de bon sens et pourtant la situation sur le terrain semble ne guère évoluer.

Ce sont aussi les enseignants-chercheurs issus d'autres unités de formation et de recherche (UFR) de l'université qui sont encore insuffisamment présents dans les ÉSPÉ pour y assurer un niveau élevé d'enseignement disciplinaire et développer un « esprit recherche » auprès des étudiants de l'ÉSPÉ.

C'est pourquoi vos rapporteurs proposent que désormais les ÉSPÉ deviennent des composantes de l'université sans formateurs propres, faisant appel en tant que de besoin, soit aux enseignants-chercheurs d'autres UFR (à la fois de spécialistes des disciplines et des spécialistes des sciences de l'éducation), soit à des enseignants-formateurs conservant la responsabilité d'un service en établissement.

ð Recommandation : Accroître la part des professionnels et des enseignants-chercheurs parmi les formateurs des ÉSPÉ. À terme, transformer celles-ci en structures sans formateurs propres, faisant appel aux ressources de l'éducation nationale (enseignants-formateurs) et de l'enseignement supérieur (enseignants-chercheurs).

• Quelles formations en ÉSPÉ ?

Au cours de leurs auditions et déplacements, vos rapporteurs ont pu noter que les étudiants se plaignaient souvent de la déconnection entre les cours qui leur sont dispensés à l'ÉSPÉ et les problématiques vécues en classe notamment au cours de leur mi-temps en responsabilité.

Bien souvent, et cela avait déjà été constaté par les deux missions d'information de notre commission sur les ÉSPÉ 37 ( * ) , le contenu des troncs communs des maquettes a été conditionné par les ressources locales disponibles (au premier rang desquelles on retrouve les formateurs de l'ÉSPÉ).

L'instauration d'un ensemble de formations communes aux quatre mentions du master MEEF constitue indéniablement une avancée pour donner une unité aux métiers de l'éducation et du professorat, mais ces troncs communs ne doivent pas se transformer en « culture générale infantilisante » parfois éloignée des vraies attentes des stagiaires.

Le risque est en effet grand de vouloir « tout faire entrer » dans le tronc commun au risque d'un éparpillement des enseignements dispensés à l'ÉSPÉ. Il est aussi tentant pour les responsables politiques, dès qu'une problématique surgit, d'exiger qu'elle soit immédiatement intégrée au tronc commun de formation des futurs enseignants.

Nombreuses sont ainsi les problématiques sur lesquelles l'attention de vos rapporteurs a été attirée et auxquelles ils sont eux-mêmes particulièrement sensibles :

- l'éthique et les devoirs du fonctionnaire, les valeurs de la République et la laïcité 38 ( * ) ;

- la gestion de l'hétérogénéité scolaire et la différenciation de l'apprentissage 39 ( * ) ,

- l'inclusion scolaire ;

- le travail en équipe et la gestion des conflits ;

- les relations avec les parents et avec les autres acteurs de l'éducation, à l'instar des collectivités territoriales ;

- le développement des compétences numériques 40 ( * ) et l'utilisation du numérique pour apprendre.

Celles qui sont indispensables à la prise de poste doivent bien évidemment faire partie des maquettes du master MEEF 41 ( * ) . En revanche, il faut aussi savoir renoncer à incorporer certaines problématiques au tronc commun, aussi fondamentales puissent-elles sembler, et accepter de les reporter sur la formation continuée et continue des enseignants. Comme l'écrivait le recteur Filâtre : « à vouloir tout mettre dans les programmes on nuit considérablement à la qualité de la formation » 42 ( * ) .

Vos rapporteurs sont convaincus qu'il faut sortir de l'idée fausse que le métier d'enseignant s'apprendrait une bonne fois pour toutes en seulement deux années . Comme maints et maints rapports l'ont rappelé, la formation des enseignants doit être envisagée comme un continuum , englobant les années de préprofessionnalisation, la formation initiale, un accompagnement soutenu sur les trois années suivant la titularisation et enfin de la formation continue tout au long de la carrière.

ð Recommandation : Alléger les maquettes du tronc commun, les resserrer sur les formations indispensables à la prise de poste et développer les formations complémentaires dans le cadre de la formation continue rénovée .

D'une manière générale, il semble indispensable que les maquettes des ÉSPÉ s'adaptent le plus possible aux besoins individuels des étudiants , et tout particulièrement à leurs besoins au regard de leur stage en responsabilité en M2. La « résonnance » entre théorie et pratique doit être continue et assurée non pas par l'étudiant (sur lequel repose, comme vos rapporteurs l'ont entendu au cours de leurs déplacements, la charge d'assurer lui-même la cohérence entre les différents éléments de sa formation) mais bien par les formateurs de l'ÉSPÉ et le tuteur pédagogique, au service de cet étudiant.

Le rapport de l'Assemblée nationale d'octobre 2016 précité fustigeait ainsi « la faiblesse persistante des liens noués entre les deux acteurs décisifs de la réforme que sont le tuteur pédagogique (...) et le tuteur académique de l'ÉSPÉ, qui ne prend pas toujours le temps de s'assurer que l'expérience de terrain se déroule dans de bonnes conditions ». Le Livre vert sur l'évolution du métier d'enseignant de 2008 43 ( * ) soulignait d'ailleurs déjà « les carences de la préparation à la pratique du métier, les excès de la formation théorique en sciences de l'éducation, et les faiblesses de l'articulation entre théorie et pratique ».

Certes, le ministère de l'éducation nationale et celui de l'enseignement supérieur ont récemment souligné 44 ( * ) que les tuteurs « conduisent des visites conjointes et contribuent à l'enrichissement de la pratique du stagiaire. Les retours de l'enquête « 3DIR » (DGESIP, DGESCO, DGRH) en octobre 2014 attestaient déjà de l'effectivité de ce tutorat mixte. Une autre enquête témoigne de l'effort considérable fourni pour former les tuteurs et établir une culture commune. Un grand nombre d'ÉSPÉ a développé des modalités de mises en commun via des espaces numériques partagés, à même de faciliter le travail collaboratif ».

Néanmoins, au cours de leurs déplacements, vos rapporteurs ont pu constater une déconnection entre ÉSPÉ et terrain de stage malheureusement très importante pour le premier degré et pour les disciplines à gros effectifs du second degré (c'est heureusement moins vrai concernant les disciplines à petits effectifs 45 ( * ) ) : les deux parties de la formation dispensée à l'étudiant, théorie et pratique, sont très souvent largement déconnectées l'une de l'autre et les maquettes des formations en ÉSPÉ parfois en « porte-à-faux » par rapport au stage en responsabilité.

ð Recommandation : Concevoir des maquettes de formation formalisant l'alternance comme un parcours unique .

• Quelle place pour la recherche ?

Le mémoire imposé aux étudiants en M2 pour valider le master fait l'objet de nombreuses critiques : il serait trop lourd, il serait déconnecté des enjeux liés au poste occupé par l'étudiant, et ne ferait l'objet d'aucun partage avec les collègues de l'étudiant au sein de l'établissement.

Il est d'autant plus regrettable que la rédaction de ce mémoire soit vécue comme un fardeau largement inutile par les étudiants qu'il constitue le premier pas d'une démarche qui devra irriguer l'ensemble de leur vie professionnelle. Les enseignants doivent être tous des chercheurs dans leur enseignement, des « experts » de l'éducation, reconnus comme tels.

Vos rapporteurs sont, d'une façon générale, très attachés à ce que les résultats de la recherche en sciences de l'éducation puissent imprégner la démarche de tous les enseignants. Si la recherche prouve que certaines méthodes d'apprentissage sont plus efficaces que d'autres, il serait coupable de ne pas diffuser ces résultats à l'ensemble des enseignants et leur permettre de s'en saisir pour améliorer leur démarche pédagogique. Il faut aussi encourager les enseignants à innover et à évaluer leurs méthodes pédagogiques.

Catherine Becchetti-Bizot le soulignait avec justesse dans son rapport « Vers une société apprenante » 46 ( * ) : « De profonds changements peuvent survenir en moins d'une décennie si l'on sait mobiliser les acteurs. Ils doivent avoir accès le plus librement possible aux résultats de la recherche et être en capacité de questionner et d'inventer par eux-mêmes des réponses, individuelles et collectives, aux défis qu'ils rencontrent ».

ð Recommandation : Intégrer dans les maquettes de formation des ÉSPÉ la diffusion des résultats de la recherche des sciences de l'éducation .

C'est pourquoi il est indispensable de revoir le contenu de ce mémoire pour lui redonner tout son sens et son utilité :

- sa réalisation pourrait être, en fonction du scenario retenu quant à la place du concours, étalée sur deux années ; cela permettrait un travail plus fouillé et plus soigné ; le master MEEF étant un master professionnalisant, le mémoire doit être moins orienté sur de la recherche « pure » et plus sur de la recherche à visée professionnelle, une « recherche-action » 47 ( * ) ;

- ce mémoire pourrait être lié aux problématiques du terrain de stage de l'étudiant et partagé avec les collègues dans l'établissement ; cela aurait également l'avantage d'infuser une culture de « recherche » à l'ensemble de l'équipe pédagogique ;

- la possibilité de réaliser un mémoire à plusieurs étudiants pourrait également être ouverte afin d'inciter au travail collectif.

ð Recommandation : Revoir la durée et le contenu du mémoire de master MEEF .


* 21 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants, op. cit.

* 22 Cour des comptes, La mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) chargées de la formation initiale des enseignants du secteur public , référé, mars 2018.

* 23 Idem.

* 24 Diplôme d'études universitaires générales, correspondant à un bac+2 d'avant la réforme licence/master/doctorat (LMD).

* 25 Rapport Eurydice de la commission européenne, op. cit. Il convient toutefois de noter que ce rapport ne concerne que l'enseignement secondaire inférieur, ce qui correspond à notre collège.

* 26 Jacques-Bernard Magner, Communication sur le pré-recrutement dans l'éducation nationale , faite au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, 2013.

* 27 À l'exception toutefois de la plupart des disciplines des PLP pour lesquelles il n'existe pas de master correspondant.

* 28 Et dans l'idéal, débuter en cours de licence et se poursuivre tout au long de la vie professionnelle de l'enseignant via la formation continue, conformément au référentiel des compétences de 2013 qui stipule que les compétences professionnelles attendues « s'acquièrent et s'approfondissent au cours d'un processus continu débutant en formation initiale et se poursuivant tout au long de la carrière par l'expérience professionnelle accumulée et par l'apport de la formation continue ».

* 29 Ce concours serait ouvert dans les mêmes conditions aux titulaires d'un master autre que le master MEEF.

* 30 Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013.

* 31 À la rentrée 2016, elles formaient plus de 65 000 étudiants (30 000 en M1, 35 000 en M2), soit plus d'un étudiant en master sur six.

* 32 Rapport Eurydice de la Commission européenne, op. cit.

* 33 Arrêté du 1 er juillet 2013.

* 34 Colette Mélot et Jacques-Bernard Magner, L'an II des ÉSPÉ , communication faite au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, 2015.

* 35 Rapport d'information n° 4075, Enseignant, un métier qui s'apprend tout au long de la vie, fait par Michel Ménard au nom de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, octobre 2016.

* 36 Prendre en main notre destin numérique : l'urgence de la formation , rapport d'information de Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication n° 607 (2017-2018) - 27 juin 2018.

* 37 « On constate actuellement de très fortes disparités dans les volumes horaires entre les différentes composantes du tronc commun avec un poids relatif des différents items fortement corrélé aux ressources locales des ÉSPÉ », Jacques-Bernard Magner, L'an II des ÉSPÉ, op. cit.

* 38 Le rapport de la commission d'enquête du Sénat présidée par Françoise Laborde sur le service public de l'éducation, Faire revenir la République à l'école , préconisait ainsi en 2015 une « révision de la maquette des formations dans les ÉSPÉ (...) en y valorisant la transmission des valeurs républicaines ».

* 39 Cf. rapport d'information de Brigitte Gonthier-Maurin, Le métier d'enseignant au coeur d'une ambition émancipatrice , op. cit.

* 40 Cf. rapport de Catherine Morin-Desailly qui préconise de « revoir la maquette de formation en ÉSPÉ afin que la littératie numérique devienne un axe structurant de la formation », op. cit.

* 41 Il est notamment indispensable que les maquettes proposent des formations à la prise de poste pour en appréhender les spécificités dès connaissance de l'affectation : ce n'est pas la même chose d'enseigner en maternelle ou en cours élémentaire, en collège ou en lycée, en centre-ville ou en REP+, en milieu rural profond et en agglomération, etc. Vos rapporteurs ont en effet été surpris d'entendre des jeunes professionnels avouer que leur formation à la prise de poste avait été programmée en avril, soit 8 mois après la prise de poste effective !

* 42 Daniel Filâtre, Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie , rapport fait au nom du comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et personnels d'éducation, novembre 2016.

* 43 Livre vert sur l'évolution du métier d'enseignant , op. cit.

* 44 Réponse commune au référé S 2018-0342 de la Cour des comptes relatif à la mise en place des ÉSPÉ chargées de la formation initiale des enseignants du secteur public, en date du 22 mai 2018.

* 45 À l'ÉSPÉ de Créteil vos rapporteurs ont rencontré des étudiants en économie pour lesquels ce lien était bien assuré.

* 46 Catherine Becchetti-Bizot, Guillaume Houzel et François Taddei, Vers une société apprenante - Rapport sur la recherche et le développement de l'éducation tout au long de la vie , mars 2017.

* 47 Nos collègues Colette Mélot et Jacques-Bernard Magner avaient ainsi considéré dès 2014 que « la recherche axée sur les pratiques et les activités dans la classe est la plus utile » ; Jacques-Bernard Magner, L'an I des ÉSPÉ : un chantier structurel , op. cit.

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