AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le dernier rapport que notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a consacré au métier d'enseignant remonte à 2012 1 ( * ) . Depuis, la loi sur la refondation de l'école, la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), la transcription du protocole dit « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) dans les mécanismes d'évaluation et de progression de carrière des professeurs ont profondément bouleversé la donne. Les classements internationaux se sont également succédé. Ils traduisent un affaiblissement de notre système éducatif qui nourrit un doute croissant de la société envers son école.

Les professeurs sont d'ailleurs les mieux à même d'appréhender les difficultés auxquelles ils sont confrontés chaque jour. Ils savent que les Français ont longtemps considéré notre école comme parmi les meilleures au monde et qu'ils n'ont plus sur le sujet les mêmes certitudes.

Ce sentiment puissant avait pourtant construit la représentation d'une profession et l'image qu'elle se faisait d'elle-même. Si notre système éducatif s'inscrit aujourd'hui encore dans des moyennes internationales convenables, il recule. Surtout la place qu'a tenue l'école dans la construction des fondements de notre République n'est plus aussi consensuelle alors que l'exigence de l'opinion est d'autant plus forte que ce passé est magnifié. Tout cela conduit à une perte de confiance de la part de nos concitoyens, vécue par les professeurs avec beaucoup de difficultés.

Pour les mêmes raisons, ils sont touchés par les différenciations sociales et territoriales croissantes qui affectent l'école alors qu'elle fut longtemps présentée comme l'outil républicain par excellence de l'ascension sociale et de la construction unitaire d'une République soucieuse d'offrir à chaque jeune Français l'égalité des chances.

Même si la part de représentation dépasse largement la réalité de ce que fut dans le passé notre École, la remise en cause de son rôle central au coeur même de notre pacte républicain percute de plein fouet un monde enseignant attaché à cette histoire et plus encore à la place qu'elle prenait dans cette construction.

Construire ou reconstruire l'École de la confiance, tout comme restaurer la confiance du pays envers son école, ne pourra donc se faire sans l'adhésion des professeurs. Or, bien des inquiétudes minent une profession qui a la conviction, à tort ou à raison, que les réformes successives ont été faites contre elle ou a minima sans elle et qu'elles se sont traduites par une dégradation des conditions d'exercice d'un métier dont ils auréolent par ailleurs la place qu'il a pu avoir dans la société. Pour autant, beaucoup de professeurs ressentent que des évolutions sont nécessaires mais la redéfinition des conditions d'exercice du métier d'enseignant ne les mobilisera que si elle prend en compte leurs inquiétudes mais aussi leurs aspirations. Toute réforme, aussi légitime soit-elle, ne réussira que si elle met en mouvement derrière elle l'ensemble des professeurs.

Longtemps seul dans sa classe et détenteur incontesté du savoir, le professeur doit en effet désormais défendre chaque jour son statut d'intellectuel et pour cela apprendre à travailler en équipe, confronter ses pratiques, les remettre en question et les renouveler. Il doit composer avec bien d'autres sources émettrices de savoirs. Il doit dorénavant tout autant, voire davantage, apprendre à ses élèves à accéder avec discernement à ces sources qu'à transmettre des savoirs dont il n'est plus le seul dépositaire.

La question de l'accès aux savoirs est centrale, notamment face aux nouveaux usages liés à la diffusion des technologies du numérique : internet, les réseaux sociaux, les téléphones portables, les massive open online courses (MOOCs) ou cours en ligne ouverts et massifs (CLOMs), etc. Ces nouveaux usages tendent à normaliser un comportement de zapping , avec une forte volatilité de l'attention des jeunes au quotidien. Ces données exogènes ne sont pas sans conséquence sur l'attractivité des enseignements pour les élèves et c'est un autre défi à relever, y compris dans la forme prise par les supports d'enseignement. Le professeur ne peut plus ignorer cette donnée si il veut surmonter ce défi.

Il doit aussi évoluer dans un « biotope » où il devra gagner et conserver sa légitimité face aux différents acteurs qui le composent. Soumis à des tâches de plus en plus diverses et des missions hors la classe qui ne cessent de se développer, il doit aussi intégrer un positionnement qui lui permette d'incarner l'École dans ses relations avec les partenaires qui composent la communauté éducative. Tout cela nécessite une très solide formation initiale cohérente, progressive et inscrite dans la durée et une formation continue profondément renouvelée.

Le métier d'enseignant s'est peut-être banalisé et, comme tous les autres, nécessite une formation initiale et continue à la hauteur de la complexité croissante et des mutations permanentes de son exercice. C'est l'enjeu majeur du rétablissement d'une attractivité qui s'est dégradée à un niveau qui peut, dans certaines académies et certaines disciplines, être particulièrement préoccupant.

Il n'y aura donc pas de rénovation en profondeur de notre École sans une réorganisation préalable de la formation des professeurs dont il faut repenser l'articulation entre formation transversale commune et besoins spécifiques aux professeurs du premier degré comme à ceux du second degré, de la voie générale et technologique comme de la voie professionnelle. Il n'y aura pas davantage de mobilisation des enseignants sans les aider à conforter leur positionnement dans un environnement qui ne leur est plus systématiquement acquis. Cette mobilisation ne sera jamais aisée sans leur permettre d'asseoir leurs gestes professionnels sur une connaissance renouvelée des apports des sciences de l'éducation et leurs fondements disciplinaires sans des mises au point scientifiques de haut niveau qui leur permettent de réaffirmer leur appartenance aux professions intellectuelles supérieures.

Cette réorientation qui devra toucher davantage aux finalités et aux modalités d'organisation qu'aux structures elles-mêmes, tellement les professeurs en ont soupé des grandes réformes des charpentes institutionnelles du système éducatif, restaurera à terme une part de l'attractivité perdue du métier.

D'autres facteurs contribuent bien entendu à cet affaiblissement de l'engagement de ce qui fut perçu longtemps plus comme une carrière dans laquelle on entrait à la suite de ses aînés qu'un métier qui ne sera peut-être pas le seul que l'on exercera tout au long de sa vie professionnelle. La faiblesse relative du niveau des rémunérations rapportée aux conditions d'exercice du métier et une représentation sociale malmenée nourrissent bien évidemment aussi la dégradation de l'attractivité de la fonction enseignante. Les conditions d'entrée dans le métier, l'absence de perspective d'en sortir un jour par le haut, les conditions d'affectation construites pour répondre à une gestion de masse où l'individu et ses aspirations comptent peu, renforcent davantage encore cette distance prise avec une profession dont le management globalisé semble en déconnexion croissante avec les aspirations de notre société à plus de mobilité et de reconnaissance individuelle.

Pour autant, il ne faudrait pas sous-estimer l'attachement des professeurs à un cadre qui les sécurise et a permis la démocratisation de l'École et une croissance des effectifs scolarisés en masse bien au-delà de l'école élémentaire. Ainsi, le recrutement par concours national, la définition hebdomadaire des temps de service, le mouvement au barème et la gestion paritaire font partie des acquis auxquels les professeurs tiennent.

Cela ne les empêche pas de reconnaître la multiplicité croissante des tâches qui leur incombent aujourd'hui. Par ailleurs, bien des initiatives sont menées dans les établissements qui conduisent au dépassement du cadre très strict qui définit la présence des professeurs devant des élèves et qui ne constitue bien entendu qu'une part du travail qu'ils doivent fournir. En revanche, la prise en compte dans le déroulement de carrière de ces multiples formes d'engagement reste très faible. De même, le choix de la contractualisation en lieu et place du concours et du mouvement national par un nombre croissant de candidats aux fonctions de professeurs du second degré dans les académies les plus recherchées, montre que les règles communes censées assurer l'équité sont contournées.

Quant aux académies déficitaires, elles recrutent par contrat, dans des proportions non négligeables, des postulants recalés des concours nationaux ou académiques. On sait aussi que le mouvement au barème concentre les professeurs les moins expérimentés dans les établissements les plus difficiles qui connaissent les plus fortes rotations de leurs effectifs alors qu'ils auraient besoin plus que d'autres de stabilité de leurs équipes éducatives. Plus récemment, un mouvement comparable peut être observé dans les zones rurales les plus enclavées. Pourtant, à l'exception des professeurs agrégés et de chaire supérieure, la gestion des professeurs du premier comme du second degré est déconcentrée dans les rectorats. Celle-ci reste néanmoins pilotée dans un cadre national qui limite fortement les marges de manoeuvre des recteurs en termes de déroulé de carrière et de mobilité des enseignants. Si l'attachement des personnels à ce cadre ne peut être ignoré, beaucoup reconnaissent que davantage de souplesse et de proximité permettrait un meilleur accompagnement des projets pédagogiques des établissements et un suivi plus personnalisé des enseignants en termes de certifications, de mobilités vers des postes à sujétion particulière ou de passerelles vers une seconde carrière.

Au-delà d'un bien naturel besoin de reconnaissance et de considération, les professeurs de ce pays attendent une gestion de leurs parcours qui restaure l'exigence d'équité, laquelle figure parmi leurs valeurs communes, tout en leur permettant de davantage mettre au service de leurs élèves leur talent et leur dévouement qui restent grands et constituent la meilleure ressource que le ministère peut mobiliser pour rétablir la confiance des Français dans leur École et des professeurs dans leur capacité à répondre aux attentes immenses que le pays formule vis-à-vis de son école.

I. REPENSER L'ENTRÉE DANS LE MÉTIER ET LA FORMATION INITIALE

A. QUI VEUT ENCORE « DEVENIR PROF » AUJOURD'HUI ?

1. Un métier en mal d'attractivité ?

L'analyse des résultats des concours de recrutement met en lumière un problème général d'attractivité du métier d'enseignant, que ce soit dans le premier comme dans le second degré : les effectifs de candidats se présentant aux concours ne sont pas suffisants et au final, chaque année, de nombreux postes de titulaires ne sont pas pourvus faute de candidats d'un niveau suffisant.

Si la très forte crise des vocations observée jusqu'en 2012 semble derrière nous, la reprise des candidatures reste « molle » et l'évolution du nombre de postes non pourvus conserve une tendance haussière. Par ailleurs, seulement un tiers des inscrits se présente in fine au concours, un taux de déperdition particulièrement élevé.

Entendue par vos rapporteurs, Nathalie Mons, présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) dont l'un des récents rapports 2 ( * ) est consacré à l'attractivité du métier d'enseignant, a toutefois relativisé cette situation de pénurie de professeurs, estimant qu'il n'y a pas de « pénurie globale du recrutement » mais des problèmes d'attractivité localisés dans certaines académies ainsi que dans certaines disciplines .

a) Des difficultés de recrutement dans le premier degré dans certaines académies

Le CNESCO pointe en effet les écarts très élevés du nombre de candidats par poste selon l'académie de concours : en 2015, on comptait 4,9 candidats par poste au concours externe de professeurs des écoles dans l'académie de Rennes, mais seulement 1,3 dans l'académie de Créteil.

En conséquence, dans les académies déficitaires, le taux de sélection est faible (l'académie de Créteil accepte 61 % de ses candidats quand celle de Rennes n'en retient que 20 %) et les seuils d'admission bas (8/20 à Créteil contre 13,5/20 à Rennes). En 2018, toutes les académies ont fait le plein à l'issue du concours, à l'exception de celles de Créteil et Versailles , qui cumulent un déficit de 775 postes.

Cette situation de pénurie a conduit le ministère à organiser un concours supplémentaire dans l'académie de Créteil à partir de 2015, ouvert aux candidats malheureux des autres académies, plus sélectives. Un concours similaire a été mis en place pour l'académie de Versailles, également déficitaire.

Mais ces difficultés d'attractivité ne se limitent pas à ces deux grandes académies de la région parisienne et aux seuls réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP+. D'autres académies, à l'instar des académies d'Amiens, de Guyane ou de Reims, connaissent également des problèmes d'attractivité et le rural profond connaît lui aussi des difficultés de recrutement. Les jeunes enseignants, plus mobiles, plus urbains, plus connectés, sont de plus en plus rebutés par les territoires mal desservis, que ce soit en termes de transport ou de connectivité numérique.

Il existe aujourd'hui un véritable risque de « désertification enseignante » , sur le modèle de la désertification médicale à l'oeuvre dans certains de nos territoires. Il est indispensable de donner à la grande ruralité la même attention que l'éducation prioritaire. Il s'agit d'un véritable enjeu de présence de l'éducation nationale sur le territoire de la République.

b) Des difficultés de recrutement dans le second degré pour certaines disciplines

En 2018, plusieurs disciplines n'ont pas fait le plein de lauréats : au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) de mathématiques il manque 115 enseignants, à celui d' allemand , il ne manque 124 et 103 en lettres classiques . La situation est cependant meilleure qu'en 2017, où 380 postes n'avaient pas trouvé preneur.

Contrairement aux années précédentes, tous les postes ont été pourvus en anglais, espagnol, sciences et vie de la Terre, ainsi que physique-chimie.

Bien souvent cette situation s'explique par la concurrence d'autres métiers offrant des rémunérations supérieures à diplôme égal ; c'est le cas notamment pour les mathématiques, les sciences et certains enseignements professionnels, voire l'anglais. La question de la rémunération des premières années de la carrière enseignante est à cet égard cruciale (cf. II.C).

c) Pour faire face aux pénuries de titulaires, le recours systématique aux contractuels

Dans un rapport récent 3 ( * ) , la Cour des comptes estimait que les agents contractuels représentaient près de 20 % des effectifs employés par le système scolaire. Parmi ces contractuels, figurent environ 34 000 enseignants (pour un équivalent de 31 000 équivalents temps plein (ETP) dont 92 % pour le seul second degré). Leur nombre a augmenté de 15 % sur trois ans, ce qui s'explique notamment par l'existence de postes vacants à l'issue des concours de recrutement ainsi que par l'augmentation des besoins de remplacement supérieure aux effectifs d'enseignants titulaires remplaçants. La Cour juge sévèrement cette dérive et estime que « l'ampleur de la croissance des emplois contractuels est la conséquence de l'absence de réformes structurelles ».

Cette catégorie particulière d'enseignants doit aussi faire l'objet d'attentions de la part de l'éducation nationale, notamment en termes de formation (afin de ne pas mettre d'enseignant non formé devant les classes) mais aussi d'accompagnement pour les amener au concours et à la titularisation (avec la délicate question de l'embauche de contractuels ayant échoué au concours).

2. Des causes multiples

Un rapport de la Commission européenne de 2013 attribuait le manque d'attrait pour la profession enseignante en Europe à une diminution de son prestige, une détérioration des conditions de travail et à des salaires relativement bas comparés à ceux d'autres professions intellectuelles.

Et ce constat se vérifie également en France. Le CNESCO a ainsi évalué les raisons du « non-choix » du métier d'enseignant : si deux tiers des sondés avaient d'autres projets, 10 % ont renoncé à ce métier en raison du manque de reconnaissance et 15 % en raison des conditions de travail.

Ce défaut d'attractivité tient à des évolutions de fond de nos sociétés mais il est aussi directement imputable à une gestion encore trop archaïque de ses ressources humaines par le ministère de l'éducation nationale.

a) Des causes sociétales profondes

Plus difficile et plus exigeant, ce métier est, dans le même temps, moins bien considéré socialement . Alors que l'enseignant faisait figure de notable sous les III ème et IV ème Républiques, il a perdu aujourd'hui son statut de profession intellectuelle supérieure du fait combiné de l'augmentation du niveau de diplomation de la population et de la multiplication des sources de savoir qui lui font perdre son magistère. Le rôle de l'enseignant a profondément changé ces dernières années : il est de moins en moins celui qui transmet le savoir dont il est le dépositaire ; il est aussi devenu celui qui doit apprendre à se repérer dans la masse des savoirs désormais disponibles.

L'enquête TALIS de 2013 montre que cette perception d'une image dégradée du professeur est particulièrement vive en France : moins de 5 % des enseignants français estiment qu'ils sont appréciés à leur juste valeur par la société , contre un peu plus de 18 % en moyenne dans l'Union européenne.

Enfin, les études du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) semblent remettre en cause l'efficacité collective des enseignants de France : la France n'y affiche qu'un système éducatif « dans la moyenne » des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les déterminants sociaux et territoriaux y sont beaucoup plus forts qu'ailleurs. Comme le soulignait la Cour des comptes 4 ( * ) , « selon les comparaisons internationales, notre système éducatif montre des déficiences en termes de performance et d'équité » alors que la dépense moyenne par élève n'a cessé d'augmenter depuis 1980 et que notre dépense intérieure d'éducation est équivalente à celle de nos partenaires de l'OCDE (6,8 % du PIB en 2015). Dans l'imaginaire collectif 5 ( * ) , le comptable de cet échec de la promesse républicaine d'ascension sociale est d'abord l'enseignant.

b) Mais aussi des causes internes à l'éducation nationale

Mais l'attractivité défaillante du métier d'enseignant relève aussi de la responsabilité du ministère de l'éducation nationale.

Tout d'abord, de manière conjoncturelle, car les à-coups de la politique de recrutement depuis 2012 ont brouillé les perspectives d'entrée dans le métier. C'est notamment l'une des principales explications avancées par le CNESCO dans son rapport sur l'attractivité du métier d'enseignant 6 ( * ) .

À une époque où les aspirations individuelles sont valorisées, la gestion de masse et infantilisante (affectation discrétionnaire dans le premier poste, mobilité au forceps, évolution professionnelle quasi-inexistante) pratiquée par l'éducation nationale constitue un terrible repoussoir pour des jeunes professionnels.

L'éducation nationale est également restée très figée sur une conception de l'enseignement comme une « carrière » (que l'on épouserait pour toute sa vie professionnelle) , voire un « sacerdoce » 7 ( * ) et non pas seulement comme un « métier » (qui pourrait s'exercer à différents moments de sa vie professionnelle).

Enfin, l'éducation nationale a peu renouvelé les pratiques d'exercice d'un métier qui reste encore essentiellement solitaire. Et pourtant, les jeunes professionnels, même s'ils sont également attirés par l'indépendance dont ils bénéficient dans l'exercice de leurs fonctions au titre de la sacro-sainte « liberté pédagogique », appellent tous de leurs voeux plus de travail en équipe.

3. Mais un métier qui garde tout son « sens » : un métier de vocation et de reconversion

Nombreux sont les élèves, collégiens, lycéens, étudiants qui ont pensé, au moins une fois au cours de leur scolarité, à « devenir prof ». En 2018, pas moins de 187 000 candidats ont fait la démarche de s'inscrire à un concours de l'enseignement : c'est ainsi le 1/5 ème de chaque génération qui envisage ce métier dans la palette des métiers possibles .

Même si le prestige attaché à cette profession a diminué, son degré de reconnaissance sociale demeure élevé : une enquête de 2012 8 ( * ) montre ainsi que 8 Français sur 10 ont une image positive de la profession enseignante et 77 % estiment que les enseignants mériteraient une meilleure reconnaissance sociale.

D'après un récent rapport d'inspection 9 ( * ) , « enseigner, en particulier dans le 1 er degré, a été très souvent revendiqué comme un choix de vie et un engagement ». Une étude citée par ce rapport montre que pour plus d'un quart du panel le choix de ce métier s'est fait dès l'école primaire et pour plus de la moitié avant l'entrée dans le supérieur. L'enquête du CNESCO conforte ces résultats : 60 % des étudiants envisageant de devenir enseignant ont fait ce choix avant même d'entamer leurs études supérieures et 25 % dès l'école élémentaire 10 ( * ) .

a) Conforter et susciter les vocations précoces
(1) Introduire les métiers de l'enseignement dès la licence

Mais le chemin vers le métier d'enseignant n'est pas très balisé : aucune licence ne prépare spécifiquement au métier et l'on risque ainsi de « perdre » des vocations , notamment chez les bacheliers initialement motivés par une carrière dans l'enseignement et qui vont passer trois années de licence à spécialisation progressive sans se frotter aux enjeux de l'enseignement.

Il semble nécessaire de développer de véritables « licences éducation » 11 ( * ) , ou, à tout le moins, des licences généralistes 12 ( * ) qui permettront notamment aux étudiants qui souhaitent préparer le concours du premier degré de consolider leur socle de connaissances de manière équilibrée, en limitant le risque de lacunes disciplinaires. C'est particulièrement important pour assurer la polyvalence, a minima en français et mathématiques, des futurs professeurs du premier degré 13 ( * ) mais aussi pour développer la bivalence chez certains futurs enseignants du second degré 14 ( * ) . Cette bivalence existe déjà chez les professeurs des lycées professionnels (PLP) des disciplines de l'enseignement général qui sont recrutés sur un concours bivalent et qui peuvent enseigner ensuite deux disciplines 15 ( * ) .

Bien évidemment, la construction de ces licences doit se faire en pensant les passerelles permettant aussi d'autres parcours universitaires et professionnels à ceux qui ne poursuivraient pas dans la voie de l'enseignement une fois le diplôme obtenu.

ð Recommandation : Développer les licences « éducation » et les licences généralistes .

En excluant toute dimension « enseignement » du cursus licence, on se prive aussi de susciter des vocations parmi les étudiants qui progressivement découvriraient qu'ils ne souhaitent pas se spécialiser dans leur filière et n'envisagent pas de poursuivre en master spécialisé. Ils pourraient ainsi se réorienter, sans échec, vers le master des métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF).

C'est pourquoi vos rapporteurs suggèrent de développer, dans toutes les universités, de véritables parcours de découverte des métiers de l'enseignement dès la licence avec notamment des unités d'enseignement (UE) facultatives dédiées . Ces modules de préprofessionnalisation devront être pilotés par les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) en lien avec l'autorité académique.

ð Recommandation : Proposer des UE « éducation » facultatives dans les parcours de licence .

Dans tous les cas, ces modules de préprofessionnalisation devront comporter des séquences d'observation en salle de classe afin soit de conforter le choix de l'étudiant, soit de lui permettre de réaliser que la réalité du métier est trop éloignée de l'idéal qu'il imaginait et qu'il est temps d'envisager une réorientation avant de préparer et passer le concours.

Des responsables académiques ont affirmé à ce sujet que « les stagiaires recrutés ces dernières années n'ont aucune connaissance du métier et des représentations de plus en plus erronées ».

Le coût d'un abandon tardif de ce métier est en effet prohibitif tant pour le candidat (coût de sa formation, temps et énergie passés à la préparation du concours, coût d'une éventuelle réorientation) que pour l'institution (coût de la formation dispensée en cas de démission).

ð Recommandation : Organiser des stages d'observation en classe dès les parcours de licence .

(2) Relancer une politique ambitieuse de pré-recrutement

Une des pistes intéressantes explorées par les gouvernements successifs pour élargir et solidifier le vivier des candidats est le développement du « pré-recrutement ». Il consiste à offrir à un public sélectionné la possibilité de conjuguer leur préparation au concours et une première expérience professionnelle rémunérée devant une classe. Cette formule présente de nombreux avantages :

- valider le choix de métier avant de présenter le concours ;

- préparer les étudiants à la partie professionnelle des épreuves du concours (et notamment l'oral) ;

- mieux assoir les futurs enseignants dans leurs compétences ;

- orienter vers les métiers de l'enseignement des candidats qui, grâce à la rémunération, peuvent envisager des études plus longues ; elle contribue de ce fait à la diversité sociale du corps des enseignants.

Ce furent :

1- d'abord les « emplois d'avenir professeurs » (« EAP1 ») créés en 2013 et réservés aux étudiants boursiers ;

Bilan des « EAP1 » (2013-2015)

Ce dispositif a été créé en 2013, au bénéfice d'étudiants qui se destinent au métier d'enseignant. Il s'agissait d'une déclinaison des emplois d'avenir créés par la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012. Il avait pour objet de faciliter l'insertion professionnelle et la promotion sociale des jeunes dans les métiers du professorat.

Il s'adressait aux étudiants boursiers de l'enseignement supérieur relevant du titre II du livre VIII du code de l'éducation, suivant une formation initiale dans un établissement d'enseignement supérieur et se destinant aux métiers du professorat. Il leur permettait d'exercer une activité rémunérée s'inscrivant dans leur projet professionnel tout en poursuivant leurs études.

Les jeunes étaient recrutés en emploi d'avenir professeur par les établissements publics locaux d'enseignement. Ils pouvaient exercer leurs fonctions dans l'établissement qui les avait recrutés, dans un ou plusieurs autres établissements, ainsi que dans une ou plusieurs écoles.

Le dispositif s'est révélé positif pour les étudiants bénéficiaires et a reçu un accueil très favorable tant chez eux que chez les chefs d'établissement, directeurs d'écoles et tuteurs. Cependant, le dispositif a connu des difficultés de pilotage et de gestion, liées notamment à la juxtaposition de deux statuts, celui de salarié en emploi aidé et celui de boursier sur critères sociaux. C'est pourquoi ce dispositif a été remplacé par celui des étudiants apprentis professeurs.

Source : réponse du ministère au questionnaire de vos rapporteurs

2- puis, depuis 2015, les « étudiants apprentis professeurs » (« EAP2 ») 16 ( * ) mais dont le bilan est maigre : avec 950 postes pourvus en 2016-2017 ce dispositif reste beaucoup trop marginal pour apporter une réponse à la hauteur des enjeux de recrutement ; c'est globalement un échec qui impose de repenser totalement le « pré-recrutement » pour lui donner un nouvel élan.

Bilan des « EAP2 » (depuis 2015)

Le ministère met en oeuvre le dispositif des étudiants apprentis professeurs (« EAP2 ») depuis la rentrée scolaire 2015. Il permet d'identifier des étudiants, prioritairement boursiers, qui souhaitent devenir enseignants en les familiarisant aux premiers gestes professionnels. L'apprentissage permet à l'étudiant de suivre une formation pratique et théorique sanctionnée par un diplôme et d'acquérir des compétences professionnelles pour l'exercice du métier d'enseignant, tout en percevant une rémunération.

Le dispositif mobilise de nombreux partenaires, qui sont associés à la procédure de recrutement. Cette dernière présente parfois un rendement qui peut être développé. La concentration des viviers autour des universités peut expliquer cette situation. Elle nécessite par ailleurs des déplacements dont la prise en compte par les universités doit être améliorée. Pour autant les académies qui ont mis en oeuvre le dispositif en sont globalement satisfaites. Toutes soulignent l'importance de la relation entre le tuteur, le maître d'apprentissage et l'étudiant. Les tuteurs et maîtres d'apprentissage jouent un rôle capital dans la réussite de l'étudiant et lui permettent de tester sa vocation en s'impliquant dans la transmission de leur savoir pédagogique et de leur métier.

Un dispositif en alternance en première année de master MEEF a également été mis en place depuis 2015 dans le premier degré dans les académies ayant des difficultés structurelles de recrutement (Créteil, Versailles, Guyane Amiens, Reims). À la rentrée 2018 le dispositif sera étendu à l'ensemble des académies qui souhaitent le mettre en oeuvre.

Un contrat de droit public d'un an prévoit une alternance entre formation en ÉSPÉ et exercice du métier dans les écoles ou établissements du second degré. L'étudiant contractuel alternant en M1 MEEF est chargé d'assurer des fonctions d'enseignement du premier degré en responsabilité à raison de 2 ou 3 demi-journées par semaine ou de 9 à 12 semaines sur l'ensemble de l'année (en fonction de l'organisation retenue par l'ÉSPÉ) dans une école proche de l'ÉSPÉ ou de leur domicile. Il bénéficie du soutien d'un tuteur et s'engage à se présenter aux épreuves des concours enseignants.

La formation en alternance proposée lors de la première année d'études de master MEEF permet de continuer à construire, à la suite par exemple d'un contrat en qualité d'étudiant apprenti professeur, un parcours d'apprentissage du métier d'enseignant.

Source : réponse du ministère au questionnaire de vos rapporteurs

Avec un cadre juridique trop contraignant, les EAP2 n'ont pas porté les fruits escomptés.

La question du pré-recrutement devrait être réexaminée au cours de l'année 2019 dans le cadre de l'agenda social défini par le ministère mais vos rapporteurs sont d'ores et déjà favorables à ce que le dispositif soit entièrement revu :

- dans ses modalités :

o il pourrait s'appuyer sur les emplois d'assistants d'éducation dont le statut serait adapté,

o il pourrait commencer dès la L1 notamment pour les étudiants en « licence éducation » qui se destineraient au professorat des écoles, mais être également ouvert aux étudiants qui se destinent aux concours du second degré,

o il devra s'appuyer sur un référentiel des missions précis 17 ( * ) pour élaborer un véritable parcours de formation progressif pour l'étudiant, atout dans sa réussite au concours.

- dans son ambition :

o pour impulser un véritable changement en matière de préprofessionnalisation des futurs enseignants, il devrait concerner a minima 10 000 étudiants,

o cette ambition permettrait au demeurant de renforcer la présence adulte au sein des établissements et constituer d'utiles relais pour les chefs d'établissements et les enseignants.

Cette nouvelle politique de pré-recrutement serait rendue d'autant plus nécessaire que la place du concours pourrait être reportée en M2 pour les professeurs du second degré.

ð Recommandation : Développer une politique plus ambitieuse de pré-recrutement dès la L1 en s'appuyant sur le statut des actuels assistants d'éducation.

b) Faciliter les vocations plus tardives

Mais le métier d'enseignant ne fait pas rêver que les enfants et les adolescents et n'attire plus seulement les étudiants encore sur les bancs de l'université. De plus en plus d'actifs, déjà engagés dans une autre voie professionnelle ou sans emploi, sont intéressés par une reconversion vers ce métier dont les valeurs, le « sens », l'utilité sociale leur semblent parfois plus en accord avec leurs aspirations. C'est ainsi qu'en 2015, 25 % des admis aux concours de l'enseignement n'étaient pas étudiants mais salariés en activité dans le public ou le privé ou demandeurs d'emploi, dans une démarche de reconversion professionnelle : c'est désormais un lauréat sur quatre !

Ces reconversions choisies sont de plus en plus nombreuses (les effectifs de candidats inscrits au troisième concours augmentent chaque année de 10 %) et elles constituent une indéniable richesse pour le corps enseignant.

Mais ces souhaits de « secondes carrières » doivent tout d'abord être validés : il faut permettre au candidat de vérifier, par des séquences d'observation en salle de classe, que son idéal et la réalité sont bien concordants et qu'il ne s'oriente pas vers l'enseignement avec l'image erronée d'un métier « facile et accessible à tous ».

ð Recommandation : Organiser des séquences d'observation en classe pour les candidats au métier d'enseignant comme « seconde carrière ».

Une fois ce souhait validé, il faut favoriser et faciliter ces parcours, à la fois en ÉSPÉ (où des « parcours adaptés » sont mis en place et pourraient être encore plus développés) mais peut-être aussi en reconnaissant l'expérience précédente et la maturité accumulée par des fonctions spécifiques au sein des établissements, voire une reprise d'ancienneté plafonnée car le choix de cette seconde carrière s'accompagne très souvent d'un fort sacrifice en termes de rémunération 18 ( * ) .

ð Recommandation : Prévoir une reprise d'ancienneté pour les « secondes carrières ».

*

* *

Ces recommandations concourent tout à la fois à améliorer l'attractivité du métier d'enseignant et à professionnaliser plus en amont les candidats à un métier qui nécessite un long et progressif apprentissage du « geste professionnel » . La Cour des comptes avait estimé dans un récent rapport 19 ( * ) que « notre pays professionnalise ses futurs enseignants encore tardivement, après la licence » et qu'il faudrait « débuter la professionnalisation plus tôt dans le cursus universitaire ». C'était également l'une des préconisations de notre collègue Jacques-Bernard Magner 20 ( * ) qui évoquait la nécessité d' « entamer la démarche de professionnalisation en amont du master ».

En cela, vos rapporteurs n'hésitent pas à comparer le métier d'enseignant à celui de médecin et considèrent qu'il faut envisager le parcours pour devenir enseignant comme l'on envisage les études de médecine, sur une période longue pour appréhender et maîtriser l'ensemble des gestes professionnels, de la préprofessionnalisation à la formation continue, en passant par la formation initiale et la formation dite « continuée », ce qui induit une mise en activité progressive et une interaction permanente et réflexive entre les acquisitions théoriques et pratiques.


* 1 Le métier d'enseignant au coeur d'une ambition émancipatrice , rapport d'information n° 601 (2011-2012) de Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, juin 2012.

* 2 CNESCO, Le métier d'enseignant attire-t-il toujours ? , novembre 2016.

* 3 Cour des comptes, Le recours croissant aux personnels contractuels dans l'éducation nationale , mai 2018.

* 4 Cour des comptes, Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire , octobre 2017.

* 5 Corroboré par de nombreuses études qui démontrent que l'enseignant, par la manière dont il gère sa classe et son enseignement, a une forte influence sur l'apprentissage des élèves et que cette influence est d'autant plus importante que le niveau de l'élève est faible. Voir Clermont Gauthier, « Qu'est-ce qu'un bon prof ? », et Pascal Bressoux, « Comment favoriser les progrès des élèves ? », in Éduquer et former : connaissance et débats en éducation et formation , sous la direction de Martine Fournier, 2016.

* 6 CNESCO, op. cit.

* 7 L'expression « prendre la robe » a été utilisée à plusieurs reprises par des étudiants en école supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) rencontrés par vos rapporteurs au cours de leurs déplacements.

* 8 Citée par le rapport Eurydice de la Commission européenne, La profession enseignante en Europe - pratiques, perceptions et politiques , juin 2015.

* 9 IGEN et IGAENR, L'entrée dans la carrière des nouveaux enseignants , rapport n° 2017-62, juillet 2017.

* 10 CNESCO, op. cit.

* 11 Lors de leur déplacement à Créteil, vos rapporteurs ont eu connaissance d'une licence 3 de sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) « professeur des écoles » dont certains cours sont dispensés par des professeurs de l'ÉSPÉ et qui comporte des stages d'observation en classe.

* 12 Avec par exemple une majeure (lettres) et une mineure (sciences) ou sous la forme de licences « sciences et humanités ».

* 13 Entendu par vos rapporteurs, Éric Charbonnier de l'OCDE a indiqué que plus de 80 % des candidats aux concours de professeurs des écoles étaient titulaires d'une licence de lettres, ce qui peut laisser augurer de certaines lacunes en mathématiques par exemple.

* 14 La bivalence présente de nombreux avantages à la fois pour l'enseignant (elle limite le nombre de services coupés en cas d'affectation dans de petits établissements) et pour l'élève (elle limite le nombre de professeurs notamment en 6 ème , dernière classe du cycle 3).

* 15 Il existe ainsi les concours d'accès au corps des professeurs de lycée professionnel (CACPLP) dans les disciplines conjointes suivantes : lettres - langues vivantes ; lettres - histoire-géographie ; mathématiques - physique-chimie.

* 16 Ce dispositif est ouvert aux étudiants de L2 ou L3 qui se destinent au métier d'enseignant dans les académies d'Amiens, Créteil, Guyane, Reims et Versailles. L'EAP2 est présent deux demi-journées par semaine en classe auprès d'un tuteur et perçoit selon son âge et son niveau d'études entre 900 et 1 200 euros par mois.

* 17 Ils doivent être affectés à des tâches pédagogiques par exemple dans le cadre du dispositif « devoirs faits ».

* 18 Le rapport IGEN et IGAENR de 2017 préconise de « prendre en compte de façon davantage valorisée, dans les déroulements de carrières, les expériences antérieures, notamment celles du privé », op. cit.

* 19 Cour des comptes, Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire , op. cit.

* 20 Jacques-Bernard Magner, L'an I des ÉSPÉ : un chantier structurel , op. cit.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page