B. REFUS DE LA PARTICIPATION POLITIQUE OU TRANSFORMATION DES FORMES DE L'ENGAGEMENT ? LA JEUNESSE PORTEUSE D'UN AUTRE RAPPORT AU POLITIQUE

Pour tempérer le pessimisme qui pourrait résulter des constats précédents, il faut souligner que la désaffection vis-à-vis des formes instituées de la vie démocratique observée notamment chez les jeunes n'est pas synonyme d'abandon complet de toute forme d'engagement politiquement signifiant. La crise de la participation électorale s'accompagne en effet de la diffusion ou de l'émergence de formes alternatives de participation .

En premier lieu, la jeunesse emprunte plus volontiers que les autres générations la forme d' une participation dite non conventionnelle ou protestataire . Anne Muxel souligne ainsi : « même si nous observons la diffusion d'une posture protestataire dans l'ensemble de la population de nos sociétés démocratiques (dans le baromètre de confiance politique du CEVIPOF, entre 5 et 6 Français sur 10 déclarent qu'ils sont prêts à descendre dans la rue pour défendre leurs idées), la légitimité de la protestation est encore plus élevée chez les jeunes générations. Ainsi, 39 % des 18-24 ans de notre pays ont déjà participé à une manifestation. Une culture protestataire se diffuse, la citoyenneté devient plus contractuelle et plus critique, donc potentiellement plus protestataire. » 26 ( * )

Mais le changement le plus important dans la transformation du lien au politique de la jeunesse est peut-être ailleurs. En effet, se mobiliser, que ce soit pour ou contre, c'est encore une tentative de faire entendre collectivement sa voix dans l'arène politique et d'interpeler les institutions démocratiques. Or, souligne Cécile Van de Velde, sociologue spécialiste de la jeunesse, l'engagement politique des jeunes se fait de plus en plus à bas bruit , complètement sous les radars de la vie politique. « On observe (...) une politisation accrue des vies. Des petits actes quotidiens - consommer, manger bio, aider la voisine âgée, choisir sa vie, quitter un travail salarié qui ne plaît pas... - sont souvent associés à un discours très réflexif contre la société. Ils deviennent codés comme des actes politiques. Ça veut dire qu'on a conscience de changer le système, à petits pas : “à défaut de changer les vies, je change ma vie” ; “le changement c'est maintenant et c'est moi !” » 27 ( * )

Ainsi, là où les observateurs de la vie politique ont tendance à ne voir qu'un « déficit » de participation citoyenne de la jeunesse (déficit dont le signe le plus clair est un taux d'abstention élevé), il y a peut-être en réalité avant tout une lacune de nos instruments de mesure de la participation politique : forgés pour appréhender des formes d'engagement auxquelles les jeunes tournent de plus en plus le dos, ces outils sont incapables de saisir une transformation des modalités d'engagement qui s'opère à travers des choix de vie avant tout individuels.

Sandrine Guimon, ambassadrice nationale d'Unis-Cité, évoquant le sens et la portée du service civique pour les jeunes qui s'y engagent, met elle-aussi l'accent sur le fait que l'engagement politique de la jeunesse privilégie de plus en plus un engagement de proximité, davantage porteur de sens qu'un engagement classique basé sur des mécanismes de délégation . « [les jeunes] ont envie de s'engager par d'autres moyens d'action que le vote. Le bénévolat ou le service civique sont des actions directes privilégiées, car on constate directement leur impact sur le terrain. (...) Je ne crois pas qu'il y ait une confrontation avec les générations qui les précèdent, mais plutôt qu'ils recherchent une place avec elles. La société est très différente aujourd'hui. Le besoin de sens se retrouve de plus en plus tôt chez les jeunes . » 28 ( * )

Enfin, Brice Teinturier souligne un dernier aspect essentiel de la demande de proximité et d'immédiateté de l'action politique de la jeunesse : il concerne le rapport au temps et à l'information . « [ce rapport] est également modifié et doit être pris en compte dans la question de la reconfiguration de la démocratie. Des ruptures majeures se sont opérées au cours des vingt dernières années. Ainsi, la demande d'immédiateté est beaucoup plus forte. La conception de la politique comme un temps long qui nécessite une durée pour que des résultats soient constatés n'est plus acceptée. L'articulation ne s'opère plus entre les décisions prises par les assemblées parlementaires qui mettront plusieurs années à produire des effets et les aspirations des Français. Cela peut expliquer pourquoi ils ressentent le besoin de se sentir utile rapidement. » 29 ( * )


* 26 Anne Muxel, Délégation à la prospective du Sénat, Atelier de prospective, « L'avenir des relations entre les générations : démocratie, patrimoine, emploi », 7 juin 2018

* 27 Cécile Van de Velde, Le Monde, 23 novembre 2017

* 28 Sandrine Guimon, Délégation à la prospective du Sénat, Atelier de prospective, « L'avenir des relations entre les générations : démocratie, patrimoine, emploi », 7 juin 2018

* 29 Brice Teinturier, Atelier de prospective, « L'avenir des relations entre les générations : démocratie, patrimoine, emploi », 7 juin 2018

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page