IV. REVOIR LES CONDITIONS DE CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES

À titre liminaire, il convient de rappeler que la France a réintroduit les contrôles à ses frontières intérieures le 13 novembre 2015 , qui ont depuis lors été reconduits sans interruption sur la base de l'article 25 du code frontières Schengen (CFS) relatif à une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État membre et qui devraient perdurer jusqu'au 30 avril 2019 . Ces contrôles ont, en effet, été régulièrement reconduits depuis leur rétablissement initial. Ils ne sont pas prolongés, mais renouvelés, ce qui fait de nouveau courir le délai à chaque renouvellement. Si le Conseil d'État a admis cette pratique, il convient de s'interroger sur la position qu'adopterait la Cour de justice de l'Union européenne.

Pour ce qui concerne les conditions de contrôle aux frontières intérieures, la commission d'enquête avait formulé quatre propositions , relatives à la révision du CFS de manière à autoriser le rétablissement de tels contrôles pour une durée maximale supérieure à six mois en cas de persistance d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, avec une clause de réexamen en cas de rétablissement des contrôles au-delà de deux ans, à l'accroissement des moyens de contrôle en mobilité, au développement des accords de petit trafic frontalier afin de faciliter la circulation des travailleurs frontaliers et à la clarification des conditions dans lesquelles les États membres peuvent effectuer des vérifications dans leur zone frontalière en dehors des périodes de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.

Sur ce volet, les avancées sont certaines, quoiqu'encore en partie inabouties .

• À la demande de la France et de l'Allemagne, la Commission européenne a présenté, le 27 septembre 2017, une proposition de règlement modifiant le règlement (UE) 2016/399 quant aux règles applicables à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures 32 ( * ) . Il convient de rappeler que cinq États membres continuent de pratiquer des contrôles à leurs frontières intérieures : la France donc, mais aussi l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et la Suède, ainsi que la Norvège, qui est un État associé à l'espace Schengen, ces derniers États ayant toutefois, dans un premier temps, fondé le rétablissement de leurs contrôles, non sur l'article 25 du CFS, comme la France, mais sur son article 29 qui concerne la situation migratoire, même s'ils ont ensuite modifié leur base, aujourd'hui l'article 25 également, après une intervention de la Commission qui avait considéré que le recours à l'article 29 n'était plus justifié.

Ce texte propose de réviser le CFS en portant la durée du rétablissement de ces contrôles à une période maximale de trois ans en cas de menace grave à l'ordre public ou à la sécurité intérieure. En contrepartie, la notification doit être davantage étayée, dès le stade initial, à travers une analyse de risques détaillée et approfondie en fonction de la durée de prolongation envisagée. Une procédure de concertation avec les autres États membres susceptible d'être initiée par la Commission préalablement à la réintroduction des contrôles est également prévue. Surtout, au-delà d'un an, la demande de prolongation implique une procédure plus lourde, passant tous les six mois par une recommandation du Conseil sur proposition de la Commission.

En termes de garanties procédurales, le texte initial exige, dès la première réintroduction des contrôles, la production d'analyses de risques transmises aux agences Europol et Frontex, l'adoption d'une stratégie de gestion conjointe des frontières avec les États voisins et la prise en compte de l'avis de la Commission après consultation des États membres concernés, dans tous les cas au-delà des six premiers mois suivant la notification (article 27 du CFS). Au-delà de la première année de réintroduction des contrôles, parallèlement à la prise de mesures nationales exceptionnelles, le pouvoir d'autorisation est donné au Conseil qui peut émettre une recommandation sur avis de la Commission (article 27 bis ).

La majorité des États membres, dont la France, ont accueilli favorablement cette initiative de la Commission. Toutefois, plusieurs États membres, ceux du Sud et de l'Est de l'Europe en particulier, ont exprimé des préoccupations au cours des négociations au Conseil, en raison de la lourdeur des procédures envisagées, susceptibles de limiter fortement la capacité d'action des États membres. Ces États réclament un renforcement des critères et des procédures applicables pour que les pratiques observées au cours des deux dernières années ne se reproduisent pas.

Les négociations sont longues. Il convient de les faire aboutir tout en préservant l'impératif de sécurité qui avait conduit à présenter ce texte. Le texte de compromis auquel la Présidence bulgare a abouti réduit la durée maximale autorisée de rétablissement à un an , au lieu de trois ans dans le texte de la Commission et de six mois actuellement, et allège substantiellement le cadre procédural envisagé , notamment en supprimant une recommandation du Conseil pour autoriser la prolongation de ces contrôles, mais en rendant possible l'émission d'un avis par les États membre affectés par de tels contrôles après une prolongation de six mois, tandis que les États à l'origine de cette prolongation des contrôles devraient produire une évaluation des risques justifiant une telle prolongation. Le Parlement européen doit encore se prononcer.

L'enjeu majeur est de pouvoir disposer rapidement d'un cadre législatif adapté aux nouvelles formes de menaces se caractérisant par leur gravité et leur durabilité et qui soit suffisamment souple pour permettre aux États concernés d' exercer utilement et efficacement leurs compétences en matière de maintien de l'ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure qui leur sont dévolues en application des traités (articles 4.2 du traité sur l'Union européenne et 72 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Il paraît indispensable de manifester une volonté commune d'échanger les informations pertinentes lors du rétablissement temporaire des contrôles aux frontières, de fournir des éléments argumentés sur ceux-ci, de partager et de tenir compte de l'expérience de chacun.

• Sur l'accroissement des moyens de contrôle en mobilité grâce à des outils connectés aux systèmes d'information européens tels que le système d'information Schengen (SIS), le système d'information sur les visas (VIS) et Eurodac, la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a indiqué mener des travaux d'étude, en lien avec le ministère de l'intérieur, pour se doter d'outils performants de contrôle en mobilité. Au ministère de l'intérieur, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) précise que les tablettes Neo permettent la consultation des résultats SIS, via le fichier des personnes recherchées (FPR) et le fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS). Pour la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), l'intégration des périphériques nécessaires à une consultation en mobilité d'Eurodac laisse entrevoir la possibilité d'une utilisation courant 2018. La DCPAF insiste sur la nécessité de développer le contrôle aux frontières en mobilité en permettant l'interrogation d'un plus grand nombre de bases nationales et européennes telles que le VIS.

• Sur le développement des accords de petit trafic frontalier, la DGDDI a indiqué qu' une convention de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) permet aux États signataires d'effectuer des contrôles sur un territoire étranger tout en appliquant leur réglementation propre sur le franchissement de frontières . La convention détermine notamment les lieux, les administrations ou les zones de contrôles autorisés. Ainsi va-t-elle substituer à la frontière légale une frontière dite administrative située à l'intérieur d'un des États concernés sur laquelle s'effectueront les contrôles des deux États partenaires.

Concrètement, le BCNJ est une plate-forme (route, gare, aéroport) regroupant en un site unique les administrations concernées des deux États partenaires et où s'effectuent les opérations de contrôle des personnes et des marchandises, ainsi que les opérations de dédouanement. Les BCNJ permettent une fluidité des flux de marchandises ou voyageurs (centralisation des procédures d'exportation et importation), un renforcement de la coopération internationale (informations, renseignements, contrôles conjoints), des économies d'échelle (financement des infrastructures supporté par les deux États partenaires) et une facilitation de circulation des travailleurs frontaliers.

Des conventions-cadres ont été signées avec tous les États limitrophes de la France métropolitaine permettant et encadrant la création de BCNJ. En 2017, 63 BCNJ en activité ont été recensés par les directions interrégionales des douanes, dont 24 sont situés sur la frontière franco-suisse et un sur la frontière franco-andorrane.

• Enfin, comme le demandait la commission d'enquête, les conditions dans lesquelles les États membres peuvent effectuer des vérifications dans leur zone frontalière en dehors des périodes de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ont été clarifiées.

L'article 23 du CFS encadre les contrôles de police réalisés par les États membres à l'intérieur de leur territoire, y compris dans leur zone frontalière : les mesures envisagées doivent répondre à des finalités et modalités clairement distinctes de celles des vérifications systématiques aux frontières extérieures . Aucune liste cumulative ou exhaustive de critères n'est toutefois établie. La Cour de justice de l'Union européenne, interrogée à trois reprises sur cette question, considère qu'un encadrement spécifique de l'intensité et de la fréquence des contrôles doit être prévu en droit national et qu'un cadre normatif est nécessaire pour en guider l'application pratique, afin d' empêcher que ces mesures ne s'apparentent à de véritables contrôles aux frontières (CJUE, Melki, C-188/10 et C-189/10 du 22 juin 2010 ; Adil, C-278/12 PPU, A.-C-9/16 du 19 juillet 2012).

La recommandation de la Commission relative aux contrôles de police proportionnés et à la coopération policière dans l'espace Schengen 33 ( * ) , publiée le 12 mai 2017, encourage également les États membres à recourir à des contrôles de police proportionnés à l'état de la menace, à privilégier les contrôles de police en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure et à renforcer la coopération policière transfrontalière avec les États membres voisins.

La loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et modifiant le code de procédure pénale délimite l'exercice de cette compétence de police dans les zones frontalières françaises. L' article 19 porte désormais à 12 heures consécutives la durée pendant laquelle il peut être procédé à des contrôles d'identité, jusqu'à 20 kilomètres en deçà des frontières intérieures ainsi que dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour des ports et aéroports (constituant des points de passage frontaliers, PPF), aux seules fins de recherche et de prévention des infractions liées à la criminalité transfrontalière.

Selon la DCPAF, l'article 19 de la loi du 30 octobre 2017 élargit les possibilités de contrôle ouvert aux autorités par l'article 78-2-9 du code de procédure pénale ou l'article 67 quater du code des douanes dans les zones frontalières intérieures et extérieures.

Dans sa rédaction précédente, l'article 78-2-9 permettait de réaliser des contrôles d'identité pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États de l'espace Schengen et une ligne tracée 20 kilomètres en deçà (la « bande des 20 kilomètres ») ou dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international et désignées par arrêté dans les trains effectuant des liaisons internationales ou, enfin, sur les sections autoroutières dans la bande des 20 kilomètres ou au-delà. Ces contrôles aléatoires ne pouvaient être réalisés dans un même lieu que pour une durée n'excédant pas 6 heures.

Afin de remédier aux limites de ce dispositif de contrôle, la loi comporte des dispositions d'application immédiate et des dispositions dont l'application est différée dans l'attente de la publication d'un arrêté.

Les dispositions d'application immédiate sont les suivantes :

- les contrôles réalisés en application de l'article 78-2-9 dans les zones accessibles au public des gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic international et désignées par arrêté (arrêté du 22 mars 2012) peuvent être étendus aux abords de ces gares routières et ferroviaires ;

- la plage horaire des contrôles réalisés en application de l'article 78-2-9 est étendue de six à douze heures maximum.

Par ailleurs, la loi insère un alinéa 10 à l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui permet de réaliser les mêmes contrôles que ceux prévus à l'alinéa 9 dans un rayon maximal de 10 kilomètres autour des PPF aériens et maritimes, à l'exclusion des gares, qui auront été désignés par arrêté en raison de l'importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité. Cet arrêté, en cours de rédaction, précisera la liste des PPF aériens et maritimes autour desquels ces contrôles pourront être réalisés. Ces PPF, relevant à la fois de la police aux frontières et des douanes, devront être sélectionnés en fonction de critères objectifs. Aussi tous les PPF ne seront-ils pas repris dans cette liste et ne pourront-ils donc pas faire l'objet des contrôles prévus à l'alinéa 10.


* 32 Texte COM (2017) 571 final.

* 33 Recommandation (UE) 2017/820.

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