III. DÉFINITION ET EXERCICE DES COMPÉTENCES INTERCOMMUNALES : POUR UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ADAPTÉE AU TERRAIN

Pour que l'intercommunalité soit conforme à sa vocation, il convient que les EPCI soient effectivement en charge des politiques publiques qui peuvent le mieux être menées à cet échelon, et cela dans un périmètre pertinent . On est ainsi conduit à examiner, tant l'application du principe de subsidiarité dans la définition des compétences des EPCI, que les modalités par lesquelles l'exercice de ces compétences peut être « territorialisé », c'est-à-dire ramené à une échelle territoriale plus réduite et différencié selon les territoires. On doit aussi s'interroger sur le processus consistant à réunir un nombre toujours croissant de compétences entre les mains des EPCI à fiscalité propre, au détriment des syndicats de communes ou des syndicats mixtes dont le périmètre est parfois plus pertinent.

A. COOPÉRATION INTERCOMMUNALE ET PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

1. L'intérêt communautaire, fondement des transferts de compétence

En définissant les compétences obligatoires des différentes catégories d'EPCI à fiscalité propre, le législateur a longtemps eu soin de n'y inclure que des attributions qui sont effectivement exercées avec plus d'efficacité à une échelle supérieure à celle des communes, soit qu'elles exigent une appréhension du territoire allant au-delà des limites territoriales des communes, soit qu'elles se prêtent à une mutualisation des coûts. Des choix plus contestables ont été faits au cours des dernières réformes territoriales. Le Sénat avait ainsi critiqué le transfert obligatoire aux EPCI à fiscalité propre de la compétence de promotion du tourisme 97 ( * ) - alors que les communes ont une identité touristique propre et peuvent vouloir mener leurs propres actions dans ce domaine - ou à celui du plan local d'urbanisme (PLU) - alors que les communautés sont déjà compétentes pour élaborer le schéma de cohérence territoriale (SCoT) avec lequel le PLU doit être compatible 98 ( * ) .

Surtout, votre rapporteur regrette que l'intérêt communautaire ne serve plus de fondement à la définition des compétences intercommunales que de manière résiduelle .

Comme on sait, la notion d'intérêt communautaire, consacrée par la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999, dite « Chevènement » 99 ( * ) , « s'analyse comme la ligne de partage au sein d'une compétence entre les domaines d'action transférés à la communauté et ceux qui demeurent de niveau communal » 100 ( * ) . Les EPCI à fiscalité propre sont ainsi ou peuvent être compétents pour créer et exploiter des équipements culturels et sportifs d'intérêt communautaire 101 ( * ) .

Dans un rapport déjà ancien, la Cour des comptes déplorait les retards pris dans la définition de l'intérêt communautaire, qui, en vertu du principe de spécialité des établissements publics, empêchaient les communautés d'agir dans les domaines considérés 102 ( * ) . Elle soulignait aussi que cette définition se résumait trop souvent à un catalogue de services ou d'équipements dont la gestion était transférée à l'EPCI, empêchant une « dynamique de projet » de se développer. Certes, une définition trop restrictive ne bloque pas nécessairement toute évolution. Il est toujours possible d'allonger la liste des services et équipements transférés, sans trop de difficulté puisque, dans toutes les catégories d'EPCI à fiscalité propre désormais, cette compétence appartient désormais à l'organe délibérant de l'EPCI 103 ( * ) . Mais la Cour notait qu'« une définition au coup par coup, au gré des délibérations prises, ne peut garantir un traitement équivalent des communes membres placées dans une situation identique 104 ( * ) ».

De ces constats, on a tiré la conclusion qu'il fallait supprimer la plupart des références à l'intérêt communautaire dans la définition des compétences obligatoires ou optionnelles des EPCI à fiscalité propre, et transférer ces compétences en bloc. C'est ainsi que, depuis la loi « MAPTAM », les communautés urbaines sont intégralement compétentes en matière de politique du logement - les communes désireuses de s'y investir n'en ayant plus le droit 105 ( * ) . La loi « NOTRe » est allée beaucoup plus loin encore, puisqu'elle a supprimé l'intérêt communautaire en tant que principe général de délimitation des compétences des communautés de communes 106 ( * ) ; elle a également étendu la compétence des communautés d'agglomération à toutes les zones d'activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire, d'intérêt communautaire ou non.

Votre rapporteur plaide pour que la notion d'intérêt communautaire soit replacée au fondement de la définition des compétences transférées, conformément à l'esprit même de la coopération intercommunale . Cela suppose que les élus, de leur côté, n'en aient pas une appréhension trop timorée : au lieu d'un catalogue, mieux vaudrait fixer des critères de portée générale en fonction desquels tel service ou tel équipement devrait être géré au niveau intercommunal.

Proposition n° 25 : Cesser d'imposer par la loi des transferts de compétences « en bloc ». Replacer l'intérêt communautaire, défini sur la base d'un projet de territoire, au fondement des transferts de compétence aux EPCI à fiscalité propre.

2. Les compétences optionnelles, une catégorie qui n'a plus lieu d'être

Pour chaque catégorie d'EPCI à fiscalité propre, le législateur a déterminé une liste de compétences obligatoires, celles dont il lui semblait conforme à l'intérêt général d'imposer le transfert par les communes au niveau intercommunal. Par ailleurs, les communes membres d'un EPCI à fiscalité propre sont libres de lui transférer à tout moment toute compétence qui leur appartient, dans les conditions de majorité requises.

Entre les compétences obligatoires et facultatives, la catégorie des compétences optionnelles fait figure de bizarrerie : il s'agit, pour les communautés de communes et d'agglomération, d'une liste de compétences parmi lesquelles les communes ont l'obligation de faire un choix pour transférer un certain nombre d'entre elles à leur groupement à fiscalité propre (trois sur neuf pour les communautés de communes, trois sur sept pour les communautés d'agglomération).

De telles compétences optionnelles ont été instituées dès l'origine, par la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République qui a créé les communautés de communes, et par la loi « Chevènement » du 12 juillet 1999 précitée qui a créé les communautés d'agglomération. À l'évidence, il s'agissait alors d'accélérer l'intégration intercommunale tout en laissant une certaine liberté de choix aux communes. Deux décennies après, votre rapporteur considère que cette catégorie n'a plus lieu d'être . Certaines compétences originellement optionnelles sont devenues obligatoires 107 ( * ) ; les communautés de communes et d'agglomération sont même désormais dotées de nombreuses compétences qui, en 1992 ou 1999, n'étaient pas même mentionnées par la loi.

L'intégration intercommunale se poursuivra assurément dans certains domaines. Le législateur en viendra même peut-être à imposer de nouveaux transferts, si le besoin s'en fait sentir. Mais de deux choses l'une : soit le législateur considère qu'il est conforme à l'intérêt général qu'une compétence soit systématiquement exercée à l'échelon intercommunal, et il en tire les conséquences en imposant son transfert ; soit il préfère laisser les élus locaux choisir en fonction des besoins du terrain, et la compétence doit rester facultative . La catégorie des compétences optionnelles est infantilisante pour les élus et ne répond à aucune nécessité évidente.

Proposition n° 26 : Supprimer la catégorie des compétences optionnelles des communautés de communes et d'agglomération.

Selon la même logique, il y aurait tout lieu de supprimer pour l'avenir le dispositif de la dotation globale de fonctionnement (DGF) bonifiée , applicable aux communautés de communes et dont le bénéfice est subordonné, d'une part à l'adoption du régime de la fiscalité professionnelle unique, d'autre part au transfert d'un certain nombre de compétences. Car il ne s'agit pas, par ce dispositif, de financer l'exercice de compétences supplémentaires (les transferts de fiscalité servent à cela), mais bien de favoriser le transfert de compétences par une incitation financière. Il en va de même du critère du coefficient d'intégration fiscale pour la répartition de la DGF , votre rapporteur y reviendra.


* 97 Le transfert obligatoire de la compétence de promotion du tourisme, dont la création d'offices du tourisme, date de la loi « MAPTAM » pour les communautés urbaines et métropoles, de la loi « NOTRe » pour les communautés de communes et d'agglomération. Une dérogation a néanmoins été accordée aux communes membres de communautés de communes ou d'agglomération et classées « stations touristiques » ou ayant engagé les démarches nécessaires avant le 1 er janvier 2017, par la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne .

* 98 Une « minorité de blocage » a cependant été introduite à l'initiative au Sénat, permettant aux conseils municipaux, dans les seules communautés de communes et d'agglomération, de s'opposer au transfert de leur compétence en matière de plan local d'urbanisme, de documents d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale (article 136 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ) .

* 99 Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

* 100 Circulaire NOR INT/B/01/00197/C du 5 juillet 2001 relative aux compétences des EPCI - mise en oeuvre de la loi n°99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ; pertinence des périmètres et exercice effectif des compétences.

* 101 Cette compétence est obligatoire pour les communautés urbaines et métropoles, optionnelle pour les communautés de communes et d'agglomération.

* 102 La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a cependant imposé de définir l'intérêt communautaire dans les deux ans suivant le transfert de compétence, faute de quoi l'intégralité de la compétence est transférée.

* 103 Jusqu'à la loi « MAPTAM », l'intérêt communautaire était défini, dans les communautés de communes, par les conseils municipaux statuant à la majorité requise pour la création de la communauté.

* 104 Cour des comptes, L'intercommunalité en France , rapport au Président de la République, novembre 2015, p. 152. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-publics/054004449.pdf .

* 105 Cela en vertu du principe d'exclusivité des compétences transférées (CE Ass., 16 octobre 1970, n° 71536, Commune de Saint-Vallier ).

* 106 Pour ce qui est de leurs compétences optionnelles, cependant, le Gouvernement vient fort heureusement de confirmer l'interprétation selon laquelle leur délimitation reste systématiquement soumise à la définition de l'intérêt communautaire (instruction NOR INTB1822718J du 28 août 2018 relative à l'application de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes ). La liste des compétences optionnelles des communautés de communes est fixée au II de l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales,

* 107 C'est le cas de la collecte et du traitement des déchets pour les communautés d'agglomération.

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