N° 195

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 décembre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' enquête de la Cour des comptes sur le rôle des centres hospitaliers universitaires dans la politique de soins ,

Par M. Alain MILON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Mme Claudine Thomas, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, la commission des affaires sociales du Sénat a demandé à la Cour des comptes, le 3 novembre 2016, de réaliser une enquête sur le rôle des centres hospitaliers universitaires (CHU) dans le système de santé.

Celle-ci se décompose en deux volets.

Le premier, consacré aux missions des CHU en matière d' enseignement supérieur et de recherche , a été présenté à la commission le 17 janvier 2018 et a donné lieu à une publication par le Sénat 1 ( * ) .

Le second, portant sur les missions dévolues aux CHU en matière d' offre de soins , a fait l'objet d'une communication par les rapporteurs de la Cour des comptes le 12 décembre 2018, préalable à sa présente publication.

Cette enquête, abordant dans son ensemble la triple mission - soin, formation, recherche - de ces établissements, intervient juste soixante ans après la parution de l'ordonnance « Debré » de 1958 portant création des centres hospitaliers universitaires 2 ( * ) et à la veille d'une réforme du système de soins annoncée par le Gouvernement dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 », qui doit trouver une déclinaison législative au premier semestre 2019.

Alors qu'une prochaine loi devrait ainsi se pencher sur les études médicales et l'organisation territoriale de la santé, ainsi que sur le financement et le fonctionnement de l'hôpital, cette contribution sera précieuse à la réflexion commune et à l'action parlementaire.

Parallèlement, la mission sur « Le CHU de demain » que la ministre des solidarités et de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ont confiée, en novembre 2017, aux présidents de conférence 3 ( * ) a présenté ses conclusions le 14 décembre 2018 à l'occasion des 16 ème Assises nationales hospitalo-universitaires organisées à Poitiers.

*

Les CHU constituent, comme l'ont rappelé les ministres concernées dans la lettre de mission sur « Le CHU de demain », « un outil d'excellence et d'innovation, reconnu comme tel en France et à l'étranger » .

Cependant, les deux volets de l'enquête mettent en avant des constats communs , corroborant des observations de terrain qui avaient justifié la demande formulée par votre commission auprès de la Cour :

- d'une part, celui d'une grande hétérogénéité entre les établissements partageant le même statut : celle qui se retrouve dans l'exercice inégal de l'activité de recherche se traduit également dans la dimension aléatoire de recours ou de référence de l'offre de soins, concentrée dans les faits sur une dizaine de CHU ;

- d'autre part, celui d'un essoufflement ou d'une fragilité croissante du modèle, quand bien même celui-ci resterait sur le principe pertinent puisque l'enquête n'aboutit nullement à suggérer une remise en question de la triple mission consubstantielle aux CHU.

Comme le premier volet de l'enquête l'avait relevé, la mission d'offre de soins concentre l'essentiel des moyens des CHU, devant celle de formation et de recherche : les 30 CHU (qui recouvrent 41 entités juridiques) représentent ainsi près de 38 % des séjours de l'hospitalisation publique et environ un cinquième de l'activité hospitalière totale.

S'ils concentrent une large part des soins les plus pointus (activités de recours ou d'expertise), en particulier la prise en charge des maladies rares, près d'un quart de leur activité recouvre des soins de proximité qui correspondent aux soins les plus courants.

Si ces deux dimensions ne sont pas antinomiques, une telle situation induit une faible différenciation entre des CHU de petite taille et des centres hospitaliers ou cliniques privées en termes de nature d'activité de soins. Cela pose la question de la spécificité des CHU au sein de notre paysage sanitaire et les place, en outre, en situation de concurrence avec les autres établissements de santé présents au niveau d'un même territoire.

Dans ce contexte, deux principaux constats ont retenu plus particulièrement l'attention de la commission.

• En premier lieu, certaines fragilités relevées par l'enquête renvoient à des dysfonctionnements qui affectent, au-delà des seuls CHU, l'hôpital dans son ensemble .

C'est le cas du déséquilibre financier qui concerne une majorité de ces centres depuis plusieurs années et tend à se dégrader sur la période 2011-2017 étudiée.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, votre commission a mis en exergue la situation budgétaire préoccupante des établissements de santé.

L'exercice 2017 a vu, en effet, le déficit de l'ensemble des établissements de santé publics se creuser : dans un contexte de baisse des tarifs des séjours hospitaliers et de ralentissement de l'activité, et sans adaptation à due concurrence de leurs charges d'exploitation, celui-ci a quasiment doublé, passant de 439 millions d'euros en 2016 à 835 millions d'euros en 2017 pour le budget principal et 701 millions d'euros tous budgets confondus. Pour les CHU, le déficit, évalué par la Cour des comptes à 405 millions d'euros, est porté pour moitié par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui accuse un solde négatif à hauteur de 199 millions d'euros en 2017.

La position de nombreux CHU s'en trouve fragilisée : le déséquilibre financier que connaissent un grand nombre d'établissements érode leur autofinancement et donc leur capacité à investir dans la modernisation de leurs locaux et équipements . Leurs investissements ont diminué de 14 % entre 2011 et 2016, de manière moins marquée toutefois que les autres établissements publics de soins (dont les investissements sont en baisse de près de - 40% sur la même période) ; le nombre de CHU présentant un taux de vétusté des bâtiments est passé de 13 à 16 entre 2012 et 2016.

A cet égard, il faut rappeler que votre commission a depuis longtemps préconisé une évolution du modèle de financement des investissements immobiliers des établissements de santé, afin de mieux prendre en compte leur cycle de vie nettement plus long que celui de la seule activité hospitalière rémunérée par l'assurance maladie 4 ( * ) .

Pour les rapporteurs de l'enquête, ce déséquilibre financier n'est pas à mettre principalement sur le compte de la tarification à l'activité, qui ne représente que 55 % des recettes des CHU, mais tient pour partie au recul et à l'émiettement des dotations forfaitaires, en particulier des Migac 5 ( * ) dont l'enveloppe allouée aux CHU a baissé de près de 6 % entre 2011 et 2016. Cette situation impose notamment selon la Cour une plus grande maîtrise des charges non contraintes (dépenses générales et hôtelières, de sous-traitance, de personnel non médical, etc.), dont la progression demeure plus dynamique que dans d'autres catégories d'établissements.

Il n'en demeure pas moins que la proposition de réexaminer le financement de la prise en charge des maladies rares, qui relève à l'heure actuelle de la T2A sans majoration ou adaptation spécifique, va dans le sens d'une meilleure objectivation des tarifs hospitaliers et d'un rapprochement avec le coût réel des soins. Cet enjeu présente un intérêt majeur dans les CHU qui assurent une part importante de ces prises en charge complexes.

Il semble en outre utile de mieux évaluer les contraintes spécifiques qui pèsent sur les CHU de par leurs missions et leur positionnement dans l'offre de soins, et d'adapter en conséquence les modes de financement.

Ces constats révèlent les limites du mode actuel de régulation des dépenses de santé qui conduit au désarroi des professionnels de santé et à la déshumanisation ressentie par les patients dans leur relation avec les soignants. Il faut souhaiter que ces considérations soient prises en compte dans le cadre de la réforme des modes de financement du système de santé, dont la réflexion est confiée à une task force pilotée par Jean-Marc Aubert, directeur de la Drees.

La fragilisation financière des CHU contribue en effet à affecter les conditions d'accueil des patients.

L'enquête dresse à cet égard un tableau plutôt sombre en constatant que plusieurs CHU obtiennent des résultats insuffisants en termes de gestion de la qualité : alors que cette dimension, notamment à travers la mesure de l'expérience patient, doit prendre à l'avenir une part de plus en plus importante dans le financement des établissements de santé, comme engagé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, il est essentiel d'accompagner les établissements présentant des lacunes sur ce point et d'adapter les modes d'évaluation des CHU à leurs spécificités.

• En second lieu, une question cruciale posée par l'enquête est celle de la place des CHU dans l'offre territoriale de soins .

La loi de modernisation de notre système de santé 6 ( * ) , en imposant la constitution de groupements hospitaliers de territoire (GHT), a conféré aux CHU un rôle de coordination : ils en sont l'établissement support ou sont liés à ces groupements par une convention d'association, au titre des activités hospitalo-universitaires (missions de formation, de recherche, de gestion de la démographie médicale, de référence et de recours) et dans le cadre d'un projet médical partagé.

L'enquête note que si les GHT favorisent la territorialisation des équipes hospitalières, porteuse de mobilité, de coopération et de mutualisation des expertises, l'instrument demeure encore « inabouti » : dans la plupart des cas, la mise en place récente de ces groupements n'a pas permis d'asseoir le rayonnement territorial des CHU ou de clarifier leur place dans l'offre territoriale de soins, en raison notamment d'un retard dans la signature de conventions d'association entre CHU et GHT.

Dans ce contexte par ailleurs marqué par la réorganisation territoriale et la mise en place des nouvelles régions - qui comptent pour certaines plusieurs CHU - ainsi que la restructuration en cours de la carte universitaire, l'enquête préconise la mise en place de réseaux de CHU, dans le but de faire émerger de huit à dix pôles à visibilité internationale, en vue de renforcer les coopérations jugées aujourd'hui insuffisantes entre CHU et de consolider la logique de gradation des soins moins développée en France que dans d'autres modèles étrangers.

Cette piste, également retenue par la mission sur « Le CHU de demain » dans ses préconisations, ouvre la voie à une réflexion indispensable pour concilier le rôle de proximité et d'excellence des CHU et, plus largement, assurer l'égal accès aux soins tout en s'adaptant aux spécificités de chaque territoire pour y valoriser les complémentarités entre les acteurs de l'offre de soins.

A cet égard, les enjeux de l'ouverture des CHU sur les autres acteurs du système de santé et de l'attractivité des carrières sont majeurs. Comme votre commission l'a relevé à l'occasion de nombreux travaux, les besoins croissants liés à la prise en charge des pathologies chroniques imposent de décloisonner et de coordonner les acteurs du système de santé, notamment en vue de développer la bonne articulation entre ville et hôpital au service de la qualité et de la pertinence du parcours de soins des patients. Cette ouverture peut également contribuer à revaloriser les carrières hospitalo-universitaires, en apportant une plus grande souplesse pour les professionnels de santé, là où le cadre statutaire crée des rigidités.

*

Cette enquête invite ainsi à consolider, en le renouvelant, un modèle qui a fait la preuve de son intérêt, en donnant aux CHU les moyens de concilier leur rôle de proximité, en articulation avec les autres acteurs du territoire, avec la promotion de l'innovation qui constitue leur raison d'être.

Elle apporte une analyse approfondie essentielle pour nourrir la réforme de notre système de santé et de l'organisation territoriale des soins, enjeux qui seront au coeur du prochain projet de loi « santé ».


* 1 « Le rôle des CHU dans l'enseignement supérieur et la recherche médicale », rapport d'information n° 228 (2017-2018), Sénat, 17 janvier 2018.

* 2 Ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale.

* 3 Les présidents de la conférence des présidents de CME de CHU, de la conférence des directeurs généraux de CHU, de la conférence des doyens de faculté de médecine, de la conférence des doyens de pharmacie, de la conférence des présidents d'université et de la conférence des doyens d'odontologie.

* 4 Cf. rapport d'information n° 703 (2011-2012), « Refonder la tarification hospitalière au service du patient », établi par Alain Milon et Jacky Le Menn au nom de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et la commission des affaires sociales, Sénat, 25 juillet 2012.

* 5 Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) : cette dotation permet de financer les activités des établissements qui ne sont pas tarifées à l'activité (activités d'enseignement et de recherche, financement des Samu et Smur, de centres de références...).

* 6 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (article 107).

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