II. LES  FICHES S : UN OUTIL QUI PEUT ÊTRE AMÉLIORÉ, MAIS QUI NE DOIT PAS ÊTRE DÉVOYÉ, AU RISQUE DE DEVENIR INUTILISABLE

Si la gestion des fiches S mérite probablement quelques améliorations marginales, il est en revanche essentiel, alors que leur fonctionnement ne cesse d'être remis en cause dans le débat public, de rappeler que ses principes structurants doivent être préservés pour ne pas priver les services spécialisés d'un instrument indispensable à leur activité , en particulier en matière de lutte antiterroriste.

A. DES PRINCIPES FONDATEURS À PRÉSERVER

1. Éviter une recentralisation des fiches S sur les personnes les plus dangereuses
a) Une réduction du champ des fiches S peu opportune sur le plan opérationnel

L'augmentation exponentielle du nombre de personnes inscrites au FPR avec une fiche S nourrit, dans le débat public, des interrogations au regard des capacités humaines et matérielles des services de renseignement. Nombreux sont en effet ceux qui craignent que cette évolution nuise à la qualité de la surveillance mise en oeuvre par les services de renseignement.

D'aucuns proposent, en réponse à ce constat, une réduction du nombre de personnes faisant l'objet d'une fiche S , de manière à concentrer le suivi sur les individus les plus dangereux, identifiés par les services de renseignement comme appartenant au « haut du spectre ».

Cette recentralisation du dispositif des fiches S n'est pas seulement évoquée dans les débats politiques et les médias. Elle est également préconisée, bien que sous des formes différentes, par certains services de sécurité qui craignent un éparpillement et un risque d'affaiblissement de la surveillance.

Certaines personnes entendues par votre groupe de travail ont par exemple évoqué l'idée d'une scission des actuelles fiches S en deux niveaux de fiches , de manière à mieux distinguer les individus présentant une dangerosité forte, qui conserveraient une fiche S, de ceux qui ne présenteraient que des signes faibles de dangerosité et pour lesquels pourrait être créée une catégorie supplémentaire dans le FPR.

La police aux frontières, dont plusieurs représentants ont été entendus par le groupe de travail lors de son déplacement à l'aéroport de Roissy, a par ailleurs constaté que l'augmentation du nombre de fiches S complexifiait les contrôles pour les agents en bout de chaîne, nuisant, nécessairement, à la qualité des informations remontées.

Sans nier les difficultés qu'induit l'évolution à la hausse du nombre de personnes suivies par les services de renseignement notamment en raison de la hausse des phénomènes de radicalisation, votre rapporteur observe que les propositions qui tendent à réduire le périmètre des fiches S placent le débat sur le mauvais terrain.

En dépit d'une montée en puissance des services de renseignement au cours des dernières années, notamment sous l'impulsion des plans de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, il demeure inenvisageable de placer sous surveillance permanente l'ensemble des personnes faisant l'objet d'une fiche S .

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, la surveillance à plein temps d'une personne nécessite l'implication de 20 à 25 agents. Rapportés aux quelques 29 973 personnes inscrites au FPR avec une fiche S au 11 décembre 2018, le besoin s'élèverait donc entre 600 000 et 750 000 agents. Au regard des effectifs actuels des services de sécurité intérieure, renseignement territorial compris, aucune surveillance généralisée des fichés S ne paraît possible.

De l'avis de votre rapporteur, ce constat ne justifie pas, pour autant, de restreindre le champ des fiches S aux personnes présentant un niveau de dangerosité élevé.

Cette proposition repose en effet sur une conception erronée de la nature et des finalités des fiches S . Comme indiqué précédemment, la fiche S ne mobilise que peu de moyens humains pour les services de renseignement. Si certaines personnes fichées S constituent des objectifs des services de renseignement et font l'objet d'une surveillance plus active, tel n'est pas le cas de l'ensemble des personnes fichées qui, eu égard à la diversité des profils concernés, n'ont pas vocation à le devenir.

Dès lors, restreindre le périmètre des fiches S ne permettrait en aucun cas de libérer les capacités opérationnelles des services de renseignement en vue d'améliorer la surveillance des personnes fichées.

À l'inverse, réduire le nombre de fiches S serait, sur le plan opérationnel, contreproductif pour l'efficacité de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme .

De l'avis d'une très grande majorité des personnes entendues par votre groupe de travail, l'intérêt de l'outil réside, précisément, dans l'étendue et la précision de son maillage : plus le nombre de personnes fichées est élevé, plus les informations collectées sont nombreuses et utiles.

Limiter le fichage aux personnes évaluées comme les plus dangereuses priverait donc les services de renseignement de la possibilité d'y inscrire des personnes appartenant à l'entourage de leurs objectifs, alors même qu'il s'agit d'une source importante d'informations qui permet, par exemple, d'établir des connexions entre différents individus.

Cela présenterait également le risque de priver les services spécialisés de renseignements sur les individus qui ne présentent que des signaux faibles de radicalisation . Or, comme l'ont malheureusement démontré les attentats qui se sont déroulés à Trèbes, en mars 2018 45 ( * ) , et à Paris, en mai 2018 46 ( * ) , l'évolution de la menace terroriste sur le territoire national rend de plus en plus complexe l'évaluation de la dangerosité des personnes radicalisées, la distinction entre les individus qui relèveraient du « haut du spectre » et ceux qui relèveraient du « bas du spectre » ainsi que la détection des risques de passage à l'acte. Dans ce contexte, il paraît indispensable que les services de renseignement puissent continuer à collecter, via le FPR, des informations sur un panel large d'individus, qui leur permettent d'assurer une veille constante et d'affiner l'évaluation des profils.

Votre rapporteur note que cet argument s'applique également au FSPRT, dont le périmètre est parfois jugé trop large et source d'inefficience pour les services de renseignement .

Réduire le champ de ce fichier en excluant les individus identifiés comme relevant du « bas du spectre » apparaîtrait pour le moins contradictoire avec sa finalité, qui est précisément de centraliser l'ensemble des signalements de radicalisation, y compris ceux dont la teneur reste à vérifier, et de s'assurer de l'existence d'un suivi adapté de l'individu en fonction des éléments recueillis sur sa radicalisation. L'organisation et le fonctionnement du fichier sont d'ailleurs adaptés pour permettre la mise en oeuvre d'un suivi et, le cas échéant, une surveillance, adaptés au profil de chaque personne signalée.

S'il devait être envisagé de procéder à une amélioration du fichier, celle-ci devrait plutôt consister à renforcer les outils d'évaluation de la dangerosité des personnes inscrites, afin de leur affecter un dispositif de suivi adapté, plutôt qu'à exclure une partie des personnes fichées, qui sortiraient dès lors complètement du « radar » des services de renseignement.

Au moment où votre rapporteur achevait ses travaux, le FSPRT était d'ailleurs sur le point de faire l'objet de plusieurs évolutions, destinées à améliorer son efficacité et le suivi des personnes radicalisées, qui devraient entrer en vigueur d'ici le début de l'année 2019. Il est notamment envisagé d'affiner le suivi opérationnel des personnes « prises en compte », en discriminant en fonction de leur profil et de leur niveau de radicalisation. Par voie de conséquence, le statut « en veille » devrait disparaître.

Votre rapporteur souligne qu'en raison de la confidentialité du fichier, dont les informations sont classifiées, il ne lui a pas été possible d'exposer davantage ce point.

b) Des propositions consistant à « débaptiser » une partie des fiches S qui risquent de n'avoir que peu d'impact dans la pratique

Certaines personnes entendues par votre groupe de travail au cours de ses travaux ont indiqué que la scission des fiches S en deux niveaux de fiches, mentionnée précédemment, permettrait également d'éviter, dans le débat public, les confusions sur les termes de fiches S, en le réservant aux personnes présentant un niveau de dangerosité élevé.

Plus largement, l'idée de « débaptiser » les fiches S de manière à mettre fin à la focalisation médiatique sur cet outil a été évoquée au sein du groupe de travail.

S'il entend les arguments énoncés à l'appui de cette proposition, votre rapporteur considère néanmoins qu'un simple changement de nom ne saurait suffire à mettre fin aux mythes qui existent désormais depuis plusieurs années sur les modalités de fichage et de suivi des personnes radicalisées. Il risquerait simplement, à terme, de reporter le débat sur un autre outil, quel qu'en soit le nom, sans régler la confusion qui existe sur la nature et sur les finalités du fichage.

Au demeurant, l'idée consistant à réserver les termes de fiches S aux personnes relevant du « haut du spectre » conduirait les services de renseignement à catégoriser les personnes inscrites au FPR et, ainsi, à fournir des informations plus précises sur leur profil et sur les raisons de leur fichage. Cela ne manquerait pas d'affaiblir l'exigence de confidentialité à laquelle sont particulièrement attachés les services de renseignement, qui plus est dans un contexte où la distinction entre le « haut du spectre » et le « bas du spectre » se révèle de plus en plus mouvante.

Dès lors, plutôt que de procéder à un changement de dénomination, votre rapporteur estime préférable de privilégier la pédagogie pour mettre fin aux confusions et approximations dont font l'objet les fiches S et dont pâtissent actuellement les services de renseignement.

2. Un élargissement des personnes habilitées à consulter les fiches S, qui apparaît inopérant et risqué sur le plan opérationnel

La focalisation politico-médiatique sur les fiches S du FPR alimente depuis plusieurs années un débat sur l'opportunité d'une extension de la liste des personnes autorisées à les consulter. Étant donné que tout accès doit être justifié au regard des prérogatives dévolues aux agents et aux finalités du traitement, ce débat invite à s'interroger sur la compatibilité de cette extension avec les finalités du traitement : qui a « besoin d'en connaître » ?

a) L'accès des maires et plus largement des élus locaux

Depuis plusieurs années, certains maires demandent à être informés de l'identité des personnes fichées S résidant ou travaillant sur leur commune. Cette demande prend plusieurs formes : certains demandent un accès direct au « fichier », d'autres exigent la transmission de la « liste » des personnes résidant faisant l'objet d'une fiche S, etc .

Différentes justifications sont évoquées : éviter d'employer, en tant qu'agents municipaux, des personnes radicalisées ; être informé de la présence des personnes « dangereuses » sur le territoire de sa collectivité pour les « empêcher d'être en contact avec le public » ; s'appuyer sur cette inscription au fichier pour « expulser » les personnes concernées de leur éventuel logement social, voire de la commune ; assurer la sécurité des administrés. Cette information permettrait, selon les élus ayant formulé cette demande, de mettre en place une surveillance renforcée notamment avec les  policiers municipaux ou une prise en charge adaptée de prévention de la radicalisation, avec l'aide des services sociaux.

Ces demandes traduisent ainsi la prégnance du mythe de la dangerosité de toutes les personnes fichées S et de l'association d'idées, qui semble désormais malheureusement durable, entre « radicalisation islamiste » et « fiche S ».

En Belgique, si l'État informe les bourgmestres lorsqu'une personne inscrite au fichier « Terrrorist fighters » est présente dans sa commune, ce fichier des « combattants » répond à des finalités tout autres que celles du FPR, voire même du FSPRT. Contrairement à celles des fiches S, chaque inscription en tant que « terrorist fighter » est validée après évaluation préalable par un office central.

La banque de données « Terrorist fighters » en Belgique

En Belgique, un arrêté du 21 juillet 2016 47 ( * ) a créé la banque de données commune Foreign terrorist fighters (banque de données FTF), qui avait initialement pour objet d'analyser, évaluer et suivre les personnes qui se sont rendues ou ont tenté de se rendre dans une zone de conflit djihadiste, dans le but de se rallier à des groupements terroristes ou de leur fournir un soutien.

La police fédérale est chargée de gérer cette banque de données. Sont enregistrées dans ce fichier :

- les données d'identification des personnes qui se sont rendues ou ont tenté de se rendre dans une zone de conflit djihadiste, dans le but de se rallier à des groupements terroristes ou de leur fournir un soutien ;

- les données d'identification des personnes à propos desquelles il existe de sérieux indices qu'elles se soient rendues ou aient tenté de se rendre dans une zone de conflit djihadiste, dans le but de se rallier à des groupements terroristes ou de leur fournir un soutien ;

- les données judiciaires, administratives, de police judiciaire, de police administrative et les renseignements non classifiés relatives à ces personnes ;

- les données ou codes d'identification des personnes ayant accès à la banque de données.

Un arrêté du 23 avril 2018 48 ( * ) a étendu le contenu de la banque de données aux « homegrown terrorist fighters ( HTF ) » (combattants terroristes intérieurs). La banque contient donc également des données d'identification des personnes pour lesquelles il existe des indications sérieuses :

- qu'elles ont l'intention de recourir à la violence à l'encontre de personnes ou d'intérêts matériels, pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d'atteindre leurs objectifs par la terreur, l'intimidation ou les menaces ;

- qu'elles apportent un soutien intentionnel notamment en matière logistique, financière, ou aux fins de formation ou de recrutement, aux personnes visées ci-dessus, ou aux personnes enregistrées en tant que « foreign terrorist fighters » pour lesquelles il existe des indications sérieuses qu'elles ont l'intention de commettre un acte violent.

À cette objection, certains élus indiquent en réalité limiter leurs demandes aux seuls individus fichés S à raison de leur radicalisation, voire aux individus les plus dangereux. Là encore, la référence à la fiche S du FPR apparaît inadaptée à la demande : permettre un accès, même indirect, au FPR ne semble donc pas nécessaire.

En revanche, cet argument ne s'oppose pas à communiquer, sous certaines conditions, certaines informations sur des individus faisant l'objet d'une inscription au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) , même s'il n'existe pas formellement de hiérarchisation de la dangerosité des personnes concernées au sein dudit fichier.

Si un partage ponctuel et non systématique d'informations contenues dans le FSPRT peut apparaître pertinent, en revanche, aucun accès direct audit fichier ne peut être envisagé . Une diffusion systématique des informations serait de nature à nuire aux enquêtes judiciaires en cours et plus généralement à compromettre la confidentialité des actions des services de renseignement .

Dès lors, dans quelles situations et dans quel cadre informer les maires ?

Un cadre légal permettant déjà l'échange d'informations confidentielles

Il existe d'ores et déjà un cadre légal permettant l'échange d'informations confidentielles aux fins de prévention de la délinquance, en application des articles L. 132-5 et L. 132-13 du code de la sécurité intérieure, au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou des conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD).

Par une instruction du 13 novembre 2018, le ministre de l'intérieur a publié une charte visant à inciter les maires ou les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale à :

- créer au sein des CLSPD ou des CIPSD des groupes de travail dédiés aux thématiques de prévention de la radicalisation et des actes de terrorisme et un groupe de travail restreint dédié à l `échange d'informations ;

- désigner un référent identifié chargé d'animer le groupe opérationnel et éventuellement de siéger au sein des cellules préfectorales de suivi pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CPRAF).

Dans son instruction du 13 novembre 2018 49 ( * ) , le ministre de l'intérieur a enjoint aux préfets d'informer régulièrement les maires sur l'état de la menace terroriste sur le territoire de leurs communes , tout en précisant que les informations couvertes par le secret de la défense nationale ainsi que celles susceptibles de porter atteinte au secret de l'enquête ne pouvaient naturellement pas faire l'objet d'une transmission. En revanche, par la même instruction, il a autorisé les préfets à transmettre aux maires des informations nominatives confidentielles dans trois hypothèses .

En premier lieu, des informations confidentielles peuvent être transmises aux maires afin que ces derniers bénéficient d'un « retour succinct sur les signalements qu'ils effectuent, notamment quant à leur prise en compte effective ». Ainsi, si à la suite d'un signalement du maire, et de l'évaluation qui en a été faite par le groupement d'évaluation départementale, l'individu est pris en charge par une cellule préfectorale de suivi pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CEPRAF) 50 ( * ) , alors le maire sera convié à cette instance. Si la situation de l'individu est « prise en compte » par un service de renseignement ou fait l'objet d'une judiciarisation, le maire peut également en être informé. Ce partage d'informations est de nature à inciter les maires à davantage signaler les situations de radicalisation présumée, notamment les « signaux faibles ».

Les maires pourraient également être associés à certains partages d'informations concernant des individus qu'ils n'ont pas signalés dès lors que ces personnes sont suivies en CEPRAF et qu'elles nécessitent de mobiliser particulièrement certains services socio-éducatifs.

Enfin, dans le cadre légal fixé pour les CLSPD/CISPD, et sous stricte condition de confidentialité, un maire peut être informé d'informations confidentielles ayant trait à la radicalisation dès lors que cette information lui est utile. Il peut s'agir par exemple d'une vigilance sur un employé de sa commune ou sur les risques associés à la mise à disposition de locaux par la collectivité.

Dans ces trois hypothèses, ces échanges d'informations sont soumis à une triple condition :

- « le maire peut avoir à en connaître » ;

- l'échange ne peut avoir lieu qu'avec le double accord du chef du service de police, de gendarmerie ou de renseignement « menant 51 ( * ) » et du procureur de la République territorialement compétent ;

- la signature d'une charte de confidentialité.

Votre rapporteur insiste sur l'importance de conserver la confidentialité des informations issues du FSPRT et, dès lors, sur l'interdiction de fonder tout type de décision (refus de logement social, etc .), potentiellement discriminatoire et donc illégale, sur ces informations. Alors qu'aucun comportement pénalement répréhensible ne peut être reproché aux personnes concernées, les éventuels partages et transmissions d'informations ne doivent pas conduire à la stigmatisation des individus signalés. Au contraire, ce partage d'informations doit faciliter leur prise en charge par les dispositifs locaux. Un travail de confiance et de responsabilité entre les services de l'État et les élus est donc indispensable.

b) L'accès des policiers municipaux et des militaires du dispositif Sentinelle

Certains militaires du dispositif Sentinelle et certains syndicats de policiers municipaux revendiquent un accès direct au fichier des personnes recherchées (FPR), notamment aux fiches S, afin d'assurer la sécurité de leurs missions, et notamment de leurs conditions d'interventions, lors de certains contrôles. Certaines organisations professionnelles de policiers nationaux, affectés notamment à des missions de sécurité publique, revendiquent également un meilleur accès aux informations liées à des individus fichés S afin de mieux préparer leurs interventions et d'anticiper des éventuelles agressions.

Si la demande de garanties de sécurité accrues dans le cadre de leurs missions est une exigence légitime , la volonté d'accéder aux fiches S à cette fin se fonde sur une perception erronée de la fiche S . Comme exposé précédemment, la seule inscription d'une fiche S dans le FPR (ou dans le FSPRT) ne suffit pas à présumer de la dangerosité de la personne concernée car l'état de dangerosité de la personne n'est pas indiqué sur ladite fiche 52 ( * ) .

La diffusion auprès des militaires du dispositif Sentinelle de la liste et de la photographie des personnes fichées S apparaît infaisable sur le plan opérationnel dès lors que les militaires ne connaissent pas a priori l'identité des personnes présentes dans un lieu public permettant d'anticiper un criblage des fichiers.

Le rapport des parlementaires en mission sur le « continuum de sécurité » 53 ( * ) préconise de permettre aux policiers municipaux de consulter le FPR afin de savoir si une personne est signalée comme une personne recherchée : « l'accès pourrait se limiter à un dispositif « hit / no hit », et ne porter que sur une partie des informations figurant dans ces fichiers. »

Sans se prononcer sur l'opportunité pour les policiers municipaux d'accéder à d'autres fiches (type PJ), votre rapporteur s'interroge sur la pertinence d'un tel accès concernant les fiches S.

La demande des policiers municipaux d'être informés que tel conducteur de véhicule, par exemple, est fiché S afin « d'adapter en conséquence » leur comportement apparaît en effet contraire aux finalités de la fiche S , à savoir un recueil discret de renseignements.

De plus, aucune compétence conférée aux agents de police municipale, agents de police judiciaire adjoints (APJA), ne leur permettrait de répondre utilement aux conduites à tenir diffusées dans le FPR. Dès lors, votre rapporteur déconseille, à ce stade, de permettre un accès direct des agents municipaux au FPR.

Les policiers municipaux disposent d'ores et déjà d'un accès indirect aux informations contenues dans ce fichier : ils peuvent par exemple être informés oralement d'informations qui y figurent, notamment « afin de parer à un danger pour la population 54 ( * ) ».

c) L'accès de l'administration pénitentiaire

L'évasion en mai 2018 d'un détenu faisant l'objet d'une fiche S a suscité un débat sur la pertinence d'un accès de l'administration pénitentiaire aux fiches S du FPR . Certains surveillants pénitentiaires ont estimé nécessaire de disposer de cette information pour assurer en toute sécurité leurs missions, notamment lors des extractions.

À nouveau, il doit être rappelé que l'inscription d'une fiche S ne présume en rien de l'éventuelle dangerosité d'une personne . De même, l'absence de fiche S ne signifie pas que l'individu n'est pas dangereux.

Il existe d'autres outils permettant d'adapter les moyens mis en oeuvre par l'administration pénitentiaire pour prendre en charge certains profils, notamment le répertoire des « détenus particulièrement signalés » dont les critères d'inscription apparaissent plus pertinents que ceux d'une fiche S.

Les détenus particulièrement signalés (DPS)

Le statut de DPS emporte des mesures spécifiques de sécurité, tant en détention qu'en cas d'extraction ou de transfert.

La circulaire du 19 septembre 2012 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés définit les procédures d'inscription, de maintien et de radiation. Les critères d'inscription au répertoire DPS sont liés au risque d'évasion , et à l'intensité de l'atteinte à l'ordre public que celle-ci pourrait engendrer, ainsi qu'au comportement particulièrement violent en détention de certaines personnes détenues (AGCD).

L'inscription ou le maintien d'une personne détenue au répertoire DPS doit être motivée en fait et en droit. S'agissant d'une décision qui fait grief, elle est prise à l'issue d'une procédure contradictoire. Chaque situation individuelle fait l'objet d'un examen annuel.

Au 31 août 2018, on recensait 274 DPS.

Quant à la problématique particulière des personnes radicalisées susceptibles de commettre des actes terroristes, le bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) dispose d'un accès au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). De plus, ses correspondants participent aux groupes d'évaluation départementaux de la radicalisation.

Les informations utiles quant à la dangerosité d'une personne ou quant à sa radicalisation peuvent donc d'ores et déjà être échangées , pour les strictes nécessités d'exercice des missions de l'administration pénitentiaire, sans transiter par la communication d'une fiche S.

*

En conclusion, votre rapporteur n'est pas favorable à l'élargissement des catégories de personnes pouvant être habilitées à consulter les fiches S du FPR, ni même le FSPRT. Il souligne qu'une diffusion large de telles informations serait de nature à encourager les services à limiter les informations contenues dans le fichier, ce qui nuirait à l'efficacité des missions des services de renseignement.


* 45 Attentat du 23 mars 2018 dans un supermarché de Trèbes, perpétré par Radouane Lakdim.

* 46 Attentat du 12 mai 2018 dans le quartier de l'Opéra à Paris, perpétré par Khamzat Azimov.

* 47 Arrêté royal relatif à la banque de données commune Foreign Terrorist Fighters et portant exécution de certaines dispositions de la section 1 er bis « de la gestion des informations » du chapitre IV de la loi sur la fonction de police (entré en vigueur le 22 septembre 2016).

* 48 Arrêté royal relatif à la banque de données commune Propagandistes de haine et portant exécution de certaines dispositions de la section 1 er bis « de la gestion des informations » du chapitre IV de la loi sur la fonction de police.

* 49 Instruction relative à la mise en oeuvre d'un dialogue renforcé entre l'État et les maires dans le domaine de la prévention de la radicalisation violente, INTK1826096J.

* 50 Les cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles ont été mises en place dans les préfectures pour assurer la prise en charge des personnes radicalisées et accompagner leurs proches. Les CEPRAF réunissent différents acteurs locaux : services de la préfecture, parquet, renseignement territorial, services sociaux et de santé, éducation nationale, etc .

* 51 C'est-à-dire le responsable du suivi.

* 52 Voir supra .

* 53 Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, « D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale », rapport au Premier ministre, septembre 2018. Le rapport est consultable à cette adresse : https://www.gouvernement.fr/partage/10495-rapport-de-mme-alice-thourot-et-m-jean-michel-fauvergue-deputes-d-un-continuum-de-securite-vers-une

* 54 Article 5 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page