C. DES PRÉOCCUPATIONS ENTENDUES AU CONSEIL MAIS PAS AU PARLEMENT EUROPÉEN

1. Le compromis trouvé au Conseil

Le compromis obtenu au Conseil « Transports » du 3 décembre 2018 répond en partie aux préoccupations exprimés par le Sénat dans sa résolution européenne. La Belgique, la Bulgarie, la Hongrie, l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte et la Pologne ont voté contre, Chypre et la Roumanie se sont abstenus.

S'agissant du régime du détachement, il prévoit ainsi son application systématique pour les opérations de cabotage. Des dérogations ciblées sont cependant prévues pour le transport international : les activités complémentaires de chargement ou de déchargement sont limitées en nombre à l'aller et au retour (1+1 ou 0+2) à condition qu'elles soient réalisées entre deux pays traversés et que le véhicule soit équipé du chronotachygraphe numérique de deuxième génération. Il convient de rappeler, à ce stade, que la législation française prévoit une application du régime du détachement dès le premier jour d'entrée sur le territoire national.

Le déploiement dudit chronotachygraphe serait opéré au sein des flottes opérant à l'international dès 2022 pour les nouveaux véhicules et avant le 31 décembre 2024 pour les autres.

Afin de lutter contre le phénomène de cabotage permanent, le compromis prévoit la mise en place d'une carence de cinq jours après une période de cabotage, la durée du cabotage restant limité à sept jours et le nombre d'opérations à trois. Les VUL de plus de 2,5 tonnes sont également ciblés par ces règles, au terme d'une période de transition de deux ans.

Le cabotage est par ailleurs encadré par une révision des normes en matière de temps de travail. Le Conseil souhaite ainsi instaurer un droit au retour dans le pays d'établissement de l'entreprise ou au domicile du chauffeur toutes les quatre semaines, ce délai étant ramené à trois semaines si le chauffeur enchaîne deux repos hebdomadaires réduits consécutifs (au moins 24 heures). Il consacre, par ailleurs, l'interdiction de la prise de repos hebdomadaire normal (soit 45 heures au minimum par semaine) dans le camion. Il laisse enfin la possibilité de prendre deux repos hebdomadaires réduits consécutifs, les Etats étant en droit de ne pas l'autoriser pour les conducteurs engagés exclusivement dans le transport domestique.

2. Le blocage au Parlement européen

Le Parlement européen est, de son côté, divisé. La commission transports n'a adopté, le 10 janvier 2019, que le rapport consacré au cabotage, rejetant les rapports visant le détachement et les temps de conduite. Les trois rapports avaient déjà été rejetés en plénière en juillet dernier.

Le rapport sur le temps de travail, présenté par M. Wim van den Camp (PPE - Pays-Bas), prévoyait que le temps de repos hebdomadaire normal puisse être pris dans le camion s'il était garé sur une aire sécurisée. Le texte prévoyait cependant que le repos pouvait ne pas être pris sur ce type d'aire durant trois ans après l'entrée en vigueur du règlement modifié. Le droit au retour toutes les quatre semaines est laissé à la discrétion du chauffeur qui peut choisir la destination. Le chronotachygraphe numérique de deuxième génération serait, quant à lui, introduit entre 3 et 5 ans après l'entrée en vigueur du nouveau texte.

Le rapport sur le détachement, présenté par Merja Kyllönen (GUE - Finlande), reprenait en large partie les positions du Conseil. Le document insistait uniquement sur une exemption pour les opérations additionnelles avant la mise en oeuvre du chronotachygraphe numérique de deuxième génération.

Le rapport sur le cabotage, adopté à l'initiative de M. Ismail Ertug (S&D - Allemagne) ; prévoit, quant à lui, un nombre illimité d'opérations sur une période de trois jours. La période de carence est fixée à 60 heures après un retour dans l'État d'établissement de l'entreprise et une nouvelle opération internationale depuis cet État. Les camions seraient par ailleurs astreints à effectuer un chargement ou un déchargement dans l'État d'établissement toutes les quatre semaines. Les VUL de plus de 2,4 tonnes sont concernés par le dispositif.

Les rapports devraient de nouveau être examinés lors de la session plénière de mars 2019. Rien n'indique pour autant qu'ils seront adoptés et qu'une négociation en trilogue pourra s'ouvrir.

3. Les conséquences sur la révision de la directive « transport combiné »

La résolution du Sénat visait également la révision en cours des règles européennes en matière de transport combiné 10 ( * ) . Le texte souhaitait, là aussi, l'application du régime des travailleurs détachés pour toute opération internationale.

La directive n° 92/106 du 7 décembre 1992 relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres, en cours de révision, vise les chargements ou déchargements de camions dans les ports ou les gares. Le dispositif permet pour l'heure des opérations de cabotage, sans véritable contrainte, dans les États membres traversés. Tout transporteur routier établi dans un État membre a le droit d'effectuer, dans le cadre d'un transport combiné entre États membres, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné et qui comportent ou non le passage d'une frontière. Seuls les trajets nationaux par route effectués dans un État membre d'accueil qui ne font pas partie d'un transport combiné entrent dans la définition des transports de cabotage et sont soumis à la réglementation européenne en la matière. Il n'est dès lors pas étonnant de voir nombre de camions de pays tiers effectuer des opérations de cabotage autour des grands ports.

Le compromis adopté au Conseil insiste plutôt sur la possibilité laissée aux Etats membres de limiter à cinq jours la réalisation d'opérations routières de transport combiné avant d'imposer une carence de cinq jours. Le droit actuel prévoit une exemption des règles de cabotage lors d'une opération de transport combiné internationale sur la partie routière initiale ou finale. Le Conseil souhaite par ailleurs que la partie routière d'une opération ne dépasse pas 150 kilomètres à vol d'oiseau. Le Parlement européen refuse, quant à lui, la notion de vol d'oiseau et entend que la limite soit fixée à 150 kilomètres.

Les négociations en trilogue sont pour l'heure bloquées, faute de mandat accordé par le COREPER à la présidence roumaine pour négocier sur la question du cabotage. Le Conseil prend à la fois acte des divergences en son sein mais aussi du blocage constaté au Parlement européen sur le paquet mobilité I.

4. La position de vos rapporteurs

Vos rapporteurs estiment que le compromis obtenu au Conseil constitue une excellente base de travail et sont, en revanche, plus réservés sur la tonalité des trois rapports au Parlement européen. Ils relèvent, en outre, que les équilibres en présence au Parlement européen, moins politiques que nationaux, rendent difficile tout pronostic quant à une adoption lors de la prochaine session plénière. Dès lors, il convient de s'interroger sur le choix de la Commission européenne de présenter aussi tardivement des textes -trois ans après le début de son mandat - sur un sujet aussi sensible. La proximité des élections européennes donne une caisse de résonance à ces sujets dans les principaux pays concernés et suscite des crispations. Vos rapporteurs en viennent à craindre une adoption des textes sans que la cohérence du paquet soit respectée, rendant illusoire toute possibilité d'atténuation des formes de concurrence déloyale constatées et fragilisant les tentatives de contrôle. Ils rappellent, à cet égard, que les règlements de 2009 souffrent déjà de ce défaut, qui fragilise leur application uniforme à travers l'Union européenne.

Vos rapporteurs insistent sur le fait que l'absence d'accord pourrait, en tout état de cause, laisser la faculté à la prochaine Commission européenne de travailler sur un véritable statut du travailleur hautement mobile européen, qui intègrerait bien évidemment les chauffeurs routiers. Cette démarche ambitieuse implique une réflexion combinant droit du travail, fiscalité et droit de la sécurité sociale.

Comme ils l'ont indiqué dans leur rapport en 2018, vos rapporteurs estiment en effet que l'application des règles afférentes au détachement et le principe d'équivalence de rémunération ne constitue pas la réponse unique au phénomène de concurrence déloyale rappelé plus haut. La structure de la rémunération diffère en effet d'un pays à l'autre, notamment en ce qui concerne le poids des charges sociales. Le salaire versé en France est constitué d'une part fixe évaluée à 77 % et de primes estimées à 23 % de la rémunération totale. Le salaire versé à un chauffeur bulgare est constitué à 76 % d'indemnités journalières qui viennent s'ajouter à un salaire fixe relativement bas, sur lequel sont calculées les cotisations. Le coût annuel d'un chauffeur routier est ainsi estimé à 15 859 euros en Bulgarie contre 45 852 euros en France.

Structure des rémunérations d'un chauffeur routier à l'international

Part soumise à cotisation sociale

Part non soumise

Coût de l'heure de conduite

Allemagne (Ouest)

86 %

14 %

25,13 €

Allemagne (Est)

83 %

17 %

16,64 €

Belgique

79 %

21 %

33,8 €

Bulgarie

24 %

76%

8,01 €

Espagne

65 %

35 %

19,52 €

France

77 %

23 %

29,81 €

Hongrie

37 %

63 %

9,57 €

Italie

72 %

28 %

28,14 €

Lituanie

36 %

64 %

8,89 €

Luxembourg

90 %

10 %

28,2 €

Pologne

39 %

61 %

10,01 €

Portugal

49 %

51 %

13,24 €

Roumanie

31 %

69 %

9,02 €

Slovaquie

45 %

55 %

11,26 €

Slovénie

51 %

49 %

13,06 €

République tchèque

38 %

62 %

10,24 €

Source : Comité national routier

Dans ces conditions, une réflexion doit être engagée sur le mode de rémunération des chauffeurs en veillant, bien évidemment, à respecter le principe de subsidiarité. Il ne s'agit pas de proposer pour l'instant une harmonisation des taux de charges sociales mais plutôt de parvenir à définir une assiette de prélèvement commune à tous les Etats membres.

La mise en place d'un régime européen du travailleur hautement mobile passe également par une sécurisation du certificat A1 de détachement, qui atteste de l'affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale du pays d'envoi. L'évolution récente de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur ce sujet doit permettre d'aboutir à une telle évolution (cf. infra ).

Si le Paquet mobilité I venait à ne pas être adopté, les transporteurs ne se trouveraient pas, pour autant, confrontés à un flou juridique puisque, comme indiqué plus haut, la directive du 28 juin 2018 prévoit expressément que le régime du détachement s'applique aux chauffeurs routiers. Cette directive n'entrera en vigueur que le 30 juillet 2020 11 ( * ) . La législation française qui prévoit que les normes en matière de détachement des travailleurs s'appliquent dès le premier jour d'entrée sur le territoire apparaît, en attendant, difficilement contestable.


* 10 Proposition de directive modifiant la directive 92/106/CEE relative à l'établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (COM(2017) 648 final).

* 11 Le projet d'ordonnance permettant la transposition de la directive a été présenté le 20 février dernier en Conseil des ministres.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page