B. LES TERRITOIRES LITTORAUX FACE AU RETRAIT DU TRAIT DE CÔTE ET AUX RISQUES DE SUBMERSION

1. Des enjeux d'adaptation bien perçus par les acteurs concernés

La hausse du niveau de la mer et des risques subséquents de submersion permanente ou temporaire est depuis longtemps clairement identifiée comme un enjeu d'adaptation majeur dans les travaux du GIEC. Le drame de la tempête Xynthia en 2010 aura eu au moins le mérite d'accélérer en France la prise en compte de cet enjeu. L'État, les collectivités concernées, notamment au travers du relais de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), ainsi que le monde de l'expertise scientifique (on pense tout particulièrement ici au rôle de Météo-France et du BRGM) se sont saisis de la question et ont permis à la politique d'adaptation des zones littorales de progresser rapidement sur des points importants.

a) Des enjeux intégrés dans deux stratégies nationales

La mise en place dès 2011 du Plan Submersions Rapides (PSR), ensuite intégré à la Stratégie nationale de gestion du risque inondation , a permis de définir les grands axes de la stratégie de lutte contre les risques de submersion marine, à savoir : la maîtrise de l'urbanisation et l'adaptation du bâti ; l'amélioration des systèmes de surveillance, de prévision, de vigilance et d'alerte ; la fiabilité des ouvrages et des systèmes de protection ; l'amélioration de la résilience des populations par le développement de la culture du risque et des mesures de sauvegarde. Parmi ces avancées concrètes, on peut citer notamment la mise en place par Météo-France de l'outil « Vigilance Vague Submersion », ainsi qu'un programme visant à conforter 1 200 km de digues.

La mise en place en 2012 d'une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a ensuite permis la prise en compte de l'aléa érosion distinct du risque de submersion.

La lecture de ces documents stratégiques montre que l'État a développé une conscience claire, dès le début des années 2010, des orientations stratégiques qu'il fallait suivre pour adapter les zones littorales au changement climatique.

On peut relever par ailleurs que la définition de ces deux stratégies s'est accompagnée d'un important travail d'expertise et de connaissance scientifique pour comprendre les mécanismes et la dynamique des risques de submersion et d'érosion côtière, pour identifier et cartographier les zones à risques et pour suivre dans le temps l'évolution de ces risques. Le GIP Littoral aquitain a vu le jour dès 2006 sur l'initiative du Conseil régional d'Aquitaine et de l'État, bientôt suivi par d'autres observatoires du même type. La plateforme en ligne Géo Littoral regroupe désormais les données des observatoires locaux du trait de côte et constitue une source d'information précieuse. On y trouve notamment un indicateur national de l'érosion côtière réalisé par le Cerema, qui fournit des données quantifiées et homogènes sur l'évolution du trait de côte en métropole et outre-mer. Le Cerema a également commencé à publier, sous forme de fascicules locaux, une synthèse des connaissances sur l'évolution du trait de côte. Le premier volume publié fait la synthèse des connaissances de la dynamique de la frontière belge à la pointe du Hourdel. La collection comportera à terme 20 fascicules.

b) Des enjeux déclinés dans les politiques d'aménagement et de gestion des crises des collectivités

Si l'État a construit une stratégie nationale d'adaptation des territoires littoraux, les collectivités participent à sa déclinaison locale et à sa mise en oeuvre à travers de multiples outils.

Les collectivités littorales sont en premier lieu responsables de l'élaboration des documents de planification et associées à l'élaboration des documents de prévention des risques. Ainsi, les SRADDET et les schémas d'aménagement régionaux pour les départements d'outre-mer comportent désormais des objectifs en matière de gestion du trait de côte, lorsqu'une partie du territoire se situe sur le littoral. De même, les PLU et les SCoT des zones littorales, notamment dans le cadre d'un volet valant schéma de mise en valeur de la mer (SMVM), permettent d'intégrer les enjeux de retrait du trait de côte et des risques de submersion dans la planification urbanistique et la stratégie d'aménagement. Enfin, les PPRL (Plans de prévention des risques littoraux), approuvés par le préfet du département et annexés aux PLU, permettent de prendre en compte l'intégralité des risques littoraux 35 ( * ) : recul du trait de côte, submersion marine et inondation par débordement de cours d'eau, avancée dunaire ou encore effondrement de falaises. Constituant une servitude d'utilité publique, ils permettent de réglementer l'usage des sols en imposant des interdictions ou des prescriptions constructives.

Les collectivités littorales sont également associées à une réflexion de fond sur la relocalisation des activités et des biens - c'est-à-dire le déplacement ou le recul préventifs des activités et des biens afin de les mettre à l'abri de la mer. Un appel à projets a été lancé en 2012 pour permettre à des collectivités de travailler sur des scénarios de relocalisation avec l'appui des services de l'État 36 ( * ) . Cela a permis d'identifier les principaux blocages opérationnels, réglementaires et financiers à une relocalisation. On attend désormais de savoir quelles suites concrètes l'État entend donner aux résultats de son appel à projets.

Politiques de repli : les freins identifiés

L'analyse du cas de Lacanau a montré un blocage juridique lié à l'impossibilité de détruire préventivement les biens menacés en raison de l'inégibilité de la procédure d'expropriation pour risque naturel majeur au recul du trait de côte pour les littoraux sableux. Il apparaît également que les montants financiers liés aux acquisitions, ainsi que la complexité du dossier et des procédures, ne permettent pas aux collectivités de porter seules un tel projet.

L'analyse du cas de Labenne a permis de montrer que la relocalisation se heurtait également aux difficultés de la réimplantation des biens et activités après leur destruction préventive, car elle constitue une nouvelle urbanisation incompatible avec les dispositions de la loi littoral dans sa rédaction actuelle.

2. Aller plus loin dans le déploiement de la stratégie nationale de retrait du trait de côte et de lutte contre les risques de submersion

Bénéficiant déjà d'un certain degré de maturation, les politiques d'adaptation au changement climatique des zones littorales peuvent s'appuyer sur de solides acquis. Les domaines dans lesquels il paraît souhaitable de progresser sont les suivants :

- conduire à son terme la réflexion sur les stratégies de relocalisation en levant les blocages juridiques identifiés (droit de l'expropriation, adaptation de la loi littoral) et en mettant en place un dispositif de financement des politiques de repli, là où le repli apparaît comme la solution la plus pertinente. Si les collectivités concernées doivent participer au financement des relocalisations, notamment en mobilisant la taxe GEMAPI, elles ne pourront pas supporter seules la totalité du coût du repli. Il faudra donc trouver un instrument de mutualisation permettant l'exercice de la solidarité entre les territoires. L'extension des missions du Fonds Barnier aux expropriations liées à la montée du niveau de la mer apparaît comme une solution possible, dont il convient d'explorer plus avant la faisabilité ;

- définir la doctrine de l'État pour ce qui concerne les terrains de bord de mer dont on sait qu'ils finiront par être submergés, mais où il est encore possible, pour quelques décennies, de s'établir en toute sécurité. Établir un régime juridique spécifique à ces zones d'occupation temporaire est nécessaire et pourrait d'ailleurs figurer dans le texte d'une loi-cadre sur l'adaptation au changement climatique. Il devra répondre à des questions telles que : quel droit de l'urbanisme et de la construction faut-il définir dans ces zones ? Quelles règles d'assurance ?

- fixer les cotes de montée des eaux à prendre en compte pour les travaux d'aménagement du littoral. C'est en effet le rôle de l'État de fixer le cadre commun dans ce domaine ;

- déterminer les bons niveaux de gouvernance pour la gestion des politiques liées au retrait du trait de côte . Sur un plan scientifique, on sait que la cellule hydro sédimentaire est l'échelle adaptée pour la prise de décision dans le domaine de l'aménagement côtier. Or, comme le souligne le Cerema, « le découpage en cellules hydrosédimentaires s'accorde mal avec les limites administratives » 37 ( * ) . Pourtant, si les intercommunalités littorales mènent des politiques d'aménagement côtier non coordonnées, les actions de l'une peuvent complètement perturber les actions de l'autre. Il faut donc réfléchir aux mécanismes de gouvernance permettant d'intégrer la notion de cellule hydrosédimentaire dans les politiques littorales ;

Source : Cf note de bas de page de la présente page

- faire progresser la connaissance des impacts du changement climatique sur le littoral et des impacts des dispositifs littoraux d'adaptation. Il ressort en effet de l'audition de l'ANEL que les élus sont en demande d'expertise scientifique pour les aider à prendre les bonnes décisions d'aménagement du littoral. Ils ont besoin non seulement de mieux cerner les impacts directs du changement climatique sur leur territoire, mais également de mieux cerner les mérites et inconvénients des différentes solutions adaptatives ;

- mettre en place des exercices de prospective territoriale pour mieux saisir les liens entre changement climatique et développement économique des zones littorales, notamment pour mieux intégrer les enjeux liés au tourisme. L'érosion côtière, sous l'effet de la montée progressive du niveau de la mer ou des dégâts provoqués par les tempêtes, refaçonne le paysage littoral et peut affecter l'attractivité des territoires, par exemple en menaçant certaines plages. La montée des températures peut également rebattre les cartes de l'attractivité relative des différentes zones littorales (la Bretagne est-elle la future Côte-d'Azur ?) ou encore avoir des effets sur la qualité et le volume de la ressource hydrique du fait de phénomènes d'intrusion saline dans des nappes littorales déjà surexploitées. Enfin, la pression à l'urbanisation dans les zones côtières menace des espaces naturels fragiles (dunes, zones humides) dont la préservation est plus que jamais nécessaire pour faire face aux risques climatiques émergents. Il convient donc que chaque territoire littoral intègre ces paramètres et prévisions climatiques dans sa stratégie de développement touristique ;

- achever la cartographie des risques littoraux et la rendre aisément consultable par la population . Les personnes qui ont des projets d'installation, de construction ou de rénovation dans des zones menacées par l'érosion côtière ou les risques de submersion marine doivent pouvoir intégrer ces risques dans la conception de leur projet ou dans leur calcul économique, ce qui suppose qu'elles puissent accéder aisément à l'information nécessaire.


* 35 Leur méthode d'élaboration a été révisée dans le guide méthodologique de mai 2014. La qualification de l'aléa intègre désormais la houle et prend en compte les ouvrages de défense. Des scénarios de rupture sont modélisés. Les effets du changement climatique sont appréhendés à travers une surcote des niveaux marins : 60 cm à échéance 2100.

* 36 Ault (Somme), Hyères les Palmiers (Var), Lacanau (Gironde), La Teste-de-Buch (Gironde), Labenne (Landes), Petit-Bourg (Guadeloupe) et Vias (Hérault).

* 37 Ministère de l'écologie, « Développer la connaissance et l'observation du trait de côte, Contribution nationale pour une gestion intégrée », 2015

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