C. LA MONTAGNE, DES TERRITOIRES FRAGILES PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

Comme on l'a indiqué plus haut, la montagne subit un changement climatique accéléré, qui se traduit par des impacts sur la biodiversité, une transformation des paysages, l'intensification de certains risques naturels, mais aussi la fragilisation des activités étroitement liées à l'identité et à l'équilibre économique des territoires montagnards : le pastoralisme et le tourisme du ski.

1. Le changement climatique fragilise les activités pastorales

Les activités pastorales, qui sont au coeur des activités agricoles de montagne, seront impactées par les changements climatiques en cours.

En première analyse, l'effet du réchauffement climatique ne paraît pas négatif. La hausse des températures associée à la réduction de la période d'enneigement permettra en effet à la végétation de démarrer plus tôt dans la saison et de pousser plus tard en automne. Le premier effet du réchauffement est donc un allongement de la période de végétation, ce qui est en soi plutôt favorable à la production. Cependant, en lien direct avec la hausse des températures, l'évapotranspiration va également s'accroitre. Elle a déjà augmenté de 8 % à 13 % depuis trente ans dans les Alpes, ce qui s'est traduit par une baisse du bilan hydrique annuel de 15 % environ 38 ( * ) . Par suite, certains alpages qui jusqu'à présent n'étaient pas confrontés au problème de l'assèchement des sols vont être soumis à des périodes de sécheresse , tandis que ceux qui subissent déjà des périodes de sècheresse vont voir la fréquence des épisodes secs augmenter et leur durée s'allonger.

Une seconde difficulté pourrait se poser : l'augmentation des épisodes de gel après le démarrage de la végétation au printemps et à l'automne, susceptible de provoquer une baisse de la quantité et de la qualité de la ressource fourragère.

La combinaison de ces impacts du changement climatique sur la production fourragère va sans doute obliger les éleveurs à une gestion beaucoup plus dynamique du fourrage . Ils devront en récolter plus durant les périodes productives (printemps, automne) pour le redistribuer en été. Toutefois, si une telle politique ne pose pas de difficultés en plaine, elle est plus difficile à mettre en oeuvre en montagne. En raison de l'altitude, de la pente, des difficultés d'accès aux zones d'alpage, des conditions climatiques plus rudes et plus volatiles, les espaces montagnards sont en effet moins facilement mécanisables que les plaines. Il n'est donc pas certain que le stockage/déstockage du fourrage y soit possible partout.

Une alternative à cette dernière stratégie pourrait être d'allonger la période de présence des troupeaux dans les alpages pour profiter pleinement de la végétation de printemps et d'automne. Toutefois, cela suppose une modification sensible du fonctionnement des exploitations et des pratiques. Par exemple, avancer dans la saison la montée en alpage conduit à décaler les périodes d'agnelage pour éviter de monter des agneaux trop jeunes. Prolonger la présence des troupeaux en altitude en automne, c'est aussi les exposer à des coups de froid. Une telle adaptation implique donc de conduire les troupeaux en fonction des prévisions météorologiques et d'être en capacité de réagir rapidement en cas de prévisions défavorables.

Enfin, l'agriculture de montagne et le pastoralisme ne vont pas échapper non plus à la problématique des tensions sur les ressources en eau, même si ces tensions seront sans doute très différentes selon les situations locales. Les alpages alimentés par des névés importants ou présentant des zones humides qui stockent et restituent l'eau progressivement seront moins sensibles à ces tensions. Il est même possible que certains alpages alimentés par des glaciers voient les ressources en eau augmenter durant l'été. Dans certaines zones en revanche, face à la raréfaction de l'eau, l'installation d'équipements de collecte, de stockage et de distribution de l'eau sur l'alpage pourrait être la seule solution.

2. Le changement climatique menace le tourisme du ski
a) Enneigement : des prévisions inquiétantes

Comme on l'a indiqué plus haut, par-delà de très fortes variations interannuelles et intra-annuelles, on observe au cours des dernières décennies une baisse tendancielle de l'enneigement. Cette tendance va se poursuivre dans les décennies à venir sous l'effet du réchauffement climatique, ce dernier faisant remonter l'altitude de la limite pluie/neige 39 ( * ) . Il faut donc se demander dans quelle mesure et à partir de quand cela pourrait menacer la pérennité du tourisme du ski, au moins dans les stations de moyenne montagne. Ce ne sont pas là des questions qu'il est aisé de poser en toute sérénité tant le tourisme du ski joue un rôle important dans le développement économique des territoires de montagne 40 ( * ) .

On dispose toutefois désormais de quelques études de prospective climatique susceptibles d'éclairer la réflexion. Avec l'appui technique de Météo-France, Atout-France a publié une étude sur les perspectives climatiques des massifs à l'horizon 2030-2080 41 ( * ) . Elle montre qu'en 2030, à 1 500 mètres d'altitude, seuls quelques massifs (Jura, Vosges, Alpes du Nord et du centre) pourraient encore disposer d'une couverture neigeuse assez épaisse, pendant une durée suffisante, pour garantir la pérennité de l'offre touristique hivernale. Même à 1 800 mètres, les Alpes méridionales et les Pyrénées (hormis dans leur partie occidentale), ne seraient pas tout à fait certaines de disposer d'un manteau suffisant pour la pratique du ski.

Si l'on se projette encore plus loin, vers 2080, le manteau neigeux ne serait compatible avec un tourisme du ski qu'à partir de 2 100 mètres d'altitude et encore seulement dans les Alpes et seulement si on s'inscrit dans un scénario climatique optimiste. Dans le scénario climatique pessimiste, même dans les Alpes du Nord et même au-dessus de 2 400 m, le tourisme du ski deviendrait assez hypothétique.

b) Les voies de l'adaptation

Jusqu'à présent, malgré les effets déjà sensibles du réchauffement climatique sur l'enneigement, la fréquentation des stations de montagne n'a guère été impactée. Les stations ont en effet su mettre en oeuvre des solutions efficaces pour s'adapter : neige de culture 42 ( * ) , damage et travaux d'aménagement des pistes ont permis de réduire très fortement leur exposition à l'aléa climatique, à tel point qu'une publication récente de l'ANSM et de Domaine skiable concluait : « L'activité ski n'est pas menacée par les effets du changement climatique dans l'immédiat » 43 ( * ) .

Mais cette stratégie d'adaptation par la sécurisation de l'enneigement est-elle soutenable dans le moyen et le long terme ? On ne peut pas donner de réponse unique pour l'ensemble des territoires. Il n'y a guère de risque de disparition de l'activité du ski à horizon 2040-2050 dans les stations dont le domaine skiable se situe au-dessus de 1 800 mètres. Ailleurs, la réponse est plus complexe. Des investissement pour « sécuriser » l'enneigement devraient permettre de maintenir un enneigement suffisant vers 1 500-1 800 mètres dans les massifs les plus septentrionaux, voire à des latitudes et à des altitudes plus basses selon les circonstances locales. L'enneigement étant un phénomène très variable en fonction de critères comme l'exposition et la pente, il est en effet envisageable que des couloirs de neige puissent être maintenus ici ou là malgré un contexte climatique global défavorable. Il importe donc que chaque station réalise un diagnostic très précis de sa situation et de ses perspectives d'enneigement et qu'elle définisse sa stratégie sur cette base, avec l'appui des départements, des régions et de l'État.

Dans les zones de disparition de l'enneigement, les stations devront envisager des stratégies de reconversion . Dans les zones encore enneigées mais où la fréquence et l'intensité de la neige diminueront, des stratégies de diversification vers un tourisme « quatre saisons »pourront être mises en oeuvre. Dans tous les cas, ces stratégies de développement touristique ne pourront pas être mises en oeuvre sans un appui et un accompagnement par l'État et les régions.

Un exemple de diversification du tourisme de montagne : le Vercors

Le massif du Vercors , qui est un territoire de montagne compris entre 200 et 2 300 m d'altitude, s'est engagé dans une démarche de diversification pour s'adapter au changement climatique. On y observe en effet une baisse de 25 % de la hauteur de neige en 50 ans et une diminution du nombre de jours d'enneigement exploitables en hiver, ce qui a remis en question des activités touristiques locales concentrées sur la saison hivernale de mi-décembre à début avril dans des stations situées entre 1 200 et 2 000 mètres d'altitude.

La démarche de diversification du Vercors est intéressante à plus d'un titre :

- elle s'est appuyée sur la définition d'un projet partagé de territoire dans le cadre du projet de recherche ADAMONT 44 ( * ) . Celui-ci a permis de dresser un état des lieux global et transversal des impacts du changement climatique intégrant la forêt, l'agriculture, le tourisme estival et hivernal, l'eau, l'accessibilité et les risques naturels. Il a étroitement associé élus, socio-professionnels, experts et services techniques du Parc naturel dans des ateliers de travail, ce qui a contribué à les sensibiliser sur les impacts et les enjeux du changement climatique et de favoriser l'émergence d'une vision intégrée et partagée des contraintes et des opportunités du territoire ;

- elle s'est traduite par la mise en oeuvre d'une série d'actions concrètes : création de la marque « Inspiration Vercors » (qui renforce la notoriété estivale et l'offre hors neige) ; création d'itinéraires de déplacements doux comme la création de la première voie douce en montagne « la Via Vercors » ; développement d'une offre touristique « quatre saisons » ; création de circuits de découvertes et des savoir-faire (paysages, activités et produits locaux) ; requalification du coeur d'une station et démantèlement de 5 téléskis (avec remise en état environnementale...) ;

- elle s'est appuyée sur une démarche de solidarité envers un territoire fortement exposé au changement climatique. Le programme de diversification du tourisme du Vercors coûte près de 9 M€ sur dix ans, mais ce coût a été pris en charge à 80 % sur les crédits de la CIMA (Convention Interrégionale du Massif des Alpes).

Les premiers résultats apparaissent et restent à confirmer, car la diversification, même si elle est inéluctable, n'est pas une démarche simple. La Via Vercors en 2015, première voie verte en montagne, connaît un certain succès avec 22 000 passages en 2015. Le nombre de nuitées « hors neige » est désormais comparable à celui des nuitées « neige », mais le panier moyen « neige » reste encore beaucoup plus élevé que celui « hors neige ».


* 38 Christophe Chaix, Hermann Dodier, Baptiste Nettier « Comprendre le changement climatique en alpage », 2017

* 39 On peut appliquer la règle de 150 m de dénivelée pour 1°C pour un ordre de grandeur proche de la réalité.

* 40 En 2019, le tourisme en station représente plus de 120 000 emplois. L'activité touristique hivernale des stations génère plus de 9 Md€ de chiffre d'affaires. La France est, sur la base de la moyenne des cinq derniers hivers, la deuxième destination au monde la plus fréquentée correspondant à 50 à 60 millions de journées skieurs chaque année (source : ANMSM).

* 41 Panorama du tourisme de la montagne pour 2012-2013. Cette étude estime que le nombre de décades pendant lesquelles le manteau neigeux sera d'au moins 30 cm, au moins une année sur deux, devrait fortement reculer aux altitudes moyennes.

* 42 Le taux de couverture des pistes françaises en neige de culture atteint désormais 30 %, mais reste deux fois plus faible que les taux observés en Italie ou en Autriche.

* 43 Domaines skiables de France et Association nationale des maires de stations de montagne, « Changement climatique & Stations de montagne : Quelles conséquences ? Quelles actions ? », 2015

* 44 Impacts du changement climatique et adaptation en territoire de montagne

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