N° 563

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juin 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) par le groupe d'études « Forêt et filière bois » sur la situation et les perspectives de l' Office national des forêts ,

Par Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Robert Navarro, Mme Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

(2) Ce groupe d'études est composé de : Mme Anne-Catherine Loisier, présidente ; Mmes Élisabeth Doineau, Laurence Harribey, M. Olivier Jacquin, Mme Florence Lassarade, MM. Jacques Le Nay, Franck Menonville, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Stéphane Piednoir, Jackie Pierre , vice-présidents ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Martine Berthet, MM. Alain Bertrand, Yannick Botrel, Mme Marie-Christine Chauvin, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Marc Daunis, Mme Nathalie Delattre, MM. Alain Duran, Bernard Fournier, Jean-Marc Gabouty, Guillaume Gontard, Mme Nadine Grelet-Certenais, MM. Daniel Gremillet, Loïc Hervé, Jean-François Husson, Mmes Gisèle Jourda, Monique Lubin, MM. Philippe Nachbar, François Patriat, Mme Évelyne Perrot, M. Ladislas Poniatowski, Christophe Priou, René-Paul Savary, Michel Savin, Jean-Pierre Vial

SYNTHÈSE

Notre commission des affaires économiques suit avec attention la situation de l'Office National des Forêts (ONF) et entend régulièrement ses dirigeants. Elle a chargé votre rapporteure, qui préside le groupe d'études « Forêt filière-bois », de dresser, à travers les attentes et les critiques contradictoires, un constat objectif de la situation de l'Office et de formuler des propositions à court et moyen terme.

Une trentaine d'heures d'auditions ont permis de recueillir le point de vue d'une quarantaine d'intervenants de sensibilités diverses. La nécessité d'un « changement de modèle » a été affirmée par un grand nombre d'entre eux. Cependant, les opinions divergent assez largement sur le contenu et la finalité d'une telle évolution.

- Pour les uns, il s'agit avant tout d'alimenter en bois la filière de transformation et d'équilibrer les comptes de l'Office en diminuant le poids de ses charges, notamment salariales.

- Pour d'autres, la priorité doit être accordée à un modèle de gestion plus respectueux de l'environnement, permettant de valoriser la forêt en tant que puits de carbone et réservoir de biodiversité. Ils s'opposent à une logique productiviste et sollicitent une rémunération des "aménités" produites par la forêt, l'équivalent des prestations pour services environnementaux en agriculture.

Selon votre rapporteure, notre politique forestière n'a pas d'autre choix que de concilier ces deux logiques dans le cadre d'une approche multifonctionnelle, dores et déjà pratiquée sur de nombreux territoires, et qui valorise l'ensemble des fonctions productives, sociales et environnementales, en s'adaptant aux opportunités, aux espaces et aux usages locaux.

Plus de 300 rapports publiés ces trente dernières années sur la forêt et la filière bois témoignent cependant de la difficulté à formuler des suggestions opérationnelles et à les mettre en oeuvre dans le secteur forestier. La situation de l'ONF a eu pour effet, au cours des derniers mois, d'intensifier cette production de rapports : juste après la publication d'un document centré sur la situation sociale à l'ONF, le Gouvernement a confié à une mission composée de plusieurs membres des corps d'inspection une réflexion sur le devenir de l'Office. Au cours de l'audition de cette mission, rien ou presque n'a filtré de ses travaux en cours : le retard de publication de ses conclusions laisse supposer que le sujet est complexe et peu consensuel.

Pour tenter de sortir de cette « impasse » votre rapporteure s'est appuyée sur une démarche globale en prenant en compte toutes les dimensions économique, humaine, environnementale et surtout territoriale de la gestion de nos forêts. En effet, si « l'erreur vient toujours d'une exclusion », la profusion des analyses sur la forêt et sur l'ONF invite non pas tant à en ajouter une nouvelle qu'à relier les unes aux autres des réflexions trop souvent cloisonnées.

Les auditions ont d'abord permis de constater que contrairement aux idées reçues, l'ONF s'est restructuré au cours des 20 dernières années : il a fortement diminué ses effectifs tout en intensifiant ses efforts de production de bois et d'aménités.

Les publications pour la plupart centrées sur des analyses comptables de la situation de l'ONF, ont tendance à accoler une image de déficit sur la gestion des forêts publiques. Or celles-ci sont plus productives et mieux exploitées que les forêts privées puisqu'avec 25 % de la surface forestière hexagonale, elles produisent 40 % du bois.

Cependant, le modèle « le bois paye la gestion forestière » n'a pas fonctionné : bien au contraire, les tensions financières, sociales et territoriales se sont aggravées.

Le « changement de modèle » préconisé par le présent rapport a pour but d'adapter cet acteur majeur de la gestion forestière à l'évolution de notre démocratie territoriale, en élargissant sa cible et en améliorant ses méthodes.

Face aux tensions existantes, votre rapporteure souligne d'abord les deux priorités immédiates :

- préserver le principe du régime forestier qui permet de remplir une fonction essentielle d'alimentation en matière première de la filière bois et de ses 440 000 emplois, tout en valorisant les stratégies de territoires et le rôle de développeur des élus locaux ;

- poursuivre la rationalisation des dépenses en opérant des arbitrages qui garantissent une forte présence des agents de l'ONF sur le terrain ;

- et éviter impérativement de faire peser la résorption des déficits sur les communes forestières.

Il convient également d'envisager une stratégie de réforme globale comportant trois volets :

- redéfinir les missions assignées à l'ONF, d'une part, en clarifiant ses activités régaliennes ainsi que les moyens mis à sa disposition pour les remplir et, d'autre part, en distinguant ses activités concurrentielles, mobilisables, au cas par cas, en fonction des besoins des collectivités ;

- repositionner la gouvernance des forêts publiques au plus près des territoires, en valorisant le rôle d'aménageur et de développeur des élus locaux et en favorisant les dynamiques de territoire, en particulier les stratégies locales de développement forestier (SLDF) qui permettent de décliner les priorités du Programme National Forêt Bois 2016-2026 (PNFB) et des Programmes Régionaux de la Forêt et du Bois (PRFB) ;

- et rapprocher les propriétaires forestiers, publics et privés ; décloisonner la gestion forestière tout en raisonnant par massifs et par projets, permettra une plus grande efficacité en matière de production, d'investissements, de commercialisation et plus de résilience face aux aléas climatiques.

I. DES EFFORTS DE RESTRUCTURATION CONSIDÉRABLES

Les évolutions de la forêt se caractérisent, sauf événement exceptionnel, par la lenteur. De plus, comme en témoignent les travaux de l'Académie d'agriculture, la représentation de l'arbre a une forte connotation de résistance au changement. Ainsi s'expliquent sans doute certaines idées reçues sur l'ONF qui a connu des transformations plus profondes et rapides que la plupart des organismes publics.

Comme l'ont souligné ses représentants au cours des auditions, avec un nombre d'agents divisé par deux depuis 1980, l'Office a dû remplir de nouvelles missions environnementales et accroitre ses coupes de bois pour alimenter la filière de transformation : sa productivité a donc très fortement augmenté.

Malgré cette « révolution silencieuse », on constate, au cours des quarante dernières années, l'impasse du « modèle ONF » traditionnel qui consiste à essayer de couvrir les charges de gestion de l'Office principalement grâce aux recettes tirées des ventes de bois. Cette « équation » n'a pas fonctionné pour deux principales raisons :

- les compressions d'effectifs n'ont pas réduit la masse salariale en raison de facteurs exogènes comme les nouvelles charges de pension auxquelles s'ajoute l'effet de mesures catégorielles ;

- et l'augmentation des volumes de coupes n'a pas jugulé la chute des recettes en raison de la faiblesse des cours du bois

Les évolutions à long terme sont éclairantes : on constate qu'en 1973 et 1974, au plus fort du choc pétrolier, les ventes de bois ont atteint un niveau exceptionnel (470 millions d'euros actualisés) correspondant au double de la masse salariale des 20 000 agents de l'ONF à cette période.

Depuis les années 2000, les ventes de bois ne couvrent plus qu'environ la moitié de la masse salariale. Celle-ci s'est alignée sur le « pic » des ventes de bois et se maintient à ce niveau de 470 millions d'euros depuis 1980, malgré la baisse continue des effectifs. Pendant ce temps, la faiblesse des cours du bois a rapidement divisé par deux les recettes de l'ONF.

Les efforts bien réels de l'ONF pour augmenter ses recettes et diminuer ses charges :

- n'ont donc pas permis d'endiguer son déficit tout en le maintenant à un niveau jugé modeste par les entrepreneurs du secteur privé ;

- tout en générant des tensions sociales et territoriales croissantes.

La réduction des effectifs sur le terrain ainsi que l'intensification des coupes de bois ont, en effet, suscité des contestations de la part des personnels et des élus forestiers eux-mêmes confrontés à une réaction sociétale hostile à certaines coupes de bois jugées excessives et attentatoires à la préservation du patrimoine forestier.

Or le climat social qui règne dans un organisme ou une entreprise est un facteur essentiel d'efficacité. Plus encore, la forêt, ancrée dans les territoires, doit nécessairement faire l'objet d'un consensus avec les élus et la population.

A. DES TRANSFORMATIONS ET DES RÉUSSITES INCONTESTABLES

1. Une forêt publique de qualité, attractive et multifonctionnelle

Votre rapporteure place en tête de cette analyse une évolution majeure impulsée par l'ONF : l'adaptation de la forêt publique à la montée en puissance des impératifs de développement durable, conformément aux engagements internationaux de la France et aux demandes croissantes de services fournis par la forêt.

Le développement d'une forêt publique de qualité, attractive et multifonctionnelle, avec un rôle pionnier en matière de certification présente plusieurs avantages. D'une part, notre pays, qui bénéficie d'une économie touristique dynamique, a su préserver une forêt attractive et ne pas la transformer en une simple « plantation d'arbres », à la différence de certaines zones boisées des pays nordiques. D'autre part, pour les nouvelles générations, la biodiversité est un élément moteur d'implication dans les enjeux forestiers. Ceux-ci sont d'ailleurs complexes et mériteraient, comme l'ont suggéré les membres du groupe d'études sénatorial forêt filière-bois, une sensibilisation dès l'école primaire, dans une France où 30 % du territoire est boisé.

Ce positionnement amène une seconde recommandation : dans un contexte de pression sur la ressource, il est essentiel de préserver cette approche durable, multifonctionnelle et équilibrée. Votre rapporteure y voit une condition incontournable pour une exploitation de la forêt « acceptée » par les populations.

Une telle proposition implique la recherche de contreparties financières adéquates : il s'agit donc de « continuer la mobilisation » pour financer le puits de carbone et les aménités forestières. À ce titre, il convient de distinguer :

- la taxe carbone qui se ramène à une régulation par les prix et rencontre manifestement, aujourd'hui, un certain nombre de limites ;

- et les quotas carbone qui régulent les quantités d'émissions. La forêt peut sans doute bénéficier du développement de nouveaux mécanismes incitatifs relevant de cette logique.

2. Un rôle essentiel : alimenter en matière première la filière bois qui compte 440 000 emplois

Le bois est le matériau du XXIe siècle : renouvelable, puits de carbone, il est une des clefs de la lutte contre le changement climatique. Le bois est déjà la première source d'énergie renouvelable en France mais il convient d'en développer l'utilisation, tout particulièrement dans la construction. Dans ce schéma, l'ONF est un acteur-clé de la transition écologique et énergétique de notre pays.

a) Rappel juridique : l'ONF ne détient pas de monopole général au titre de la commercialisation des bois

Les articles L. 213-6 et L. 214-6 du code forestier chargent l'ONF de commercialiser les bois provenant des forêts relevant du régime forestier. Tout professionnel est libre de s'approvisionner auprès de l'ONF ou des propriétaires forestiers privés qui vendent leurs bois eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'experts forestiers, courtiers, négociants et coopératives forestières. Juridiquement, l'ONF exerce donc un droit exclusif limité à la seule vente des bois des forêts relevant du régime forestier.

De plus, il a été jugé que ce droit exclusif de l'ONF, et plus globalement son intervention au titre du régime forestier, ne porte pas atteinte au droit de propriété ou de libre administration des collectivités propriétaires (C.E. 1 er février 2012 Commune des Angles n° 353945).

b) Les ventes de bois des forêts relevant du régime forestier : un rôle fondamental de structuration de la filière

Économiquement, la production de bois issue des forêts domaniales et communales représente 35 % du volume total vendu chaque année en France, et 40 % du bois d'oeuvre alors que les forêts publiques (4,7 millions d'hectares) représentent 25 % de la forêt française métropolitaine. Par essences, la forêt publique a fourni, en 2017, 50 % du chêne commercialisé, 80 % du hêtre et 35 % du sapin-épicéa.

Les progrès de la commercialisation du bois

Les représentants de l'ONF ont rappelé que, dans les années 1990, notre filière bois a été confrontée à la nouvelle donne du commerce international issue de l'effondrement du régime soviétique, de l'extension de l'Union européenne à 28 pays membres et de la mondialisation des échanges.

Afin de garantir la régularité de l'approvisionnement et son adaptation aux besoins des entreprises françaises, l'ONF a été transformée en un outil juridique performant de commercialisation des bois susceptible de contribuer efficacement au développement de la filière bois aval, ce qui a impliqué une modification du régime forestier.

Avant 2005, le recours aux ventes publiques par l'ONF ne facilitait pas assez la visibilité sur la matière première disponible pour les entreprises de première transformation. Ayant besoin de disposer d'un stock de bois important, celles-ci ont dû consacrer des moyens humains et financiers importants à leur approvisionnement au détriment des investissements en outil de production ou sur la filière aval.

En 2005, pour lever ce frein au développement industriel, l'État a fait évoluer le régime forestier. Initialement axé sur le seul rôle légal et sylvicole de vendeur de coupes, l'ONF a amélioré sa performance en commercialisation de bois pour soutenir le développement de la filière aval. Ainsi, le développement des ventes de gré à gré avec la possibilité de conclure des contrats d'approvisionnement pluriannuels, la possibilité de constituer des lots avec des bois provenant de plusieurs propriétés forestières différentes, la massification d'une offre associant les bois domaniaux et ceux des collectivités, et la possibilité d'exploitations groupées sont autant de dispositifs qui permettent aujourd'hui à l'ONF de répondre à cet enjeu stratégique majeur pour la filière bois française.

L'Autorité de la concurrence s'est officiellement positionnée sur le rôle structurant de ces évolutions : « Dans leur principe même, les contrats d'approvisionnement, qu'ils soient pluriannuels ou infra annuels, sont destinés à assurer la fourniture planifiée d'une ressource déterminée, stable et pérenne sur la durée du contrat au profit des transformateurs et des industriels de la filière bois. Ils ont donc un effet stabilisateur du marché, permettant de garantir les volumes livrés et d'éviter ou d'atténuer des fluctuations de prix, tant au profit des vendeurs que des acheteurs. L'Autorité de la concurrence ne peut qu'appeler de ses voeux un développement suffisant de la contractualisation, particulièrement utile pour établir des conditions convenables sur le marché en cas de déséquilibre des forces entre les acteurs de l'offre et de la demande » (Avis du 29 septembre 2009).

c) Une garantie de soutien des communes en cas de catastrophe climatique, et de transparence face au risque d'éparpillement des modalités de commercialisation

L'intervention de l'ONF opérateur unique, permet d'éviter que 11 000 collectivités n'inventent chacune leurs propres conditions de vente. Les textes actuels - règlement des ventes, conditions générales des ventes de gré à gré, cahier des clauses générales des ventes, règlement national d'exploitation forestière -constituent pour les entreprises de la filière bois une garantie d ' égalité de traitement puisque toutes les ventes issues de l'exploitation des forêts publiques s'effectuent aux mêmes conditions commerciales, techniques et financières fixées par l'ONF, vendeur exclusif.

En cas de catastrophe climatique , comme les ouragans de 1999, 2009 et 2010, l'ONF est un outil aux mains des pouvoirs publics pour assister les collectivités dans la gestion de crise. Dégager les bois renversés et brisés, trier ces bois, les stocker et les commercialiser en aidant à la mobilisation de la filière aval sont autant d'interventions essentielles pour « sauver » ce qui peut l'être des productions forestières frappées.

L'existence d'un opérateur unique permet d'amortir l'effet des crises, en mutualisant les aires de stockage et en faisant jouer la péréquation.

À la demande des élus des communes, forestières, de nombreux efforts ont été réalisé ces dernières années pour améliorer la transparence des ventes .

L'ensemble du mécanisme repose sur le principe du mandat légal fixé par le régime forestier qui donne l'exclusivité à l'ONF de la vente des bois issus des forêts communales.

Précisions sur les modes de commercialisation de droit commun.

L'approvisionnement de la filière bois française depuis la propriété jusqu'au transformateur s'effectue soit par des intermédiaires achetant les bois sur pied aux propriétaires (coopératives, exploitants, négociants) soit par des mandataires (ONF, experts...).

Les coopératives forestières , contrairement à l'ONF, achètent le bois aux propriétaires, soit « sur pied » ou plus rarement « bord de route ». Au propriétaire adhérent, la coopérative présente une offre de prix sur pied pour chaque produit de la coupe, avec un montant minimum garanti qui est réajusté a posteriori sur le résultat net réel du chantier. Dans le cas de propriétaire non adhérent, le prix proposé est un prix ferme et définitif.

Le prix d'achat proposé aux propriétaires correspond au prix de vente attendu diminué des charges d'exploitation et de transport, de la marge opérationnelle de la coopérative et d'une provision supplémentaire en cas d'aléas sur le chantier. Au final, le taux de marge brute attendu est fixé entre 15 et 20 % du prix de vente des bois. Le propriétaire est ensuite rémunéré sur la base des produits réellement vendus dans un délai de deux mois suivant la vente des produits, auquel vient s'ajouter le délai légal de paiement de 45 jours. En moyenne, un propriétaire est payé 105 jours après la vente des bois par la coopérative.

(Source : ONF)

La commercialisation des bois par l'ONF

En cas de contractualisation pour vente groupée, l'ONF reverse au propriétaire le prix de vente total des bois diminué de 1 % de frais pour vente groupée puis facture ses différentes prestations :

- les prestations d'assistance technique à donneur d'ordre sont toujours facturées après la vente des bois ;

- et les prestations liées à l'application du régime forestier sont facturées l'année suivante lors de la facturation des frais de garderie - en moyenne un an après la vente des bois.

Toutes les opérations sont réalisées à prix coutant et ne laissent aucune marge en cas d'aléas à l'ONF.

De nombreux élus se plaignent toutefois de la part croissante de ces prélèvements et des sommes qui leurs reviennent au final : parfois moins de 50 % du prix de vente.

Depuis la mise en place des commissions de ventes, à la demande des communes forestières, l'Office informe régulièrement les collectivités et leurs représentants régionaux et nationaux de la politique commerciale de l'ONF :

- les comités des ventes nationaux et régionaux permettent de définir les stratégies commerciales et de présenter les projets de contrats d'approvisionnement en précisant les quantités, les prix de vente ainsi que les clients ;

- chaque maire est informé de la destination de ses bois, du nom du client et du prix exact négocié entre l'ONF et le client.

Selon l'ONF, cette transparence ne se retrouve pas dans les pratiques des opérateurs privés.

L'ONF précise, par exemple, que les coopératives, dans leur processus de commercialisation, ne partagent pas d'informations avec le propriétaire des bois ni leurs représentants. Le client final, les prix de vente réels, les qualités des bois exploités, le taux de marge réalisé et les coûts de production ne sont pas communiqués.

En revanche, la rémunération de l'ONF pour la mise en oeuvre du régime forestier est fixée par la loi. La gouvernance mise en place avec les représentants des collectivités permet d'homogénéiser les prix des prestations annexes réalisées par l'ONF dans la chaine de commercialisation de bois, ce qui garantit un traitement équitable entre chaque propriétaire.

d) Contr airement à la logique habituelle du marché, la massification de l'offre de bois permet de vendre à des prix plus élevés

Outre l'approvisionnement régulier de la filière et l'équité de traitement entre les différents clients, l'ONF indique que son droit exclusif sur la commercialisation des bois provenant des forêts publiques apporte un avantage à leurs propriétaires dans la relation commerciale avec les acheteurs, tant pour les ventes avec mise en concurrence que celles réalisées sur la base d'un contrat d'approvisionnement.

Avec 35 % du volume total de bois vendu chaque année, l'ONF est le premier approvisionneur de la filière bois française , ce qui donne à la forêt publique et à ses représentants un poids important dans toutes les orientations stratégiques de la filière. De nombreux porteurs de projets recherchent ainsi le visa de l'ONF pour valoriser auprès de l'État et des financeurs leur démarche de développement d'entreprises (usines de bois buches, granulés, chaufferies bois, scierie...) vis-à-vis de l'État et des financeurs.

Contrairement à d'autres marchés où l'augmentation des quantités bénéficie au client qui peut baisser son offre de prix, le marché du bois se comporte de façon totalement inversé : plus un fournisseur peut proposer des quantités importantes, plus les prix obtenus sont élevés. La massification de l'offre provenant des forêts publiques est ainsi un atout majeur permettant à leurs propriétaires d'obtenir les meilleurs prix, en vente par mise en concurrence ou lors de la négociation de contrats d'approvisionnement. La mise en place de stratégies uniques par vente ou par produit permet d'influencer les comportements des acheteurs et de tirer le marché vers le haut. Cette possibilité s'effondrerait immédiatement si chaque propriétaire pouvait définir sa propre stratégie de vente, les clients ayant l'opportunité de mettre en concurrence chaque propriétaire pour s'approvisionner au meilleur prix.

Selon l'ONF, il est difficile de comparer les prix de vente de bois entre les différents gestionnaires. L'hétérogénéité des essences, des produits et des modes de commercialisation nécessiteraient une analyse statistique approfondie à partir des données brutes fournies par chaque gestionnaire. À ce jour, aucune étude de cette ampleur n'a été réalisée. France Bois Forêt, via l'observatoire du prix du bois publié sur internet, ne met à disposition que des données retravaillées par chaque fournisseur sans préciser les éléments permettant de réaliser des comparaisons. Sur l'ensemble du territoire, les ventes avec mise en concurrence organisées par l'ONF servent de références pour l'ensemble de la filière.

Les informations de terrain recueillies dans les différentes régions montrent que les prix obtenus par l'ONF en vente avec mise en concurrence ou en contrats d'approvisionnement sont à minima équivalents et souvent supérieurs à ceux pratiqués par les autres fournisseurs.

Les nouvelles modalités de commercialisation du bois par l'ONF, la contractualisation avec les transformateurs et le développement du bois façonné sont critiquées par certains négociants, dépossédés d'une partie de leur activité.

Jusque dans les années 2000, le rôle de l'ONF en termes de commercialisation des bois se limitait à mettre en vente des coupes entières sur pied. Cette politique a permis le développement d'intermédiaires entre les propriétaires et les transformateurs, ces négociants se chargeant d'acheter les bois sur pied, les exploiter, trier les différents produits et les livrer aux usines consommatrices. Ces intermédiaires captent une part significative de la chaîne de valeur et adoptent des stratégies opportunistes à l'exportation plutôt que d'approvisionner des unités de première transformation dans nos territoires.

Depuis le début des années 2000, l'ONF et les collectivités se sont engagés dans une politique de développement du bois façonné et des contrats d'approvisionnement. Cette stratégie a permis de trier les coupes hétérogènes en essence et en qualité et commercialiser chaque produit aux transformateurs concernés.

Les exploitants négociants, dépossédés de cette activité de négoce en forêts publiques, se sont réorientés vers la forêt privée avec certaines difficultés (moindre visibilité de l'offre, dispersion et faible surface des parcelles...).

Ce processus de commercialisation totalement maîtrisé par l'ONF bénéficie-t-il réellement aux finances communales ? Certains élus en doutent au vu recettes finales qu'ils perçoivent.

C'est pourquoi votre rapporteure préconise de continuer à perfectionner la « remontée » des données qui concernent les forêts communales et la vente de leurs bois. Le sujet est plus complexe qu'il n'y parait car il faut tenir compte des droits de l'organisme ayant traité et mis en forme les données brutes.

Pour que les communes et l'ONF puissent faire des choix avisés, le partage des données relatives aux ventes doit être parfaitement transparent.

Ces constats amènent à une préconisation essentielle : le maintien du régime forestier qui permet à l'ONF de coordonner la gestion des 1 300 forêts domaniales et des 11 000 forêts des collectivités et d'assurer ainsi des volumes de coupes répondant aux besoins d'approvisionnement des entreprises de transformation.

L'abandon du régime forestier, et donc de la coordination en matière de gestion des massifs, aurait inévitablement des conséquences néfastes sur la commercialisation des bois et donc sur la capacité à approvisionner les entreprises de la filière.

Il est ici utile de rappeler l'origine historique du régime forestier, qui procède d'une réalité concrète. Les forêts communales, dans leur très grande majorité, proviennent des mêmes massifs forestiers que les forêts domaniales. En 1791, le législateur avait approuvé la partition et la redistribution de parcelles au profit des communautés villageoises en la conditionnant au maintien d'une gestion par massif globale et cohérente , sous la responsabilité de l'administration des Eaux et Forêts.

Votre rapporteure suggère donc non seulement de lutter contre la tentation de l'éparpillement en forêt publique mais aussi, comme le détaille la deuxième partie de ce rapport , de favoriser, par massif, les démarches de rapprochement avec la forêt privée.

3. Une gestion forestière active qui favorise la production de matériau bois, d'énergie renouvelable, stocke le carbone et préserve la biodiversité
a) Le bois, première source d'énergie renouvelable

L'ONF, par sa gestion forestière active a permis le développement du secteur bois énergie, fondamental dans la stratégie du « mix énergétique » de la France.

Le bois est aujourd'hui en France la première source d'énergie renouvelable (47 %), loin devant l'hydraulique (20,5 %) ou l'éolien (8 %) et son usage s'accroit. Le bois consommé pour l'énergie devance tous les autres usages du bois, y compris le bois dans la construction. Le chauffage domestique consomme 73 % du bois utilisé pour l'énergie, les 27 % restant allant aux chauffages tertiaire, collectif ou industriel.

Rappels sur la progression des énergies renouvelables

L'Union européenne a décidé, dans son nouveau Paquet Énergie-Climat 2030, d'atteindre 27 % d'énergies renouvelables dans son bouquet énergétique. La France a, quant à elle, inscrit dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte l'objectif de porter la part des énergies renouvelables dans sa consommation brute à 32 % en 2030.

Les énergies renouvelables représentent 10,9 % de la consommation d'énergie primaire (potentielle) et 16 % de la consommation finale brute d'énergie (consommée et facturée) en France en 2016. Ces parts sont en progression régulière depuis une dizaine d'années (+ 63 % depuis 2005) en raison de l'essor des biocarburants, des pompes à chaleur et de la filière éolienne.

La part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de la France métropolitaine est passée de 5,9 % en 2006 à 10,9 % en 2016. Les énergies renouvelables constituent ainsi la quatrième source d'énergie primaire en 2016, derrière le nucléaire (41,2 %), les produits pétroliers (28,3 %) et le gaz (15,5 %).

En France, en 2015, les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (en équivalent CO2) sont les transports (29 %), les logements, bureaux et locaux commerciaux (16,5 %, dont environ 60 % pour le résidentiel), l'agriculture (17,1 %), l'industrie manufacturière et la construction (11 %). En raison de l'importance de la production électrique nucléaire, l'industrie de l'énergie ne représente en France que 11 % des émissions en France contre 33 % en moyenne en Europe.

Les chiffres publiés par le Commissariat général au développement durable montrent que la part du bois-énergie est plus de deux fois supérieure à celle de l'hydraulique, quatre fois plus élevée que les biocarburants et six fois plus que l'éolien.

b) Le stockage du carbone en forêt et dans les produits en bois

Le programme national de la forêt et du bois (2016-2026) rappelle que la filière forêt-bois permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2 :

- d'une part, grâce au stockage de carbone en forêt (sols et biomasse aérienne) ainsi que dans les produits bois ;

- et, d'autre part, grâce à la substitution d'énergies fossiles.

Rappelons qu'au niveau mondial, selon la FAO les forêts couvrent 4 milliards d'hectares, soit 31 % des surfaces terrestres du globe - ce qui place la France dans la moyenne - et alimentent un secteur industriel qui emploie au total 13 millions de personnes avec un secteur informel estimé à 40 millions d'emplois. 1,2 à 1,4 milliard de personnes dépendent des forêts pour leurs besoins en nourriture, fourrage, combustible.

Les forêts occupent une place importante dans les discussions sur le changement climatique global avec des arguments contradictoires. D'un côté, les déforestations tropicales sont responsables d'une fraction significative des émissions de gaz à effet de serre. De l'autre, le potentiel forestier de séquestration de CO2 contribue à l'atténuation du changement climatique mais pourrait se réduire à l'avenir car le climat menace aussi l'intégrité des forêts. En outre, une exploitation accrue du bois permet d'éviter des émissions de gaz à effet de serre en substituant une ressource renouvelable à des matériaux et énergies consommant du carbone fossile.

Une des principales certitudes est que le stockage de carbone est optimal pour les arbres en croissance. Il est donc écologiquement bénéfique de réduire la longueur des « cycles forestiers » qui atteignent jusqu'à 200 ans en Europe. Cela implique une gestion et une exploitation dynamique mais raisonnée pour ne pas épuiser les sols et :

- d'améliorer la capacité des industries à absorber les bois qui arrivent à maturité;

- et de convaincre nos concitoyens du bien-fondé des coupes.

c) La France, seul pays d'Europe épargné par des incendies de forêt de grande ampleur au cours des années récentes

À la différence de ses voisins européens, la France n'a pas connu d'incendie de forêt de grande ampleur ces dernières années - alors que même la Suède a été frappée.

Votre rapporteure souligne ici que la diversité des peuplements forestiers est un atout majeur dans la prévention contre les incendies : la forêt française abrite entre 120 et 160 essences, soit près du triple de la forêt suédoise qui est à 85 % résineuse.

De nombreux alertent sur l'importance de la gestion forestière en matière de prévention des risques. Depuis 1950, la forêt hexagonale a augmenté de 50 % et couvre le tiers de l'hexagone. Cette forêt, si elle n'était pas gérée durablement et exploitée régulièrement serait plus vulnérable aux incendies.

En effet, les réalisations de dessertes au sein des massifs forestiers, les travaux de débroussaillage, les élagages et les cloisonnements sont autant de barrières naturelles à la propagation des incendies. Cette observation vient renforcer la pertinence d'une gestion mutualisée publique/privée par massif.

L'ONF, en dépit de ses transformations internes et de l'amélioration de sa capacité à approvisionner la filière de transformation reste structurellement déficitaire.

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