B. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE SOUS TENSION

1. Les sévères compressions d'effectifs n'ont pas suffi à maîtriser une masse salariale gonflée par des facteurs exogènes

Aujourd'hui (exercice 2018), l'ONF fonctionne avec environ 8 500 personnes et une masse salariale avoisinant 480 millions d'euros ; s'y ajoutent 600 emplois aidés dont le coût se limite à 10 millions d'euros.

Le tableau (ci-dessous) détaille ces chiffres, d'où il ressort :

- une proportion d'agents de droit privé de 40 % en 2018, contre 36 % en 2015 ;

- et le poids important des cotisations patronales acquittées pour la retraite des fonctionnaires de l'Office.

Exercice 2018
Emplois (évolution par rapport à 2017)

Masse salariale en millions d'euros
(évolution par rapport à 2017)

8 441 emplois à temps plein (effectif sous plafond
en diminution de 285 par rapport à 2017) dont :

4 994 fonctionnaires (- 155) ........................................

Cotisations retraite fonctionnaires ...................................

143 agents non titulaires (- 87) ................................

743 salariés (+ 110) ................................................

2 560 ouvriers forestiers de droit privé (-144) ..................

476 (- 2,2) au total, dont :


212 (+ 2,2)

101 (dont 55,7 alloués au CAS pension)

8,5 (- 3,6)

37,8 (+ 6,4)

101 (- 5,2)

596 emplois aidés constitués principalement d'apprentis.

10

Subventions action sociale, comités d'entreprise, titres restaurant....

5,6

(Source exécution du budget de l'ONF 2018)

Nos collègues de la commission des finances, sur la base d'une enquête de la Cour des comptes 1 ( * ) , avaient constaté en 2009 que, sur la période 1999-2008, les effectifs de l'ONF ont été réduits de 17 % tandis que la masse salariale a augmenté de 15 %. Ils faisaient observer que le passage de 12 000 à 10 000 agents en dix ans constitue une « évolution marquée que l'on trouve rarement chez un opérateur de l'État et qui témoigne des efforts de l'ONF ».

Les investigations conduites pour le présent rapport montrent que la résistance à la baisse de la masse salariale à la charge de l'ONF est un phénomène de très long terme : celle-ci se maintient à plus de 470 millions d'euros depuis les années 1980 alors que les effectifs ont été divisés par plus de deux, passant de 17 500 en 1980 à 8 500 aujourd'hui (sans comptabiliser les 593 contrats aidés qui ont un coût salarial limité à 10 millions d'euros).

Deux principales raisons expliquent un tel paradoxe.

Tout d'abord, la Cour des comptes a souligné, au-delà de l'augmentation du point d'indice, l'effet durable des « mesures catégorielles massives décidées en 2001 », « en accord avec les tutelles ». Il s'agit d'améliorations statutaires conçues comme une contrepartie à l'évolution négative des effectifs.

Ensuite, l'alimentation du compte d'affectation spéciale dit CAS « Pensions » a créé un véritable « choc » des retraites pour la masse salariale de l'ONF. Comme l'ont souligné ses représentants au cours des auditions, plus de la moitié des charges de pension (56 millions d'euros) correspondent à une contribution au CAS pensions qui n'est plus du tout compensée par l'État depuis 2016.

Arithmétiquement, sans ce doublement, la masse salariale serait réduite de plus du dixième et l'ONF dégagerait un résultat excédentaire. Depuis 2006, le surcoût net du CAS « Pensions » atteint plus de 240 millions d'euros, soit presque les deux tiers de l'endettement de l'Office.

Rappel sur la « mécanique » du CAS « Pensions »

Par souci de clarification, l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a créé un compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » qui centralise et retrace toutes les dépenses et les recettes des régimes de retraite et d'invalidité dont l'État a la charge.

Il permet d'appréhender l'équilibre global d'un mécanisme proche de celui d'une caisse de retraite, avec 58 milliards de dépenses et des recettes financées par des retenues - ou cotisations salariales - à hauteur de 10,3 % de la rémunération ainsi que par des contributions employeur avoisinant 75 %.

Pour permettre d'équilibrer ce compte d'affectation spéciale, les employeurs d'agents fonctionnaires (ministères et opérateurs de l'État) ont vu leur contribution augmenter très rapidement. Le taux de cotisation patronale imposé aux établissements publics a été porté de 33 % des traitements versés à 39,5 % du traitement brut en 2007, puis à 50 % en 2008 et à 75 % aujourd'hui.

On peut faire observer que le rapport remis en 2010 2 ( * ) au Président de la République par M. Hervé Gaymard, alors président de l'ONF, invite les plus hautes autorités de l'État à remédier à ce facteur de déséquilibre pour permettre à l'Office « d'oeuvrer dans un contexte loyal » : « la décision la plus importante que vous devrez prendre est d'appliquer à l'ONF un taux de cotisation dérogatoire au titre des pensions civiles des fonctionnaires en application du principe d'équité concurrentielle ». Le même rapport préconise également de « procéder à la capitalisation de l'ONF à hauteur de 300 millions d'euros » .

Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire du CAS « Pensions » pour 2017, la Cour des comptes indique que le taux de contribution employeur appliqué à Orange S.A. est de 52,75 % et de 34,8 % pour La Poste, contre 75 % pour l'ONF.

2. Des recettes qui stagnent en dépit d'une exploitation plus intensive de la forêt publique
a) Les volumes de coupe augmentent mais les cours du bois diminuent

Pour fixer les ordres de grandeur, le chiffre d'affaires bois annuel des forêts publiques représente 500 millions d'euros, dont environ la moitié en forêt domaniale. Les 150 000 m 3 de chêne à merrain destinés à la tonnellerie, situés dans la forêt de l'État, sont particulièrement rentables car ils alimentent une filière mondiale de luxe.

L'ONF, qui inscrit dans son compte de résultat les recettes de vente de bois issus des forêts domaniales, subit, malgré tous ses efforts, la baisse des cours du bois et leur maintien à un niveau faible : en 50 ans, la récolte de bois dans les forêts domaniales a augmenté de 35 % mais la recette correspondant à cette récolte a baissé de 30 %.

Période

Récolte annuelle moyenne

(Millions de m 3 /an)

Recette annuelle moyenne actualisée

(Millions d'€ 2017/an)

Prix moyen du mètre cube (€ 2017)

1968-1977

4,4

347

78,8

1978-1987

4,6

352

77,4

1988-1997

6,0

307

51,3

1998-2007

6,9

244

35,7

2008-2017

6,0

243

40,6

Source : documents Conseil d'Administration de l'ONF - Indices INSEE - diffusé par l'Intersyndicale des personnels de l'Office National des Forêts dans sa lettre aux maires d'avril 2019

Il convient également de rappeler que l'ONF vend ses grumes de chênes sous condition d'une transformation à l'intérieur de l'Union européenne (« label Transformation UE »). Ce dispositif se justifie par la nécessité absolue de créer de la valeur ajoutée et des emplois en France ainsi que chez nos voisins européens. Une telle conditionnalité s'accompagne, pour l'ONF, d'une possibilité de manque à gagner sur ses ventes puisque, par exemple, certains acheteurs asiatiques proposent des prix de 15 à 20 %plus élevés que celui du marché intérieur. La rentabilité « à tout prix » n'est donc pas le seul objectif de l'ONF qui fait ainsi prévaloir, à la demande de l'État, l'intérêt du secteur de la transformation qui apportent une valeur ajoutée représentant 10 à 15 fois le prix de la matière première.

b) Les tentatives de diversification et la réflexion sur l'abandon des activités concurrentielles déficitaires

Pour réaliser et soutenir des projets innovants, l'Office a créé ONF International en 1997 et ONF Énergie en 2006, puis l'Office a structuré en 2008 sa politique de groupe avec la création de la société holding ONF Participations, dotée d'un capital de 15 millions d'euros. Le chiffre d'affaires cumulé des filiales détenues majoritairement par ONF Participations représente au total 40 millions d'euros en 2016.

La Cour des comptes critique sévèrement depuis plusieurs années des « filiales qui ne sont pas au coeur du métier de l'ONF, qui mobilisent du capital et dont l'activité ne rapporte rien à l'ONF ». Elle a préconisé de « les céder au plus tôt » 3 ( * ) .

Les auditions conduisent à nuancer cette recommandation assez brutale. En premier lieu, les filiales créées par l'ONF ont eu, au départ, pour objectif de valoriser ses savoir-faire et ses produits, tout en innovant. Ensuite, les capitaux engagés sont d'un montant faible et des cessions précipitées risqueraient de se traduire par un manque à gagner pour l'ONF.

Il paraît souhaitable de conserver les filiales à l'international qui constituent des outils de « diplomatie forestière », avec une expertise qui rayonne dans de nombreuses institutions internationales et comporte des gisements de progrès, en particulier dans le domaine du changement climatique.

En revanche, dans le secteur de l'énergie, l'ONF a initialement cherché à valoriser ses produits ligneux de faible valeur ajoutée et à structurer de nouvelles filières au profit des producteurs forestiers. Aujourd'hui, ce rôle propulsif ayant réussi, la maturité de la filière bois énergie en dehors de l'ONF pourrait justifier la cession des filiales de ce secteur.


* 1 L'ONF à la croisée des chemins - Rapport d'information n° 54 (2009-2010) de M. Joël Bourdin, fait au nom de la commission des finances sur l'enquête de la Cour des comptes sur l'Office national des forêts (ONF).

* 2 « L'Office national des forêts, outil d'une volonté » - rapport remis en septembre 2010 au Président de la République par M. Hervé Gaymard, président de l'ONF.

* 3 Rapport particulier de la Cour des comptes sur l'ONF - exercices 2009 à 2012 - publié en juin 2014.

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