LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. La confirmation de l'existence d'une demande croissante sur le marché mondial de l'ingénierie culturelle

La première interrogation qui découlait de la demande d'enquête formulée à la Cour des comptes par la commission des finances consistait à déterminer s'il existe véritablement une demande internationale qui justifie une attention particulière portée sur la politique de développement des activités de valorisation du patrimoine culturel à l'étranger pour les musées nationaux. La réponse apportée par l'enquête confirme le sentiment qui était celui des rapporteurs à la suite du travail mené sur l'Agence France-Muséums : il existe bien un véritable marché muséal mondial . Sophie Moati rappelait ainsi à la commission des finances que les travaux menés par la Cour des comptes avaient démontré que : « le marché de l'ingénierie culturelle, qui s'est cristallisé au début des années 2000, est concurrentiel et en évolution. Les musées français doivent donc développer une stratégie entrepreneuriale adaptée pour répondre à une demande renouvelée, publique et privée, émanant notamment des pays émergents . »

L'enquête de la Cour des comptes identifie trois grandes zones correspondant aux pays émergents qui constituent l'origine de la majorité des demandes d'ingénierie culturelle : le Moyen-Orient, l'Asie et l'Afrique. Néanmoins, cette identification reste insuffisante pour permettre de mesurer l'adéquation de l'offre des musées français à la demande internationale : « il nous est difficile de savoir si ces musées maximisent la part qu'ils prennent sur ce marché du fait de l'absence d'évaluation précise et partagée de la demande correspondante. Une cartographie mondiale de cette demande devrait être réalisée. Il est pourtant indéniable que cette demande est réelle. » 1 ( * ) Il paraît donc nécessaire d' établir une cartographie détaillée de cette demande , c'est le sens de la première recommandation formulée par les auteurs de l'enquête et à laquelle vos rapporteurs spéciaux souscrivent pleinement . Interrogée sur la méthode à laquelle le ministère des affaires étrangères a recours pour parvenir à réaliser cet état des lieux précis de la demande internationale, Laurence Auer indiquait à la commission des finances que : « nous disposons d'un réseau culturel international impressionnant : 162 ambassades ont un conseiller culturel qui mène des activités de valorisation et va à la recherche de projets. L'Institut français est également incontournable. L'Allemagne a créé à Berlin une Agence de coopération internationale des musées, avec un budget de 8 millions d'euros, mais elle ne dispose pas de représentation culturelle dans ses postes diplomatiques. »

Il convient néanmoins de bien distinguer , au sein de l'activité internationale des institutions muséales françaises, en réponse à la demande internationale, ce qui relève de l'activité valorisable et ce qui , dans la lignée d'une tradition bien établie, s'inscrit dans le cadre de la coopération internationale avec des partenaires africains ou asiatiques notamment. C'est la raison pour laquelle Philippe Barbat précise : « Un marché existe, mais il reste relativement atypique. En effet, il existe une tradition de coopération internationale sans valorisation économique. De nombreuses organisations internationales non lucratives jouent depuis longtemps un rôle de rouage non marchand entre acteurs . »

2. La diversification du champ des activités internationales des musées peut encore être renforcée

L'enquête de la Cour des comptes montre l'évolution des modes d'intervention des musées nationaux en réponse à la demande internationale d'ingénierie culturelle. Les activités traditionnelles des établissements français correspondent en la matière à des prêts d'oeuvres à titre gracieux, qui reposent sur le principe de réciprocité. Avec le développement des expositions temporaires dans les années 1990, la coproduction d'expositions entre musées de nationalités différentes a permis de mutualiser certains coûts. Il s'agit donc désormais d'une activité récurrente des musées qui disposent de collections ouvertes, tandis que les musées monographiques n'en réalisent que très peu.

Désormais, les musées proposent la vente d'expositions clés en mains, qui constitue une source de développement de leurs ressources propres. Ces expositions rémunérées peuvent correspondre à des reprises à l'étranger d'expositions temporaires déjà présentées dans le musée, il s'agit alors d'itinérance. L'organisation d'expositions sur mesure à l'étranger peut être envisagée et découle généralement de la notoriété des établissements et de la reconnaissance du savoir-faire de leurs équipes, avec une négociation des conditions de vente au cas par cas.

Vos rapporteurs spéciaux soulignent l'imprévisibilité de l'organisation des expositions internationales , dont le nombre peut varier d'une année à l'autre et souscrivent à l'analyse de la Cour des comptes qui estime dans son enquête que ces expositions constituent donc une ressource additionnelle des musées français , davantage qu'un substitut à la subvention pour charge de service public que ces opérateurs reçoivent chaque année.

À côté de ces activités récurrentes et désormais habituelles des grands musées nationaux, des champs peu explorés restent à développer davantage . Il s'agit notamment des prestations de conseil et de formation, qui relèvent principalement encore aujourd'hui du domaine de la coopération. Si ces activités contribuent davantage à améliorer ou renforcer l'image et le rayonnement des établissements qu'à renforcer leurs ressources propres, elles peuvent néanmoins conduire à l'organisation d'expositions à la demande des partenaires étrangers.

Parmi les activités qui mériteraient d'être davantage développées, l'enquête de la Cour des comptes relève que les partenariats de marque ou le cobranding restent peu utilisés, à l'exception par exemple du partenariat entre le Château de Versailles et la marque Ladurée.

Au cours de l'audition pour suite à donner, Sophie Moati résumait ainsi le potentiel de développement des activités récurrentes des musées nationaux : « Les activités récurrentes se sont développées et diversifiées. On observe des logiques de réciprocité, de coopération, de mutualisation des coûts et de croissance des ressources. Elles portent sur les prêts d'oeuvres, les coproductions d'expositions, la vente d'expositions « clef en main », des prestations de conseil et la vente de produits dérivés. Les ressources qu'elles génèrent demeurent limitées, tout comme leur potentiel de croissance. »


Répartition des recettes issues des activités liées à la valorisation de l'ingénierie et de la marque des musées cumulées de 2012 à 2018, hors Louvre Abou Dhabi
et Centres Pompidou provisoires

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances, d'après l'enquête de la Cour des comptes

À côté de ces activités récurrentes, des opérations internationales de plus grande ampleur peuvent voir le jour. Elles restent peu nombreuses mais s'inscrivent généralement dans la durée. Dans le paysage muséal français, il s'agit à ce jour des centres Pompidou provisoires, dont le premier a été créé à Malaga en 2015, et du Louvre Abou Dhabi.

3. L'expérience du Louvre Abou Dhabi constitue un succès, même si des points de vigilance demeurent

Vos rapporteurs spéciaux partagent le point de vue de la Cour des comptes, tel qu'exprimé par Sophie Moati qui affirmait devant la commission des finances : « La forte mobilisation des musées français et le travail de l'agence ont fait de l'opération un succès, qui contribue à la reconnaissance de la qualité de l'offre des établissements français, au rayonnement du Louvre et à l'influence de la culture française . ». Ils considèrent que l'opération réalisée à Abou Dhabi, si elle présente un caractère exceptionnel par son ampleur et par les enjeux financiers qu'elle implique, est un exemple réussi de mise en valeur à l'international du savoir-faire des musées français .

L'enquête de la Cour des comptes analyse les conditions de mise en oeuvre des accords conclus entre les partenaires français et émiriens. Elle relève que la signature d'un contrat global spécifique de licence pour les produits commerciaux n'est intervenue qu'un an après l'ouverture du Louvre Abou Dhabi, le 8 novembre 2018, en raison notamment de longues négociations sur le choix du logo. Ce contrat prévoit que les redevances sont arrêtées à 8 % des recettes brutes encaissées par le Louvre Abou Dhabi en cas d'exploitation directe et à 16 % en cas d'exploitation indirecte. Il fixe la liste détaillée des produits autorisés à être fabriqués, distribués et vendus.

Pour la Cour, plusieurs éléments de ce contrat sont en net retrait par rapport à l'accord intergouvernemental du 6 mars 2007 et au contrat de licence du 5 avril 2007 :

- le taux de redevance aurait pu être différencié selon les produits, sans être inférieur à 8 %. Des possibilités de rémunération supplémentaires ont été non exploitées en raison du choix d'un taux unique ;

- la Cour constate que le Louvre Paris est privé par le contrat de 2018 de la possibilité de négocier sa rémunération pour les contrats de sous-licence ;

- elle relève que le Musée du Louvre n'a pas été préalablement informé du partenariat entre le Louvre Abou Dhabi et la compagnie aérienne Etihad, conclu en 2017, et que le contrat n'a pas été transmis au Louvre Paris pour des raisons « strictes de confidentialité attachées aux entités gouvernementales ». Elle estime que ce défaut d'information est contraire aux dispositions de l'accord intergouvernemental et du contrat de licence et appelle le Louvre à davantage de vigilance à l'avenir, notamment lors de la renégociation en 2021 du taux de rémunération des sous-licences de marque.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent qu'une attention particulière devra être portée sur la poursuite de la mise en oeuvre des relations contractuelles entre le Louvre et ses partenaires émiriens. Néanmoins, ils estiment qu'il s'agit en l'espèce d'ajustements nécessaires et non exceptionnels dans le cadre d'une relation contractuelle de cette nature, au vu notamment des enjeux financiers en question. Ils s'associent donc au bilan global positif de l'opération dressé par la Cour des comptes dans son enquête. Celle-ci souligne en effet que le Louvre Abou Dhabi s'est imposé d'emblée comme un lieu phare, véhiculant une image très forte du rayonnement culturel de la France .

4. La coopération entre les ministères de culture et de l'Europe et des affaires étrangères se développe et se structure dans le domaine de la valorisation de l'ingénierie culturelle

L'une des recommandations formulées dans le rapport sur l'Agence France-Muséums visait à : « renforcer le dialogue entre le ministère de la culture et celui des affaires étrangères et impliquer plus étroitement les services diplomatiques culturels français à l'étranger afin que les projets des opérateurs du ministère de la culture bénéficient de relais jouissant d'une bonne connaissance du terrain et des acteurs locaux. » En réponse à cette préoccupation des rapporteurs, l'enquête de la Cour des comptes montre que la relation entre les administrations des deux ministères a commencé à se structurer afin de mieux accompagner les opérateurs nationaux d'une part et de mieux relayer la demande internationale d'autre part, même si la coordination stratégique au niveau de l'État reste encore lacunaire .

Afin d'améliorer cette coordination de l'action de l'État et de ses opérateurs, un comité conjoint de pilotage de l'expertise culturelle a été créé à l'initiative des ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de la culture. Il associe non seulement les représentants de ces deux ministères, mais également de l'Agence française de développement, d'Expertise France, de l'Institut français, d'Atout France, de Business France, de la Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales et de Cités unies France. Vos rapporteurs spéciaux saluent cette initiative, qui répond à un besoin qu'ils avaient mis en évidence dans leurs travaux antérieurs.

Par ailleurs, une mission d'expertise culturelle internationale a été créée au ministère de la culture. Elle a vocation à constituer un point d'entrée dédié pour les interlocuteurs étrangers concernant des demandes relatives à l'ingénierie culturelle, tout en cherchant à rendre l'offre française plus intéressante pour eux. À cette fin, elle doit jouer un rôle de mise en commun des expertises et des moyens humains disponibles chez les opérateurs nationaux. Agnès Saal, chargée au sein du secrétariat général du ministère de la culture de conduire cette mission, précise que celle-ci « s'intéresse exclusivement à la demande solvable, c'est-à-dire aux prestations rémunérées distinctes de la coopération culturelle traditionnelle, et ce dans l'ensemble du champ culturel, au-delà du patrimoine et des musées. »


* 1 Sophie Moati, commission des finances du Sénat - 12 juin 2019.

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