DEUXIÈME PARTIE : LA NÉCESSITÉ DE PARIER SUR L'AVENIR

La Turquie est donc entrée dans une ère d'incertitude politique qui plonge ses partenaires internationaux dans un abîme de perplexité et de déception à la mesure de l'espoir que les premières années du XXI ème siècle avaient suscité.

Dans ce contexte quelle peut-être la position de la France et de l'Union européenne ? Quelles recommandations peut-on formuler sur l'attitude de notre pays et de notre diplomatie ?

Ni la France, ni l'Europe, ne peuvent renoncer à construire une relation avec un pays et un peuple appelés à jouer un rôle important sur la scène internationale du fait d'une position géographique stratégique, et d'une puissance économique émergeante, ni à soutenir son développement démocratique autant que faire se peut.

Si la position française doit faire preuve de réalisme, cela n'exclut pas qu'elle soit fondée des valeurs.

I. UNE GRANDE PARTIE DE LA SOCIÉTÉ TURQUE RESTE ATTACHÉE À L'EUROPE ET À L'OCCIDENT CE QUI PERMET DE PARIER SUR L'AVENIR

A. LA SOCIÉTÉ SE TRANSFORME ET S'OUVRE À LA MONDIALISATION

1. Une société qui évolue (urbanisation, consommation, numérisation)

Au cours des deux dernières décennies, le pourcentage de Turcs vivant en zone urbaine est passé de 64 % à 75 %, selon la Banque mondiale. Cette évolution a des conséquences importantes sur les modes de vie et de socialisation et notamment sur le travail des femmes.

Des modes de consommation nouveaux se diffusent.

L'encadrement social traditionnel est moins prégnant même si les capacités à se regrouper par communauté de région d'origine et à maintenir de solides liens familiaux demeurent.

2. Une société plus ouverte

La société turque est plus ouverte. L'économie est insérée par le commerce et l'investissement à la mondialisation. La Turquie reçoit un nombre important de visiteurs étrangers (46 millions en 2018). Le niveau d'éducation progresse : le nombre d'étudiants a été multiplié par 3 depuis 2000, ils sont aujourd'hui 7,2 millions, et le nombre d'universités a été multiplié par 2,5 : passant de 76 à 183. La société devient plus perméable aux idées nouvelles. Même si le taux de pénétration d'internet et des réseaux sociaux reste l'un des moins élevés de l'OCDE, il progresse rapidement.

Internet et les réseaux sociaux en Turquie

72 % de la population turque se connecte à internet. Le nombre d'utilisateurs de téléphones mobiles s'élève à 76 millions (93%) tandis que le nombre d'utilisateurs se connectant aux réseaux sociaux via leurs smartphones s'élève à 44 millions.

On compte 59 millions d'utilisateurs d'Internet. 84% utilisent internet chaque jour.

52 millions sont des utilisateurs de réseaux sociaux : 43 millions sont des utilisateurs de Facebook, 38 millions d'Instagram, 9 millions de Twitter et 7 millions de Linkedin

Le commerce en ligne se développe : 67 % des utilisateurs d'internet ont effectué au moins un achat en ligne.

Source : rapport « Digital in 2019 Global Overview »

3. Une société en voie de sécularisation

La pratique religieuse évolue dans une société en constante transformation par l'évolution des équilibres démographiques, des modes de vie urbain 145 ( * ) et son ouverture au monde. Comme l'indique The Economist 146 ( * ) à partir des résultats d'une étude réalisée par l'institut turc d'étude et d'opinion KONDA, « les Turcs ne semblent pas plus dévots qu'ils ne l'étaient il y a une décennie, de nombreuses écoles islamiques restent vides et les confréries semblent de plus en plus déphasées par rapport à une société en mutation rapide ». Selon cette étude, réalisée fin 2018 et publiée en janvier 2019 sur 5800  citoyens à travers 36 des 81 provinces de Turquie, la proportion de Turcs qui se définissent comme des religieux est passée de 55 % à 51 % entre 2008 et 2018. Le nombre de femmes qui portent le foulard islamique a à peine changé, passant de 52 % il y a dix ans à 53 %, et la part de celles qui jeûnent régulièrement est passée de 77 % à 65 %. Pendant ce temps, le nombre d'athées est passé de 1 % à 3 %.

Les écoles religieuses ( iman hatips ) ne rencontrent pas le succès attendu. Au niveau secondaire, l'imam hatips n'a pourvu que 52 % des places disponibles l'an dernier, contre 95 % pour les écoles ordinaires. Les étudiants imam hatip ont au moins deux fois moins de chances de s'inscrire à une université que les étudiants des écoles ordinaires ou privées.

Au fil du temps, beaucoup de nouveaux citadins ont tendance à développer une approche plus adaptée de la religion. De nombreux jeunes issus de familles religieuses recherchent un islam compatible avec la vie urbaine moderne et le statut de classe moyenne. La ligne de démarcation entre les modes de vie conservateur et séculier devient de plus en plus floue. La pratique religieuse s'individualise. Une partie de la population, notamment de la jeunesse, déçue de la religion officielle se revendique « déiste », c'est-à-dire reconnaissant l'existence de Dieu tout en rejetant les rituels et les dogmes. Comme le remarque le sociologue Fehrat Kentel 147 ( * ) « la laïcité disparait mais la sécularisation fait son chemin »


* 145 Moindre disponibilité pour les activités religieuses, progression du travail des femmes, réduction de l'emprise et de l'encadrement des confréries...

* 146 The Economist - « In Turkey, demography is a brake on Islamisation » 1er juillet 2019. Voir également l'article de Marie Jego « En Turquie une jeunesse moins pratiquante » Le Monde 4 mars 2019

* 147 Fehrat Kentel « Sociologie des pratiques religieuses » Moyen-Orient n°37 janvier-mars 2018

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