D. L'AMORCE DE LA RÉSOLUTION DE LA CRISE AVEC LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

À la suite de l'annexion de la Crimée par la Russie, l'Assemblée parlementaire a marqué sa condamnation et sa désapprobation. Lors de la deuxième partie de session de 2014, les pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe ont fait l'objet d'un réexamen pour raisons substantielles. L'APCE a ensuite adopté la résolution 1990 (2014) pour suspendre, jusqu'à la fin de la session de 2014, le droit de vote, le droit d'être représenté au Bureau, au Comité des présidents et à la Commission permanente ainsi que le droit de participer à des missions d'observation des élections des membres de la délégation russe.

Lors de la première partie de session de 2015, les pouvoirs de la délégation russe ont de nouveau fait l'objet d'une contestation pour raisons substantielles. L'Assemblée parlementaire a alors adopté la résolution 2034 (2015) qui suspendait, pour toute l'année 2015, certains droits des parlementaires russes. Il s'agissait du droit d'être désigné comme rapporteur, du droit d'être membre d'une commission ad hoc d'observation des élections, du droit de représenter l'APCE dans les instances du Conseil de l'Europe ainsi qu'auprès d'institutions et d'organisations extérieures, tant au niveau institutionnel qu'à titre occasionnel, ainsi que des droits de vote et de représentation au Bureau, au Comité des présidents et à la Commission permanente.

La délégation russe a alors décidé de quitter l'APCE et de ne plus y siéger. Toutefois, la Fédération de Russie a continué à être représentée au sein du Comité des Ministres. En juin 2017, souhaitant manifester leur insatisfaction face à cette situation, les autorités du pays ont décidé de suspendre le paiement de la contribution russe (33 millions d'euros par an). À une crise politique et institutionnelle marquée par une opposition entre le Comité des Ministres et l'APCE s'est alors ajoutée une crise budgétaire.

Pour mettre fin à cette crise, l'Assemblée parlementaire a adopté lors de la deuxième partie de session de 2019, en avril dernier, la recommandation 2153 (2019) appelant à une coordination effective entre les deux organes statutaires du Conseil de l'Europe que sont l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres en cas de manquement d'un État membre à ses obligations.

En attendant que cette procédure soit créée, il a été proposé d'adopter une résolution permettant à la Russie de présenter les pouvoirs de sa délégation au cours de la troisième partie de session pour 2019, afin que sa délégation parlementaire puisse participer à l'élection du nouveau titulaire du poste de Secrétaire général du Conseil de l'Europe et pour renouer le dialogue sur les questions relatives à l'État de droit, la démocratie et les droits de l'Homme ; normalement, les pouvoirs ne peuvent être présentés que lors de la première partie de session annuelle ordinaire, fin janvier.

Si, en dépit de cette main tendue, le dialogue renoué avec la Russie s'avérait être un échec, une procédure de sanction conjointement mise en oeuvre par le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire, respectant ainsi les statuts du Conseil de l'Europe, pourrait toujours être envisagée à l'avenir, et ce en respectant les statuts.

Au cours de la session d'été, la résolution intitulée « Renforcer le processus décisionnel de l'Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote » visant à permettre le retour de la délégation russe au sein de l'APCE a été adoptée. Les pouvoirs de celle-ci ont été contestés dès la transmission de la composition de la délégation commune à la Douma d'Etat et au Conseil de la Fédération, à la fois pour raisons formelles - mais la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, n'est pas parvenue à conclure sur ce point, empêchant ainsi tout débat en séance publique -, et pour raisons substantielles, un débat sur la base du rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe en faveur de la ratification des pouvoirs de la délégation ayant lieu le 26 juin après-midi, juste avant la clôture du scrutin pour le nouveau Secrétaire général.

1. L'adoption d'une résolution permettant exceptionnellement à la Fédération de Russie de présenter une délégation parlementaire à la session d'été

Au terme d'une séance de nuit exceptionnelle le lundi 24 juin 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Mme Petra de Sutter (Belgique - SOC), au nom de la commission Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, la résolution intitulée « Renforcer le processus décisionnel de l'Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote ».

À la suite de sa 129 e session à Helsinki, le Comité des Ministres avait accueilli positivement l'appel lancé par l'Assemblée parlementaire dans sa résolution 2277 (2019) et sa recommandation 2153 (2019) en faveur du renforcement du dialogue politique et des synergies entre les deux organes statutaires, notamment par la mise en place, en complément des procédures existantes, d'une action coordonnée lorsqu'un État membre manque à ses obligations statutaires ou ne respecte pas les valeurs et les principes fondamentaux défendus par le Conseil de l'Europe.

Afin de prendre en compte la décision du Comité des Ministres, ainsi que le contexte exceptionnel qui a conduit à celle-ci, la résolution adoptée a permis à l'Assemblée parlementaire d'inviter les Parlements des États membres du Conseil de l'Europe qui ne sont pas représentés en son sein à présenter les pouvoirs de leurs délégations dans le courant de la session de juin 2019, par dérogation à certains articles du Règlement. En outre, elle a clarifié la liste des droits de participation et de représentation des membres aux activités de l'APCE et de ses organes ou pouvant faire l'objet d'une suspension ou d'une privation en cas de contestation ou de réexamen des pouvoirs des délégations.

Au cours du débat, Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) a dénoncé le comportement des autorités russes qui, à plusieurs reprises, n'ont pas respecté les principes du Conseil de l'Europe. Pour autant, le dialogue avec la Russie est nécessaire pour protéger les droits des citoyens russes et des personnes vivant dans des zones de conflits où la Russie est impliquée. Toutefois, ce dialogue devra être exigeant et la Russie devra également faire des concessions. Dans le cas contraire, il faudra en tirer les conclusions.

Si Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a condamné l'annexion de la Crimée, elle a également fait valoir que la recherche d'une solution à ce conflit passait nécessairement par un dialogue avec la Russie. Le retour de la délégation russe devra s'accompagner de signaux illustrant une volonté de coopération sincère, tels que la libération des marins ukrainiens capturés en mer d'Azov ou encore l'autorisation accordée à la Commissaire aux droits de l'Homme à se rendre en Crimée.

Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a annoncé son soutien à la résolution proposée, la jugeant nécessaire pour résoudre la crise institutionnelle et politique qui mine le Conseil de l'Europe depuis 2014. Estimant que les sanctions de 2014 et 2015 n'avaient permis aucune avancée et que siègent au sein de l'APCE les parlementaires d'autres États qui entretiennent des litiges territoriaux, elle a souhaité que le Conseil de l'Europe ne s'engage pas dans une spirale d'exclusion d'États membres, qui aurait pour conséquence d'affaiblir son autorité et de priver des millions de citoyens européens de la protection juridictionnelle de la Cour européenne des droits de l'Homme.

M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a considéré que la résolution soumise au vote de l'Assemblée parlementaire avait pour objectif de garantir que chaque État membre soit représenté, tant au Comité des Ministres qu'à l'APCE, comme le prévoient les statuts du Conseil de l'Europe. Pour permettre le respect de ces règles, il est donc nécessaire d'encadrer le pouvoir de sanction de l'Assemblée parlementaire. Bien que favorable à un règlement rapide du différend avec la Russie, il a estimé que cet encadrement devait s'accompagner de la mise en place d'une procédure effective de sanction conjointe avec le Comité des Ministres en cas de manquement de la part d'un État membre à ses obligations.

Pour M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) , le retour de la délégation russe au sein de l'Assemblée parlementaire permettra au Conseil de l'Europe de jouer pleinement son rôle d'organisation paneuropéenne favorisant le dialogue pour résoudre les conflits. En outre, il garantira l'accès des citoyens russes à la Cour européenne des droits de l'Homme. Enfin, il a insisté sur la nécessité de donner un nouveau souffle au Conseil de l'Europe à l'occasion de son 70 ème anniversaire et appelé la Russie à faire des efforts en ce sens.

2. La contestation infructueuse, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie

Le 26 juin 2019, l'APCE a voté en faveur de la ratification des pouvoirs de la délégation russe après le débat sur leur contestation pour des raisons substantielles, soulignant son souhait de « maintenir le dialogue comme moyen de parvenir à des solutions durables ».

En contrepartie, l'Assemblée parlementaire a appelé les autorités russes à mettre en oeuvre une série de ses recommandations récentes, en particulier à libérer les marins ukrainiens détenus après un incident en mer d'Azov, à traduire en justice les responsables de la destruction du vol MH17, et à prendre des mesures pour mettre fin aux violations des droits des personnes lesbiennes, gay, bi et transexuels et intersexes (LGBTI), en particulier en République tchétchène.

Dans la résolution adoptée sur la base du rapport de Sir Roger Gale (Royaume-Uni - CE), les membres de l'APCE ont souligné que celle-ci était l'endroit où « un dialogue politique sur les obligations de la Fédération de Russie en vertu du Statut du Conseil de l'Europe, pouvait avoir lieu avec la participation de toutes les parties intéressées » et où la délégation russe pourrait être invitée à « rendre des comptes » sur la base des valeurs et des principes de l'Organisation.

L'Assemblée parlementaire a déclaré qu'elle s'attendait à ce que son offre sans équivoque de dialogue soit réciproque et aboutisse à des résultats concrets. Elle s'est engagée à discuter d'un rapport sur le respect des obligations et engagements de la Russie au plus tard d'ici la partie de session d'avril 2020.

Pour l'heure, la délégation russe siège de nouveau au sein de l'APCE.

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