III. DES INTERROGATIONS A LEVER

A. UNE RÉFORME DES PERSONNELS QUI NE RÉPOND PAS À TOUTES LES ATTENTES

1. Les conséquences de la requalification des contrôleurs du travail

La requalification des contrôleurs du travail était initialement programmée sur trois ans pour se terminer en 2015. Elle a été prolongée jusqu'en 2019.

La Cour des comptes a relevé en 2016 que cette requalification avait pu contribuer à une certaine désorganisation des services d'inspection durant les périodes de formation des futurs inspecteurs à l'INTEFP.

Sans remettre en cause le bien-fondé de cette revalorisation des tâches, vos rapporteurs spéciaux partagent ce constat. La désorganisation est particulièrement patente en ce qui concerne les services de renseignement. Les services de renseignement des usagers sont intégrés au sein des unités départementales.

Avant la réforme « Ministère fort », le service des renseignements était principalement assumé par des contrôleurs du travail, ayant bénéficié d'une formation initiale à l'INTEFP. La requalification progressive des contrôleurs du travail en inspecteurs du travail a conduit à privilégier le recrutement de secrétaires administratifs (catégorie B de la fonction publique) pour assurer le service public de renseignement, sans pour autant qu'ils ne soient réellement formés, alors même que la demande est importante : 842 000 demandes de renseignement en droit du travail ont été traitées en 2018, dont les deux tiers par téléphone. 140 points d'accueil du public sont, par ailleurs, répartis sur tout le territoire (un au moins par département).

La fonction de filtre du service de renseignement n'est plus ainsi optimale et peut conduire à alourdir la charge des inspecteurs du travail. La question de l''accès au service public de l'inspection du travail par les salariés ou les entreprises est également posée. Vos rapporteurs spéciaux relèvent, par ailleurs, que le nombre de chargés de renseignement est en baisse constante depuis 2009. Ils rappellent que l'expérience du service de renseignements doit abonder le projet de code du travail numérique porté par le ministère en cernant les attentes des salariés et les questions récurrentes.

Nombre de chargés du renseignement en droit du travail et en formation professionnelle 2009-2018

(en ETP)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

580

550

544

534

522

512

480

480

445

453

Source : direction générale du travail

Recommandation n° 3 : Renforcer les services de renseignements en développant la formation des agents qui y sont affectés .

Reste, en outre, la question des contrôleurs ne souhaitant pas devenir inspecteur du travail ou ne réussissant pas l'examen. La direction des ressources humaines du secrétariat général des ministères sociaux (SGMAS) évalue à 900 le nombre de contrôleurs du travail en fonction à la fin de l'exercice 2019. 400 contrôleurs seraient encore dans les effectifs en 2022 sur la base des départs prévisibles 27 ( * ) . Il convient de relever à ce stade que ces contrôleurs peuvent être affectés sur d'autres missions relevant de l'inspection du travail (renseignements, section central travail, appui technique) ou au sein d'autres pôles des DIRECCTE : en 2017, 22 % des contrôleurs du travail seraient ainsi affectés au pôle 3E et 10 % dans les fonctions supports. Le nombre de contrôleurs du travail restant affecté en section serait ainsi de l'ordre de 325 agents. Une augmentation de la part de postes offerts au concours interne, à l'issue du plan de transformation d'emploi est aujourd'hui envisagée pour permettre aux contrôleurs du travail récemment nommés - le dernier concours date de 2013 - d'accéder au corps de l'inspection du travail.

Une négociation sur l'avenir des contrôleurs a été engagée par la direction des ressources humaines sans qu'aucune des pistes envisagées - promotion du reliquat, poursuite du plan de transformation de l'emploi, évolution vers la carrière administrative - ne soit in fine retenue, au risque de susciter une forme de démotivation chez les agents concernés et donc un affaiblissement de l'activité de contrôle.

En attendant, des solutions pragmatiques sont mises en oeuvre dans certaines DIRECCTE afin notamment d'éviter ainsi des vacances de poste au sein de certaines sections d'inspection. Ainsi, en Ile-de-France, où 24 % des contrôleurs du travail sont affectés à des missions de contrôle, 40 % d'entre eux sont affectés au contrôle d'entreprise de toutes tailles, dépassant donc le seuil de 50 salariés.

Évolution du nombre de contrôleurs du travail depuis 2012

(en ETP)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Nombre annuel de contrôleurs du travail devenant inspecteurs du travail

130

205

205

250

250

250

250

Nombre total de contrôleurs du travail

2948

2618

2277

1927

1478

1478

900

Nombre de contrôleurs du travail en section

1320

1176

992

745

539

517

325

Source : direction générale du travail

Recommandation n° 10 : Promouvoir des solutions pragmatiques pour maintenir l'implication des contrôleurs du travail au sein du service de l'inspection du travail et mettre en place un plan d'accompagnement de l'extinction de cette catégorie d'emploi.

2. Une diminution du nombre d'agents de contrôle ?

À l'occasion du lancement de la réforme en 2013, le ministère du travail avait, par ailleurs, indiqué qu'elle n'aurait pas pour effet de réduire les effectifs de contrôle de l'inspection du travail. La Cour des comptes relevait ainsi en 2016 ainsi que les réductions des effectifs ont principalement porté sur les personnels de soutien depuis 2010. Les données de la direction générale du travail tendent à relativiser cette analyse : on constate en effet une diminution de près de 5 % du nombre d'agents de contrôle entre 2016 et 2018, qui passe de 2 251 à 2 137.

Dans le même temps, l'évolution des parcours professionnels liée à la réforme a conduit à une augmentation mécanique du nombre d'inspecteurs du travail depuis 2013, dont l'effet semble cependant moins net depuis 2016. Cette progression n'est pas sans incidence financière : un contrôleur voit sa rémunération brute établie entre 1 471 et 2 502 euros bruts mensuels, en fonction de l'ancienneté, alors qu'un inspecteur dispose d'un revenu compris entre 1 902 et 3 289 euros bruts mensuels, en fonction de l'ancienneté.

Il convient par ailleurs de rappeler que la réforme « Ministère fort » avait été précédée d'une forte augmentation du nombre d'agents de l'inspection du travail entre 2006 et 2010 dans le cadre du PMDIT. 1 100 agents étaient ainsi venus renforcer ses effectifs, dont 57 % en provenance des ministères des transports et de l'agriculture. Le PMDIT avait ainsi contribué à des créations nettes d'emplois. Le nombre de salariés par agent de contrôle est ainsi passé de 10 406 en 2006 à 6 563 en 2010. Ce taux était alors largement inférieur à l'objectif de 8 000 salariés par agent fixé dans le PMDIT.

On constate, ces dernières années, un relèvement du taux qui a atteint 9 070 salariés par agent de contrôle en 2017 . Le ministère du travail fixe désormais un objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle à l'horizon 2022. Ce taux serait supérieur à ceux constatés dans la plupart des pays européens.

Nombre de salariés par agents de contrôle : éléments
de comparaison européens

Pays

Nombre de salariés par agent de contrôle

Bulgarie, Finlande, Luxembourg, Pologne, Roumanie

Entre 7 000 et 8 000

Espagne, France, Grèce, Slovénie

Entre 8 100 et 9 500

Belgique, Portugal

Entre 11 900 et 19 000

Source : direction générale du travail (chiffres de 2014)

Il est régulièrement indiqué que ce taux répondrait à une recommandation de l'OIT. Pourtant, ce taux ne figure pas dans la convention n° 81. Il est issu d'une étude d'ensemble établie par le BIT en 2006. Il ne peut servir, aux yeux de l'OIT, que d'orientation générale pour faciliter la répartition optimale des moyens et des personnels. La convention n° 81 prévoit surtout, à l'article 12, plusieurs critères pour définir le nombre d'agents de contrôle nécessaires. Celui-ci doit être évalué en fonction du nombre d'établissements, du tissu économique et social, de la complexité de la réglementation mais aussi des moyens mis à la disposition des agents . Le nombre d'interventions ne saurait, en outre, constituer aux yeux de l'OIT le seul critère d'efficacité : il en va aussi de la définition d'objectifs prioritaires, de la synergie entre les différents contrôles et de la qualité de la coordination interministérielle.

Nombre d'agent de contrôle par salarié : orientations
du Bureau international du travail

Type d'économie

Nombre d'agent par salarié

Économies de marché industrielles

1/10 000

Économies de marché en cours d'industrialisation

1/15 000

Économies en transition

1/20 000

Pays les moins développés

1/40 000

Source : direction générale du travail

La moyenne nationale ne saurait, par ailleurs occulter les écarts entre certains territoires. L'exemple de la DIRECCTE Île-de-France est assez éloquent : le nombre de salariés par section de contrôle est estimé à 10 686 et le nombre d'entreprises par section de contrôle dépasse lui aussi la moyenne nationale : 856 établissements contre 827 à l'échelle du pays.

S'agissant du nombre d'agents, il convient de rappeler à ce stade que la convention n° 81 de l'OIT n'impose pas un nombre spécifique d'inspecteurs du travail. L'article 10 de la convention requiert simplement que le nombre des inspecteurs du travail soit « suffisant pour permettre d'assurer l'exercice efficace des fonctions du service d'inspection », ce nombre devant être fixé en fonction d'un certain nombre de critères. Vos rapporteurs spéciaux relèvent à cet égard, que, dans une demande directe adressée au Gouvernement en 2015, la commission d'experts de l'OIT a pris note de la réforme dite « Ministère fort » et a demandé des informations sur les répercussions de la mise en oeuvre de cette réforme sur l'inspection du travail, en insistant notamment, sur le nombre et les pouvoirs des agents d'inspection, ainsi que sur leurs moyens d'action 28 ( * ) . L'examen de la conformité de l'effectif de l'inspection du travail avec l'article 10 de la convention n° 81 est donc encore en cours.

La direction générale du travail indique aujourd'hui que les effectifs apparaissent relativement stables, voire en augmentation depuis le lancement de la réforme. Aux agents de contrôle que sont les inspecteurs et contrôleurs du travail, elle agrège en effet les inspecteurs du travail stagiaires, les responsables d'unités de contrôle (RUC) et les assistants de contrôle pour déterminer le nombre d'agents en UC.

Nombre d'agents de contrôle 2009-2018

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Inspecteurs du travail

754

781

796

783

781

855

991

1258

1285

1484

Contrôleurs du travail

1422

1468

1450

1428

1320

1176

992

745

539

414

Inspecteurs du travail stagiaires

-

-

-

-

130

205

205

248

192

239

Responsables d'unités de contrôle

-

-

-

-

-

226

209

208

195

210

Total

2 176

2 249

2 246

2 211

2 224

2 462

2 399

2 459

2125

2347

Source : direction générale du travail

La direction générale du travail note par ailleurs que les effectifs des agents de contrôle ne se sont pas vu appliquer, jusqu'en 2017, la baisse prévue par les lettres de cadrage. La réduction des effectifs des ministères sociaux, estimée à 5,6 % par an, aurait ainsi porté sur les directions support d'administration centrale et les directions régionales. 140 postes en service de contrôle ont ainsi été supprimés via un non-remplacement des départs en retraite. Elle relève même une augmentation du nombre d'agents en mesure de mener des contrôles.

La réalité est plus nuancée. Il existe une véritable progression du nombre d'agents de contrôle entre 2009 et 2018 - +7,9 % -, mais avec de fortes variations annuelles. Les derniers exercices ont ainsi été marqués par une baisse notable : - 4,5 % entre 2016 et 2018. Ces chiffres assimilent, par ailleurs, les inspecteurs du travail stagiaires et donc en formation et des responsables d'unités de contrôles à des agents de contrôle à plein temps. Dans ces conditions, on peut constater une diminution des postes d'agents de contrôle, qui correspond quasiment à la baisse des effectifs enregistrée à l'échelle des ministères sociaux.

3. Une crise des vocations ?

La diminution relative des effectifs enregistrée depuis 2016 peut apparaitre inquiétante au regard des difficultés constatées à combler les postes ouverts aux concours . La direction générale du travail a confirmé à vos rapporteurs spéciaux la baisse d'attractivité du concours d'inspecteur. Cette crise des vocations s'inscrit, par ailleurs, dans un contexte marqué par l'extinction progressive du corps des contrôleurs du travail, qui représentaient jusqu'alors un vivier important de recrutement. 934 personnes étaient ainsi inscrites au concours externe 2019 d'inspecteur du travail (39 postes ouverts) contre 2 129 en 2013 (39 postes ouverts). Ce phénomène de désaffection est également marqué pour le concours interne : 139 inscrits en 2019 (11 postes ouverts) contre 205 en 2013 (12 postes ouverts). Il apparaît, en outre, important de noter que 20 % environ des inspecteurs du travail sont affectés en dehors du pôle travail des DIRECCTE, essentiellement au sein du pôle Entreprises, Emploi et Économie (pôle 3 E ), sur des fonctions « emploi » et « formation professionnelle ».

Concours d'inspecteur du travail 2006-2019

Année de
prise en charge
budgétaire

année du
concours

Concours externe

postes

inscrits

présents

admis-sibles

admis

présents/
inscrits

postes/
inscrits

postes/
présents

2006

2005

69

1884

627

152

80

33,3%

3,7%

11,0%

2007

2006

73

2083

625

178

87

30,0%

3,5%

11,7%

2008

2007

75

1516

523

200

90

34,5%

4,9%

14,3%

2009

2008

40

2427

605

123

40

24,9%

1,6%

6,6%

2010

2009

53

2480

611

110

63

24,6%

2,1%

8,7%

2011

2010

28

2419

655

72

28

27,1%

1,2%

4,3%

2012

2012

24

1546

473

72

24

30,6%

1,6%

5,1%

2013

2013

39

2129

488

99

39

22,9%

1,8%

8,0%

2014

2014

52

2028

508

89

50

25,0%

2,6%

10,2%

2015

2015

32

1347

453

78

32

33,6%

2,4%

7,1%

2016

2016

32

1261

313

64

32

24,8%

2,5%

10,2%

2017

2017

19

1008

259

46

19

25,7%

1,9%

7,3%

2018

2018

33

1032

202

67

33

19,6%

3,2%

16,3%

2019

2019

39

934

204

21,8%

4,2%

19,1%

Année de
prise en charge
budgétaire

année du
concours

Concours interne

postes

inscrits

présents

admis-sibles

admis

présents/
inscrits

postes/
inscrits

postes/
présents

2006

2005

35

164

92

47

24

56,1%

21,3%

38,0%

2007

2006

36

200

121

42

22

60,5%

18,0%

29,8%

2008

2007

38

174

115

43

23

66,1%

21,8%

33,0%

2009

2008

20

184

89

37

20

48,4%

10,9%

22,5%

2010

2009

27

196

89

35

17

45,4%

13,8%

30,3%

2011

2010

9

273

94

20

9

34,4%

3,3%

9,6%

2012

2012

8

177

82

20

8

46,3%

4,5%

9,8%

2013

2013

12

205

82

31

12

40,0%

5,9%

14,6%

2014

2014

17

209

79

31

17

37,8%

8,1%

21,5%

2015

2015

11

143

56

22

11

39,2%

7,7%

19,6%

2016

2016

11

137

37

14

5

27,0%

8,0%

29,7%

2017

2017

7

106

26

11

5

24,5%

6,6%

26,9%

2018

2018

10

109

20

12

7

18,3%

9,2%

50,0%

2019

2019

11

139

23

16,5%

7,9%

47,8%

Année de
prise en charge
budgétaire

année du
concours

Troisième concours 29 ( * )

postes

inscrits

présents

admis-sibles

admis

présents/
inscrits

postes/
inscrits

postes/
présents

2011

2010

3

100

29

12

3

29,0%

3,0%

10,3%

2012

2012

3

67

29

8

3

43,3%

4,5%

10,3%

2013

2013

5

88

30

12

5

34,1%

5,7%

16,7%

2014

2014

6

95

44

20

6

46,3%

6,3%

13,6%

2015

2015

4

77

36

12

4

46,8%

5,2%

11,1%

2016

2016

4

110

53

12

4

48,2%

3,6%

7,5%

2017

2017

2

107

55

8

2

51,4%

1,9%

3,6%

2018

2018

4

134

45

12

4

33,6%

3,0%

8,9%

2019

2019

6

218

64

29,4%

2,8%

9,4%

Source : direction générale du travail

Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de juillet 2016 a préconisé une réforme des épreuves du concours afin de diversifier les profils des candidats et l'élaboration, dans le même temps, d'une stratégie de communication sur l'intérêt des fonctions 30 ( * ) . L'IGAS insiste ainsi sur de nouvelles modalités de recrutement, plus ouvertes et valorisant une expérience professionnelle. L'IGAS souligne ainsi que le concours externe privilégie les filières juridiques (principalement en droit social). Il conviendrait donc de majorer le nombre de postes offerts au troisième concours afin d'attirer d'autres profils. Dans le même temps, les épreuves du concours interne pourraient être rapprochées de celles du troisième concours. Le concours externe pourrait également mieux valoriser les épreuves d'aptitude. Une telle réforme implique enfin une diversification de la composition des jurys et la professionnalisation de leurs pratiques.

Le rapport insiste également sur la formation des responsables d'unités de contrôle, afin de renforcer leur positionnement stratégique, ou l'ouverture de nouvelles perspectives de carrière pour les directeurs-adjoints du travail afin qu'ils conservent un rôle actif en matière d'inspection. Vos rapporteurs spéciaux relèvent que ces options permettraient tout à la fois de concilier progression personnelle et maintien d'effectifs actifs en matière de contrôle.

Par-delà, le rapport insiste sur la faiblesse des fonctions « ressources humaines » au sein des DIRECCTE, ce qui fragilise notamment la détection des potentiels. La difficulté à disposer de données fiables sur la répartition des effectifs est également relevée, difficulté également rencontrée par vos rapporteurs spéciaux.

La publication de ce rapport a débouché sur la nomination d'un directeur de projet auprès du directeur de ressources humaines entre 2017 et 2018. Reste que cette réforme des concours d'accès est, trois ans après, toujours en cours d'élaboration. Plusieurs pistes ont déjà été envisagées : élargissement du troisième concours, possibilité d'accueil en détachement, refonte des épreuves et de la composition du jury. La formation pourrait également être revue afin d'élaborer une nouvelle articulation entre formation initiale, formation continue et entretien des compétences. Des propositions ont été formulées en ce sens. Une note du directeur de projet datée du 16 novembre 2018 transmise à vos rapporteurs spéciaux vient les étayer. Elles n'ont, pour l'heure pas abouti. L'enjeu est pourtant de taille, la pyramide des âges de l'inspection du travail induit, en effet, un profond renouvellement du corps entre 2015 et 2025. Le plan de transformation d'emplois devrait, en outre, se traduire par la croissance du « pied de corps » des inspecteurs du travail, ce qui n'est pas sans incidence sur la question du maintien de déroulés de carrière attractifs, alors même que le nombre de postes de direction se réduit. La réforme territoriale a en effet débouché sur une diminution, au 1 er janvier 2016, du nombre de postes d'encadrement au sein des DIRECCTE.

À la demande de la ministre du Travail, M. Yves Calvez, ancien directeur adjoint de la DGT a été chargé, le 15 février 2019, de mener à bien cette réflexion. Cette mission devait se terminer en juillet 2019. Les conclusions n'ont pas encore été rendues publiques. Sa lettre de mission reprend les pistes évoquées plus haut. Elle prévoit, en effet, qu'il formule des propositions opérationnelles d'évolution des modalités de recrutement, de formation initiale et d'accompagnement de la prise de poste des inspecteurs du travail. Il s'agit de développer l'attractivité des postes offerts et de diversifier les profils (troisième concours, détachement mais aussi recrutements de doctorants et de salariés ou de représentants syndicaux souhaitant, en seconde partie de carrière, rejoindre un corps de fonctionnaires). La ministre souhaite également une professionnalisation des jurys, au travers d'une meilleure représentation du « monde du travail et des ressources humaines ».

Elle entend également que la formation initiale prépare au mieux les futurs inspecteurs à saisir les évolutions du contexte économique et social, le monde de l'entreprise et la transformation du rôle de l'État. La formation doit s'adresser aux inspecteurs du travail susceptibles d'intégrer le pôle Travail des DIRECCTE mais aussi le pôle 3E. La ministre envisage une formation en alternance dans les DIRECCTE afin de développer une « véritable logique d'apprentissage » et la mise en place d'un tutorat destiné à « sécuriser la prise de fonction initiale » des nouveaux inspecteurs du travail.

La lettre de mission aborde enfin le mode de gouvernance de l'INTEFP, qui fait actuellement l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes. La ministre souhaite que soient formulées des propositions afin que l'INTEFP dispose de ressources adéquates et d'un comité pédagogique opérationnel. Le budget de l'INTEFP s'élève à 17 millions d'euros par an et bénéficie d'une subvention de l'État de 13,9 millions d'euros en 2019 (soit une baisse de 8,6 % par rapport à la loi de finances pour 2018). 100 emplois (ETPT) sont rémunérés par cet opérateur en 2019 (contre 92 en 2018). La diminution de ses ressources budgétaires contraste avec l'augmentation constatée de son activité. En 2017, l'INTEFP a connu une augmentation de 9 % du nombre de stagiaires accueillis (21 941) et une progression du nombre de jours de formations de 13 % (68 182). Cette dernière est pour partie liée à l'intégration dans ses missions de nouveaux modules dans le cadre des plans régionaux de formation-métier (PRFM). La question des moyens budgétaires peut donc apparaître cruciale.

Vos rapporteurs spéciaux saluent cette réflexion sur le contenu même de la formation et les modalités de prise de postes. S'ils comprennent la problématique de la nécessité d'une formation en alternance, ils rappellent que la mise en place d'un tutorat ne peut avoir pour conséquence de renforcer la charge de travail des inspecteurs du travail, dans un contexte marqué par de nombreuses vacances de poste.

Recommandation n° 8 : Mettre en place une véritable réponse à la crise des vocations observée au sein de l'inspection du travail, en valorisant la carrière, en ouvrant son recrutement et en dotant l'INTEFP de moyens suffisants pour la formation continue des agents.

4. La question des postes vacants

Le rapport de l'IGAS insistait également sur la nécessaire anticipation en matière de gestion des effectifs, des compétences et des parcours professionnels. Il préconisait un rendez-vous particulier concernant l'accès aux emplois d'encadrement supérieur dans les services.

La gestion prévisionnelle des emplois semble cependant pour partie tributaire des redécoupages réguliers des unités de contrôle. Elle est, par ailleurs, fragilisée par d'importantes vacances de poste. Il existe aujourd'hui 215 postes non pourvus au sein du corps de l'inspection du travail, dont 136 en section d'inspection 31 ( * ) . Le cas de la DIRECCTE Île-de-France est là encore éloquent. La région a enregistré une diminution du nombre de ses unités de contrôle entre 2017 et 2018, passant de 47 à 43. Le nombre de section d'inspection a, dans le même temps, été ramené de 468 à 423. Pour occuper celles-ci, la DIRECCTE ne peut s'appuyer que sur 358 agents de contrôle, soit un taux d'occupation de moins de 85 %. Il convient de relever que sont comptabilisés parmi les 358 agents de contrôle, les inspecteurs du travail actuellement en formation. Afin d'assurer la continuité du service public, les agents assurent l'intérim sur une ou deux sections vacantes. 38 inspecteurs du travail stagiaires ont rejoint la DIRECCTE au 1 er juillet 2019, portant le nombre d'agents de contrôle à 396. Restent que ces derniers ne disposent pas de l'expérience idéale pour pleinement assurer leurs fonctions dans une région, dont la spécificité tient à la fois à la présence de nombreux sièges sociaux et aux nombreux travaux d'infrastructures sur son territoire (chantier du Grand Paris). Compte-tenu des vacances de poste, la région Île-de-France dépasse largement l'objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle pour atteindre 11 347 salariés par agent de contrôle.

Recommandation n° 1 : Repenser l'organisation territoriale de l'inspection du travail afin d'équilibrer la charge pesant sur les sections.

Recommandation n° 2 : Prendre en compte les disparités territoriales et les postes effectivement pourvus pour atteindre l'objectif national de 10 000 salariés par agent de contrôle.

Les vacances de poste posent également des difficultés dans certains départements ruraux - le cas de l'Aisne a ainsi été évoqué - déjà marqués par un problème d'éloignement entre l'inspection du travail et les salariés. Vos rapporteurs spéciaux relèvent le manque d'attractivité de ces départements pour les jeunes inspecteurs du travail qui privilégient d'autres postes au sein de DIRECCTE plutôt que de choisir un poste au sein d'une UD. Les postes ouverts dans la Creuse n'ont, ainsi, pas été pourvus à l'occasion de la dernière promotion d'inspecteurs du travail.

La question des vacances de postes est particulièrement prégnante quand elle vient s'ajouter à celle de la réduction concomitante du nombre d'agents de contrôle pleinement opérants. Ces manques sont d'autant plus criants qu'ils s'inscrivent dans un contexte marqué par une réforme profonde du droit du travail et donc, par un accroissement des travaux de veille juridique.

Recommandation n° 9 : combler prioritairement les vacances de postes en y affectant les lauréats du concours de l'inspection du travail.

5. La persistance d'un malaise social

La réforme « Ministère fort » tend à prendre en compte les observations de l'Inspection générale des affaires sociales émises en 2010 et 2011 et les conclusions de la Cour des comptes sur le risque d'isolement des agents de l'inspection du travail liés à la pratique en solitaire de leur activité et sur une forme d'individualisme dans le choix des contrôles. La Cour des comptes rappelait d'ailleurs dans son rapport le constat émis par la direction générale du travail sur l'existence d'une culture antihiérarchique voire « ahiérarchique » au sein de l'inspection du travail.

L'appréciation de la DGT quant à la culture antihiérarchique de l'inspection du travail se fondait principalement sur le refus d'une partie des agents de contrôle de rendre compte de leur activité sur les outils informatiques ou d'assister aux entretiens professionnels annuels. Il convient de relever que l'autorité centrale ne recourt pas, pour autant, aux procédures disciplinaires existantes, ce que lui a d'ailleurs rappelé la Cour des comptes dans son rapport.

Une lettre adressée par le directeur général du travail à l'ensemble des agents du service public de l'inspection du travail le 4 mars 2019 vient rappeler que ces difficultés sont toujours prégnantes. Le document insiste ainsi sur les « f rictions » qu'a pu générer l'articulation entre section, unités régionales d'appui et de contrôle en charge de la lutte contre le travail illégal (URACTI) et groupe national de veille, d'appui, et de contrôle (GNVAC). Le même document souligne également la persistance de pratiques fragilisant la portée des réformes : refus de rendre compte de son activité, refus de s'inscrire dans le cadre des actions prioritaires, absence de portée utile donnée aux entretiens annuels d'évaluation, absence aux réunions de service, obstacle à la valorisation des actions et du travail accompli. La lettre souligne enfin des « comportements individuels qui font fi de la plus élémentaire courtoisie et du respect dû à chaque collègue ou de comportements collectifs fondés sur le ressort de l'intimidation ou de l'ostracisme, motivés par le seul fait de désaccords sur les pratiques professionnelles (...) ou encore de la seule appartenance à une « hiérarchie » présentée comme un adversaire ou un ennemi ».

Une décision du Conseil d'État du 1 er février 2017 vient éclairer cet état des lieux. Elle relève en effet un durcissement des relations entre certains syndicats et l'autorité centrale en pointant les actions « dont l'objet est de perturber fortement voire d'empêcher la tenue de réunions, instances de dialogue ou sessions de formation », mais qui « ne sauraient être regardées comme relevant de l'exercice normal d'une activité syndicale ou du droit de grève » 32 ( * ) .

La même décision relève, en outre que la détermination de priorités ne saurait remettre en cause l'indépendance des agents de contrôle. « L'obligation, pour les agents de contrôle, de mettre en oeuvre des priorités nationales et régionales concourant à la politique du travail » n'a pas pour objet de leur « prescrire d'exercer dans un sens déterminé leur mission de contrôle de la législation du travail ».

Les entretiens que vos rapporteurs spéciaux ont menés avec les représentants du personnel de l'inspection du travail ont démontré une véritable défiance à l'égard de la direction générale du travail , comptable des réformes engagées depuis 2009 et jugée incapable de répondre aux inquiétudes des agents de contrôle. Des critiques visant la politique du chiffre et la crainte d'une perte d'indépendance sont manifestes, dans un contexte marqué par les incertitudes pesant sur l'organisation territoriale de l'inspection du travail, suite à la parution de la circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019.

Cette tension est, de surcroît, renforcée par une série de suicides et tentatives de suicides qui ont affecté l'inspection du travail . Depuis 2017, cinq suicides et 10 tentatives ont, en effet, été enregistrées. L'agression d'inspecteurs du travail dans l'exercice de leurs missions est par ailleurs récurrente. Les organisations professionnelles ont, dans ce contexte, le sentiment que la hiérarchie ne les soutient pas suffisamment et que l'intensité de leur travail n'est pas reconnue.

Vos rapporteurs spéciaux estiment que toute nouvelle réforme doit nécessairement être accompagnée d'un effort renforcé de dialogue et de pédagogie de la part de la direction générale du travail afin de restaurer un dialogue social constructif. Il s'agit également de rassurer des agents de contrôle qui peuvent sembler pris dans des injonctions contradictoires entre la nécessaire atteinte des objectifs nationaux et la réduction des effectifs.

Recommandation n° 4 : Mieux associer les agents de contrôle à la mise en place de la nouvelle organisation territoriale prévue par la circulaire du 12 juin 2019.

Recommandation n° 11 : Mettre en place de nouveaux instruments de dialogue avec les agents de contrôle afin de répondre au malaise constaté au sein de la profession.


* 27 800 départs en retraite de contrôleurs du travail sont prévus entre 2013 et 2020.

* 28 Direct Request (CEACR) - adopted 2015, published 105th ILC session (2016)

* 29 Le troisième concours de l'inspection du travail a été ouvert en 2010.

* 30 Recrutement, formation et parcours professionnels des membres du corps de l'inspection du travail, rapport établi par M. Christian Ville et Charlotte Carson, Inspection générale des affaires sociales, juillet 2016 (2016-032R).

* 31 Résultats de la commission administrative paritaire à l'égard du corps de l'inspection du travail

* 32 Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 01/02/2017, 387641

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