PRÉSENTATION DEVANT LES MAIRES ET LES ÉLUS D'OUTRE-MER

À l'occasion de la venue à Paris des maires et élus d'outre-mer dans le cadre du Congrès des maires, la délégation a organisé une réunion le 18 novembre 2019 consacrée aux conclusions des rapporteurs sur les deux volets de l'étude relative aux risques naturels majeurs.

M. Michel Magras , président . - Je vous propose tout d'abord de respecter une minute de silence en l'honneur de Raymond Tekurio, maire de Hikueru dans l'archipel des Tuamotu-Gambier en Polynésie française, décédé cette nuit.

Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les élus locaux, se lèvent et observent une minute de silence.

M. Michel Magras , président . - Je suis particulièrement heureux de vous accueillir au Sénat, en mon nom et en celui des membres de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, et de vous souhaiter la bienvenue dans la Maison des collectivités territoriales - la vôtre - pour cette rencontre qui vous est dédiée. Si la Délégation sénatoriale aux outre-mer, que j'ai l'honneur de présider, a de nombreuses occasions d'être en contact avec vous, cette manifestation est exceptionnelle et inédite. Je me réjouis de la présence de délégations de chacune des collectivités disposant de municipalités, et je salue nos anciens collègues, en particulier Karine Claireaux, maire de Saint-Pierre, que nous avons toujours plaisir à retrouver. ( Applaudissements )

Ce temps d'échange nous importe à plusieurs titres. D'abord, vous êtes le premier maillon de la démocratie, par votre engagement en termes de proximité. Surtout, les problématiques d'outre-mer sont particulières et méritent en tant que telles une attention tout aussi particulière.

La différenciation territoriale est un principe auquel je suis très attaché pour les outre-mer, et dont je me fais volontiers le porte-parole chaque fois que l'occasion m'en est donnée. Elle signifie la mise en place de politiques publiques et de règles pertinentes qui prennent leur source dans les territoires, faisant de la municipalité, là encore, le premier échelon de la différenciation.

Dans cette optique, fidèle à sa mission constitutionnelle et conformément à la priorité définie par son président, Gérard Larcher, le Sénat souhaite associer toujours davantage à ses travaux les élus que vous êtes. D'ores et déjà, la délégation veille tout particulièrement, dans chacune de ses études, à valoriser les réalisations de vos territoires.

Notre délégation existe depuis novembre 2011, et elle est investie d'une triple mission : une mission d'information du Sénat sur les questions relatives aux outre-mer, une mission de veille pour la prise en compte des caractéristiques de leurs collectivités et une mission d'évaluation des politiques publiques les concernant. Elle compte 37 rapports à son actif, ce qui lui permet d'intervenir en amont du processus législatif pour alimenter et orienter les instances compétentes.

Surtout, il me semble important de souligner que, si nous nous efforçons d'appuyer nos réflexions sur les réalités locales, la délégation veille, depuis son origine, à ne jamais « ghettoïser » les outre-mer, pour reprendre une expression traditionnellement employée.

Du reste, sa composition y contribue, avec quarante-deux sénateurs élus pour moitié dans les outre-mer, tandis que l'autre moitié est désignée par le Sénat de manière à assurer la représentation proportionnelle des groupes et une représentation équilibrée des commissions.

Nous sommes également très attentifs à la mixité des équipes de rapporteurs - ultramarins-hexagonaux, majorité-opposition, hommes-femmes -, une méthode de travail qui permet de parvenir à des travaux consensuels et à la production de rapports approfondis bénéficiant d'une pluralité de regards et d'expériences, et qui participe aussi au décloisonnement des outre-mer.

J'en veux pour preuve les statistiques de l'activité sur l'outre-mer, tous sénateurs confondus, sur le dernier triennat : 167 questions écrites, 56 questions au Gouvernement et 22 questions orales, auxquelles il faut ajouter les déplacements des commissions - une délégation de la commission des lois, conduite par son président Philippe Bas, revient tout juste de la Guyane. Mais, pour appréhender la grande diversité de situations des outre-mer, nous organisons aussi de nombreuses auditions par visioconférence avec des acteurs de terrain et, par ce biais, nous couvrons l'étendue des outre-mer en optimisant pleinement les moyens technologiques.

Ces chiffres sont très largement nourris par le travail de contrôle et de suivi des sénateurs ultramarins, - je salue leur présence ce matin -, et l'investissement au sein de la délégation, dont les travaux sont le fruit d'une dynamique collective.

Nous veillons, en outre, à traiter de thématiques transversales, qui sont au coeur des problématiques essentielles des territoires couvrant l'ensemble de nos outre-mer, avec une approche par bassin océanique à laquelle je suis très attaché et, comme je vous le disais, se situant en amont du processus législatif.

Je me félicite à cet égard que nos travaux sur le foncier aient inspiré l'adoption de dispositions sur le foncier en Polynésie - Mayotte et la Guyane avaient déjà fait l'objet de mesures dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique -, ou encore la proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy, qui contribuera à apporter une solution aux difficultés posées par les indivisions en matière d'aménagement du territoire - je pense, par exemple, aux « dents creuses ». Bref, nos travaux trouvent une traduction concrète au sein du Sénat et en dehors, et c'est heureux. Je pourrais citer encore d'autres thématiques, comme celle des normes applicables au secteur du BTP, celles de la visibilité outre-mer, des biodiversités ou encore des risques naturels majeurs - je salue, à cet égard, la présence de Frédéric Mortier, délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer.

Malgré le travail accompli, mon ambition est toujours d'aller plus loin, de faire mieux et davantage, pour poursuivre sur la voie d'une meilleure connaissance des outre-mer et d'une prise de conscience accrue de leurs réalités.

La séquence que nous organisons ce matin est l'un des moments d'un travail que nous souhaitons plus étroit avec vous, conformément à la volonté du président Gérard Larcher.

C'est pourquoi, avec mes collègues, j'ai souhaité que la seconde partie de notre matinée soit consacrée à vous présenter les outils d'échange que le Sénat met à votre disposition. Ce sont les vôtres, et je vous invite à vous en emparer.

Le président Larcher nous rejoindra ensuite pour un temps d'échange, qu'il a voulu libre pour vous laisser le choix des thèmes qui vous paraissent devoir prioritairement être abordés. Il est à l'écoute de tous les territoires, et les outre-mer n'y font pas exception.

M. Guillaume Arnell , rapporteur coordonnateur de l'étude . - Il y a deux ans, le 6 septembre 2017, le cyclone Irma, d'une violence inouïe, frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Alors que nos deux territoires se retrouvaient coupés du monde, l'hexagone semblait soudain découvrir la puissance des cyclones, en même temps qu'il se souvenait que, au-delà des mers, c'étaient bien là des îles françaises qui étaient dévastées.

Passé le choc, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de conduire une étude sur les risques naturels majeurs outre-mer, en accord avec le président du Sénat, Gérard Larcher.

Je remercie une fois encore le président de la délégation, Michel Magras, de la confiance qu'il m'a accordée en me proposant de coordonner ce travail. Tous deux sénateurs des îles touchées, nous partagions la même approche sur ce sujet : il n'était pas question de faire une commission d'enquête et de mettre en accusation des responsables qui ont tenu durant la crise du mieux qu'ils ont pu. Il s'agissait de comprendre, de dresser un bilan sans concession de la situation à laquelle nos territoires sont confrontés et de ne surtout pas regarder le passé, mais de préparer l'avenir, en vue de tirer les leçons pour améliorer notre résistance face aux aléas futurs.

Ce travail de deux ans a abouti à deux rapports. Le premier, adopté en 2018, portait sur la prévention des risques et la gestion des crises. Le second, adopté jeudi dernier, est consacré à la reconstruction, à l'accompagnement des populations et à la résilience des territoires. Au total, ce sont 100 propositions qui ont été formulées par les quatre rapporteurs, dont je salue ici le travail, l'implication et l'engagement. Je tiens à les citer et à les remercier : Victoire Jasmin, très engagée, et Mathieu Darnaud, excusé aujourd'hui, dont le département est exposé aux aléas climatiques peu après avoir subi un séisme, pour le premier volet ; Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, territoire menacé par la submersion, et Jean-François Rapin, élu métropolitain ancré dans les problématiques ultramarines, puisqu'il préside l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), pour le second.

Quand le président du Sénat et le président de la délégation ont préparé cette matinée, ils souhaitaient que nous puissions travailler ensemble sur un sujet porté par la délégation et m'ont tout de suite proposé que cette séquence soit consacrée aux risques naturels. Ce sujet est avant tout un sujet territorial, un sujet local.

Les sénateurs de chacun des territoires, membres de la délégation, sont les relais des problématiques dont vous, élus, leur faites part. Ils sont les porte-voix des territoires, et nous sommes toujours vigilants quand vous nous interpellez. Nous avons aussi veillé à travailler directement avec vous. Nous avons eu à coeur de nous appuyer, tout au long de ces deux années, sur les collectivités et leurs élus dans les différents territoires, par visioconférence ou durant les déplacements que nous avons réalisés.

Deux rapports, 100 propositions. La prévention et la gestion de l'urgence, tout d'abord, font l'objet d'un premier rapport, dans lequel nous avons longuement analysé les risques auxquels sont confrontés nos territoires. Ceux-ci sont nombreux et, souvent, se cumulent : séismes, volcans, cyclones, tsunamis, inondations, submersion...

La connaissance des risques est fondamentale. Elle est un préalable indispensable à toute politique, et nous avons rappelé les investissements nécessaires dans le suivi de nombreux risques. Je me souviens de notre visite à l'observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe où le directeur nous expliquait le regain d'activité de la Soufrière. Nous devons maintenir d'importants moyens scientifiques.

Sur la prévention, nous avons longuement analysé les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Ces plans couvrent vos communes. Ils sont indispensables : il s'agit là de la préservation de vies humaines. Mais ils ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités de nos territoires, leur contexte géographique et les contraintes liées au foncier ou au développement économique. Nous devons avancer sur ce point. Je sais que la Polynésie française travaille sur l'évolution du cadre juridique de ses PPRN et la définition des zonages et contraintes liées : nous suivrons cette expérimentation.

Le PPRN doit également être davantage concerté. Il conditionne nombre d'aménagements des communes et doit mieux intégrer les élus en amont. Mais la prévention a besoin de moyens, et nous n'avons eu de cesse de souligner les insuffisances du fonds Barnier comme, parfois, du plan séismes Antilles. Le fonds Barnier doit poursuivre son assouplissement. Face à l'urgence d'agir, la situation économique et financière de nos collectivités comme de nos populations doit être mieux prise en compte : cela impose de revoir les taux de cofinancement et les modalités d'intervention.

Ce premier volet était aussi celui de la préparation et de la gestion de l'urgence.

Nous nous sommes intéressés aux réseaux de vigilance et d'alerte, et nous avons constaté les fragilités dans les réseaux de mesures sismiques. Je me souviens de la question des lahars au Prêcheur, à la Martinique, dont la vitesse impose une surveillance extrêmement réactive. Nous avons vu les lacunes des moyens de vigilance météorologique : on nous a signalé en particulier des manques de radars et de houlographes, par exemple.

Mais nous avons aussi insisté sur les manques criants de moyens d'alerte, parfois, et particulièrement en sirènes. Je me souviens de la situation alarmante des îles Wallis et Futuna sur ce point. Le projet « Exploit », à Saint-Barthélemy, était un bel exemple d'amélioration des alertes face aux tsunamis.

Tous ces éléments sont utiles en amont, mais aussi durant les crises. Ces crises, nous avons jugé que leur pilotage ne vous intègre pas suffisamment. Intégrer les élus, ce message a été un fil directeur de ce premier volet, qu'il s'agisse de la prévention comme de la gestion de crise. Nous appelions l'an dernier à une gestion plus inclusive des risques naturels. Nous demandions notamment des séminaires territoriaux des risques naturels, avec les élus de tous les niveaux de collectivités et les services de l'État, pour faire le point sur la préparation au risque. Nous demandions aussi à mieux intégrer les exécutifs locaux : vous, mesdames et messieurs les maires, présidents de collectivités, départements ou régions.

Après la crise viennent la reconstruction et la préparation du temps long, ce que nous appelons communément la résilience.

Concernant la reconstruction, notre réflexion s'est principalement fondée sur l'expérience de Saint-Martin. Nous avons été critiques sur ce point, constatant que le pilotage par l'État de la reconstruction avait sans doute été trop unilatéral et le suivi, lacunaire, avec la disparition du délégué interministériel au bout de dix-huit mois, quand, deux ans après, la reconstruction n'est faite qu'à 49 %. Nous avons formulé des recommandations pour améliorer les pratiques dans de telles situations. Cela est valable aussi pour le déficit de coordination dont la collectivité avait la charge. Il faut que, face aux catastrophes naturelles, l'État s'appuie sur les élus locaux.

Mais, au-delà de la reconstruction, nous avons voulu penser plus globalement à l'adaptation de nos territoires et aux aménagements nécessaires à celle-ci.

Nous avons parlé de l'évolution des risques liés aux changements climatiques à l'horizon de 2050, qui touchera tous nos territoires, menaçant jusqu'au plus nordique d'entre eux, Saint-Pierre-et-Miquelon ; de l'évolution du trait de côte, par exemple, qui n'épargne aucun de nos territoires, pas même la Guyane et son littoral si étendu ; de l'évolution de certains risques, enfin, qui se sont présentés récemment. Je pense ici aux sargasses dans les Antilles, ces algues toxiques et paralysant l'activité de certaines communes. Nous avons appelé à mieux accompagner les communes qui n'ont souvent pas les moyens de procéder à l'indispensable ramassage rapide de ces algues. Je pense ici aussi, naturellement, à ce volcan qui, depuis plus d'un an, a provoqué plus de 1 800 séismes à Mayotte et fait se déplacer et s'enfoncer l'archipel. Nous avons souligné la nécessité de tenir informés les élus, qui sont interpellés au quotidien par une population inquiète.

Face à ces risques, face à ces évolutions, nous avons voulu insister sur les stratégies d'aménagement.

Cela nous a conduits à nous intéresser aux normes. Ces adaptations doivent venir du terrain. Je tiens ici à saluer le dynamisme de nos territoires sur ce point. Je pense en particulier à La Réunion, où les acteurs du BTP sont mobilisés avec le Centre scientifique et technique du bâtiment pour l'amélioration de la résistance des matériaux et des pratiques de construction face aux vents cycloniques. Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, qui mène depuis 2016 un vaste projet d'adaptation des normes, et dont les études ont permis de réévaluer les vitesses de vents à prendre en compte en considérant les projections et les niveaux constatés empiriquement sur le territoire, et d'établir une nouvelle cartographie.

Sur ce sujet des aménagements, je n'oublie pas une question transversale, celle des réseaux. Nous avons demandé que des plans de résilience soient établis pour prévoir avec l'État et les opérateurs les enfouissements nécessaires. Nous en parlons depuis si longtemps, Irma a montré que cela était indispensable. Je n'oublie pas non plus que les aménagements sont aussi parfois naturels. Le projet « Rescue Ocean » nous l'a montré : il est urgent de valoriser les systèmes de protection côtiers.

Nous avons enfin souligné ce que l'évolution anticipée des risques signifiait, ce qu'elle imposait comme réflexions sur la préparation de nos territoires comme de nos populations. Nous appelons à impulser une réelle acculturation aux risques. Cela doit notamment conduire à des exercices plus fréquents, mais aussi à une amélioration de la couverture assurantielle.

Les sujets sont nombreux, et tous nécessitent que nous travaillions ensemble. C'est le sens de cette matinée.

Je l'ai dit lors de la présentation devant la délégation jeudi dernier, l'ambition de résilience de nos territoires ne pourra se faire qu'avec des moyens financiers adéquats et un portage politique déterminé et suivi dans la durée. Nous nous battrons à vos côtés pour que cette ambition devienne une réalité. Il y va de l'avenir de nos territoires et de la protection de nos populations.

Ce travail, comme tous les rapports réalisés par la délégation, a été conduit dans une démarche constructive. Il doit maintenant servir à l'ensemble des acteurs de la prévention et de la gestion des risques, ainsi qu'au Gouvernement. Un projet de loi est annoncé pour le printemps 2020, et je salue, moi aussi, la présence de Frédéric Mortier, qui travaille actuellement à la préparation de ce texte.

Il y a trente ans, le cyclone Hugo balayait la Guadeloupe. Quelques semaines plus tard, le Président de la République François Mitterrand était présent dans le territoire sinistré. Aux responsables locaux qu'il avait rencontrés, il avait déclaré : « Je viens d'écouter vos propos avec intérêt, car ils ajoutent à la connaissance des dossiers cet élément irremplaçable du témoignage direct d'hommes et de femmes qui ont vécu ce drame, qui sont impliqués dans la gestion, qui se préoccupent de la situation des êtres humains frappés dans leurs biens, sans doute, et plus encore souvent dans leurs espérances, comme fouettés au milieu de l'effort engagé depuis longtemps pour donner à la Guadeloupe l'équilibre qu'elle mérite ». Tout était dit. Car là est bien notre rôle à tous, ici : être les porte-paroles des réalités complexes, singulières et délicates de nos collectivités et de nos populations. Qui peut prétendre connaître vos territoires mieux que vous, élus de terrain ?

Aujourd'hui est la première étape du suivi de nos travaux. Je souhaite que ce suivi demeure régulier, étroit, exigeant à vos côtés.

M. Michel Magras , président . - Merci, cher collègue. Je vous propose à présent de procéder à un temps d'échanges avec la salle.

M. Alain Sorèze . - Je suis conseiller municipal de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Je vous félicite pour ces travaux. En sus de ce rapport, il serait bon, à mon sens, de produire une étude comparative sur la gestion des catastrophes naturelles par les pays voisins dans les zones où se trouvent des collectivités d'outre-mer.

Vous avez signalé que le programme de reconstruction de Saint-Martin avait avancé à hauteur de 49 %. Quel est le niveau d'avancement de cette reconstruction dans la partie hollandaise et quelles sont les raisons de cette situation ?

Nous devons également réfléchir aux modalités de la nécessaire coopération qui doit se mettre en oeuvre après les catastrophes, notamment sur le plan militaire.

Par ailleurs, les alertes transitant par des canaux comme France Télévisions, n'ont plus d'écho, notamment chez les jeunes. Par conséquent, ne serait-il pas judicieux de lancer une application officielle destinée à assurer une information fiable pour tous les citoyens, à l'image de l'information officielle communiquée en cas de crise aux Français en déplacement à l'étranger ?

M. Guillaume Arnell , rapporteur coordonnateur . - Travailler sur l'étude que vous suggérez serait envisageable, mais probablement assez compliqué. En effet, un rapport prend du temps et mobilise des énergies. De plus, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a déjà d'autres rapports en cours d'élaboration, et la planification de ses travaux a déjà été fixée pour l'année à venir.

L'étude comparative que vous demandez serait néanmoins intéressante pour traiter du cas de Saint-Martin. Mais je tiens à dire que nous n'avons pas à rougir des actions menées par la France à la suite du passage de l'ouragan Irma. Je le pense très sincèrement, la France a été à la hauteur de l'attente. Nous n'avons pas à rougir, je le répète, d'autant moins lorsque nous regardons la situation catastrophique que connaissent aujourd'hui les Bahamas ou Porto Rico.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons toujours faire mieux, notamment sur le plan de la coordination de l'État avec les élus locaux. Cette coordination gagnerait à être améliorée, dans le respect des responsabilités de chacun. L'État doit jouer pleinement son rôle, mais les élus locaux ne doivent pas être privés de leur rôle de terrain, appuyé sur leur bonne connaissance des populations fragiles.

Quant au pourcentage d'avancement de la reconstruction, il ne pouvait pas être réactualisé en permanence au cours de la production de notre rapport. Le pourcentage de 49 % évoqué doit donc être pris avec quelques nuances : il est issu des données du programme spatial européen Copernicus établies en août 2019.

La reconstruction a connu une période difficile du fait du manque d'approvisionnement en matériaux, du temps nécessaire pour organiser les équipes, etc. Mais depuis quelque temps les choses s'accélèrent. Ce pourcentage est donc très vraisemblablement dépassé. Lors de notre déplacement sur le terrain, les stigmates étaient encore très visibles. Ils le sont moins à présent. Il reste toutefois bien des choses à faire, notamment à l'intérieur du territoire.

Par ailleurs, si l'on ne coopère pas en période de paix, hors phénomène climatique, il est difficile de le faire en temps de crise. Nous devons donc amplifier notre coopération, surtout avec Sint-Maarten. Malheureusement, celle-ci se fait souvent à sens unique. Nous mettons à disposition nos écoles, nos services hospitaliers, sans être forcément payés de retour. Nous devons donc faire en sorte de mieux structurer cette coopération, et peut-être également la gérer plus localement pour gagner en efficacité. Cela améliorera notre performance en période de crise.

À titre d'exemple, comment se fait-il que la partie hollandaise ne soit pas en mesure de nous alimenter en eau ? Un séminaire avait été organisé avec le syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (Siaeag) précisément sur le sujet de la gestion de l'eau en période de crise. Nous devons arriver à mieux nous adapter à la situation. De manière générale, nous devons travailler de façon continue et non plus par saccades, lorsque les événements nous y conduisent, comme nous le faisons aujourd'hui.

M. Michel Magras , président . - Les travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer font toujours l'objet d'un suivi attentif sur plusieurs années. Le rapport qui vous a été présenté ne fera pas exception. Nous nous assurerons notamment que les dispositions à caractère législatif qu'il comporte figurent bien dans le projet de loi sur les risques naturels majeurs pour les outre-mer.

Je félicite par ailleurs toutes les parties prenantes pour l'important travail de coopération qui a été mené dans le cadre de l'organisation de l'exceptionnelle conférence internationale sur les sargasses, qui s'est tenue du 23 au 26 octobre 2019 en Guadeloupe. La coopération est nécessaire de manière générale. Elle est toutefois peut-être plus facile à mettre en oeuvre dans les Antilles que dans le Pacifique, pour des questions d'échelle notamment.

Sur la communication, des préconisations ont été faites dès le premier rapport. Nous veillerons à en suivre les résultats.

Mme Victoire Jasmin , rapporteure . - Lorsque nous nous sommes déplacés à Saint-Martin, nous avons rencontré différents médias locaux. Il existe sur cette île une grande variété de populations qui parlent des langues différentes et n'écoutent pas toutes, par conséquent, les médias français, même en zone française. Ainsi, la plupart des gens consultent davantage les informations véhiculées par le National Hurricane Center (NHC) que celles communiquées par Météo France.

Guillaume Arnell a insisté pour que les médias locaux fassent désormais partie de la chaîne de personnes ressources fiables susceptibles de relayer dans les différentes langues les messages de la préfecture déléguée de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

M. Guillaume Arnell , rapporteur coordonnateur . - Comme vous le verrez dans le rapport, dans la partie hollandaise de l'île de Sint-Marteen, les réparations sont financées et pilotées par la Banque mondiale, contrairement à ce qui est pratiqué dans la partie française.

M. Ali Madi . - Je suis conseiller municipal de Sada à Mayotte. J'ai beaucoup apprécié le rapport qui vient d'être présenté. J'aurais aimé entendre davantage parler de Mayotte, mais j'imagine que les autres territoires d'outre-mer auraient souhaité la même chose les concernant.

Les tremblements de terre survenus à Mayotte ont mis à mal la structure de nombreux bâtiments, aujourd'hui fissurée. Or ce problème n'est pas pris en compte dans la construction de nouveaux bâtiments, où les mêmes méthodes archaïques restent employées. Nous risquons donc de répéter les mêmes erreurs que par le passé, ce qui produira des conséquences néfastes si la situation s'empire. Cet élément est-il pris en compte dans l'étude que vous avez conduite sur ce sujet ?

Par ailleurs, le village de Sada se trouve sur le littoral. Mais il ne faut pas oublier que des populations incontrôlées vivent dans les hauteurs, dans un environnement également touché par les conséquences des séismes, auquel la politique publique territoriale ne peut accéder. Or cela pose des problèmes notamment pour la gestion de l'eau. Quelles mesures serait-il possible de prendre pour prévenir ces risques de salubrité publique, qui menacent également les mangroves ?

Enfin, vous employez la notion d'archipel dans votre rapport. Cette notion désigne-t-elle Mayotte ou les Comores ?

M. Abdallah Hassani , rapporteur . - Mayotte a subi plus de 2 000 séismes. Si une accalmie se présente aujourd'hui, cela tient au fait que le volcan qui en est la cause s'est en quelque sorte endormi.

La population n'était pas alertée, car nous ignorions son existence. Il a fallu des missions scientifiques pour déterminer que les séismes étaient dus à la naissance d'un volcan. Ces missions se poursuivent. Nous statuerons ensuite, dans quelques mois ou dans deux ans, sur les actions à mener. Pour l'instant, l'essentiel est que la population soit informée. Lors d'un séjour à Mayotte j'ai pu constater que les élus eux-mêmes n'étaient pas informés. Les informations étaient gardées à la préfecture et communiquées par à-coups.

Il faudrait que les élus locaux soient mieux informés de l'évolution de ce volcan, pour qu'ils puissent ensuite diffuser cette information auprès de la population. Aucune prévention ne peut en effet être mise en oeuvre sans une bonne information de la population.

Concernant l'enfoncement de l'archipel, c'est la Petite-Terre qui s'est enfoncée de quinze-centimètres, non la Grande-Terre. Il faut que des études plus approfondies soient menées. Il nous faut faire avec cette réalité, nous n'allons pas quitter l'île. Toutes les îles concernées sont dans cette situation.

M. Thani Mohamed Soilihi , vice-président du Sénat, président de la délégation du Bureau chargé de la présence du Sénat dans les territoires . - Mayotte a été bien prise en compte dans le rapport, qui comporte de nombreuses recommandations et préconisations la concernant.

Par ailleurs, comme cela a été précisé à de nombreuses reprises, face à l'ampleur du désastre et à la multiplication des essaims de séismes, les gens ont paniqué. C'était la première fois qu'ils vivaient cela. Pour beaucoup, c'était la fin du monde. D'où l'importance de la prise en charge psychologique.

Nous l'avons vu récemment en Ardèche, le moindre tremblement de terre est très médiatisé lorsqu'il se produit en métropole. Dans nos coins reculés, pour qu'un événement fasse parler de lui, il faut vraiment quelque chose d'extraordinaire. Mayotte a toutefois bénéficié à l'époque d'une certaine couverture médiatique.

De manière générale, au Sénat, les situations ultramarines sont prises en compte à la hauteur des enjeux.

Je précise qu'un délégué interministériel, Frédéric Mortier, a été spécialement désigné par le Gouvernement pour traiter de la question des risques naturels majeurs. C'est une très bonne chose. Il manque encore de nombreuses réponses, mais le travail de M. Mortier et de son équipe nous les apportera. Nous serons alors à même dans tous les territoires d'outre-mer d'en savoir plus et de construire des préconisations et des solutions de terrain.

Mme Inayat Ali . - Je suis adjointe au maire de Sada. Vous dites que Mayotte va disparaître. Or nous, nous y vivons ! Nous savons maintenant que les séismes sont dus à un volcan. Sachant que les alertes relatives à la montée des eaux sont fréquentes, nous vivons dans la peur. Et nous manquons de réponses.

Nous aimerions être informés de l'état de Mayotte et savoir si la France s'est préparée à une éventuelle évacuation. Lorsque je suis partie pour venir ici, je me suis demandée si Mayotte serait toujours là à mon retour. Il faut donc que la population soit rassurée, informée et préparée si nécessaire.

M. Jean-François Rapin , rapporteur . - Sur le sujet mahorais et celui de l'adaptation des bâtiments aux éventuels séismes, une mission du conseil scientifique et technique du bâtiment s'est rendue sur place. Elle a regardé comment nous pourrions adapter les logements individuels et communs afin de permettre l'absorption des secousses.

Je tiens également à vous dire que Mayotte n'est pas oubliée. Nous l'évoquons régulièrement dans cette délégation. Nous avons conscience que le problème des Mahorais est très important. Avec la distance, Paris oublie parfois l'importance des problématiques outre-mer.

Je rebondis aussi sur une partie du rapport qui m'est chère et que M. Thani Mohamed Soilihi a évoquée, à savoir la prise en compte du phénomène psychologique. Je crois que nous devons tous - professionnels de santé, élus, décideurs - veiller à le prendre en considération, car il a deux dimensions. Tout d'abord, il représente l'écueil de l'immédiateté, qu'il est important de traiter. Ensuite, ce phénomène psychologique a, dans le cadre de la reconstruction, une dimension très importante. Il faut en effet donner envie aux gens de reconstruire et de revivre sur les lieux du drame. On dit que l'on progresse tout le temps et que l'on grandit de ses échecs : je pense qu'une catastrophe naturelle peut être considérée comme un échec. Souvent, nous ne traitons pas cette dimension psychologique de la bonne façon : nous favorisons trop rapidement la volonté de reconstruire. Les témoignages de Guillaume Arnell nous permettent de comprendre que c'est à distance de l'événement que les soucis surviennent. Il s'agit de difficultés psychologiques, mais aussi d'éclatement de familles par exemple. Or, cela n'est pas bon pour la reconstruction et la résilience.

Enfin, je souhaite - plutôt : j'exige - que l'État assure un suivi des pathologies organiques et de tout de ce qui pourrait survenir après la catastrophe. Quand on subit un choc, avec une angoisse violente et un traumatisme psychologique, on peut, plusieurs années après, développer des maladies, qui sont difficiles à prendre en compte : diabète, cancer, problème de thyroïde. Je suis convaincu de l'importance de ce suivi. Je vois le délégué ministériel opiner du chef ; il est donc tout est à fait d'accord avec moi ! Il faut déployer les moyens nécessaires. En période de paix, une configuration internationale doit pouvoir être envisagée pour protéger les populations. Il s'agit d'un élément essentiel de la reconstruction.

M. Michel Magras , président . - Aucun territoire n'est oublié, tous les risques sont examinés dans ce rapport et les propositions feront l'objet d'un suivi.

Les normes ont fait l'objet d'un travail engagé il y a deux ou trois ans par la délégation. Ce travail commence à avoir un écho remarquable auprès d'organismes tant nationaux tels que le BNTEC et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) que locaux. Il existe une réelle volonté de prendre en considération le besoin d'adapter les normes aux exigences des outre-mer. Nous le savons bien, celles-ci varient selon que l'on se trouve à Mayotte, aux Antilles ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette délégation a la volonté d'aller vers du concret et donc des dispositions qui doivent permettre à nos territoires d'avancer.

M. Christian Vernaudon . - Je suis conseiller municipal de Punaauia et le représentant de la Polynésie française au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ma question porte sur la convention citoyenne pour le climat. Le Président de la République a annoncé qu'il demanderait à cette convention citoyenne pour le climat de lui faire des propositions, fin janvier, en matière de politique à mener par la France sur les sujets du réchauffement climatique et de la biodiversité.

Cette convention citoyenne a été dotée d'organes de gouvernance, ce qui représente une vingtaine de personnes. Le premier constat que nous avons fait - membres du groupe outre-mer du CESE et membres de la délégation outre-mer du CESE - est qu'aucune de ces vingt personnes n'est originaire des outre-mer.

Par ailleurs, cette convention citoyenne est composée de cent cinquante personnes tirées au sort. Il nous avait été annoncé que la répartition de ces personnes serait conforme à la répartition des populations. Or, seule une personne est originaire des outre-mer : elle est de La Réunion. Il n'y a aucun représentant de l'Atlantique ni du Pacifique.

Dans ce contexte, dès le 25 octobre, le président de la délégation outre-mer du CESE, Jean-Étienne Antoinette, l'un de vos anciens collègues qui fut sénateur de la Guyane, ainsi que les conseillers économiques, sociaux et environnementaux du Pacifique ont écrit au président Patrick Bernasconi et aux membres du comité de pilotage pour demander la venue d'experts ultramarins. Nous souhaitons en effet qu'ils puissent présenter nos problématiques, car nous sommes particulièrement concernés par le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. Nous avons récrit la semaine dernière, mais nous n'avons aucune réponse. L'ensemble des débats de cette convention citoyenne occulte à 100 % les problématiques de l'outre-mer.

J'ai donc deux choses à vous dire. Tout d'abord, votre rapport, qui est de très grande qualité, mériterait d'être présenté devant cette convention citoyenne. Ensuite - et je m'adresse au président du Sénat qui a désigné une garante, Mme Michèle Kadi -, comment faire pour que les outre-mer ne soient pas à 100 % oubliés dans cette convention citoyenne ?

M. Michel Magras , président . - Nous sommes sensibles à votre déclaration, M. Vernaudon. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous sommes quelque peu habitués à cette situation : les territoires d'outre-mer sont en général oubliés, et cela ne date pas d'hier. Nous ne pourrons pas vous apporter de réponse, mais le président du Sénat, qui nous a rejoints, vous donnera à l'évidence quelques éléments de réponse lors de l'échange, connaissant son engagement pour nos outre-mer.

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