D. ÉCHEC DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE RELANCE ÉCONOMIQUE

Faute de moyens de relance économique par voie d'intervention directe de l'État, on se replia sur le levier des politiques monétaires « accommodantes » dont on avait sous-estimé les effets pervers systémiques. L'injection massive de liquidités, accompagnée d'une baisse des taux directeurs à un niveau inimaginable jusque-là, changeant la donne - comme l'analyse Adam Tooze 297 ( * ) - va s'avérer un piège mortel.

Comment, en effet, faire fonctionner un système financier au robinet du crédit grand ouvert, où l'épargnant doit payer pour pouvoir prêter, où les banques et les fonds patrimoniaux, de pensions, etc., ne vivent plus de l'intermédiation 298 ( * ) , mais de placements spéculatifs ?

Comment faire fonctionner une économie quand il devient plus intéressant pour une grande entreprise de racheter ses concurrents que d'investir pour augmenter sa productivité et diminuer ses coûts, pratique poussée à l'extrême par les GAFAM ? (voir partie I)

Les banques centrales se sont prises à leur propre piège : continuer à produire de la monnaie, favoriser l'endettement, pour maintenir à flot l'économie et accessoirement éviter leur propre faillite, sans alimenter la machine à bulle et précipiter la chute finale ? (voir partie I)

C'est évidemment impossible.

Doper la production bancaire de crédit grâce au « quantitative easing » et aux taux très bas, sinon négatifs, c'est, en effet, augmenter la masse de dette privée, le risque de krach et enfermer le financement de l'économie dans le dilemme mortifère des drogués : soit continuer éternellement la production de crédit dont dépendent les cours de la bourse et l'activité économique et risquer un krach majeur à terme, soit ralentir, voire cesser cette production et prendre le risque d'un effondrement boursier et d'une crise économique, lourde de conséquences politiques.

On comprend qu'entre le risque d'un krach à moyen ou long terme et celui d'une crise politique majeure quasi immédiate, l'establishment étasunien ait fait le premier choix.

Après tout, pour un Président, quatre ans de mandat passent vite. En Europe, on a choisi les deux : la stagnation économique et la fatalité du krach !

Ceci dit, il faut constater que la politique des USA, à la différence de celle de l'Europe, a au moins le mérite de la cohérence.

À la différence des responsables étasuniens qui intervinrent immédiatement après le krach de 2008, il fallut, en Europe, beaucoup de temps avant qu'un plan de relance coordonné de la BCE et des États soit opérationnel.

La doctrine de Jean-Claude Trichet et des Allemands se résumait à un non-interventionnisme dogmatique doublé de rigorisme budgétaire, officiellement au motif qu'il en allait de la stabilité de la zone euro.

Le motif véritable était le choix du sauvetage des banques allemandes et françaises qui s'en étaient allées spéculer dans les eldorados qu'étaient devenus les derniers ralliés à l'UE et à la zone euro.

La spéculation sur la dette souveraine menaçant la survie de la monnaie unique, la stagnation économique s'installant et la vague « populiste » enflant, Jean-Claude Trichet laissant la place à un homme de Goldman Sachs - Mario Draghi - la BCE se mit au QE et aux taux très faibles..., tout en maintenant les politiques de rigueur budgétaire et leurs effets calamiteux pour les populations, ce qui était contradictoire.

D'où la construction de l'usine à gaz du MES (voir partie II) accompagnée de la perte de liberté budgétaire des États 299 ( * ) .

Au final, non seulement le bilan de la BCE, gorgé de titres de marché, n'est pas dans un meilleur état que celui de la Fed, mais la stagnation économique s'éternise, voire s'approfondit, en Europe 300 ( * ) .

Pas étonnant donc que l'économie européenne - y compris celle de l'Allemagne - stagne et que les nuages noirs de la contestation politique de cette politique attentiste soient beaucoup plus nombreux et denses sur le vieux continent que dans le Nouveau Monde.

Comment ne pas douter de la compétence de dirigeants et de bureaucrates qui depuis dix ans obtiennent de tels résultats ?


* 297 Adam Tooze, Crashed , aux éditions Les Belles Lettres.

* 298 De la différence entre taux à court et long termes.

* 299 Si dès le traité de Maastricht cette liberté était bridée, les obligations, faute de sanctions, restaient plus théoriques que réelles. On peut constater que cette rigueur n'existe pas, vis-à-vis de l'Allemagne, s'agissant des excédents.

* 300 Les prévisions de croissance pour 2019 sont de +1,2 % en moyenne et de +0,5 % en Allemagne contre 2,6 % aux USA en production industrielle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page