OUVERTURE DU COLLOQUE,
PAR M. GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Le colloque s'ouvre à 14 heures.

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Monsieur le président de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, cher Jean-Marie Bockel, chers collègues, chers rapporteurs, Bernard Delcros, Jean-François Husson, Franck Montaugé, Raymond Vall, bienvenue au Sénat pour débattre d'un sujet qui est au coeur de nos préoccupations, l'avenir des territoires ruraux et le rôle des collectivités en matière de développement local. Je vous propose de l'aborder sans nostalgie ni misérabilisme, en rappelant que le Sénat est l'assemblée de toutes les collectivités territoriales. On a parfois dit, sous la III e République, que nous étions l'assemblée du seigle et de la châtaigne. Nous sommes en tout cas tout le territoire et la France est tout à la fois, disait le général de Gaulle. C'est cette France « tout à la fois » que nous souhaitons incarner ici au Sénat.

Les territoires ruraux rassemblent 22 millions de nos concitoyens, soit 35 % de la population française. Ces territoires, nous les connaissons. Ce ne sont pas des lieux où l'on se contenterait d'habiter, en marge d'espaces urbains qui auraient le privilège du dynamisme. Ce sont des lieux empreints de géographie et d'histoire, où l'on vit, où l'on crée, où l'on construit la France de demain. On oublie qu'une partie du tissu industriel de notre pays est située dans ces territoires, dans des villes petites et moyennes qui sont les premières touchées par la poursuite de la désindustrialisation. Je le dis alors que je me suis intéressé, il y a quelques semaines, à la question de la réindustrialisation.

Ces territoires ne sont pas toujours considérés avec justesse. Nous avions écrit à François Hollande en 2015 en lui faisant part du sentiment qu'ont parfois ces territoires de représenter une France d'à côté. Christophe Guilluy parlait alors d'une France périphérique. C'était un sentiment similaire, celui que peuvent ressentir certains de nos concitoyens, entre métropolisation, financiarisation, mondialisation, c'est-à-dire l'impression d'être un peu à l'écart de la République. Ces personnes sont d'ailleurs montées sur les ronds-points il y a tout juste un an.

Je veux avec vous poser sereinement la question : peut-on apporter une réponse globale à des problèmes qui ne s'expriment pas tous de la même façon ? Le Premier ministre a présenté le 20 septembre dernier - et je m'en réjouis - un plan intitulé « Nos campagnes, territoires d'avenir ». 173 mesures apporteront-elles une réponse concrète et adaptée ?

J'insiste sur un mot que l'on retrouve dans de nombreux débats entre régions, départements et maires, une réponse différenciée, c'est-à-dire tenant compte des caractéristiques des territoires. La ruralité, ou les ruralités, constitue d'abord le reflet de la diversité de notre pays.

Je suis convaincu que c'est de la diversité et donc de l'identité de nos territoires que peut venir une forme de renouveau, y compris sur le plan démocratique, car la question de la confiance est aussi posée. La perte de confiance constitue peut-être le premier sujet politique que nous avons à traiter, les uns et les autres.

Nous devons donc, sans aucun doute, revoir notre modèle institutionnel. C'est la raison pour laquelle j'appelle à une nouvelle génération de la décentralisation. Je l'ai fait à Bordeaux et à Bourges. C'est indispensable. Elle doit être fondée sur une réelle subsidiarité et sur une confiance avec les élus du territoire.

Parlons d'optimisme et de volontarisme, à rebours du sentiment de fatalité que l'on ressent trop souvent. Il ne faut certes pas mésestimer l'impression de marginalisation que ressentent un certain nombre de territoires, ce sentiment de ne plus compter dont vous êtes les premiers observateurs. En 21 mois, j'ai effectué il y a peu un déplacement dans un soixante-douzième département, entre Haute-Marne et Meurthe-et-Moselle. Je puis vous dire qu'il est des territoires qui ont ce sentiment, parfois, qu'ils ne compteraient plus dans la République, ce qui conduit à des attitudes politiques qu'il faut entendre autant comme des cris de désarroi que comme des choix.

J'ai perçu, à travers mes déplacements, trois enjeux :

- le premier est la fracture numérique, même si la situation progresse. Il est des territoires où le caractère blanc est plus important qu'ailleurs. De trop nombreux habitants ont des difficultés à accéder à des niveaux de débit convenables, parfois même avec un téléphone portable - j'ai fait ce test à maintes reprises. Une part importante de la population n'est pas encore entrée dans cette ère et vit cette exclusion ;

- la question de l'accès aux soins et de la désertification médicale est également majeure. Le Président de la République fut lui-même surpris de constater que cette question était le deuxième sujet abordé dans le cadre du Grand débat, alors qu'elle ne figurait pas dans le questionnaire. Je ne connais pas une assemblée de maires où cette question ne fut au coeur des interrogations. Les réponses qui y ont été apportées sont extrêmement différenciées. Dans le département de l'Yonne, le fait de compter cinq fois moins de pédiatres par enfant, en moyenne, que dans mon département des Yvelines, est-il un signe d'égalité dans l'accès aux soins ? Le département de Saône-et-Loire - dont le président n'est pas un dangereux révolutionnaire - aura l'an prochain cent médecins généralistes salariés, ce qui est une autre forme de réponse aux enjeux de ce territoire.

La question de l'accès aux soins sera également évoquée à travers la question de la présence hospitalière, car c'est un autre aspect extrêmement important. Un texte a été voté majoritairement dans les deux assemblées, ce qui est un premier pas ;

- le troisième enjeu est celui de la mobilité et de l'accès aux services, qu'ils soient publics ou privés. Je suis convaincu que la réponse viendra d'abord d'une dynamique propre à nos territoires, bien plus que d'un schéma d'accessibilité aux services publics qui serait mis en place sous l'égide d'un commissariat général à l'égalité des territoires.

Au fond, c'est une évidence ; le premier service public de proximité est la mairie. Ne l'oublions pas, c'est une réalité incontournable. La subsidiarité devrait être au coeur du projet de décentralisation. Les collectivités du bloc communal doivent retrouver la liberté d'agir et pouvoir apporter une réponse qui ne soit pas nécessairement la même que celle de la collectivité voisine. Elles doivent aussi avoir les moyens d'agir, ce qui pose la question de l'autonomie financière et fiscale.

Il m'apparaît aussi que deux écueils doivent être évités lorsque nous parlons de ruralité :

- le premier consisterait à estimer que le remède ne peut venir que d'en haut, qu'il faudrait plus d'État, plus de politiques descendantes et plus de Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). L'intitulé même du colloque rappelle que les collectivités territoriales peuvent être le premier levier de développement des territoires qu'elles administrent. Il ne faut pas moins d'État mais un État autrement sur les territoires.

Nous avons - et c'est une responsabilité largement partagée par des majorités successives - affaibli l'État territorial au profit d'un État régional et plus encore d'agences innominées dont les décisions, innominées, reviennent en boomerang à des préfets de région, puis à des préfets de département, qui sont alors privés de capacité à dialoguer avec les élus du territoire.

Nous avons besoin de l'État au plan local afin de bénéficier d'accompagnement et de conseil, parfois d'ingénierie. Je recevrai le nouveau patron de l'Agence nationale de cohésion des territoires et nous devrons prendre garde à ne pas nous marcher sur les pieds, au sein des territoires, du fait de l'ingénierie territoriale mise en place par un certain nombre de départements ou au travers d'accords entre de grandes collectivités et des territoires ruraux. N'ayons pas le génie français du doublon qui peut paralyser un dispositif.

L'État doit jouer pleinement son rôle, maintenir les financements au niveau attendu et contractualiser au plus juste. La proposition de Bernard Delcros, Rémy Pointereau et Frédérique Espagnac visant à proroger, au moins jusqu'au 31 décembre 2021, les mesures en vigueur dans les zones de revitalisation rurale, pour les communes qui bénéficient du dispositif, me paraît importante. Cette période devrait être mise à profit pour définir des critères plus adaptés aux fragilités des territoires ;

- le second écueil consisterait à opposer grandes villes, métropoles, villes moyennes, bourgs-centres et villages. Il faut comprendre le lien et la dynamique d'entraînement. Je vois Raymond Vall et d'autres élus de ce territoire du sud-ouest, non loin de Toulouse, notamment le Gers. Ce peut être un exemple à méditer pour d'autres territoires.

Je sais que vous avez auditionné Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS, dont les travaux ont cherché à vérifier l'hypothèse d'une pensée aujourd'hui dominante : la capacité des métropoles à « ruisseler » sur les territoires avoisinants. Les résultats auxquels le groupe de travail sénatorial a eu accès montrent que toutes les métropoles n'ont pas eu d'effet d'entraînement, loin de là. Il n'y a guère de vérité unique. Parmi les conditions de réussite figure manifestement l'existence de projets de territoire et de visions partagés. Nous avons eu ce débat au Sénat il y a peu de temps. Il reprend à l'Assemblée nationale, avec peut-être un peu moins d'expérience du bloc communal. Je le vois dans les premiers travaux de commissions. Nous devrons y être attentifs. Je m'en suis entretenu hier matin avec le président Ferrand. Il est question notamment d'un certain nombre d'intercommunalités « XXL », mais ce qui peut convenir pour des vêtements ne convient pas nécessairement pour des territoires !

La dynamique humaine dont ont besoin les territoires ruraux est également essentielle (synergies, alliances avec les territoires urbains, rôle des villes moyennes, dont nous avons trop peu parlé).

À la fin du premier semestre, ainsi que le Premier ministre l'a annoncé à Bordeaux, il devrait nous proposer une loi dite « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration). Ce sont trois « D » qui sonnent bien ici. J'y ajouterais la lettre « C », pour confiance, car tel est bien le sujet numéro un.

Je remercie la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de porter ici, au Sénat, une vision permanente du rôle et de la place de ces territoires. En ces temps où la communauté nationale se demande si elle se décline au singulier ou au pluriel, j'ai envie de ne la conjuguer qu'au singulier. Le rôle des collectivités territoriales est essentiel pour le pays, au-delà de l'administration du quotidien. C'est un facteur de la République, une, indivisible, laïque, démocratique et sociale, comme le rappelle le préambule de l'article premier. Ce sera, à mon avis, l'un des rendez-vous majeurs que nous devrons avoir.

Je vous souhaite un excellent moment de partage dans cette salle, qui porte une partie de l'Histoire de France.

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