C. BILAN DES MISSIONS DE LA CNCCFP DANS LE CHAMP DE LA RÉGULATION FINANCIÈRE DES ÉLECTIONS

Les missions de la CNCCFP en matière de comptes de campagne trouvent leur point d'arrivée (ou presque dans la mesure où des actes accessoires peuvent les accompagner) dans les arrêtés des comptes de campagne et des droits à remboursement des candidats.

Néanmoins ces aboutissements supposent un processus d'instruction des comptes de campagne, qui, même si la CNCCFP a suivi une démarche qui se veut exhaustive, se heurte à de très grandes difficultés.

Si ces dernières trouvent leur origine dans les phénomènes complexes du monde contemporain d'une communication politique en phase « disruptive » par rapport au cadre plus traditionnel à partir duquel la législation financière des campagnes électorales a été conçue, certaines composantes de la législation induisent en soi des problèmes.

Plusieurs voies d'évolution pourraient être explorées, parmi lesquelles on évoque dans les développements ci-dessous la question particulière de l'ajustement du niveau des dépenses de la campagne présidentielle, réservant à la partie conclusive du présent rapport consacrée à la CNCCFP elle-même d'autres pistes tenant à l'extension de son contrôle et aux pratiques suivies.

1. La CNCCFP, un acteur majeur de l'application de règles financières des campagnes électorales

La CNCCFP exerce des missions étendues en ce qui concerne les campagnes électorales.

Même si pour nombre d'entre ces missions, elle ne dispose d'aucun monopole - devant collaborer avec d'autres organismes (voir infra ) - les attributions qui lui sont conférées dans ce domaine la placent dans la position d'être un acteur majeur au service de la régularité des élections au regard des règles financières qui les entourent et, par là-même, elle se trouve en situation d'administrer une politique publique destinée, en particulier, à favoriser le pluralisme politique et un certain équilibre de la compétition électorale, mais qui poursuit également d'autres objectifs essentiels : l'indépendance des candidats et la bonne utilisation des crédits publics.

Cette dernière dimension des missions de la CNCCFP, trouve, on vient d'en exposer en détail les aboutissants, un prolongement ultime dans la compétence conférée à la commission de prononcer l'arrêt des comptes de campagne et, de ce fait, le montant des frais de campagne remboursable par l'État aux candidats. À travers ces attributions, la commission agit comme un « quasi-ordonnateur » des deniers publics.

En bref, en ce qui concerne les campagnes électorales , les missions de la commission sont celles d'un régulateur financier appelé , de surcroît, à participer de façon décisive à la détermination des conditions dans lesquelles intervient le financement public des campagnes électorales.

Principales missions de la CNCCFP
dans le domaine des comptes de campagne

- contrôler les comptes de campagne des candidats aux élections présidentielles, européennes, législatives, sénatoriales, régionales, départementales, municipales (dans les circonscriptions de plus de 9 000 habitants), territoriales et provinciales (Outre-Mer) ;

- demander, le cas échéant, à des officiers de police judiciaire de procéder à toute investigation jugée nécessaire pour l'exercice de sa mission ( article L. 52-14 ) ;

- approuver, réformer, rejeter les comptes examinés après une procédure contradictoire et également constater le non dépôt ou le dépôt hors-délai des comptes par les candidats ;

- arrêter le montant du remboursement forfaitaire dû par l'État ;

- fixer, dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision de la commission, la somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public (article L. 52-15 ).

Dans ce cadre, la commission doit assurer un prolongement minimal à ses missions de contrôle lorsque ces dernières lui semblent révéler des irrégularités.

Elle doit alors :

- saisir le juge de l'élection lorsque le compte de campagne a été rejeté, n'a pas été déposé ou déposé hors-délai ou s'il fait apparaître après réformation un dépassement du plafond des dépenses électorales ( article L. 118-3 ) ;

- transmettre au procureur de la République compétent tout dossier pour lequel des irrégularités de nature à contrevenir aux dispositions des articles L. 52-4 à L. 52-13 et L. 52-16 du code électoral auraient été relevées (notamment pour les infractions en matière de don et pour des dépenses pouvant être qualifiées d'« achat de suffrage » faisant encourir des peines pouvant aller jusqu'à deux ans de prison (article L. 106 et article L. 108 ).

Enfin, il lui appartient de contribuer à la transparence de l'information sur le financement des campagnes électorales.

À cette fin, elle est tenue de :

- déposer sur le bureau des assemblées, dans l'année qui suit des élections générales auxquelles sont applicables les dispositions de l'article L. 52-4 , un rapport retraçant le bilan de son action et comportant toutes les observations que la commission juge utile de formuler ( article L. 52-18 ) ;

- assurer la publication au Journal officiel des comptes de campagne dans une forme simplifiée ( article L. 52-12 alinéa 4 ).

2. Un problème ardu pour la commission mais aussi pour les candidats : l'identification du périmètre des dépenses électorales

Une des composantes principales de la mission de détermination des comptes de campagne consiste à estimer les dépenses électorales des candidats. Cette mission débute par l'identification du périmètre des dépenses électorales du candidat.

Dans cette activité, la CNCCFP fait face à des difficultés nées de l'imprécision de la définition juridique des dépenses de campagne , qui l'oblige à prendre des décisions sur ce point, c'est-à-dire à établir une jurisprudence, sous le contrôle du juge.

Dans ce travail « d'invention », elle se trouve prise dans une sorte de double injonction contradictoire , la réglementation poursuivant deux objectifs suggérant deux tendances opposées :

- l'une, inspirée par la préoccupation d'exclure du remboursement public des dépenses de campagne les dépenses réalisées en dehors de l'objectif électoral des candidats (des dépenses réalisées pour couvrir des intérêts personnels ou sans lien suffisamment direct avec les objectifs poursuivis par une participation à la compétition électorale), conduit à une définition stricte des dépenses électorales susceptible d'en réduire l'extension ;

- l'autre, inspirée par la préoccupation d'assurer une égalité de traitement des candidats, qui suppose de ne pas soustraire certaines dépenses engagées afin de remporter les suffrages des électeurs aux règles de plafonnement et de ne pas restreindre abusivement le financement public des charges liées aux élections vu alors comme une condition du pluralisme démocratique, tend, inversement, à consacrer une définition large des dépenses électorales.

Dans son guide du candidat et du mandataire publié en 2016, la CNCCFP a pu ainsi faire valoir que « la commission a relevé depuis de nombreuses années l'ambiguïté de la définition législative de la dépense électorale. En effet, le code électoral ne se réfère pas à une définition précise mais utilise indistinctement, dans des articles différents, les termes de dépenses « engagées », « effectuées », « exposées » ou « payées » , tout en rappelant qu' « en l'absence d'une définition légale précise, le Conseil d'État a(vait) été amené à préciser la notion de dépense électorale comme étant celle « dont la finalité est l'obtention des suffrages des électeurs ».

Dans ce cadre très général, la CNCCFP indique s'inspirer de la critériologie émanant de la jurisprudence administrative.

Les critères d'inclusion des dépenses d'un candidat
dans le périmètre des dépenses électorales

Source : « Guide du candidat et du mandataire », CNCCFP, 2016

Cette approche suscite deux observations.

En premier lieu, elle revient à reconnaître la nécessité de décliner des principes qui, par leur généralité, appellent une mise en oeuvre pratique pouvant entraîner une casuistique complexe et pas nécessairement aisée à anticiper. Au demeurant, la CNCCFP concède que son application peut réserver des nuances. Elle en présente certains exemples dans le tableau ci-après.

L'application concrète des critères de détermination
de la qualité « électorale » d'une dépense

Source : « Guide du candidat et du mandataire », CNCCFP, 2016

Les exemples exposés dans le tableau ci-dessus conduisent à faire ressortir, comme c'est souvent le cas lorsque l'on procède par casuistique, une forme de « byzantinisme » que les candidats aux élections politiques peuvent ressentir comme difficilement compréhensible. Une forme d'insécurité juridique en découle qui n'est pas exclusive d'une charge « administrative » pouvant apparaître disproportionnée par rapport aux enjeux.

En second lieu, la doctrine suivie paraît davantage marquée par la préoccupation d'éviter d'intégrer aux comptes de campagne des dépenses personnelles des candidats, susceptibles de donner lieu à des enrichissements indus du fait de la prise en charge sur fonds publics des frais électoraux, que par la préoccupation d'assurer une égalité compétitive des candidats.

L'application du critère de l'origine personnelle de la dépense est, sous cet angle, particulièrement en cause, d'autant que ce critère est susceptible de recouvrir des dépenses qui ne sont pas directement prises en charge par les candidats mais se trouvent être réalisées pour leur compte, critère susceptible d'englober un nombre indéterminable, strictement, de dépenses.

Dans ces conditions (la complexité de la détermination des dépenses de campagne et des dons pouvant atteindre un sommet pour des dépenses réalisées à partir d'entités opaques éventuellement « inappréhendables » par la commission), l'imputation des dépenses de campagne aux comptes des candidats suppose non seulement de pouvoir identifier tous les « investissements » dont il bénéficie, mais encore de sélectionner parmi ses investissements ceux qui doivent être considérés comme réalisés « pour son compte ».

Disons-le la mission, déjà difficile dans un monde de campagnes électorales traditionnel, devient héroïque dans le monde nouveau des campagnes, le monde complexe contemporain.

3. Une mission difficile dans un monde complexe
a) Les problèmes de contrôle des moyens traditionnels de campagne
(1) Une exception « institutionnelle » d'origine et de champ européens

Les dernières élections européennes ont vu émerger un problème particulier, celui de la capacité des listes électorales présentées en France de se voir aidées financièrement par un parti politique établi hors de France. La CNCCFP en avait interdit la perspective dans son guide du candidat et du mandataire établi pour ce scrutin. Elle appliquait à la lettre l'interdiction du financement d'une campagne électorale par une personne morale étrangère.

Le Conseil d'État, dans un avis rendu public le 6 mai 2019, en a décidé autrement, invoquant les textes européens mais aussi, plus pratiquement, l'existence d'une régulation européenne des partis européens, notamment fondée sur les missions de l'Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes.

La grande diversité des législations encadrant les financements politiques dans les différents pays européens suggère que la réglementation française sur l'encadrement du financement des campagnes électorale pourrait se trouver déjouée par cet avis.

(2) La facturation des prestations de services : un double problème, d'évaluation des dépenses électorales mais aussi de régularité des financements des campagnes électorales sans solution pratique satisfaisante

Différents rapports de la CNCCFP ont mis en évidence une fréquence certaine des problèmes rencontrés au regard de la réglementation financière des campagnes électorales du fait des facturations des prestations de services extérieures.

Avec cette problématique, on passe des difficultés d'imputation aux difficultés d'évaluation.

Ces dernières peuvent être sous-facturées, et alors la question se pose de la licéité de l'aide indirecte ainsi fournie à un candidat par une personne physique ou morale, que cette dernière soit privée ou publique 28 ( * ) mais également de la fidélité de son compte de campagne sous l'angle de l'exhaustivité des recettes et des dépenses effectivement engagées.

À l'inverse, certaines prestations peuvent être sur-facturées, laissant présager des enrichissements indus de structures tierces d'autant plus critiquables qu'ils peuvent être alors financés par des deniers publics.

Le législateur est intervenu dans le domaine particulier des emprunts en encadrant la durée de prêts mais aussi leurs conditions de tarifs (décret du 28 décembre 2017 29 ( * ) pris pour l'application de la loi n° 2017-1795 du 15 septembre 2017).

Les personnes physiques peuvent consentir des prêts à un candidat dès lors que ces prêts ne sont pas consentis à titre habituel, que leur durée est inférieure ou égale à 18 mois 30 ( * ) , que le montant total dû aux prêteurs n'excède pas 47,5 % du plafond de remboursement forfaitaire des dépenses de campagne et que le taux d'intérêt est compris entre zéro et le taux d'intérêt légal applicable aux créances des personnes physiques n'agissant pas à titre professionnel.

Cette réglementation, à laquelle s'ajoute celle des prêts de partis politiques avec intérêt 31 ( * ) , qui ne s'applique qu'aux personnes physiques laisse entier le problème de l'encadrement des prêts bancaires, qui ne sont pas autrement encadrés que par des dispositions générales, ce qui laisse une certaine marge d'appréciation. Que celle-ci ne soit pas condamnable par principe va de soi.

Mais, ses conditions de mobilisation mériteraient certainement une attention renforcée.

En outre, s'agissant des établissements de crédits autorisés à distribuer des prêts aux candidats, il conviendrait d'en sécuriser l'identification. À cet égard, la CNCCFP a pu observer qu'il n'existe pas de référent disponible auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Dans ce contexte réglementaire, la prévention de contributions interdites accordées à travers d'autres catégories de prestations de services (location de salles, animations de meetings...) apparaît nettement moins « sécurisée ».

En particulier, les locations de salles ou les prestations d'animation de réunions peuvent donner lieu à des contestations récurrentes, la CNCCFP concédant avoir quelque difficulté à établir le juste prix de ces prestations.

La commission peut recourir à des experts pour évaluer les coûts des services et des prestations retracés dans les comptes de campagne et de l'assister dans l'exercice de sa mission de contrôle mentionnée à l'article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique 32 ( * ) .

Cette faculté est toutefois laissée à l'appréciation de la commission à l'initiative du collège, mais avec transmission présumée aux rapporteurs, ces derniers étant appelés à préciser les questions qu'ils souhaitent voir envisager.

Une procédure a minima a été mise en oeuvre avec notamment un engagement de non conflit d'intérêts de la part des experts mais aussi de confidentialité.

Par ailleurs, elle peut présenter des difficultés de disponibilité des experts et de délais d'accomplissement des missions tandis que les crédits disponibles à la CNCFP peuvent manquer pour financer les prestations.

Surtout, il convient de relever que les experts ne sont mobilisables qu'une fois les comptes de campagne déposés auprès de la CNCCFP.

La faculté ouverte semble ainsi trop tardive dès lors qu'on se situe dans des contextes électoraux dans lesquels la commission doit rapidement statuer sur les comptes de campagne (cas des élections faisant l'objet d'une contestation devant le juge motivée par des irrégularités financières) ou dans lesquels une invalidation du candidat élu semble assez théorique (cas de l'élection présidentielle).

Sans doute faut-il voir dans ce bouquet de considérations les raisons pour lesquelles le recours aux experts semble, depuis l'instauration de sa faculté, n'être utilisé que rarement et sur certains points seulement.

Dans un cadre, où il apparaît souhaitable que des voies d'instruction plus formelles puissent être mobilisées, la question du recours aux experts devraient être particulièrement envisagée.

(3) Le suivi de la cohérence entre les comptes des partis et des candidats, des décalages temporels à combler

Parmi les contrôles mis à la charge de la commission figure pour la publication des comptes des partis politiques un contrôle de cohérence (voir infra ).

Ce contrôle peut mettre en cause les flux croisés entre le parti politique et des candidats aux élections. L'action de la commission au regard des campagnes électorales implique quant à elle certaines vérifications dépendant de la disponibilité de comptes des formations politiques fiables.

Or, les temporalités des travaux de la CNCCFP relatifs aux deux types de comptes concernés sont disjointes. Les données relatives aux uns ne sont pas toujours disponibles en temps utile.

Cette arythmie paraît difficilement surmontable sauf à envisager une extension des droits de communication ouverts à la CNCCFP, afin que ses moyens d'instruction soient mis à niveau.

Votre rapporteur spécial l'observe laissant aux autorités compétentes le soin d'approfondir les questions que soulève une telle perspective.

b) Un nouveau monde des « influences électorales » difficilement maîtrisable.

L'article L 52-1 du code électoral encadre la faculté de réaliser des publicités commerciales à objet politique.

L'article L 52-1 du code électoral sur la publicité politique

« Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite.

À compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, cette interdiction ne s'applique pas à la présentation, par un candidat ou pour son compte, dans le cadre de l'organisation de sa campagne, du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus. Les dépenses afférentes sont soumises aux dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales contenues au chapitre V bis du présent titre ».

Si la publicité commerciale est encadrée pendant une période de retenue de six mois avant le premier tour de scrutin, une exception est ménagée pour ce qui concerne les comptes rendus de mandat. Elle est susceptible d'offrir un avantage aux « sortants ». Mais, outre que ce dernier n'est pas automatique, les dépenses consacrées à ces comptes rendus doivent être intégrées au compte de campagne du candidat et sont ainsi soumises au plafonnement des dépenses électorales.

Il reste que les dépenses correspondant à ce type d'informations, qui peuvent faire l'objet d'un remboursement public, sont susceptibles d'une assez forte variabilité en fonction des conditions de leur production, dans la mesure où une même prestation est susceptible d'être facturée très différemment.

La question de l'influence de la communication via les réseaux sociaux ou les sites internet, a fortiori quand ils sont hébergés à l'étranger, présente une autre difficulté promise à prendre une ampleur croissante.

Si l'article L. 49 du code électoral dispose qu'il est « interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale », cette interdiction, difficile à contrôler, ne vaut qu'à partir de la veille du scrutin à zéro heure. En dehors de cette période, tout comme pour la presse écrite 33 ( * ) , il n'existe pas de statut particulier aux élections pour ce qui est de la communication numérique.

Or, la propagande réalisée par ces canaux est tributaire d'une même problématique que celle qui conduit à classer les autres formes de propagande dans la catégorie des dépenses électorales des candidats et à vérifier que par le moyen de la fourniture d'infrastructures de propagande certaines contributions prohibées ne sont pas mises en oeuvre.

En toute hypothèse, les difficultés rencontrées par la CNCCFP pour appréhender les contributions de ces nouveaux médias aux campagnes électorales, médias dont la régulation échappe même au Conseil supérieur de l'audiovisuel (voir infra ), constitue un défi très sérieux pour l'appareil institutionnel de la régulation financière de la vie politique, en particulier des campagnes électorales.

À cet égard, on peut s'étonner que les dépenses de la campagne présidentielle pour 2017 consacrées aux sites internet des candidats aient pu marquer une baisse par rapport à 2012 34 ( * ) .

Répartition des dépenses de campagne aux élections présidentielles
de 2012 et 2017

Source : CNCCFP, rapport de l'année 2017

Il est vrai qu'en contrepartie les dépenses de conseil en communication ont connu une certaines croissance 35 ( * ) .

D'un point de vue plus général, l'opacification des circuits financiers dans un monde d'échanges globalisés où cohabitent des structures juridiques de droit romain et de droit coutumier et des administrations inégalement enclines à appliquer des régulations inégalement développées conduit à la possibilité de modes de financement dissimulés car interdits par la législation.

c) Une solution : limiter les plafonds des dépenses de campagne électorales ?

Si la conception du contrôle développée par la CNCCFP ainsi que ses moyens d'instruction peuvent appeler quelques évolutions significatives, de même que les moyens employés pour sécuriser les candidats aux élections (voir infra ), on doit, en premier lieu, s'interroger sur les relations entre la capacité d'assurer une régulation effective et le niveau des dépenses électorales engagées par les candidats.

Il existe certainement un lien entre le volume des dépenses électorales et la capacité de vérifier la régularité des comptes de campagne.

Votre rapporteur spécial ne part pas du raisonnement, qui serait vicié à la base, selon lequel l'expression politique et les capacités financières nécessaires pour qu'elle soit effective devraient être ajustées pour assurer toute sa portée à une régulation financière qui ne doit pas devenir le point de mire de l'action publique nécessaire pour des motifs bien supérieurs, ceux d'une conversation démocratique vivante.

Au demeurant, le soutien public à l'expression des candidats aux élections appelle certainement un renforcement, en quantité mais aussi en qualité. Il pourrait se diversifier 36 ( * ) et gagnerait sans doute à suivre de meilleurs équilibres (voir infra ).

Néanmoins, plusieurs constats s'imposent.

En premier lieu, force est de constater que les plafonds de dépenses électorales sont très rarement (voire jamais) saturés par les candidats. On doit à cet égard relever que certaines formations politiques ont-elles-mêmes accompagné la relative parcimonie des candidats en réduisant plus ou moins sensiblement leurs concours aux campagnes électorales.

En second lieu, la productivité marginale des investissements dans les campagnes électorales suit vraisemblablement une courbe descendante, une fois atteint un certain seuil 37 ( * ) de sorte que une modération a priori des dépenses de campagne électorale pourrait ne pas nuire au débat démocratique.

Dans ces conditions, il paraît légitime de poser la question de l'équilibre entre les dépenses autorisées et la capacité d'appliquer effectivement la régulation financière de la vie politique, du moins pour la situation propre à l'élection présidentielle, qui est celle où les dépenses unitaires des candidats sont les plus élevées, de loin.

Si une réduction des dépenses autorisées dans ce cadre devait intervenir, votre rapporteur spécial, qui tendrait à soutenir une telle initiative, n'accompagnerait pas ce soutien par celui accordé à une mesure ayant pour effet de minorer la prise en charge publique des frais de campagne électorale.

Il lui apparaît, au contraire, tout à fait indispensable de permettre aux différents candidats d'accéder, dans un monde où elle peut faire l'objet de délégations plus ou moins maîtrisables à des tiers généralement non régulés, à un bon niveau de soutien d'une expression politique autonome.

Rien n'empêche de réduire le plafond des dépenses et d'augmenter, de façon uniforme ou plus différenciée, le taux de prise en charge publique des frais de campagne des candidats.


* 28 Un certain nombre de municipalités semblent pratiquer des tarifs préférentiels pour la location de surfaces appartenant à leurs domaines, la question du paiement effectif de ces locations se posant parfois. Il n'est pas exclu que la disponibilité des locaux en cause puisse se trouver plus ou moins forte selon l'étiquette des candidats.

* 29 Ce décret a été déféré pour excès de pouvoir au Conseil d'État qui, dans une décision du 26 juillet 2018, a rejeté le recours de l'association Front national.

* 30 Soit nettement moins que le plafond envisagé par la loi (cinq ans).

* 31 L'article l 52-8 du code électoral pose le principe des « prêts miroirs » selon lequel les prêts à intérêt des partis politiques doivent être financés à partir de prêts à intérêt souscrits par ces derniers avec un taux correspondant.

* 32 L'article 3 de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 a introduit à l'article L. 52-14 du code électoral une faculté nouvelle permettant à la commission de recourir à des experts à même d'évaluer les coûts des services et des prestations retracés dans les comptes de campagne et de l'assister dans l'exercice de sa mission de contrôle mentionnée à l'article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ».

* 33 À l'inverse de la situation des opérateurs de télévision titulaires de concessions de la part de l'État, qui sur cette base, sont astreints du fait des cahiers des charges des concessions, à des obligations de pluralisme, renforcées en période électorale.

* 34 La question d'un effet-prix reste à mieux cerner.

* 35 On peut imaginer s'agissant de ces dépenses que les problèmes de valorisation mentionnés exercent une certaine influence sur leur identification précise.

* 36 À titre d'exemple, le présent rapport n'a pas envisagé les soutiens déjà existants accordés aux entreprises de presse, qui contribuent à la diffusion du débat politique.

* 37 L'allure de cette courbe est sans doute plus complexe qu'on ne peut le supposer. Cependant, à supposer que la fonction des dépenses électorales soit irrégulière en fonction des seuils de dépenses, il faut plutôt se féliciter que ces dernières soient limitées au regard des risques de dégradation de la qualité du débat démocratique que peut susciter une hyper-expression politique.

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