B. L'INFLATION DES PRIX DE L'IMMOBILIER : DES CAUSES ÉCONOMIQUES ET SOCIÉTALES

1. La hausse des prix de l'immobilier est en grande partie liée à la situation économique actuelle
a) Le desserrement des contraintes liées au crédit bancaire a favorisé l'investissement dans l'immobilier

L'une des explications souvent avancées pour expliquer le niveau actuel des prix de l'immobilier est d'abord la faiblesse des taux des crédits. En 2019, le taux d'emprunt moyen se situait à environ 1,12 %, contre 1,44 % en 2018, un niveau en-dessous de l'inflation. Le niveau historiquement faible des taux d'intérêt apparaît donc comme le premier facteur de cette tendance haussière des prix du foncier. Ce sentiment est partagé par les élus locaux ; Christian Dupuy, maire de Suresnes, estime que « les taux bas font partie, à mes yeux, des facteurs qui encouragent l'inflation des prix de l'immobilier ».

Malgré la légère remontée des taux d'intérêt 8 ( * ) et la crise sanitaire actuelle, qui ralentit le marché de l'immobilier, les taux restent aujourd'hui très attractifs. Globalement, ils s'élèvent en moyenne à 1,20 % sur 15 ans, 1,40 % sur 20 ans et 1,60 % sur 25 ans. À titre de comparaison, en février dernier (soit avant la période de confinement lié à la crise du Covid-19), les taux moyens étaient de 0,93 % sur 15 ans, 1,08 % sur 20 ans et 1,33 % sur 25 ans, selon l'Observatoire Crédit Logement-CSA.

Ces dernières années, les ménages qui souhaitaient contracter un crédit ont donc pu bénéficier à la fois de prêts moins chers mais aussi d'une durée d'emprunt plus longue. Sans compter les effets de la crise financière de 2008, qui a encouragé un certain repli des investissements vers des placements jugés plus sûrs, au premier rang desquels la pierre.

La nouvelle stratégie monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) n'a donc pas été sans conséquence puisqu'elle a favorisé durablement des taux bas. Or ni les collectivités, ni l'État n'ont de marge de manoeuvre pour enrayer cette tendance puisque les décisions monétaires dépendent exclusivement de la BCE, les banques de détail ne faisant que les répercuter sur le marché. Face à la crise sanitaire que nous traversons actuellement, les réactions de la BCE et des banques détermineront les capacités des acquéreurs, dans un marché de l'immobilier qui s'est beaucoup financiarisé. L'après Covid-19 dépendra donc de la capacité ou non des emprunteurs à emprunter beaucoup à des taux bas.

Néanmoins, le niveau des taux d'intérêt n'est pas la seule variable économique agissant sur la demande immobilière. Une analyse confirmée par Michel Mouillart, qui affirme : « Ce n'est pas dans l'évolution des taux des emprunts qu'il faut chercher l'explication de l'augmentation des prix des logements ». Selon l'économiste, cette augmentation est davantage liée à l'évolution des « fondamentaux », c'est-à-dire « le revenu et le desserrement des conditions de crédit depuis 2012 ».

En effet, la demande s'est trouvée davantage solvabilisée sous l'effet d'un élargissement de l'accès au crédit, avec, en premier lieu, la diminution du taux d'effort demandé aux emprunteurs. Le taux d'effort est calculé sur la base d'un rapport entre les charges de remboursement consenties et les revenus des ménages acquéreurs. Contrairement à une idée reçue, et malgré les recommandations prudentielles des banques, le taux d'effort des ménages est souvent supérieur à 33 % en France.

En la matière, on relève que les situations sont plutôt homogènes sur l'ensemble du territoire. Dans les communes rurales ou de moins de 2 000 habitants, ce taux est proche de 28 %. Dans les villes de plus de 200 000 habitants, il s'élève à 28,5 %. En dehors de Paris et de la région parisienne, l'ensemble du territoire se situe sur des taux d'effort moyen allant de 28 à 29 %. Michel Mouillart commente : « Cette situation signifie que si vous vivez à Bruyères, dans les Vosges, ou à Plouarzel, dans le Finistère, le coût du logement que vous achetez vous fait supporter un effort comparable à celui que vous auriez à supporter à Nantes, dans certains arrondissements de Lyon, à Villeurbanne, etc. »

Cette homogénéité des taux d'effort à l'échelle nationale se double d'une convergence des coûts relatifs du logement dans notre pays. En effet, comme l'explique l'économiste, l'étude du coût relatif du logement montre que l'acquisition d'un bien immobilier dans les communes rurales représente 5,5 années de revenus pour un ménage accédant à la propriété, 5 années de revenus dans les communes de 100 000 à 200 000 habitants et entre 5,2 et 5,5 années de revenus dans toutes les autres communes en dehors de la région parisienne.

En second lieu, la demande a été solvabilisée par un desserrement des exigences des banques en matière d'apport en deniers. Il n'est plus rare aujourd'hui que les banques consentent des crédits aux nouveaux acheteurs qui ne disposent pas d'apport financier. Michel Mouillart confirme : « Des taux de crédit à 1 % ou moins ne créent pas la demande. En 1980, les taux d'apport personnel exigés s'élevaient à 35 %, contre 14 % en moyenne en 2019. La demande s'est élargie. Nous n'aurions pas vu ce que nous avons vu avec des taux de 0,5 % et des apports personnels de 35 % ».

Cela illustre en définitive que si le pouvoir d'achat immobilier est resté assez stable depuis plusieurs années, c'est parce que la hausse importante des prix a été compensée par la baisse des taux d'intérêt, l'augmentation des quotités prêtées et l'allongement de la durée des prêts. À l'issue de la crise sanitaire liée au Covid-19, ces trois conditions détermineront les clefs du pouvoir d'achat immobilier des Français.

Enfin, plus globalement, le niveau élevé des prix ne peut être détaché de la situation économique générale de notre pays. Le rebond de l'activité économique qui s'était manifesté avant la crise sanitaire, et son impact sur le recul du chômage auraient eu un effet inflationniste. Entre 2015 et 2019, selon l'Insee, le taux de chômage est ainsi passé de 10,5 % à 8,7 % de la population active. Selon les économistes, l'amélioration du taux d'emploi aurait favorisé la constitution d'une « réserve » de nouveaux acheteurs qui ont alimenté la demande.

C'est donc en grande partie la situation économique qui pourrait rendre possible le risque d'une bulle spéculative sur le marché immobilier. Plusieurs études récentes 9 ( * ) ont d'ailleurs pointé un risque de « surévaluation des prix de l'immobilier » dans certaines villes, en particulier à Paris où le prix du mètre carré apparaît désormais comme déconnecté de la valeur fondamentale des biens.

Cette situation fait dire à Michel Mouillart : « Nous sommes sur des niveaux de prix élevés. Ont-ils un sens ? Non, probablement pas ». Il relativise cependant en affirmant « en réalité, les niveaux des prix sont en relation avec les niveaux des revenus des ménages qui se présentent sur le marché ». Il constate ainsi que dans 35 % des villes de plus de 60 000 habitants, « les prix ont augmenté plus vite que l'inflation, mais moins vite que les revenus des ménages ». Et c'est dans un quart des villes seulement que « les prix ont augmenté plus vite que les revenus des ménages », par exemple à Bordeaux, Rennes, Lyon, Brest, ou Paris.

Il apparaît in fine que le niveau des prix des biens immobiliers au niveau de l'ensemble du territoire, à l'exception de Paris et du centre-ville de quelques métropoles, est en adéquation avec les indicateurs économiques.

b) L'impact difficilement mesurable des plateformes de location touristique sur les prix de l'immobilier

Les plateformes numériques de location touristique, au premier rang desquelles Airbnb, sont régulièrement pointées du doigt par des détracteurs qui estiment qu'elles profitent de la lenteur des pouvoirs publiques en matière de régulation. Il faut dire qu'en à peine dix ans, ces plateformes issues de la nouvelle économie dite « du partage » ont transformé les pratiques jusqu'à renouveler entièrement le paysage locatif, créant pour certains observateurs des tensions sur les prix de l'immobilier.

C'est notamment le cas aux États-Unis, où une étude a mis en évidence le fait qu'à chaque accroissement de 10 % de l'offre d'Airbnb, les prix du marché locatif 10 ( * ) augmentaient de 1 % dans le même temps.

En France, de nombreux candidats aux élections municipales de mars dernier avaient fait de la régulation des effets négatifs sur le marché du logement de la plateforme américaine l'un de leurs principaux thèmes de campagne, certains arguant que l'augmentation de l'offre sur les plateformes numériques de location participait en effet à la hausse des prix et à la tension sur le marché de l'immobilier dans leur ville.

Une situation que l'on observe par exemple à La Rochelle, qui a collecté parmi les plus importants montants de taxe de séjour par le biais des plateformes de location saisonnière (plus de 800 000 euros en 2019) et qui est devenue l'une des dix villes de province où le prix du mètre carré est le plus cher, s'établissant à 3 664 euros 11 ( * ) .

Au contraire, pour Philippe Bauer, directeur des affaires publiques du groupe Expedia et représentant de l'Union nationale pour la promotion de la location de vacances (UNPLV) « La location meublée touristique n'est pas à l'origine des problèmes de logement des grandes villes en France, contrairement à ce que l'on peut entendre, notamment dans le cadre de la campagne pour les élections municipales ». Il admet toutefois que « la location meublée ait pu donner lieu à certains abus ».

La principale critique à l'égard des géants de la location saisonnière réside dans le fait que ces plateformes inciteraient les propriétaires à transformer des logements qui seraient normalement destinés à la location résidentielle ou à l'achat par des particuliers, en logements touristiques suscitant la convoitise des investisseurs professionnels. Cette critique est souvent exprimée par les professionnels hôteliers, mais également par les associations de défense du droit au logement, qui estiment que les plateformes aggravent la crise du logement, notamment pour les ménages les plus pauvres (familles monoparentales, étudiants) et alimentent l'inflation immobilière.

Pourtant, le déséquilibre du marché locatif lié au détournement de biens jusque-là réservés à la location au profit de meublés touristiques pour des périodes de courte durée ne peut pas, à lui seul, expliquer une telle hausse des prix de l'immobilier.

En effet, l'existence des plateformes est plus récente que les tensions sur le marché du logement observées dans certaines villes. D'ailleurs, la mesure d'abaissement de la limite de 120 jours de location pour les résidences principales n'a pas eu d'effet significatif pour enrayer la hausse des prix du logement à l'achat, justement parce qu'il s'agit de résidences principales occupées par les propriétaires. À titre d'exemple, à Bordeaux et Paris, sur la base des données publiées par Airbnb, la part des logements loués depuis janvier 2020 qui correspondent à une location meublée professionnelle représente ainsi 0,05 % du parc immobilier bordelais et 0,01 % du parc parisien, même si, avec plus de 60 000 logements référencés, Paris reste le plus grand marché de la plateforme américaine dans le monde.

Par ailleurs, l'impact des plateformes se mesure davantage sur le marché locatif par l'effet inflationniste engendré sur le niveau des loyers, en particulier dans les villes touristiques, que sur le marché immobilier de l'achat proprement dit. Sur le marché locatif en effet, les arbitrages des bailleurs s'opèrent surtout entre location à l'année ou location de courte durée, dans la mesure où cette dernière offre une rentabilité plus élevée, ce qui peut s'effectuer au détriment du locatif local.

De leur côté, les plateformes mettent en évidence d'autres effets, qui seraient positifs, cette fois, pour l'économie et les territoires. Juliette Langlais, directrice des affaires publiques d'Airbnb souligne ainsi que « ce sont 28 000 communes, soit 4 communes sur 5, qui publient des annonces sur Airbnb, alors que seuls 6 000 villes et villages disposent d'un hébergement en hôtellerie traditionnelle », ce qui tendrait à démontrer, selon elle, un rôle positif des plateformes dans « la lutte contre la dévitalisation des territoires ». Et cela sans compter « les 58 millions d'euros de taxes de séjour reversés par Airbnb aux communes françaises en décembre 2019, dont plus de 15 % dans des villages comptant moins de 3 500 habitants ».

Pour une partie du territoire, les plateformes participeraient donc à une revitalisation et à une diversification qui n'étaient pas possibles en l'absence de ces outils. À Amiens, par exemple, où le tourisme s'est développé, les plateformes ont bénéficié en grande partie à l'arrière-pays.

Les inconvénients ayant été rappelés, on peut également relever un certain nombre d'effets positifs :

- une meilleure utilisation du bâti, pour lutter contre la sous-utilisation des résidences secondaires qui ne sont ouvertes en France que trois semaines par an en moyenne ;

- la possibilité donnée aux propriétaires d'une meilleure utilisation du bâti pour payer leurs charges, leurs impôts et réhabiliter leurs biens ;

- une meilleure dispersion du tourisme sur l'ensemble du territoire par la multiplication de l'offre d'hébergement qui permet de fixer la consommation des touristes hors des traditionnels centres touristiques situés à Paris, Versailles, Marne-la-Vallée, Lyon et Nice. Dans de nombreux territoires, cet aspect revêt un impact économique non négligeable pour la restauration ou le commerce ;

- et enfin des retombées fiscales pour les communes à travers le versement de la taxe de séjour.

En conclusion, il convient de nuancer l'impact des plateformes de location saisonnière, car elles ne sont pas le seul facteur expliquant l'augmentation des prix, notamment dans les grandes villes.

2. La hausse des prix sur le marché de l'immobilier est aussi le résultat de choix politiques et d'évolutions sociétales
a) Le marché de l'immobilier est également influencé par les politiques publiques du logement

L'insuffisance de l'offre foncière, couplée aux politiques de soutien à la demande, ont eu tendance à aggraver la dynamique inflationniste qui touche depuis plus de dix ans le marché de l'immobilier.

En effet, d'une part, la pénurie de logements tire mécaniquement les prix vers le haut. Dans la construction de logements neufs, le déclin est manifeste : le nombre de nouveaux logements autorisés a baissé de 4,1 % entre 2018 et 2019, tandis que le nombre de mises en chantier a diminué de 6 % sur la même période.

Cette situation se vérifie particulièrement à Paris, ville extrêmement dense qui souffre déjà d'une insuffisance de logements neufs. Une analyse qui est confirmée par Michel Mouillart : « Il y a des situations inévitables d'insuffisance d'offre nouvelle. À Paris et en région parisienne, en 1990, l'objectif de construction était de 35 000 logements par an pour les 25 prochaines années. Nous avons constaté les conséquences de cet objectif ». Il est en effet de plus en plus difficile de construire en raison de l'indisponibilité des terrains dans la capitale. Résultat, le marché se retrouve dans une situation particulièrement tendue dans le centre et sa proche banlieue, et les acquéreurs font souvent face à des marchés de pénurie.

Dans le cas spécifique de Paris, une autre explication de la carence d'offre tient à la vacance immobilière. La capitale compte en effet 130 000 logements vacants, ce qui représente en moyenne entre 7 et 8 % de son parc immobilier, un niveau très élevé. Ces logements sont souvent sous-utilisés du fait que « les propriétaires sont frileux à l'idée de louer à un locataire à long terme », estime Juliette Langlais. Et tandis que l'offre s'épuise, le marché de l'immobilier parisien doit absorber la hausse de la demande, conduisant mécaniquement à une augmentation des prix.

D'autre part, les politiques publiques du logement demeurent orientées vers le soutien à la demande, ce qui peut avoir des effets contradictoires. On peut noter à cet égard l'exemple du prêt à taux zéro (PTZ) destiné aux ménages primo-accédants. Ce dispositif de soutien à l'accession à la propriété a largement alimenté la demande et donc les prix, représentant une dépense fiscale de plus d'un milliard d'euros en 2019.

Il en est de même des dispositifs en faveur de la multiplication de l'offre sur le marché locatif qui se sont succédé depuis une vingtaine d'années. Les dispositifs d'investissement locatif, dits loi Périssol, loi Robien, loi Borloo, loi Scellier, loi Duflot, ou encore loi Pinel, s'ils ont plus ou moins bien rempli leurs objectifs, ont mécaniquement provoqué une augmentation de la demande sur le marché de l'immobilier, qui a elle-même entrainé une croissance des prix.

b) Des dynamiques propres à certains territoires et des évolutions sociétales peuvent également expliquer à la fois le niveau des prix et les disparités régionales

Nous avons pu constater qu'il existe de grandes disparités régionales des prix de l'immobilier dans notre pays. La situation particulière de Paris, devenue en quelques années une ville mondiale, l'illustre au premier rang.

La métropole du Grand Paris accueille aujourd'hui des entreprises d'envergure internationale, dont les cadres alimentent une demande d'achat qui se répercute sur les prix de l'immobilier. On relève également que la demande étrangère constitue sur le marché parisien plus de 8 % des acheteurs.

Sur un marché déjà tendu, cette concurrence s'est vue récemment doublée d'une pression conjoncturelle exercée par la demande des ménages expatriés à Londres et de retour dans la capitale après le Brexit. Juliette Langlais confirme : « Le Brexit amène de nombreux anciens expatriés français à revenir à Paris. Ils cherchent un logement. Ils ont un très fort pouvoir d'achat et se positionnent sur des biens immobiliers très spacieux, avec une capacité de financement importante ».

Parallèlement, de plus en plus de franciliens cherchent à améliorer leur situation quotidienne et souhaitent délaisser les villes périphériques de la capitale. Les raisons peuvent être nombreuses : préoccupations relatives au niveau des établissements scolaires, souhait d'éviter un éloignement du bassin d'emplois, volonté de se prémunir contre une hausse des prix du carburant, etc. Ces dynamiques alimentent une demande croissante tournée vers Paris et la très proche banlieue (Levallois-Perret, Pantin, Clichy, Saint-Ouen, Montreuil, Vincennes, Saint-Mandé, Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Vanves, Malakoff, Montrouge, etc.) contribuant à une hausse exponentielle des prix dans la première couronne.

Ces dynamiques sont confirmées par le niveau des prix constaté par Michel Mouillart : « Du côté ouest, à Neuilly-sur-Seine, les acheteurs paient 11 400 euros le mètre carré. En passant la Seine, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux ou Levallois-Perret sont à 10 400 euros le mètre carré », des prix proches de la moyenne parisienne, qui se situe « à 11 000 euros le mètre carré ». Il relève, de façon presque anecdotique, que « le maire de Nanterre a découvert récemment que sa ville était très chère en comparaison de ce à quoi il s'attendait » ou encore que « Saint-Denis se trouve au même niveau de prix que Nantes, Rennes, Toulouse et Strasbourg ».

La crise sanitaire que nous traversons aura probablement d'autres répercussions sur le marché immobilier, en particulier dans les grandes villes, avec peut-être même des effets contradictoires. Le sujet des déplacements va devenir crucial pour nos concitoyens qui voudront éviter les transports en commun, ce qui les poussera à vouloir acquérir un bien central. Inversement, l'explosion du télétravail, conjugué à des aspirations nées de l'expérience du confinement, (espace supplémentaire, extérieur, luminosité) pourraient inciter de nombreux acquéreurs à délaisser les grandes agglomérations pour s'installer à la campagne.

L'amélioration des réseaux de transport doit être prise en considération pour comprendre les niveaux des prix de l'immobilier dans certains territoires. Elle « ouvre l'espace et permet à des personnes au pouvoir d'achat plus élevé de modifier les indicateurs de coût relatif », analyse Michel Mouillart. Une situation qui concerne Bordeaux ou Brest par exemple, avec le déploiement récent de lignes à grande vitesse (LGV).

À Bordeaux, l'immobilier a en effet fortement augmenté à partir de 2016, c'est-à-dire à la veille de l'ouverture de la LGV. De nombreux Parisiens se sont tournés vers cette métropole, avec un pouvoir d'achat supérieur à celui des Bordelais, les salaires dans la capitale étant en moyenne plus élevés que dans les autres territoires. Ce phénomène a eu un effet inflationniste sur le marché de l'immobilier local. À l'heure actuelle, la Gironde gagne 20 000 habitants par an et le territoire est confronté à des difficultés pour accueillir les nouvelles populations dans de bonnes conditions.

Inversement, Marseille, reliée à Paris par le TGV, n'a pas subi de hausse majeure des prix, alors même qu'elle est « la troisième ville de France pour la location pour Airbnb », selon Juliette Langlais. La location meublée concerne « essentiellement des résidences principales en ville, et non des logements qui sortent du marché de long terme. Ce sont des résidences louées pour le week-end et les vacances, sans lien avec l'offre de logements » ajoute-t-elle.

La situation marseillaise démontre que le dynamisme économique intrinsèque d'un territoire est une cause à part entière pour expliquer le niveau des prix. Lorsque la situation économique est difficile, les prix de l'immobilier suivent et sont tirés vers le bas. C'est le cas dans de nombreuses villes en France, à l'autre bout de la chaîne, qui décrochent en raison de facteurs tels que le déclin industriel, le reflux démographique ou encore la faiblesse de leurs réseaux de transport. Leur faible attractivité nourrit ainsi des disparités très fortes entre les territoires en termes de prix de l'immobilier.

Enfin, d'autres évolutions sociétales doivent être prises en compte dans l'analyse de l'inflation des prix de l'immobilier, au premier rang desquelles la modification des structures familiales. L'évolution de la structure des familles a inéluctablement conduit à une réduction de la taille des ménages, au moins pour les trente prochaines années. En effet, la multiplication des séparations et des divorces, phénomène observé en particulier à Paris et dans les métropoles, génère une demande accrue de petites surfaces d'habitation.

Ces évolutions sociologiques ne sont évidemment pas l'apanage des territoires les plus urbanisés mais se diffusent à l'ensemble de la société et des territoires sous le poids de tendances civilisationnelles lourdes, à commencer par l'individualisme. De plus, les phénomènes de décohabitation ne sont probablement pas encore arrivés à un plateau, du fait du vieillissement de la population ou du retour de personnes âgées en centre-ville pour des raisons sanitaires, de commodité, etc. Le troisième âge est un marché en croissance considérable, à l'instar de celui formé par les parents isolés, de sorte que de nombreux territoires auront, dans les prochaines années, un besoin impérieux de produire davantage de logements afin de répondre à la demande.

Et, à l'avenir, l'augmentation de la demande de logements devrait rester dynamique sous l'effet de la croissance brute de la population. La France doit en effet loger 350 000 habitants supplémentaires chaque année, une particularité en Europe dont nous pouvons nous féliciter mais qui exigera une bonne adaptation des politiques publiques du logement et une agilité des communes pour faire face à cette demande.


* 8 En avril 2020 les barèmes de taux de crédit immobilier constatés dans les banques ont ainsi augmenté en moyenne de 0,25 point sur toutes les durées d'emprunt.

* 9 Parmi lesquelles les études réalisées en 2019 par UBS ou Standard and Poor's, par exemple.

* 10 « The Effect of Home-Sharing on House Prices and Rents : Evidence from Airbnb », de Kyle Barron, Edward Kung et Davide Proserpio, mars 2018.

* 11 Selon le baromètre publié le 13 janvier 2020 par le site Se loger.

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