N° 475

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 mai 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur « Les communes face à l' inflation des prix de l' immobilier : Quels moyens d' action pour réguler le marché ? »,

par M. Jean-Marie BOCKEL,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Jean Marie Bockel, président ; M. Daniel Chasseing, Mme Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc Daunis, François Grosdidier, Charles Guené, Antoine Lefèvre, MM. Alain Richard, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Bernard Delcros, Christian Manable, secrétaires ; MM. François Calvet, Michel Dagbert, Philippe Dallier, Mmes Frédérique Espagnac, Corinne Féret, Françoise Gatel, M. Hervé Gillé, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean François Husson, Éric Kerrouche, Dominique de Legge, Jean Claude Luche, Jean Louis Masson, Franck Montaugé, Philippe Mouiller, Philippe Nachbar, Philippe Pemezec, Rémy Pointereau, Mmes Sonia de la Provôté, Patricia Schillinger, Catherine Troendlé, MM. Raymond Vall, Jean Pierre Vial.

AVANT-PROPOS

Le sujet de l'inflation des prix de l'immobilier fait régulièrement la une de l'actualité et touche de plus en plus de communes. Avant le début de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, la question du logement, sous le prisme du coût de l'immobilier, a été l'un des sujets majeurs des débats précédant le premier tour des élections municipales.

Et pour cause, l'année 2019 a été celle de tous les records : explosion des transactions immobilières, taux d'emprunt historiquement faibles et, bien sûr, prix en constante augmentation, autant d'indicateurs d'un marché de l'immobilier français en bonne santé. Mais cette situation de vitalité économique peut également être jugée inquiétante, car l'inflation des prix a généré des conséquences négatives dans de nombreuses villes.

En dix ans à peine, les prix à l'achat des biens immobiliers ont augmenté de 61 % à Paris, 62 % à Lyon, 79 % à Bordeaux, ou encore 25 % à Strasbourg. Cette tendance touche particulièrement les métropoles, mais aussi des villes moyennes, et créé des disparités entre les territoires.

Plus grave, nos concitoyens subissent de plein fouet cette envolée des prix et doivent faire face à des difficultés pour se loger. Sont en particulier concernés les jeunes ménages primo-accédants, les familles, et bien sûr les catégories populaires, celles-ci étant contraintes de s'éloigner des centres-villes pour s'installer dans les périphéries parfois éloignées.

La délégation aux collectivités territoriales a légitimement souhaité s'emparer de cette problématique, dont les conséquences sont de plus en plus difficiles à gérer pour les élus locaux :

- la dévitalisation de certains territoires en situation de relégation économique, sujet sur lequel notre délégation a eu l'occasion de réaliser un travail en commun avec la délégation aux entreprises, intéressée par la problématique du commerce ;

- les disparités territoriales exacerbées mécaniquement par les différences de prix entre centres-villes et périphéries ou zones rurales, les politiques d'aménagement du territoire étant insuffisantes pour rendre plus attractifs les espaces faiblement densifiés ;

- l'éloignement des populations entraînant une augmentation des temps de transport et des conséquences sur les rythmes de vie de nos concitoyens ;

- enfin, l'impact sur les centres-villes des plateformes de location saisonnière, tel Airbnb, qui, pour leurs détracteurs, tendent à muséifier nos centres, à faire disparaitre le commerce de proximité ou conduisent à la fermeture d'écoles suite à l'exode des familles avec enfants.

Pour mieux saisir toutes les dynamiques en jeu et la complexité d'un phénomène dont les causes sont multiples (déficit d'offre, faiblesse des nouvelles constructions, arrivée de lignes TGV supplémentaires, métropolisation, etc.), notre délégation a organisé, le 5 mars dernier, une table ronde réunissant : des représentants des plateformes de location saisonnière, des experts parmi lesquels un professeur d'économie spécialiste de l'immobilier ainsi que des élus locaux dont un maire concerné par le dynamisme du marché immobilier dans sa commune.

Les conclusions du présent rapport sont issues de cette table ronde 1 ( * ) .

I. L'INFLATION DES PRIX DE L'IMMOBILIER : DES CAUSES MULTIPLES MAIS DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES PRÉJUDICIABLES

A. LE RENCHÉRISSEMENT CROISSANT DES PRIX DE L'IMMOBILIER ACCENTUE LES INÉGALITÉS ENTRE LES TERRITOIRES ET DANS LA POPULATION

1. L'inflation des prix de l'immobilier, exacerbée dans certaines villes, crée des disparités entre les territoires

La croissance des prix de l'immobilier à l'achat est une réalité constatée dans de nombreuses villes ces dernières années. Cette tendance est confirmée par le bilan immobilier de l'année 2019 publié par les notaires de France 2 ( * ) .

Évolution des prix de l'immobilier entre 2009 et 2019 en France

Ville

Évolution sur 10 ans

Paris

+ 61%

Lyon

+ 62%

Bordeaux

+ 79%

Lille

+ 21%

Toulouse

+ 22%

Strasbourg

+ 25%

Rennes

+ 34%

Nantes

+ 39%

Marseille

+ 2%

Orléans

+ 3%

Montpellier

+ 15%

Nice

+ 18%

Saint-Etienne

- 27%

Le Havre

- 10%

Toulon

- 5%

Grenoble

- 4%

Reims

- 2%

Dijon

- 2%

Ces chiffres, qui concernent en particulier les métropoles, reflètent de façon générale les disparités régionales existantes.

Ces différences peuvent notamment s'expliquer par une plus ou moins grande attractivité des zones concernées. Les prix moyens au mètre carré permettent également d'observer les conséquences territoriales de l'inflation du marché de l'immobilier.

À Paris par exemple, la barre des 10 000 euros en moyenne a été franchie dès 2018. Cette inflation s'est inévitablement répercutée sur les première et deuxième couronnes, du fait du déport forcé des habitants du centre de la capitale. Désormais, le prix moyen du mètre carré atteint 4 900 euros dans le Val-de-Marne et 6 500 euros dans les Hauts-de-Seine. Face à ce contexte de « prix de l'immobilier qui s'envolent » Christian Dupuy, maire de Suresnes, confirme « La situation, que nous déplorons, est une illustration de la fracture entre le désert français et un mode de vie de plus en plus urbain d'une part croissante de notre population ».

En région aussi, on observe de très fortes disparités entre les territoires, en particulier entre le centre-ville et la périphérie, comme l'explique l'économiste Michel Mouillart, spécialiste de l'immobilier : « Si nous quittons la ville-centre, par exemple, pour un Bordelais allant à Pessac ou Mérignac, la différence de prix s'élève à 25 %. On retrouve ici le même niveau de différentiel que celui de Paris à Boulogne-Billancourt, ou de Boulogne-Billancourt à Asnières ». Il constate à cet égard, des différences très prononcées entre « le triangle d'or et le reste de la ville », qui « donnent des niveaux de prix du simple au double, voire du simple au triple ».

Parallèlement, certaines grandes villes françaises ont enregistré une croissance de prix fulgurante entre 2017 et 2019. À Toulouse, le prix moyen au mètre carré a augmenté de 11,9 % pour s'établie à 3 527 euros ; à Nantes, le prix moyen au mètre carré a connu un bond de 16 %, atteignant 3 802 euros ; à Bordeaux, sur la seule année 2018, on a enregistré une croissance des prix à l'achat de près de 10 %.

Les 10 villes les plus chères en France en 2020

Ville

Prix 2020 *
(en €/m²)

Prix 2019
(en €/m²)

Variation
2019 (en %)

Variation
2018 (en %)

Paris

10 904

10 985

5,7

7,0

Lyon

5 324

5 206

9,1

6,5

Bordeaux

4 822

4 705

-1,1

9,7

Aix en Provence

4 135

4 221

2,0

-2,3

Nice

4 241

4 140

2,2

1,8

Nantes

3 928

3 802

11,5

3,4

Rennes

3 620

3 655

11,0

11,5

Strasbourg

3 556

3 533

4,9

-0,9

Toulouse

3 639

3 527

9,1

1,4

Villeurbanne

3 572

3 456

13,5

3,5

France entière

3 571

3 665

4,3

3,5

* Prix constatés au 1 er trimestre 2020

Source : Michel Mouillart, professeur d'économie à l'Université de Paris-Ouest

Cette attractivité des métropoles n'est pas sans conséquence. Elle influe sur l'évolution globale des prix dans les départements d'implantation des métropoles et crée une distance avec les territoires moins dynamiques.

À cet égard, l'inflation du marché de l'immobilier, si elle a généré des déplacements entre les villes et les périphéries, n'a que peu influencé la répartition démographique française. S'agissant des prix d'acquisition des actifs immobiliers au niveau national, les territoires qui demeurent les moins peuplés restent aussi les moins onéreux. Michel Mouillart relève ainsi : « Et que dire de Saint-Étienne, dont la différence de prix s'établit à 73 % par rapport à Lyon ? La ville de Saint-Étienne est 8 fois moins chère que celle de Neuilly-sur-Seine ».

Il souligne aussi que dans les départements à dominante rurale, tels que la Creuse, la Haute-Marne ou la Meuse, par exemple, « les niveaux de prix s'élèvent à 1 250 euros le mètre carré ». Les villes de Mulhouse ou Saint-Étienne présentent des niveaux de prix « sensiblement comparables ». Dans les départements de l'Ariège, des Vosges ou des Ardennes, « nous sommes à 1 400 euros le mètre carré dans l'ensemble de ces territoires ». Ces chiffres témoignent d'écarts très significatifs entre les villes les plus chères et les villes les moins chères en France.

Les 10 villes les moins chères en France en 2020

Ville

Prix 2020 *
(en €/m²)

Prix 2019
(en €/m²)

Variation
2019 (en %)

Variation
2018 (en %)

Clermont-Ferrand

2 235

2 217

2,8

4,7

Le Havre

2 140

2 137

7,3

-0,7

Besançon

2 145

2 080

4,8

6,2

Brest

1 996

2 048

11,8

-0,4

Nîmes

1 996

1 989

-5,9

-1,3

Le Mans

1 885

1 843

6,2

-10,5

Perpignan

1 642

1 645

3,6

1,5

Limoges

1 634

1 616

-3,3

8,7

Mulhouse

1 623

1 546

9,0

-0,5

Saint-Etienne

1 432

1 402

3,8

-1,0

France entière

3 571

3 665

4,3

3,5

* Prix constatés au 1 er trimestre 2020

Source : Michel Mouillart, professeur d'économie à l'Université de Paris-Ouest

Enfin, sur un marché immobilier qui ne cesse de croître, la progression des ventes immobilières entretient aussi une tension sur les prix. Dans l'immobilier ancien, par exemple, le nombre de transactions a dépassé le million en 2019, ce qui représente une hausse annuelle spectaculaire de 10,4 %.

Le moindre coût de l'emprunt actuel peut, en partie, expliquer un tel dynamisme de la demande. Or, avec des taux d'intérêt historiquement bas parvenant à se maintenir à ce niveau, le marché de l'immobilier reste orienté à la hausse 3 ( * ) .

La crise sanitaire a certes eu pour effet de plonger le secteur immobilier dans une paralysie historique - durant la période de confinement, 120 000 professionnels de l'immobilier étaient en situation de chômage technique. La demande d'achat de logement pourrait ainsi connaitre une récession historique si l'on se fonde sur les prévisions 4 ( * ) : 220 000 ménages, dont les trois quarts sont des primo-accédants, pourraient être exclus de l'accès aux crédits immobiliers d'ici 2021. Les portes de l'accession à la propriété risquent donc de se refermer pour les ménages modestes.

Toutefois, malgré cette crise sanitaire inédite, le marché pourrait être soutenu par deux piliers structurels qui alimentent toujours la hausse des prix :

- une demande qui excède le stock d'offre, car les besoins en matière de logement restent durablement importants, en termes d'achat ou de location. Selon une étude récente 5 ( * ) , 79 % des Français en recherche d'un bien immobilier souhaiteraient donner suite à leur projet à la sortie de la crise sanitaire ;

- des investisseurs qui s'orientent vers des biens considérés comme une valeur refuge, a fortiori dans un contexte d'incertitude boursière, en temps de crise économique. En outre, pour de nombreux Français, acquérir sa résidence principale reste la valeur refuge par excellence.

2. La hausse du marché de l'immobilier peut produire, à long terme, une redistribution territoriale inégalitaire entre groupes sociaux et des conséquences négatives sur l'emploi et le commerce

a) L'accroissement des prix de l'immobilier dans les centres des grandes villes éloigne de plus en plus de ménages vers les zones péri urbaines

La tension sur les prix de l'immobilier dans les grandes agglomérations telles que Paris, Bordeaux, Lyon, Toulouse, ainsi que dans beaucoup de villes moyennes, dans un contexte de stagnation des salaires, oblige certaines catégories sociales à s'éloigner des centres.

Certains groupes sociaux sont particulièrement touchés : les jeunes ménages, en particulier les primo-accédants dont la demande est de moins en moins solvable ; les familles, qui peinent à acquérir des surfaces suffisamment grandes pour répondre aux besoins du foyer ; et les catégories dites populaires, composées d'ouvriers, d'employés, d'artisans ou de professions intermédiaires, dont le pouvoir d'achat est devenu trop faible pour se loger dans les centres des grandes villes françaises.

Cette réalité du marché de l'immobilier a commencé à transformer durablement la physionomie de certaines villes, dont la sociologie des habitants s'est considérablement modifiée en une quinzaine d'années seulement.

Désormais, les cadres bénéficiant des retombées économiques de la mondialisation y sont surreprésentés, ainsi que les touristes, qui profitent d'une offre pléthorique de logements de courte durée. Parallèlement, les personnes seules ainsi que les étudiants dont les familles résident dans une autre ville sont de plus en plus nombreux au sein de la population citadine. Ces deux dernières catégories expliquent, de façon symétrique, la pression constante des prix, à la hausse, sur le marché des petites surfaces.

Dans certaines communes, la condition de disposer de hauts revenus pour acheter dans le centre n'est même plus suffisante pour les ménages primo-accédants. L'héritage devient alors un facteur déterminant qui renforce nécessairement des mécanismes de ségrégation sociale. Ce phénomène est particulièrement marqué à Paris, où seuls 33 % des ménages sont propriétaires de leur logement (Insee 2016), contre 58 % au niveau national (Insee 2018).

Simultanément, une large partie de nos concitoyens vivent de plein fouet la crise du logement, dont on estime qu'elle touche actuellement 14,6 millions de personnes en France, selon les chiffres publiés par la Fondation Abbé Pierre 6 ( * ) . Parmi elles, 4 millions sont mal logées, dont 900 000 sont sans logement personnel, et 12 millions sont fragilisées. Pourtant, la Fondation constate que 3 millions de logements privés sont vacants, et plus de 142 000 dans le parc HLM. La vacance des logements se constate même dans les plus grandes villes, atteignant par exemple 8 % à Paris. Le rapport 2019 de la Fondation pointe une « une mauvaise allocation des logements disponibles », tandis que la part des dépenses publiques consacrées au logement n'atteint que 1,69 % des dépenses de l'État.

b) L'inflation supportée par le marché de l'immobilier produit aussi des effets sur le commerce et l'emploi

La hausse actuelle des prix de l'immobilier créé également des externalités économiques négatives. Outre le fait qu'elle entraîne un investissement dans des biens surévalués, cette hausse engendre un éloignement des salariés, relégués en périphérie, par rapport à leur lieu de travail, avec un effet « double peine ».

Le haut niveau des prix du logement pèse aussi sur la compétitivité de l'économie française. Le Conseil d'analyse économique 7 ( * ) (CAE) explique qu'avec un quart du budget des ménages consacré au logement, d'autres secteurs de l'économie française se retrouvent privés d'une grande partie des dépenses des ménages. Le coût du logement se répercutant sur le revenu disponible, la hausse des prix, combinée à l'atonie des salaires, accroît ce ratio et impacte les performances économiques de notre pays.

Enfin, le renchérissement des prix de l'immobilier peut aussi avoir des retombées négatives sur le plan de commerce. Dans les centres des grandes villes, les cadres supérieurs et les touristes, qui composent désormais majoritairement le paysage démographique, ont, du fait de leur pouvoir d'achat plus élevé, entraîné le développement de certains types de commerce (services, luxe) au détriment des petits commerces et artisans de proximité (fermetures de boucheries, de boulangeries, de menuisiers, etc.). Dans les grandes villes, ce renouvellement du paysage urbain a par exemple provoqué une baisse de moitié du nombre de supermarchés dits discount .


* 1 Un certain nombre d'observations, de constats et de recommandations, sans être complétement remis en question par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, mériteront d'être réévalués et confirmés dans les prochains mois afin de conserver toute leur pertinence.

* 2 Conseil supérieur du notariat « Bilan de l'année immobilière 2019 des Notaires de France ».

* 3 Sous réserve de l'évènement exceptionnel que nous traversons avec la pandémie de Covid-19.

* 4 Selon l'Observatoire Crédit Logement-CSA, avril 2020.

* 5 Étude réalisée pour Égide informatique (éditeur de logiciels de gestion de parcs immobiliers) par Opinionway, avril 2020.

* 6 « 24 e rapport relatif à l'état du mal-logement en France », Fondation Abbé Pierre, 2019.

* 7 « Comment modérer les prix de l'immobilier ? » rapport du CAE rédigé par Alain Trannoy et Etienne Wasmer, février 2013.

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