D. UN BESOIN D'AIDE HUMAINE ?

Parmi les idées pour soutenir les directeurs d'école au quotidien émerge régulièrement celle d'une aide humaine. Comme le rappellent les rapporteurs, certaines écoles primaires accueillent plus d'élèves que certains collèges, qui bénéficient pourtant de personnels de direction dédiés au fonctionnement administratif de l'établissement. Ainsi, à la rentrée 2018-2019, 840 collèges publics accueillaient en France moins de 300 élèves. Ce seuil d'élèves peut correspondre à une école de 13 classes avec un directeur d'école devant assurer simultanément à sa fonction de directeur une demi-charge d'enseignement. Près de 2 800 écoles publiques ont 13 classes ou plus, dont 407 20 classes et plus, et 16 écoles 30 classes et plus.

La question d'une aide humaine pour les directeurs d'école a connu une résonnance particulière à la suite de la décision prise par le Gouvernement en 2018 de réduire le nombre d'emplois aidés comme en témoignent les interpellations de plusieurs sénateurs 21 ( * ) au ministre de l'éducation nationale sur la « suppression des aides administratives à la direction d'école ». Force est de constater, et contrairement à ce que le Gouvernement avait pu indiquer dans ses réponses aux questions précédemment évoquées, que le recours à l'informatique n'a pas permis d'alléger les tâches administratives des directeurs d'école - bien au contraire. Comme l'a clairement indiqué une personne auditionnée par les rapporteurs, « l'outil numérique a amplifié le travail au lieu de le simplifier ».

1. La fausse bonne idée du recours au service civique

Lors de son audition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 22 ( * ) , Jean-Michel Blanquer a indiqué à la commission qu'un certain nombre de tâches des directeurs d'école correspondent à une mission de service civique . Bien qu'il soit conscient que l'idée de recourir à des services civiques pour aider les directeurs d'école fasse débat, « celle-ci reste toutefois d'actualité » 23 ( * ) . Une annonce devait être faite le 17 décembre 2019, en fonction des résultats de la concertation en cours. Toutefois, elle a été différée à une date non précisée.

Les rapporteurs sont pour leurs parts très sceptiques quant au recours à des services civiques pour soulager les directeurs au quotidien et ce pour plusieurs raisons :

- l'intérêt de la mission pour le volontaire en service civique : les directeurs d'école ont exprimé comme principal besoin (52 % des réponses) la gestion des accès à l'école en dehors des heures d'entrée/sortie de classes (ouverture de portes, réception des livraisons, ...). En effet, un certain nombre de tâches administratives ne peuvent pas être déléguées, car amènent à traiter des données personnelles et sensibles ;

- le soulagement réel dans les tâches qu'apporterait une telle solution : comme l'ont rappelé les représentants du GDiD, ces jeunes peuvent devenir une charge supplémentaire de travail car il faudra les former et les accompagner ;

- la durée du service civique : comme l'a rappelé Jacques-Bernard Magner dans son avis budgétaire de novembre dernier, la tendance actuelle est à la réduction de la durée moyenne de la durée du service civique. Ainsi, en 2018, les missions ont une durée moyenne de 7,33 mois - soit moins qu'une année scolaire (10 mois) 24 ( * ) ;

- la nécessité de refaire chaque année un travail intégral de formation : le recours à des jeunes en service civique implique nécessairement pour le directeur d'école de devoir former de zéro chaque année le jeune accueilli. En outre, les missions confiées peuvent varier fortement en fonction de l'autonomie et des compétences du jeune ;

- une absence de visibilité d'une année sur l'autre : rien ne garantit au directeur d'école de bénéficier à la rentrée suivante d'un renouvellement de la mission de service civique. Comme l'a souligné Mélanie Guichaoua, directrice d'une école de trois classes en Vendée, « dans les petites écoles, nous ne recevons pas d'aide. Les petites communes ne sont pas attractives. J'ai demandé un service civique pendant 3 ans. Je l'ai enfin obtenu cette année. Je sens vraiment la différence. [...] Malheureusement, je ne suis pas certaine d'avoir un autre service civique l'an prochain » 25 ( * ) .

Aussi pour les rapporteurs, si le recours à un service civique peut être, en fonction des situations et des personnes, une solution temporaire et d'urgence, il ne peut en aucun cas constituer une solution pérenne à moyen terme .

2. Quelles tâches déléguer ?

Interrogés sur la délégation de tâches, l'ensemble des directeurs d'école auditionnés ont immédiatement signalé qu'un certain nombre d'entre elles ne pouvaient pas être déléguées :

- tel est le cas de certaines tâches administratives où le directeur d'école a à connaître des données confidentielles sur l'élève et sa famille ;

- en outre, toutes les tâches liées au relationnel - notamment avec les parents d'élèves et l'équipe pédagogique - font partie du coeur de métiers des directeurs d'école. Or, l'un des directeurs auditionnés a évalué à 80 % la proportion des tâches liées au relationnel.

La gestion de la sécurité dans l'école fait débat parmi les directeurs d'école. Ainsi, seuls 8 % des directeurs d'école estiment qu'elle fait partie de leur coeur de métier, 66 % la classent parmi les deux tâches exercées les plus pénibles, et 55 % estiment qu'il s'agit d'une des deux tâches pour lesquelles ils ont le plus besoin de soutien. La crise de la Covid-19 et la question de la réouverture des écoles ont montré combien la question de la sécurité était sensible. Elle nécessite une formation importante des directeurs d'école afin de bien les armer sur ces questions, un soutien et des réponses rapides aux questions qu'ils peuvent se poser de la part des autorités académiques, mais également un travail partenarial avec le maire. En effet, ce dernier est responsable de la sécurité aux abords des écoles. En outre, les locaux appartiennent à la commune qui est chargée de leurs entretiens. Une définition claire des tâches de chacun doit être établie.

Préconisation

Établir une nouvelle nomenclature des tâches et responsabilités, notamment en matière de sécurité, afin de définir précisément celles qui relèvent du directeur d'école et celles relevant de la collectivité locale.

Par ailleurs, les rapporteurs souhaitent souligner que toute délégation de tâches doit représenter une vraie décharge de travail pour les directeurs d'école. Les personnes appelées à seconder les directeurs d'école doivent disposer de la formation nécessaire et d'une stabilité suffisante dans leur poste , pour disposer d'une autonomie leur permettant de ne pas avoir à déranger le directeur d'école à chaque appel téléphonique, mail ou venue d'une personne extérieure dans l'école. Dans cette perspective, une aide administrative pourrait être apportée pour les écoles de 8 classes et plus, sous la forme d'un contrat de droit public de trois ans, renouvelable une fois. Les rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité d'une formation initiale bien définie pour que cette aide soit rapidement opérationnelle et apporte un vrai soulagement aux tâches des directeurs d'école. En outre, celle-ci doit pouvoir bénéficier d'une formation pendant le contrat dans la perspective de sa reconversion professionnelle à l'échéance de son contrat à durée déterminée.

Préconisation

Pour les écoles de 8 classes et plus, mettre en place une aide administrative, sous la forme d'un contrat de droit public de trois ans renouvelable une fois, bénéficiant d'une formation initiale conséquente pour être immédiatement opérationnel ainsi que d'une formation continue dans la perspective de sa reconversion professionnelle en fin de contrat .

En outre, les besoins des directeurs d'école ne sont pas uniformes. Ils peuvent varier en fonction du type d'école (en zone rurale ou urbaine, école élémentaire/maternelle, ...), de sa taille, mais aussi de l'expérience du directeur d'école. Afin de pouvoir prendre en compte l'ensemble de ces paramètres, ils appellent, comme l'a déjà fait la commission dans plusieurs de ses rapports 26 ( * ) précédents , à une territorialisation des réponses apportées par l'éducation nationale.

Les compétences des collectivités territoriales, de l'État et du directeur d'école peuvent être connexes voire imbriquées pour la réalisation de certaines tâches. Des conventionnements pluriannuels à l'échelle locale sont donc nécessaires pour répondre aux besoins propres de chaque établissement.

3. La priorité : redonner du sens aux tâches exercées

Surtout, les rapporteurs estiment primordial de redonner du sens aux tâches exercées. Comme le souligne M. Pierre Lombard, directeur d'école à Cap d'Ail « notre fonction est définie par des missions, mais nous sommes écrasés par des tâches ».

Ainsi, les directeurs d'école sont confrontés à une multitude de tâches, parfois de microtâches, à une répétition de ces dernières, à une superposition des demandes, le tout dans une absence quasi-totale de priorisation . À titre d'exemple, dans le cadre de la préparation de la réunion de concertation avec les syndicats, la direction générale des ressources humaines du ministère s'est rendu compte que les directeurs d'école avaient été destinataires depuis la rentrée scolaire de septembre 2019 - soit en l'espace de quatre /cinq mois - de plus de 100 courriers, allant de l'information sur un projet artistique à des circulaires très importantes.

C'est cette accumulation de tâches qui entraîne un sentiment de perte de sens dans les missions menées parce qu'elle conduit notamment à un sentiment pour les directeurs d'école de ne pas pouvoir se concentrer sur leurs coeurs de métier.

Témoignages de directeurs d'école - extraits de la table ronde du 26 février

Pierre Lombard, directeur d'école à Cap d'Ail : « Notre fonction est définie par des missions, mais nous sommes écrasés par des tâches ».

Caroline Pirrochi, directrice d'école au Havre : « Nous avons beaucoup de petites tâches à effectuer. Additionnées les unes aux autres, cela représente un travail considérable. On se rend compte à un moment donné que l'on n'a pas fait un quart des tâches que l'on devait faire dans la journée, avec en plus des enquêtes à remplir pour lesquelles on est déjà en retard ... ».

Mélanie Guichaoua, directrice d'école à Bazoges-en-Pareds : « Il est impossible de quantifier les tâches administratives qui nous sont demandées. Ces tâches n'ont rien à voir avec le bien-être des élèves, ni celui des parents. Elles ne font pas non plus avancer l'école. Elles nous font d'ailleurs plutôt prendre du retard ».

Pour les rapporteurs, il est urgent de procéder à une « chasse aux doublons » . Les rapporteurs ne mentionneront que trois exemples relevés lors de leurs auditions et de la table ronde du 26 février pour illustrer leurs propos :

- certaines enquêtes, issues d'émetteurs différents (DASEN, académie, direction centrale du ministère, ...) demandent dans les faits les mêmes informations. Comme l'a expliqué la direction générale des ressources humaines du ministère aux rapporteurs, une même enquête peut arriver par plusieurs canaux : inspecteurs de l'éducation nationale, directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), direction générale de l'enseignement scolaire, direction générale des ressources humaines, ou encore direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance. En outre, un certain nombre de ces informations sont déjà disponibles sur la base ONDE 27 ( * ) ;

- chaque année, les directeurs d'école doivent indiquer intégralement les horaires de classe et d'ouverture de l'école . Or, dans la très grande majorité des cas, il n'y a pas de variation d'une année sur l'autre , et de toute façon il y a obligation de passer en conseil des maîtres en cas de changement. Il serait plus simple d'inverser le principe et de demander s'il y a eu une modification de l'organisation et si oui d'indiquer laquelle ;

- le directeur d'école doit imprimer et signer à la main chaque certificat de scolarité (et chaque exemplaire). À titre de comparaison, les chefs d'établissement du secondaire peuvent les éditer et signer électroniquement. C'est typiquement l'exemple de tâches chronophages de début d'année, et qui a peu de sens. Pour une école de 10 classes avec 24 élèves en moyenne, le directeur d'école devra signer manuellement 240 certificats - s'il donne aux parents un unique exemplaire - et 960 s'il le donne en quatre exemplaires. Or, ce document est réclamé par les parents car nécessaire pour un certain nombre de démarches administratives.

Les rapporteurs mettent toutefois en garde contre une idée préconçue qui serait de penser que le numérique serait une solution miracle . Comme le souligne Jacques-Bernard Magner, « l'environnement numérique de travail met les enseignants et les directeurs d'école en prise directe avec les familles [et l'administration] qui posent parfois des questions à des heures indues ». En outre, la priorisation des mails prend du temps. Ainsi, dans de nombreux cas, l'outil numérique a amplifié le travail au lieu de le simplifier. Cet effet a été renforcé par l'absence de formation au numérique d'un certain nombre de directeurs d'école mais également des équipements parfois inadaptés. Ces problèmes de bureautique représentent trois des quatre premières attentes prioritaires 28 ( * ) des directeurs d'école en matière de ressources matérielles.

Témoignage de directeur d'école - extrait de la table ronde du 26 février

Patrick Contard : « Nous ne recevons pas de formation particulière en informatique, alors que nous nous en servons constamment. »

Préconisations

- Redonner du sens aux tâches exercées ;

- Procéder à une « chasse aux doublons ».


* 21 Cf. par exemple la question écrite n° 03110 de M. Antoine Lefèvre du 8 février 2018, ou encore la question n° 04935 de M. Pierre Ouzoulias du 10 mai 2018.

* 22 Audition du 13 novembre 2019 par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

* 23 Idem.

* 24 Avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2020 n° 145 de MM. Jean-Jacques Lozach et Jacques-Bernard Magner, « mission sport, jeunesse et vie associative », 2019-2020.

* 25 Compte rendu de la table ronde du 26 février 2020.

* 26 Cf. notamment : rapport n° 690 de M. Max Brisson et Mme Françoise Laborde, « Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité », 2017-2018, rapport n° 43 de MM. Laurent Lafon et Jean-Yves Roux sur les nouveaux territoires de l'éducation, 2019-2020.

* 27 La base ONDE a succédé à partir de février 2017 à l'application « base élèves 1 er degré ». L'accès aux données nominatives est réservé aux acteurs locaux (directeurs d'école, mairies, inspecteurs de circonscription et inspecteurs d'académie directeurs des services départementaux de l'Éducation nationale), selon des procédures sécurisées. Les rectorats et l'administration centrale y ont accès à des fins statistiques : les données sont alors anonymisées.

* 28 Notamment disposer d'un ordinateur portable, d'une connexion internet fiable et de logiciels de bureautique actualisés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page