CHAPITRE II :
LE RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE,
L'AFFIRMATION D'UN SERVICE EN PREMIÈRE LIGNE DANS LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

Évasion spectaculaire de Redouane Faïd du centre pénitentiaire de Réau, attaque au couteau de deux surveillants à Condé sur Sarthe, hausse de la radicalisation en détention : la question pénitentiaire anime le débat politique et médiatique et interpelle une opinion publique très préoccupée par ce qu'elle sait ou ne sait pas de ce qui se passe dans les prisons françaises.

Dans ce contexte, la prison ne pouvait rester plus longtemps un angle mort du renseignement. La surveillance en milieu carcéral est devenue en quelques années un enjeu central dans le dispositif de lutte contre le terrorisme, conférant au renseignement pénitentiaire une place de plus en plus signifiante.

La montée en puissance du renseignement pénitentiaire, à travers la création d'un service à compétence nationale doté de réels moyens et de prérogatives renforcées, vise à relever le défi de cette menace terroriste devenue endogène, à un moment où s'accélère le rythme des sorties de prison de détenus condamnés pour terrorisme.

I. LA MONTEE EN PUISSANCE DU RENSEIGNEMENT PENITENTIAIRE

En quelques années, le renseignement pénitentiaire a connu un développement considérable, se hissant au rang des priorités de l'agenda politique et administratif. Dernier né des services de renseignement, le service national du renseignement pénitentiaire dessine progressivement sa place au sein de la communauté du second cercle.

A. D'UN BUREAU CENTRAL À UN SERVICE À COMPÉTENCE NATIONALE

L'organisation d'une véritable structure de renseignement au sein de l'administration pénitentiaire est récente. Elle est consécutive à l'apparition d'une menace terroriste endogène à laquelle il a fallu répondre dans l'urgence - même si ses missions sont plus larges - en s'appuyant sur une culture ancienne du renseignement pénitentiaire dans notre pays.

1. Le renseignement pénitentiaire : une pratique ancienne

Le renseignement pénitentiaire existe depuis longtemps dans notre administration, mais il se pratiquait, depuis les années 80, « à la bonne franquette » selon l'expression employée par M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire Force Ouvrière, lors de son audition à l'Assemblée nationale le 21 mars 2019 par la commission d'enquête parlementaire sur « la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité ». Une quinzaine de personnes seulement étaient jusqu'alors chargées de traiter les informations transmises par les établissements pénitentiaires.

Il faut remonter à un arrêté du 7 janvier 2003 sur l'organisation de la direction de l'administration pénitentiaire pour trouver trace de la création formelle d'un « bureau du renseignement pénitentiaire » au sein de la sous-direction de l'état-major de sécurité. L'article 4 dudit arrêté définit ainsi les missions de ce bureau : « chargé de recueillir et d'analyser l'ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires, il organise la collecte de ces renseignements auprès des services déconcentrés et procède à leur exploitation à des fins opérationnelles. Il assure la liaison avec les services centraux de la police et de la gendarmerie » .

Quelques semaines à peine après la publication de cet arrêté, deux évasions spectaculaires à l'arme lourde défrayaient la chronique dans les prisons de Borgo (Corse) et de Fresnes (Val-de-Marne) qui devaient conduire le Gouvernement de l'époque à prendre des mesures de renforcement de la sécurité dans les prisons.

Dans ce contexte, le Bureau du renseignement pénitentiaire a d'abord eu pour objectif d'assurer une surveillance des détenus dits difficiles, avant de voir sa mission étendue, après les attentats de Londres et de Madrid en 2005, aux phénomènes de radicalisation. Néanmoins, le renseignement pénitentiaire n'a disposé, jusqu'à une période récente, que de moyens matériels et humains très limités.

Avec les attentats commis par Mohamed Merah en 2012 puis ceux de janvier et novembre 2015, le renforcement du renseignement pénitentiaire a fait l'objet de nombreuses discussions et de controverses politiques, tant la question de la radicalisation en prison a été au coeur du débat public et demeure un sujet de préoccupation majeur aussi bien pour les autorités politiques que pour l'opinion publique.

2. La création du BCRP en 2017...

Le Bureau du renseignement pénitentiaire, dans sa forme et son fonctionnement datant de 2003, a été réorganisé en 2015. Depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, l'action du renseignement pénitentiaire est désormais inscrite dans le cadre légal du renseignement. En avril 2017, un nouveau bureau Central du Renseignement Pénitentiaire (BCRP) a été créé et formellement intégré au second cercle de la communauté du renseignement.

Ce nouveau BCRP reprend les attributions de l'ancien, en y ajoutant la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée. Son effectif se trouve alors plus que doublé, passant à une quarantaine d'agents s'appuyant sur un réseau de renseignement pénitentiaire sur l'ensemble du territoire.

Aux termes du livre VIII du code de la sécurité intérieure (CSI), le renseignement pénitentiaire a pour mission d'objectiver et de prévenir les risques d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ainsi que les risques d'atteinte à la sécurité des personnels pénitentiaires et des personnes détenues.

Le renseignement pénitentiaire poursuivait alors trois finalités :

- la prévention du terrorisme, qui a pris une importance prépondérante ces dernières années ;

- la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

- la prévention des évasions et le maintien du bon ordre et de la sécurité dans les établissements.

Les agents du BCRP sont désormais habilités à utiliser des techniques jusque-là réservées à ceux du ministère de l'Intérieur, sous le contrôle de la CNCTR et sur autorisation du Premier ministre.

3. ...et sa transformation en service national du renseignement pénitentiaire en 2019

Deux ans à peine après sa création, ce « Bureau » s'est mué par arrêté du 29 mai 2019 en « service à compétence nationale ».

La création de services à compétence nationale a été rendue possible par un décret du 9 mai 1997. Ces services se situent à mi-chemin entre les administrations centrales et les administrations déconcentrées. En effet, il s'agit de services dont les attributions ont un caractère national - à la différence des services déconcentrés -, et dont l'exécution ne peut être déléguée à un échelon territorial. Mais ils se distinguent également des services centraux, car leurs missions ont un caractère opérationnel et bénéficient d'une certaine autonomie.

Ce changement de statut fut notamment guidé par la volonté de mettre un terme aux interférences - pour ne pas dire aux contradictions - qui ont pu être relevées entre d'un côté les orientations données aux agents du renseignement pénitentiaire par le BRCP ou les CIRP (cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire) et de l'autre, celles qui leur étaient délivrées, sur le terrain, par leurs supérieurs hiérarchiques du fait de contingences liées à la gestion de la détention. Les agents locaux étaient en effet placés jusqu'alors sous deux autorités : hiérarchique d'une part (celle de leur chef d'établissement) et fonctionnelle d'autre part (celle de la CIRP) Désormais, les cellules interrégionales et les délégations locales sont placées sous l'autorité exclusive de l'échelon central du service national du renseignement pénitentiaire. Concrètement, ce nouveau statut de « service national » permet ainsi au renseignement pénitentiaire de s'émanciper des pesanteurs d'une double tutelle hiérarchique et fonctionnelle.

Le réseau du renseignement pénitentiaire se structure ainsi autour de trois niveaux tels que définis à l'article 4 de l'arrêté du 29 mai 2019 :

- au niveau local , chaque établissement pénitentiaire se voit affecter un ou plusieurs délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP) qui ne sont plus soumis à l'autorité hiérarchique du chef d'établissement. Le DLRP est le premier opérateur de collecte du renseignement pénitentiaire en milieu carcéral, essentiellement d'origine humaine. *****. Par ailleurs, au sein de chacun des 103 services de probation et d'insertion pénitentiaire (SPIP), un cadre du service est désigné comme référent pour le renseignement pénitentiaire et communique aux CIRP les informations collectées en milieu ouvert en lien avec les objectifs du réseau ;

- au niveau interrégional , dix cellules interrégionales sont composées de personnels de l'administration pénitentiaire spécialisés sur la mission de renseignement et d'agents formés à l'investigation numérique et à la recherche en sources ouvertes. Ces derniers oeuvrent au recueil et à l'exploitation de la donnée et orientent les capteurs dans les établissements de leur ressort géographique, en lien, le cas échéant, avec les unités déconcentrées des services de renseignement partenaires ;

- au niveau national , l'échelon central anime l'ensemble du réseau et entretient les relations institutionnelles avec les partenaires de la communauté du renseignement. L'échelon central est composé de trois bureaux : un bureau de l'administration, un bureau des opérations et un bureau des investigations et de l'analyse.

Enfin, signe de la montée en puissance du renseignement pénitentiaire et de sa pleine intégration au sein de la communauté du renseignement, *****.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page