IV. ALLER VERS DES DATA CENTERS ET DES RÉSEAUX MOINS ÉNERGIVORES

A. EN AMÉLIORANT LA PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE DES DATA CENTERS, RESPONSABLES DE 14 % DE L'EMPREINTE CARBONE DU NUMÉRIQUE EN FRANCE

D'après les résultats de l'étude commandée par la mission d'information, les data centers représentaient en 2019 14 % de l'empreinte carbone du numérique en France.

Soutenue par l'accroissement considérable des usages, cette empreinte pourrait connaître d'ici 2040 une hausse de 86 %, plus importante même que celle du bilan carbone de l'ensemble du secteur numérique français (+ 60 %) sur la même période. Des politiques publiques doivent dès à présent être mobilisées pour atténuer cette augmentation.

1. Inciter à l'installation de data centers en France et conditionner l'avantage fiscal existant à des critères de performance environnementale

Les centres informatiques - ou data centers - sont des lieux où sont effectués des services de stockage et de traitement de données pour des utilisateurs - consommateurs, entreprises ou administrations. Ils hébergent des serveurs - ordinateurs réalisant des traitements - ainsi que des baies
- disques durs stockant les données -, et sont reliés aux utilisateurs par les réseaux fixes ou mobiles.

Un centre informatique peut opérer à des échelles réduites, comme celle d'une entreprise disposant de ses propres serveurs, ou au contraire à l'échelle internationale, essentiellement via les services des GAFAM, particulièrement sollicités pour le visionnage de vidéos en streaming (voir supra ), le traitement des recherches Internet, ou encore pour le stockage de données sur le cloud .

On distingue trois grands types de data centers :

- l es data centers « classiques » : ils correspondent à des centres informatiques de taille petite à grande qui hébergent des équipements appartenant à des entreprises, en mode privatif - les locaux appartiennent à alors à l'entreprise - ou en colocation - les locaux appartiennent alors à un hébergeur spécialisé. Ces centres sont principalement installés en France. Leur efficacité énergétique moyenne est évaluée par l'étude commandée par la mission d'information à 0,0669 térawatt-heure par exaoctet ou exabyte (TWh/EB).

- l es hyper data centers : ils correspondent à des centres informatiques de très grande taille conçus pour réaliser des économies d'échelle. Bien qu'aucune définition standardisée n'en soit donnée, l' hyper data center correspond à un centre informatique dont la consommation électrique annuelle atteint quelques dizaines de GWh, voire une centaine de GWh. Les hyper data centers sollicités pour les usages français sont pour l'heure situés à l'étranger (États-Unis principalement, mais aussi Irlande ou Pays-Bas). Le développement de l'intelligence artificielle, le déploiement de l'Internet des objets (IoT) et l'explosion des besoins de connectivité devraient contribuer au dynamisme de ce segment du marché. L'efficacité énergétique de ces centres informatiques est estimée à 0,007 TWh/EB, soit 10 fois moins que les centres « classiques » installés sur le territoire national . L'intensité carbone de l'électricité consommée par ces data centers étrangers (493gCO2eq/kWh) est en revanche près de 10 fois plus élevée que celle de l'électricité consommée par les centres français « classiques » (57,1gCO2/kWh).

- les data centers de type edge computing : aujourd'hui peu développés, ces centres informatiques se caractérisent par leur petite taille et leur plus forte proximité des utilisateurs, pouvant par exemple être installés sur des sites industriels. Avec l'accélération de l'Internet des objets et de l'Internet industriel des objets (IoT et IIoT) facilitée par le développement de la 5G, le edge computing devrait se déployer plus massivement dans les années à venir. En raison de leur taille, la performance énergétique de ces centres informatiques se rapproche de celle des data centers « classiques ».

Les centres informatiques utilisés par des entreprises et individus résidant en France en 2019 ont consommé environ 33,5 TWh d'énergie primaire et émis 2,1 MtCO2éq. Cela représente 14 % de l'empreinte carbone du numérique en France . La construction représente 43 % du bilan carbone des data centers . Malgré la plus grande efficacité énergétique des hyper data centers , les émissions associées à l'utilisation (57 %) sont légèrement plus élevées à l'étranger (30 %) qu'en France (27 %). Cela s'explique par la moindre carbonation de l'électricité domestique.

Émissions de GES des centres informatiques par phase et localisation en 2019 (tCO2éq).

L'évolution de cette empreinte carbone dépendra de plusieurs facteurs aux effets opposés.

D'une part, des hyper data centers devraient être prochainement mis en service en France. Plusieurs raisons sont évoquées par l'étude commandée par la mission d'information pour expliquer cette tendance à la relocalisation : hausse exponentielle du trafic faisant peser un risque de saturation des réseaux à l'étranger, volonté d'héberger les services au plus proche des utilisateurs pour limiter la latence nécessaire au développement de nouveaux usages (comme le cloud gaming ), attractivité de la France (faible prix de l'électricité, atouts climatiques facilitant le refroidissement des data centers ...). L'implantation en France d' hyper data centers en remplacement de centres implantés à l'étranger permettra de réduire significativement l'empreinte carbone de ce segment de marché .

D'autre part, l'accroissement continu des usages devrait contribuer à une hausse considérable de l'utilisation des centres informatiques : d'ici 2040, « la demande de stockage et de calcul auprès de centres informatiques "classiques" devrait croître d'environ 21 % par an, et celle auprès d' hyper data centers de 35 % par an ». Le dynamisme de l'edge computing contribuera de surcroît à détériorer l'efficacité énergétique des centres informatiques . Enfin, d'après les estimations de l'étude précitée, les gains d'efficacité énergétique des hyper data centers et des centres « classiques » devraient également ralentir 73 ( * ) après plusieurs années d'importants progrès 74 ( * ) . Ces tendances contribueront à accroître l'empreinte carbone des data centers .

Projection des émissions de gaz à effet de serre des centres informatiques pour un usage français selon la localisation (tCO2éq) : l'augmentation des émissions domestiques devrait être bien plus importante que la baisse des émissions étrangères.

Selon le scénario central de l'étude, les effets négatifs pourraient l'emporter : les émissions de gaz à effet de serre des centres informatiques passeraient ainsi de 2,1 millions de tCO2eq en 2019 à 2,2 millions de tonnes en 2025, et enfin 3,9 millions de tCO2eq en 2040, soit une hausse de 86 %, plus importante que celle de l'empreinte carbone du numérique (+ 60 %) sur la même période . La mission d'information note néanmoins que le scénario bas, le plus optimiste, de l'étude fait apparaître une baisse nette importante des émissions des data centers , de près de - 50 % d'ici 2040. Selon les auteurs de l'étude, ce scénario est cependant « peu plausible » car il s'appuie sur une conjonction de trois hypothèses très favorables (la baisse rapide et forte de l'intensité carbone de l'électricité en France ; des gains d'efficacité énergétique qui ralentissent peu ; une hausse de la demande plus faible qu'anticipé). L'hypothèse d'une hausse de l'empreinte carbone des data centers semble donc très probable .

Pour atténuer ces impacts, des efforts sont à réaliser en amont, afin de développer des usages numériques plus vertueux et plus sobres (voir III ). En outre, au regard de la faible carbonation de l'électricité française, les politiques mises en oeuvre pour faciliter l'implantation sur le territoire national de centres informatiques doivent être poursuivies . En particulier, la loi de finances pour 2019 75 ( * ) a instauré un tarif réduit de taxe intérieure de consommation finale d'électricité (TICFE) de 12 euros par MWh, contre 22,5 euros pour le tarif de base, pour les consommations des centres informatiques français supérieures à 1 GWh par an lorsque ces consommations sont égales ou supérieures à 1 KWh par euro de valeur ajoutée 76 ( * ) .

L'octroi de cet avantage fiscal pourrait être conditionné à des critères de performance énergétique, en fixant un niveau minimal d'efficacité énergétique. Pour stimuler l'installation de data centers performants sur le territoire français, le soutien pourrait également être renforcé pour les centres les moins consommateurs.

Proposition n° 21 : Favoriser l'installation de data centers en France en renforçant l'avantage fiscal existant et en le conditionnant à des critères de performance environnementale.

2. Renforcer la complémentarité entre data centers et énergies renouvelables

La complémentarité entre le développement des data centers et le déploiement des énergies renouvelables pourrait être renforcé dans le cadre de stratégies territoriales.

Les énergies renouvelables peuvent tout d'abord contribuer à réduire l'empreinte carbone des centres informatiques en leur fournissant directement une électricité non carbonée. Pour réduire l'impact énergétique des centres informatiques dans les territoires, un rapport de l'Ademe de 2019 préconise ainsi de « développer les énergies renouvelables, les productions locales et les microréseaux interconnectés sur les sites de data centers , en lien avec le réseau traditionnel et les sites voisins » 77 ( * ) .

Les centres informatiques pourraient en retour constituer un « levier majeur de flexibilité locale » permettant de stocker l'électricité des installations d'énergies renouvelables intermittentes. D'après la contribution adressée par le Gimélec (groupement des entreprises de la filière électronumérique française) à la mission d'information, « un data center peut permettre d'augmenter la capacité d'accueil en énergies renouvelables localement et en optimiser leur consommation, parce qu'il est équipé de batteries et que la "charge IT" peut dans une certaine mesure se piloter ou se transférer sur un autre site ». Selon le Gimélec, de telles solutions sont déjà développées dans plusieurs pays européens (au Royaume-Uni, en Norvège, en Suède ou encore en Irlande) et pourraient servir d'exemples à des initiatives locales en France.

Proposition n° 22 : Faire des data centers des leviers de flexibilité énergétique permettant de stocker l'électricité des installations d'énergies renouvelables intermittentes.


* 73 « Les gains d'efficacité énergétique des hyper data centers ralentissent progressivement pour passer de 20 % par an à 18 % par an à partir de 2026 du fait d'un ralentissement attendu de la loi de Moore. Les gains d'efficacité énergétique des data centers "classiques" sur le territoire national ralentissent progressivement pour passer de 17 % en 2019 à 12 % par an en 2040 » ( étude sur l'empreinte carbone du numérique en France).

* 74 La consommation électrique des centres informatiques n'a quasiment pas progressé dans le monde entre 2010 et 2018 (+ 6 %), malgré une hausse considérable des usages (multiplication par 6 des besoins de calcul et de 25 de la capacité de stockage) (Eric Masanet, Arman Shehabi, Nuoa Lei, Sarah Smith, Jonathan Koomey, Recalibrating global data center energy-use estimates, Science, 28 février 2020).

* 75 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 76 Article 266 quinquies C du code des douanes.

* 77 Cécile Diguet et Fanny Lopez, L'impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires , Rapport Ademe, 2019.

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