B. LES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTATIVE

Gérés par le ministère de l'intérieur, les centres de rétention administrative (CRA) sont des bâtiments surveillés où l'administration peut retenir, pour une durée limitée et sous contrôle juridictionnel, les étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une procédure d'éloignement et ne pouvant pas quitter immédiatement la France.

L'arrêt des liaisons aériennes internationales a considérablement réduit les possibilités d'éloignement des étrangers sans titre, ce qui explique que les CRA ne soient plus occupés aujourd'hui qu'à hauteur de 10 % à peine de leur capacité.

Ainsi, lors de son audition par la commission, le 16 avril dernier, le ministre de l'intérieur, Christophe Castaner, a-t-il indiqué que seulement 132 personnes étaient retenues. Ce nombre semble avoir encore diminué depuis, puisque la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, a évoqué, lors de son audition le 24 avril, un effectif d'environ 120 personnes retenues. Ces ressortissants étrangers sont principalement de nationalité albanaise, algérienne, marocaine, portugaise, roumaine, tunisienne et géorgienne.

Une grande partie des vingt-cinq CRA habituellement opérationnels ont été fermés afin de regrouper les personnes retenues dans quelques centres , notamment celui de Paris-Vincennes et celui du Mesnil-Amelot, dans lesquels la Contrôleure générale s'est rendue le 15 avril 2020.

Elle a rendu public, à l'issue de cette visite, un courrier de saisine du ministre de l'intérieur dans lequel elle dénonce, dans des termes sévères, des condition d'hébergement ne garantissant pas la sécurité sanitaire dans le contexte de l'épidémie et des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes retenues.

La saisine du ministre de l'intérieur par la CGLPL

Dans son courrier, la Contrôleure générale s'intéresse d'abord aux conditions sanitaires de rétention. Elle constate que neuf personnes, sur un total d'une cinquantaine de personnes retenues, ont été testées positives au covid-19 au CRA de Paris-Vincennes ; aucun cas n'a en revanche été déclaré au Mesnil-Amelot.

Elle juge que les mesures de prévention de la propagation du virus sont insuffisantes, notamment en qui concerne l'utilisation des masques. Elle indique que « des consignes nationales semblent avoir été données par la direction centrale de la police aux frontières pour que ceux-ci ne soient portés qu'en cas de contact avec des personnes présentant des symptômes ». Elle déplore de mauvaises conditions d'hygiène et l'absence de mesure spécifique visant à désinfecter régulièrement les locaux pour éliminer le virus. Elle note que les quelque vingt-cinq personnes retenues au Mesnil-Amelot prennent leur repas regroupées dans un espace clos, en l'espace de trente minutes, ce qui ne permet pas de respecter les gestes barrières.

Sur le plan juridique, elle estime que les rétentions se trouvent dépourvues de base légale, du fait de l'impossibilité de poursuivre les mesures d'éloignement, et note que les associations qui accompagnent habituellement les personnes retenues dans leurs démarches juridictionnelles sont peu accessibles, tandis que les désignations d'avocats commis d'office ont été suspendues. Dans ces conditions, les garanties entourant les droits de la défense ne seraient plus apportées.

S'appuyant sur ces constations, la Contrôleure générale recommande la fermeture provisoire des CRA dans le contexte de l'épidémie de covid-19.

À cet égard, saisi en référé par plusieurs associations et par le Conseil national des barreaux (CNB), le Conseil d'État avait précédemment rejeté 62 ( * ) , le 27 mars, la demande de fermeture temporaire des CRA , considérant qu'« il ne résulte d'aucun élément du dossier le constat de carences dans l'accès aux soins des personnes retenues, non plus que dans la mise à disposition de produits d'hygiène propres à permettre le respect des consignes générales qui ont été données dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19 », alors même que le nombre de personnes retenues a diminué dans des proportions très importantes. La Haute juridiction administrative a également estimé que « l'autorité administrative a pu procéder, dans la période récente, à des éloignements du territoire, en dépit des restrictions mises par de nombreux États à l'entrée sur leur territoire de ressortissants de pays tiers et de la très forte diminution des transports aériens ».

À l'inverse, saisi de la situation spécifique des étrangers retenus au CRA de Vincennes, le juge des référés du tribunal administratif de Paris 63 ( * ) a enjoint le 15 avril aux autorités administratives compétentes d' exclure ce centre comme lieu d'exécution des futures mesures de placement en rétention , d'isoler, de confiner, et de maintenir l'accès aux soins des personnes symptomatiques, et enfin d'orienter les personnes testées positives au covid-19 vers un centre de l'Agence régionale de Santé (ARS) après avoir levé leur rétention. Cette ordonnance n'a cependant fait l'objet que d'une exécution partielle par le préfet de police, décision que le juge des référés, à nouveau saisi, a validée 64 ( * ) s'agissant de deux retenus atteints du covid-19 mais particulièrement dangereux, et que l'ARS refusait d'accueillir dans un centre de soins.

La mission de suivi estime dès lors urgent d'améliorer les conditions d'hygiène et le respect des mesures barrières , dans un contexte où le faible nombre de personnes retenues permet d'envisager que chacune d'entre elles bénéfice bien d'une chambre individuelle.

Procéder à la fermeture des CRA de façon indiscriminée ne serait pas sans risque, en raison du profil des personnes actuellement retenues : Il s'agit en effet majoritairement de personnes sortant de prison - le ministre de l'intérieur indiquait que 89 personnes sur 132 étaient dans cette situation au milieu du mois d'avril - dont la remise en liberté pourrait donc représenter un danger pour la sécurité publique .

Sur ce sujet, les rapporteurs ont prévu d'entendre prochainement la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et la direction générale des étrangers en France (DGEF), afin de faire le point sur la réalité des opérations conduites en matière d'éloignement. Les propos rassurants tenus par le ministre tranchent en effet avec les affirmations de la CGLPL, selon lesquelles quatre éloignements seulement auraient été effectués entre le 25 mars et le 25 avril.

En outre, même si elle ne relève pas stricto sensu de la problématique des lieux de privation de liberté, les rapporteurs souhaitent également interroger l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sur la question du droit d'asile, l'enregistrement et l'instruction des demandes semblant aujourd'hui au point mort 65 ( * ) . Les considérations sanitaires ne sauraient en effet justifier que la France manque gravement et durablement à ses engagements internationaux et européens en la matière.


* 62 Conseil d'État, juge des référés, n° 439720, 27 mars 2020, Gisti et autres.

* 63 Tribunal administratif de Paris, juge des référés, n° 2006287-2006288-2006289, 15 avril 2020 (injonction prononcée au motif que des étrangers placés au centre de rétention de Vincennes avaient été dépistés positifs au covid-19 et que par suite, les personnes retenues et les fonctionnaires de police et agents qui y travaillaient étaient exposés depuis plusieurs jours à un risque de contamination, alors que l'arrêt provisoire du fonctionnement de ce centre ne serait pas de nature à compromettre durablement l'exécution par les services de police des mesures d'éloignement prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière, du fait du ralentissement des procédures d'éloignement et du maintien en fonctionnement d'autres centres de rétention situés en région parisienne - Le Mesnil-Amelot - ou à proximité - Oissel).

* 64 Tribunal administratif de Paris, juge des référés, n° 2006471-2006472-2006473, 24 avril 2020, Association avocats pour la défense des droits des étrangers et autres.

* 65 Saisi par des associations, le tribunal administratif de Paris a ordonné le 21 avril 2020 la reprise des dispositifs d'enregistrements des demandes d'asile en région parisienne, suspendus depuis le début du confinement.

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